Albert CAMUS
philosophe et écrivain
français [1913—1960]
(1964)
CARNETS II
janvier 1942 — mars 1951
ŒUVRES D’ALBERT CAMUS
Aux Éditions Gallimard
L’ENVERS ET L’ENDROIT, essais.
NOCES.
L’ÉTRANGER. R
LE MYTHE DE SISYPHE.
LE MALENTENDU suivi de CALIGULA.
LA PESTE. Récit.
L'ÉTAT DE SIÈGE. Théâtre
ACTUELLES :
I. CHRONIQUES 1944—1948.
II. CHRONIQUES 1948—1953
III. CHRONIQUES ALGÉRIENNES, 1939—1958
LES JUSTES. Théâtre.
L’HOMME RÉVOLTÉ. Essai.
L’ÉTÉ. Essai.
LA CHUTE. Récit.
L’EXIL ET LE ROYAUME. Nouvelles
DISCOURS DE SUÈDE
CARNETS
I. Mai 1935 — février 1941.
II. Janvier 1942 — mars 1951.
III. Mars 1951 — décembre 1959.
Journaux de voyage.
Correspondance avec Jean Grenier.
Adaptations théâtrales
LA DÉVOTION À LA CROIX, de Pedro Calderon de la Barca.
LES ESPRITS, de Pierre de Larivey.
REQUIEM POUR UN NONNE, de William Faulkner.
LE CHEVALIER D’OLMEDO, de Lope de Vega.
LES POSSÉDÉS, d’après le
r
Cahiers Albert Camus
I. La mort heureuse. R
II. Paul Viallaneiz : Le premier
Camus, suivi d’Écrits de jeunesse d’Albert Camus.
III. Fragments d’un c
IV. Caligula (version de 1941), théâtre.
V. Albert Camus : œuvre fermée, œuvre ouverte ? Actes du colloque de Cerisy (juin 1982)
VI. Albert Camus éditorialiste a L’Express (mai 1955 — février 1958).
Aux Calman-Levy
Réflexions sur la guillotine, in Réflexions sur la peine de mort, de Camus et Koestler, essai.
A l’avant-scène
Un cas intéressant. Adaptation de Dino Buzzati. Théâtre.
Albert CAMUS
philosophe et écrivain français [1913—1960]
CARNETS II
Janvier 1942 – mars 1951.
Paris : Les Éditions Gallimard, 1964, 350 pp.
Cahier no IV. janvier 1942 — septembre 1945.
Cahier no V. septembre 1945 — avril 1948.
Cahier no VI. avril 1948 — mars 1951.
Notes bibliographiques
Ouvrages écrits ou publies de 1942 à
1951
[7][1]
CARNETS II. Janvier 1942 — mars 1951.
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Ce second t
La relation des séjours que fit Albert Camus en Amérique du Nord (mars à mai 1946) et en Amérique du Sud (juin à août 1949) constituant un véritable journal de voyage, il a semblé plus logique de ne pas les inclure dans la présente édition. Ils seront prochainement publiés à part.
[19]
CARNETS II. Janvier 1942 — mars 1951.
Janvier 1942 — septembre 1945
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[11]
Janvier-février.
« Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »[2] Oui, mais… Et qu’il est dur de songer au bonheur. Le poids écrasant de tout cela. Le mieux est de se taire pour toujours et de se tourner vers le reste.
*
Dilemme, dit Gide : Être moral, être sincère. Et encore : « Il n’y a de choses belles que celles que la folie dicte et que la raison écrit. »
*
Se déprendre de tout. À défaut du désert, la peste ou la petite gare de Tolstoï.
*
Goethe : « je me sentais assez dieu pour
descendre vers les filles des h
*
Il n’y a pas de grands crimes dont un h
*
Retz[3] calme facilement un premier soulèvement à Paris parce
que c’est l’heure du souper : « Les plus échauffés ne
veulent pas ce qu'ils appellent se désheurer. »
*
Repères étrangers[4]: |
Tolstoï ; Melville ; D. de Foe[5]; Cervantès. |
*
Retz : « M. le duc d’Orléans
avait, à l’exception du courage, tout ce qui était
nécessaire à un honnête h
*
Des gentilsh
*
Il y a beaucoup de raisons à
l’officielle hostilité contre l’Angleterre[6] (bonnes ou mauvaises, politiques ou non). Mais on ne parle pas de l’un
des pires [13] motifs : la rage et le désir bas de voir succ
*
Le Français a gardé l’habitude
et les traditions de la révolution[1].
Il ne lui manque que l’est
*
Épigraphe à Oran ou le Minotaure[2].
Gide. Un esprit non prévenu. « Je
l’imagine à la cour du roi Minos, inquiet de savoir quelle sorte
d’inavouable monstre peut bien être le Minotaure ; s’il est si
affreux que cela ou s’il n’est pas charmant peut-être. »
*
Dans le drame antique, celui qui paie c’est
toujours celui qui a raison, Pr
À opposer « Le grand danger est de se laisser accaparer par une idée fixe » (Gide) et l’« obéissance » nietzschéenne. Gide encore, parlant des déshérités : « Laissez-leur la vie éternelle ou donnez-leur la révolution. » Pour mon essai sur la révolte. « Ne m’enlevez pas de ma chère petite grotte », dit la Séquestrée de Poitiers, qui y vivait dans la merde.
*
Attirance ressentie par certains esprits pour la justice et son fonctionnement absurde. Gide, Dostoïevski, Balzac, Kafka, Malraux, Melville, etc. Chercher l’explication.
*
Stendhal. On imagine l’histoire de Malatesta
ou des Este racontée par Barrès et puis par Stendhal. Stendhal va
prendre le style chronique, le reportage du « grand ». C’est dans la
disproportion du ton et de l’histoire que Stendhal met son secret (à
rapprocher de certains Américains). Précisément la
même disproportion qui existe entre Stendhal et Béatrice Cenci.
Manqué si Stendhal avait pris le ton pathétique. (Malgré
les histoires littéraires, Tyrtée est c
*
[15]
Mars.
Le Lucifer de Milton. « Le plus loin de Lui est le mieux… L’esprit est à soi-même sa propre demeure, il peut faire en soi un ciel de l’enfer, un enfer du ciel… Mieux vaut régner en enfer que servir dans les cieux. »
Psychologie résumée d’Adam et Ève : Lui formé pour la contemplation et le courage — elle pour la mollesse et la grâce séduisante ; Lui pour Dieu seulement. Elle pour Dieu en lui.
*
Schiller meurt ayant « sauvé tout ce qui pouvait l’être ».
*
Chant X de L’Iliade. Ces
chefs poursuivis par l’ins
Les chevaux de Patrocle pleurent dans la
bataille, leur maître étant mort. Et (chant 18) les trois grands
cris d’Achille revenu à la bataille, campé sur le fossé de
défense, étincelant dans ses armes, farouche. Et les Troyens
reculent. Chant 24. Le chagrin d’Achille pleurant dans la nuit après la
victoire. Priam : « Car j’ai pu ce qu’aucun h
(Le Nectar était rouge !)
*
Ce qu’on peut dire de plus élogieux
à l’égard de l’Iliade, c’est que, sachant l’issue du c
*
Pour une psychologie généreuse.
On aide plus un être en lui donnant de
lui-même une image favorable qu’en le mettant sans cesse en face de ses
défauts. Chaque être normalement s’efforce de ressembler à
sa meilleure image. Peut s’étendre à la pédagogie,
à l’histoire, à la philosophie, à la politique. Nous s
*
Pour un psychanalyste, le moi se donne
à lui-même [17] une continuelle représentation mais le
livret en est faux.
F. Alexander et H. Staub. Le Criminel. Il y a des siècles on condamnait les hystériques, il viendra un temps où l’on soignera les criminels.
*
« Vivre et mourir devant un miroir », dit Baudelaire. On ne remarque pas assez « et mourir ». Vivre, ils en sont
tous là. Mais se rendre maître de sa mort, voilà le
difficile.
*
Psychose de l’arrestation[3].
Il fréquentait assidûment les endroits publics distingués :
salles de concert, grands restaurants. Se créer des liens, une
solidarité avec ces gens-là, cela fait une défense. Et
puis il y fait chaud, on s’y coudoie. Il rêvait de publier des livres
impressionnants qui créassent une auréole autour de son n
Il avait besoin de contact, de chaleur. Il
récapitulait [18] ses relations. « Impossible qu’on fasse ça à l’ami
de M. X., l’invité de M. Y. » Mais il n’y a jamais assez de
relations pour empêcher d’avancer le bras tranquille qui le
menaçait. Alors il en venait aux épidémies. Supposez un
typhus, une peste, cela arrive, cela s’est vu. C’est plausible en quelque
sorte. Eh bien, tout est transformé, c’est le désert qui vient
à vous. On n’a plus le temps de s’occuper de vous. Parce que c’est cela :
l’idée que quelqu’un, sans que vous le sachiez, s’occupe de vous et on
ne sait pas où il en est — ce qu’il a décidé et s’il a
décidé. Alors, la peste — et je ne parle pas des tremblements de
terre.
Ainsi ce cœur sauvage appelait ses
prochains et mendiait leur chaleur. Ainsi cette âme ravinée,
rabougrie demandait aux déserts leur fraîcheur et faisait sa paix
d’une maladie, d’un fléau et de catastrophes. (À
développer.)
*
Le grand-père de A. B., à 50
ans, a jugé qu’il avait assez fait. Dans sa petite maison de Tlemcen il
s’est couché et ne s’est plus relevé, sauf pour l’essentiel,
jusqu’à sa mort, à 84 ans. Par avarice, il n’avait jamais voulu
acheter de montre. Il évaluait le temps et surtout l’heure des repas à l’aide
de deux marmites, dont l’une était remplie de pois chiches[4].
Il remplissait l’autre du même mouvement appliqué et
régulier et trouvait ainsi ses repères dans une journée
évaluée à la marmite.
Il avait déjà donné des
signes de sa vocation en ce [19] sens que rien ne l’intéressait, ni son
travail, ni l’amitié, ni la musique, ni le café. Il n’était
jamais sorti de sa ville sauf un jour où, obligé de partir pour
Oran, il s’arrêta à la gare la plus proche de Tlemcen,
effrayé par l’aventure. Il revint alors dans sa ville par le premier
train. À ceux qui s’étonnaient de sa vie pendant les 34 ans qu’il
passa au lit, il disait que la religion stipulait que la moitié de la
vie de l’h
Ce qui achève son personnage, c’est le
souhait profond qu’il répétait à qui voulait l’entendre :
il espérait mourir très vieux.
*
Y a-t-il un dilettantisme tragique ?
*
Parvenu à l’absurde, s’essayant
à vivre en conséquence, un h
Il s’aperçoit ainsi que le vrai
problème, même sans Dieu, est le problème de l’unité
psychologique [20] (le travail de l’absurde ne pose réellement que le
problème de l’unité métaphysique du monde et de l’esprit)
et la paix intérieure. Il s’aperçoit aussi que celle-ci n’est pas
possible sans une discipline difficile à concilier avec le monde. Le
problème est là. Il faut justement la concilier avec le monde. Ce
qu’il s’agit de réaliser c’est la règle dans le siècle.
L’obstacle, c’est la vie passée
(profession, mariage, opinions passées, etc.), ce qui est
déjà arrivé. N’éluder aucun des
éléments de ce problème.
*
Détestable, l’écrivain qui
parle, exploite ce qu’il n’a jamais vécu. Mais attention, un assassin n’est
pas l’h
*
« Les supérieurs ne pardonnent jamais à leurs inférieurs de posséder les dehors de la grandeur. » (Le Curé de Village.)
Id. « Il n’y a plus de pain. » Véronique et la Vallée de Montignac croissent du même temps. Même symbolisme que dans Le Lys.
Pour ceux qui disent que Balzac écrit
mal, cf. la [21] mort de Mme Graslin : « Tout en elle se purifia, s’éclaircit,
et il y eut sur son visage c
Étude de femme : Le récit est impersonnel — mais c’est Bianchon qui raconte.
Alain sur Balzac : « Son génie consiste à s’installer dans le médiocre et à le rendre sublime sans le changer. »
Balzac et les cimetières dans Ferragus.
Le Baroque de Balzac : les pages sur l’orgue dans Ferragus et Duchesse de Langeais.
Cette flamme dont la duchesse chez Montriveau voit le reflet ardent et indistinct rougeoie dans toute l’œuvre de Balzac.
*
Il y a deux sortes de style : Mme de Lafayette et Balzac. Le premier est parfait dans le détail, l’autre travaille dans la masse et quatre chapitres suffisent à peine à donner l’idée de son souffle. Balzac écrit bien non pas malgré mais avec ses fautes de français.
*
Secret de mon univers : Imaginer Dieu
sans l’immortalité humaine.
*
Charles Morgan et l’unité de l’esprit : la félicité de l’intention unique — le ferme talent de l’excellence — « le génie c’est ce pouvoir de mourir », 1’opposition [22] à la femme et à son tragique amour de la vie — autant de thèmes, autant de nostalgies.
*
Sonnets de Shakespeare :
« Pour voir les s
— Tous les fous de cet âge
Qui, mourant pour le bien, ont vécu dans le crime.
*
Les pays qui abritent la beauté sont
les plus difficiles à défendre — tant on voudrait les
épargner. Ainsi les peuples artistes devraient être les victimes
désignées des peuples ingrats — si l’amour de la liberté
ne primait pas l’amour de la beauté au cœur des h
*
Calypso offre à Ulysse de choisir entre
l’immortalité et la terre de sa patrie. Il repousse l’immortalité.
C’est peut-être tout le sens de l’Odyssée[7]. Dans le chant XI, Ulysse et les morts devant la
fosse pleine de sang — et Agamemnon lui dit : « Ne sois pas trop bon avec ta femme et ne lui confie pas toutes tes
pensées. »
*
Remarquer aussi que l’Odyssée parle de
Zeus c
XVII. — Le chien Argos.
XXII. — On pend les femmes qui se sont
données — cruauté incroyable.
*
Toujours pour Stendhal chroniqueur — Voir Journal, p. 28—29.
« L’extrême de la passion peut
être de tuer une mouche pour sa maîtresse. » « Il n’y a que
les femmes à grand caractère qui puissent faire mon bonheur. »
Et ce trait : « C
T. II: « J’ai tant
senti ce soir que j’en ai mal à l’est
Stendhal, qui ne s’est pas tr
*
Épitaphe de H. Heine : « Il aima les roses de la Brenta. »
*
Flaubert : « Un h
[24] Ce qu’il a vu à Gênes : « Une ville tout en marbre avec des jardins remplis de roses. »
Et « L’ineptie consiste a vouloir conclure ».
*
Correspondance Flaubert.
T
Id. « Vivre en bourgeois et penser en demi-dieu » ?? cf. L’histoire du
ver solitaire.
« Les chefs-d’œuvre sont
bêtes, ils ont la mine tranquille c
« À 17 ans, si j’avais
été aimé, quel artiste je ferais maintenant ! »
*
« En art, il ne faut jamais craindre d’être
exagéré… Mais l’exagération doit être continue —
proportionnelle à elle-même[5]. »
Son but : l’acceptation ironique de l’existence
et sa refonte c
Expliquer l’h
Id. « Nous ne ferions rien dans ce monde si nous n’étions
guidés par des idées fausses » (Fontenelle).
À première vue la vie de l’h
*
Il y a toujours une philosophie pour le manque
de courage.
*
La critique d’art, par peur d’être taxée de littérature, s’essaie à parler le langage de la peinture, c’est alors qu’elle est littéraire. Il faut revenir à Baudelaire. La transposition humaine, mais objective.
*
Mme V. au milieu odeurs viande pourrie. 3 chats. 2 chiens. Dissertant sur le chant intérieur. La cuisine est fermée. Il y fait une chaleur épouvantable.
Tout le poids du ciel et de la chaleur s’appuie sur la baie. Tout est lumineux. Mais le soleil a disparu.
*
Les difficultés de la solitude sont à traiter entièrement.
*
Montaigne : Une vie glissante, s
*
L’intelligence moderne est en plein
désarroi. La connaissance s’est distendue à ce point que le monde
et l’esprit ont perdu tout point d’appui. C’est un fait que nous souffrons de
nihilisme. Mais le plus admirable sont les prêches sur les « retours »[6].
Retour au Moyen Âge, à la mentalité primitive, à la
terre, à la religion, à l’arsenal des vieilles solutions. Pour
accorder à ces baumes une
*
Les seules preuves doivent être palpables.
*
[27]
« L’Europe, dit Montesquieu, se perdra
par ses h
*
Qui peut dire : j’ai eu huit jours
parfaits. Mon souvenir me le dit et je sais qu’il ne ment pas. Oui cette image
est parfaite c
Longues dunes sauvages et pures ! Fête de l’eau du matin si noire, de midi si claire, et du soir, tiède et dorée. Longs matins sur la dune et parmi les corps nus, midi écrasant, et il faudrait répéter toute la suite, dire encore ce qui a été dit. Là était la jeunesse. Là est la jeunesse et, à 30 ans, je ne désire rien d’autre que cette jeunesse à poursuivre. Mais…
*
Les livres de Copernic et de Galilée sont restés à l’index jusqu’en 1822. Trois siècles d’entêtement, c’est coquet.
*
Peine de mort. On tue le criminel parce que le
crime épuise toute la faculté de vivre dans un h
[28] Il a tout vécu s'il a tué. Il peut mourir. Le meurtre est exhaustif.
*
Par quoi la littérature du XIX° et surtout du XX° se distingue-t-elle de celle
des siècles classiques ? Elle est moraliste elle aussi puis-qu'elle
est française. Mais la morale classique est une morale critique
(exception faite pour Corneille) — négative. La morale du XX°, au contraire, est positive : elle définit des styles de
vie. Voyez le héros r
*
Montesquieu. « Il y a des imbécillités qui sont telles qu’une plus grande imbécillité vaudrait mieux. »
*
On c
*
[29]
Brulard : « Mes c
Id. « Un salon de huit ou dix personnes dont toutes les femmes ont eu des amants, où la conversation est gaie, anecdotique et où l’on prend du punch léger à minuit et demi est l’endroit du monde où je me trouve le mieux. »
*
Psychose de l’arrestation[7]:
au m
Ainsi les deux h
*
A. J. T. sur L’Étranger.
C’est un livre très concerté et
le ton… est voulu. Il s’élève quatre ou cinq fois, il est vrai, mais
c’est pour éviter la monotonie et pour qu’il y ait une c
Dans tout cela naturellement, il s’agit des moyens artistiques et pas de la fin. Le sens du livre tient exactement dans le parallélisme des deux parties. Conclusion : La société a besoin des gens qui pleurent à l’enterrement de leur mère ; ou bien on n’est jamais condamné pour le crime qu’on croit. D’ailleurs je vois encore dix autres conclusions possibles.
*
Les grands mots de Napoléon. « Le bonheur est le plus grand développement de mes facultés. »
Avant l’île d’Elbe : « Un goujat vivant vaut mieux qu’un empereur mort. »
« Un h
« Il faut vouloir vivre et savoir mourir. »
*
Critiques sur L’Étranger. La
« Moraline » sévit. Imbéciles qui croyez que la
négation est un abandon [31] quand elle est un choix. (L’écrivain
de la Peste montre le côté héroïque de la
négation.) Il n’y a pas d’autre vie possible pour un h
*
« Qu’est-ce que je médite de plus grand que moi et que
j’éprouve sans pouvoir le définir ? Une sorte de marche
difficile vers une sainteté de la négation — un héroïsme
sans Dieu — l’h
Qu’est-ce qui fait la
supériorité d’exemple (la seule) du christianisme ?
Le Christ et ses saints — la recherche d’un style de vie. Cette
œuvre c
*
De la critique.
Trois ans pour faire un livre, cinq lignes
pour le ridiculiser — et les citations fausses.
Lettre à A. R., critique
littéraire (destinée à ne pas être envoyée).
…Une phrase de votre critique m’a beaucoup
frappé : « je ne tiens pas c
…Vous me prêtez l’ambition de faire
réel. Le réalisme est un mot vide de sens (Mme Bovary et Les
Possédés sont des r
Les raisons de cette volonté de « dire
le moins » seraient trop longues à vous donner. Mais je puis du
moins regretter qu’un examen superficiel vous ait poussé à me
prêter une philosophie de c
Vous penserez peut-être que c’est
beaucoup de bruit pour le petit livre d’un inconnu. Mais je crois que je suis
dépassé en cette affaire. Car vous vous êtes placé
à un point de vue moral qui vous a empêché de juger avec la
clairvoyance et le talent qu’on vous reconnaissait. Cette position est
insoutenable et vous le savez mieux que personne. Il y a une frontière
très imprécise entre vos critiques et celles qu’on pourra faire
bientôt sous une littérature dirigée (qu’on a faites il n’y
a pas si longtemps) sur le caractère moral de telle ou telle œuvre.
Je vous le dis sans colère, cela est détestable. Vous ni personne
n’avez qualité pour juger si une œuvre peut servir ou desservir la
nation en ce m
Je voudrais en tous les cas que cette lettre
ne donnât pas lieu à un nouveau malentendu. Ce n’est pas une
démarche d’auteur mécontent que je fais auprès de vous. Je
vous demande de ne rien livrer de cette lettre à la publication. Vous n’avez
pas vu souvent mon n
*
Trois personnages sont entrés dans la c
*
Brice Parain. Essai sur le logos platonicien[9].
Étudie le logos c
*
Ouvriers français — les seuls
auprès desquels je me sente bien, que j’aie envie de connaître et
de « vivre ». Ils sont c
*
Fin août 42.
Littérature. Se méfier de ce
mot. Ne pas le prononcer trop vite. Si l’on ôtait la littérature
chez les grands écrivains on ôterait ce qui probablement leur est
le plus personnel. Littérature = nostalgie. L’h
*
Ce bruit de sources au long de mes
journées. Elles coulent autour de moi, à travers les près
ensoleillés, puis plus près de moi et bientôt j’aurai ce
bruit en moi, cette source au cœur et ce bruit de fontaine acc
*
Peste. Impossible d’en sortir. Trop de
« hasards » cette fois dans la rédaction. Il faut coller
étroitement à l’idée. L’Étranger
décrit la nudité de l’h
*
Panelier[10].
Avant le lever du soleil, au-dessus des hautes collines, les sapins ne se
distinguent pas des ondulations qui les soutiennent. Puis le soleil de
très loin et par-derrière dore le s
*
Ce qui est émouvant dans Joyce ce n’est pas l’ouvre, c’est le fait de l’avoir entreprise. À distinguer ainsi le pathétique de l’entreprise — qui n’a rien à voir avec l’art — et l’émotion artistique à proprement parler.
*
Se persuader qu’une œuvre d’art est chose humaine et que le créateur n’a rien à attendre d’une « dictée » transcendante. La Chartreuse, Phèdre, Adolphe auraient pu être très différents — et non moins beaux. Cela dépendait de leur auteur — maître absolu.
*
Un essai sur la France dans bien des années ne pourra pas se passer d’une référence à l’époque actuelle. Cette idée venue dans un petit train départemental[11] en voyant défiler, massés dans des gares minuscules, ces visages et ces silhouettes de Français qu’il me sera difficile d’oublier : vieux couples de paysans, elle parcheminée, lui le visage lisse, éclairé de deux yeux clairs et d’une moustache blanche — silhouettes que deux hivers de privations ont tordues, vêtues de costumes luisants et reprisés. L’élégance a quitté ce [38] peuple que la misère habite. Dans les trains les valises sont fatiguées, fermées avec des ficelles, rafistolées avec du carton. Tous les Français ont l’air d’émigrants.
Id. dans les villes industrielles — ce vieil ouvrier aperçu à sa fenêtre, muni de besicles, et qui profite de la dernière lumière du jour pour lire, son livre sagement posé à plat entre ses deux mains étalées.
À la gare, tout un peuple pressé absorbe sans rechigner une nourriture infâme et puis sort dans la ville obscure, se coudoient sans se mêler et regagnent hôtel, chambre, etc. Vie désespérante et silencieuse que la France tout entière supporte dans l’attente.
Vers le 10, le 11, le 12 du mois, tout le
monde fume. Le 18, impossible de trouver du feu dans la rue. Dans les trains on
parle de la sécheresse. Elle est moins spectaculaire ici qu’en
Algérie mais elle n’en est pas moins tragique. Un vieil ouvrier raconte
sa misère : ses deux pièces à une heure de
Saint-Étienne. Deux heures de route, huit heures de travail — rien
à manger à la maison — trop pauvre pour utiliser le marché
noir. Une jeune femme fait des heures de lavage parce qu’elle a deux enfants et
que son mari est revenu de la guerre avec un ulcère à l’est
Pendant ce temps la pluie noie le paysage crasseux d’une vallée industrielle — le parfum âcre de cette [39] misère — l’affreuse détresse de ces vies. Et les autres font des discours.
Saint-Étienne au matin dans la brume
avec les sirènes qui appellent au travail au milieu d’un fouillis de
tours, de bâtiments et de grosses cheminées portant à leur
s
*
Budejovice, acte III[12] La sœur revient après suicide de la mère.
Scène avec la femme
— Au n
— Au n
— Qu’est-ce que c’est ?
La sœur sort pour la fin. La femme hurle
et pleure. Entre la servante taciturne, attirée par les pleurs :
— Ah vous, vous du moins aidez-moi !
— Non. (Rideau.)
*
Toutes les grandes vertus ont une face absurde.
*
Nostalgie de la vie des autres. C’est que, vue de l’extérieur, elle forme un tout. Tandis que la nôtre, [40] vue de l’intérieur, parait dispersée. Nous courons encore après une illusion d’unité.
*
La science explique ce qui fonctionne et non ce qui est. Ex : pourquoi des espèces diverses de fleurs et non pas une seule ?
*
R
*
L’accouplement avec les bêtes supprime la conscience de l’autre. Il est « liberté ». Voilà pourquoi il a attiré tant d’esprits, et jusqu’à Balzac.
*
Panelier. Première pluie de septembre
avec un léger vent qui mêle les feuilles jaunes à ‘averse.
Elles planent un m
*
Enfance pauvre.
L’imperméable trop grand — la sieste. La canette Vinga — les dimanches
chez la tante. Les livres — la bibliothèque municipale. Rentrée
le soir de Noël et le cadavre devant le restaurant. Les jeux dans la cave
(Jeanne, Joseph et Max). Jeanne ramasse tous les boutons, « c’est c
*
R
*
Avakkum[13][12] avec sa femme
dans les glaces de Sibérie, à pied.
L’archiprêtre ? » Avakkum : « Fille de Marc,
jusqu’à la mort. » Et elle, en soupirant : « Bien, fils
de Pierre, alors cheminons encore. »
*
I Corinthiens, VII, 27 : « Tu es lié à femme, ne [42] cherche point à être délié. Tu es délié, alors ne cherche point femme. »
Luc, VI, 26 : « Malheur à
vous quand tous les h
En tant qu’apôtre, Judas faisait des
miracles (Saint Jean Chrysost
*
Tchouang Tseu (3° des grands taoïstes — 2° moitié du IV° siècle av. J.-C.) a le point de vue de Lucrèce [13] « Le grand oiseau s’élève sur le vent jusqu’à une hauteur de 90 000 stades. Ce qu il voit de là-haut sont-ce des troupes de chevaux sauvages lancées au galop. »
*
Jusqu’à l’ère chrétienne,
le Bouddha n’est pas représenté parce qu’il est nirvané
c’est-à-dire dépersonnalisé.
*
Selon Proust, ce n’est pas que la nature imite
l’art. C'est que le grand artiste nous apprend à voir dans la nature ce
que son Œuvre, de façon irremplaçable, a su en isoler.
Toutes les femmes deviennent des Renoir.
« Au pied du lit, convulsée par
tous les souffles de cette agonie, ne pleurant pas mais par m
La Recherche du Temps Perdu est une œuvre héroïque et virile,
1) par la constance de la volonté
créatrice ;
2) par l’effort qu’elle demande à un malade.
« Quand des crises m’avaient forcé
à rester plusieurs jours et plusieurs nuits de suite non seulement sans
dormir mais sans m’étendre, sans boire et sans manger, au m
*
Il ne couche pas avec une putain qui l’aborde et dont il a envie parce qu’il n’a qu’un billet de mille francs sur lui et qu’il n’ose pas lui demander la monnaie.
*
[44]
Sentiment inverse de celui de Proust : devant chaque ville, chaque nouvel appartement, chaque être, chaque rose et chaque flamme, s’émerveiller de leur nouveauté en pensant à ce que l’habitude va en faire — chercher dans l’avenir la « familiarité » qu’ils vous donneront, se mettre en quête du temps qui n’est pas encore venu.
Exemple :
La nuit, les arrivées solitaires dans
les villes inconnues — cette sensation d’étouffement, ce
dépassement par un organisme mille fois plus c
*
Dans le tram : « Il est né normalement. Mais huit jours après, ses
paupières se sont collées. Alors, forcément, ses yeux ont
pourri. »
*
C
*
Critiques sur L’Étranger : l’Impassibilité, disent-ils. Le mot est mauvais. Bienveillance serait meilleur.
*
Budejovice (ou Dieu ne répond pas)[15]. La servante taciturne est un vieux serviteur.
La femme à la dernière scène : « Seigneur, ayez pitié de moi, tournez-vous vers moi. Entendez-moi, Seigneur. Tendez-moi votre main. Seigneur, ayez pitié de ceux qui s’aiment et qui sont séparés. »
Le vieux entre.
— Vous m’avez appelé ?
La femme : — Oui… Non… je ne sais plus. Mais aidez-moi, aidez-moi, car j’ai besoin qu’on m’aide. Ayez pitié et consentez à m’aider.
Le vieux : — Non.
(Rideau.)
Chercher des détails pour renforcer le symbolisme.
*
C
*
[46]
R
Elle : « Oh ! c’est une affreuse chose de mourir en sachant qu’on sera oubliée. »
Voir toujours et exprimer en même temps les deux aspects.
*
Résumer clairement mes intentions avec La Peste.
*
Octobre. Dans l’herbe encore verte les feuilles déjà jaunes. Un vent court et actif forgeait avec un soleil sonore sur la verte enclume des près une barre de lumière dont les rumeurs d’abeilles venaient jusqu’à moi. Beauté rouge.
Splendide, vénéneuse et
solitaire c
*
On peut voir dans Spinoza le culte de ce qui
est et non de ce qui veut ou doit être — la haine des valeurs en blanc et
noir, de la hiérarchie morale — une certaine équivalence des
vertus et des maux dans la lumière divine. « Les h
Ce qui serait inconcevable pour lui ce n’est pas que Dieu ait créé l’imperfection en même temps que la perfection, c’est qu’il ne l’ait pas créée. Car ayant la puissance de créer toute la gamme du parfait à l’imparfait, il ne pouvait manquer de le faire. Ce n’est fâcheux que de notre point de vue qui n’est pas le bon.
Ce Dieu, cet univers sont immobiles et les
raisons s’en harmonisent. Tout est donné une fois pour toutes. À
nous, s’il nous plaît, d’en démêler les conséquences
et les raisons (de là la forme gé
[Un monde sans art aussi — parce que sans hasard (l’appendice du livre Ier nie qu’il y ait laid ou beau).]
Nietzsche dit que la forme mathématique
ne se justifie chez Spinoza que c
Voir Éthique, liv. Ier . Le th. XI donne quatre démonstrations de l’existence de Dieu. Th. XIV et le grand Scolie du XV qui semble nier la création.
Pourrait donner raison à ceux qui parlent du panthéisme de Spinoza ? On y trouve cependant un postulat (mot que Spinoza évite dans toute l’Éthique) : le vide n’existe pas (démontré il est vrai dans les ouvrages précédents).
On peut opposer le XVII et le XXIV : l’un démontrant la nécessité, l’autre pouvant servir à réintroduire la contingence. Le théorème XXV fonde le rapport de la distance et des modes. Dans le XXXI, enfin, la [48] volonté est contrainte. Dieu aussi par sa nature propre. Le XXXIII resserre encore ce monde si ligoté. Il semblerait que pour Spinoza la nature de Dieu soit plus forte que lui — mais au th. XXXIII il déclare (contre les partisans du Souverain Bien) qu’il est absurde de soumettre Dieu au destin.
C’est le monde du donné une fois pour toutes, du « c’est ainsi » — la nécessité y est infinie — l’originalité et le hasard y ont une part nulle. Tout y est monotone.
*
Curieux. Des historiens intelligents
retraçant l’histoire d’un pays mettent toutes leurs forces à
préconiser telle politique, réaliste par exemple, à quoi
sont dues, leur semble-t-il, les plus grandes époques de ce pays. Ils
signalent d’eux-mêmes cependant que jamais cet état de choses n’a
pu durer parce qu’assez vite un autre h
*
Ce bel effort est au génie ce que le vol saccadé du criquet est à ce-lui de l’hirondelle.
*
[49]
« Quelquefois, après toutes ces
journées où la volonté seule c
…le ciel désert de l’été, la mer que j’ai tant aimée, et ces lèvres tendues ».
*
La vie sexuelle a été
donnée à l’h
*
Un écrivain ne doit pas parler de ses doutes en face de sa création. Il serait trop facile de lui répondre : « Qui vous force à créer ? Si c’est une angoisse si continue, pourquoi la supportez-vous ? » Les doutes, c’est ce que nous avons de plus intime. Ne jamais parler de ses doutes — quels qu’ils soient.
*
[50]
Les Hauts de Hurlevent un des plus grands r
*
Octobre.
Les grands bois rouges sous la pluie, les
prairies toutes couvertes de feuilles jaunes, l’odeur des champignons qui
sèchent, les feux de bois (les p
Dans la forêt d’aut
*
23 octobre. Début.
La Peste a un sens social et un sens
métaphysique. C’est exactement le même. Cette
ambigüité est aussi celle de L’Étranger.
*
On dit : il s’en moque c
*
Idée : Il refuse tout ce qu’on lui offre, tous les bonheurs qui se présentent à cause d’une exigence plus profonde. Il gâche son mariage, s’engage dans des liaisons mal satisfaisantes, attend, espère. « je ne saurais pas bien la définir, mais je la sens. » Ainsi jusqu’à la fin de sa vie. « Non, je ne pourrai jamais la définir. »
*
La sexualité ne mène à rien. Elle n’est pas immorale mais elle est improductive. On peut s’y livrer pour le temps où l’on ne désire pas produire. Mais seule la chasteté est liée à un progrès personnel.
Il y a un temps où la sexualité est une victoire quand on la dégage des impératifs moraux. Mais elle devient vite ensuite une défaite — et la seule victoire est conquise sur elle à son tour : c’est la chasteté.
*
Penser au c
*
[52]
Novembre 42.
À l’aut
*
Le renoncement à la jeunesse. Ce n’est pas moi qui renonce aux êtres et aux choses (je ne le pourrais pas) ce sont les choses et les êtres qui renoncent à moi. Ma jeunesse me fuit : c’est cela être malade.
*
La première chose à apprendre
pour un écrivain c’est l’art de transposer ce qu’il sent dans ce qu’il
veut faire sentir. Les premières fois c’est par hasard qu’il
réussit. Mais ensuite il faut que le talent vienne remplacer le hasard.
Il y a ainsi une part de chance à la racine du génie.
*
Il dit toujours : « C’est ce que dans mon pays on appellerait…[16]» et il ajoute une formule banale qui n'est d'aucun pays. Ex. : C'est ce que dans mon pays on appellerait un temps de rêve (ou une carrière [53] éblouissante, ou une jeune fille modèle, ou un éclairage féerique).
*
11 novembre. C
*
Le matin, tout est couvert de givre, le ciel
resplendit derrière les guirlandes et les banderoles d’une kermesse
immaculée. À dix heures, au m
Assis au s
*
Saint-Étienne.
Je sais ce qu’est le dimanche pour un h
*
Je n’aurais pas dû écrire : si le monde était clair, l’art ne serait pas — mais si le monde me paraissait avoir un sens je n’écrirais pas. Il y a des cas où il faut être personnel, par modestie. Ajouter que la formule m’aurait contraint de mieux réfléchir et, pour [55] finir, je ne l’eusse pas écrite. C’est une vérité brillante, sans fondement.
*
La sexualité débridée conduit à une philosophie de la non-signification du monde. La chasteté lui rend au contraire un sens (au monde).
*
Kierkegaard. Valeur esthétique du mariage. Des vues définitives mais trop de verbiage.
Rôle de l’éthique et de l’esthétique dans la formation de la personnalité : bien plus solide et émouvant. Apologie du général.
Pour Kierkegaard la morale esthétique a pour fin l’originalité — et en réalité il s'agit de rejoindre le général. Kierkegaard n’est pas mystique. Il critique le mysticisme parce qu’il se sépare du monde — parce que justement il n’est pas dans le général. S’il y a un saut chez Kierkegaard, c’est donc dans l’ordre de l’intelligence. C’est le saut à l’état pur. Ceci au stade éthique. Mais le stade religieux transfigure tout.
*
À quel m
*
[56]
Utilisation immodérée d’Eurydice[18] dans la littérature des années 40. C’est que jamais tant d’amants n’ont été séparés.
*
Tout l’art de Kafka[19] consiste à obliger le lecteur à relire. Ses dénouements — ou ses absences de dénouements — suggèrent des explications mais qui n’apparaissent pas en clair et qui exigent que l’histoire soit relue sous un nouvel angle pour apparaître fondées. Quelquefois il y a une double ou une triple possibilité d’interprétation d’où apparaît la nécessité de deux ou trois lectures. Mais on aurait tort de vouloir tout interpréter dans le détail chez Kafka. Un symbole est toujours dans le général et l’artiste en donne une traduction en gros. Il n’y a pas de mot à mot. Le mouvement seul est restitué. Et pour le reste il faut faire la part du hasard qui est grande chez tout créateur.
*
Dans ce pays où l’hiver a
supprimé toute couleur puisque tout y est blanc, le moindre son puisque
la neige l’étouffe, tous les parfums puisque le froid les recouvre, la
première odeur d’herbes du printemps [57] doit être c
*
La maladie est un couvent qui a sa règle, son ascèse, ses silences et ses inspirations.
*
Dans les nuits d’Algérie, les cris des chiens répercutent des espaces dix fois plus grands que ceux d’Europe. Ils s’y parent ainsi d’une nostalgie inconnue dans ces pays étroits. Ils sont un langage qu’aujourd’hui je suis seul à entendre dans mon souvenir.
*
Développement de l’absurde :
1) si le souci fondamental est le besoin d’unité ;
2) Si le monde (ou Dieu) n’y peuvent satisfaire.
C’est à l’h
*
Vivre avec ses passions c’est aussi vivre avec
ses souffrances, — qui en est le contrepoids, le correctif, l’équilibre
et le paiement. Lors-qu’un h
*
[58]
Supposons un penseur qui, après avoir
publié quelques ouvrages, déclare dans un nouveau livre : « J’ai
pris jusqu’ici une mauvaise direction. je[18] vais tout rec
*
La femme, hors de l’amour, est ennuyeuse. Elle
ne sait pas. Il faut vivre avec l’une et se taire. Ou coucher avec toutes et
faire. Le plus important est ailleurs.
*
Pascal : L’erreur vient de l’exclusion.
*
L'équivalence dans Macbeth :
« Fair is foul and
foul is fair »[19],
mais elle est d’origine diabolique. « And nothing is but what is not »[20]. Et
ail-leurs, acte II, Scène III : « for fr
Oui[20] — « it is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing »[22].
*
[59]
Les dieux ont placé dans l’h
…Jouir toujours est impossible, la lassitude
vient pour finir — Parfait. Mais pourquoi ? En réalité on ne
peut pas jouir toujours parce qu’on ne peut pas jouir de tout. On
éprouve autant de lassitude à considérer le n
*
Question à poser : Aimez-vous les
idées — avec passion, avec le sang ? Faites-vous une ins
*
Pour la publication du théâtre : Caligula : tragédie
— L’Exilé
(ou Budejovice) : c
*
15 décembre.
Accepter l’épreuve, en tirer l’unité. Si l’autre n’y répond pas, mourir dans la diversité.
*
[60]
Le beau, dit Nietzsche après Stendhal,
est une pr
*
…C’est quand tout fut couvert de neige que je m’aperçus que les portes et les fenêtres étaient bleues.
*
S’il est vrai que le crime épuise toute
la faculté de vivre chez un h
*
La Princesse de Clèves[22]. Pas si simple que ça. Elle [61] rebondit en plusieurs
récits. Elle débute dans la c
Sa simplicité réelle est dans sa
conception de l’amour : Pour Mme de Lafayette, l’amour est un
péril. C’est son postulat. Et ce qu’on sent dans tout son livre c
« On lui porta sa grâce c
« Je lui dis que tant que son affliction
avait eu des bornes, je l’avais approuvée et que j’y étais
entré ; mais que je ne le plaindrais plus s’il s'abandonnait au
désespoir et s’il perdait la raison. » Magnifique. C’est la pudeur
de nos grands siècles. Elle est virile. Mais elle n’est pas
sécheresse. Car c’est le même h
« Le chevalier de Guise… prit la résolution de ne penser jamais à être aimé de Mme de Clèves. Mais pour quitter cette entreprise qui lui avait paru si difficile et si glorieuse, il en fallait quelque autre dont la grandeur pût l’occuper. Il se mit dans l’esprit de prendre Rhodes. »
« Ce qu’avait dit Mme de Clèves de son portrait lui avait redonné la vie en lui faisant connaître que [62] c’était lui qu’elle ne haïssait pas. » Le mot lui brûle la bouche.
*
La pauvreté est un état dont la vertu est la générosité.
*
Enfance pauvre.
Différence essentielle quand j’allais chez mon oncle[23]:
chez nous les objets n’avaient pas de n
*
Le désir physique brutal est aisé. Mais le désir en même temps que la tendresse demande du temps. Il faut traverser tout le pays de l’amour avant de trouver la flamme du désir. Est-ce pour cela qu’on désire toujours si difficilement, au début, ce qu’on aime ?
*
Essai sur la révolte[24].
La nostalgie des « c
*
Maintenant qu’il en sait le prix, il est
dépossédé. La condition de la possession, c’est
l’ignorance. Même dans l’ordre physique : on ne possède bien
que l’inconnue.
*
Budejovice (ou L’Exilé).
I
La mère. — Non, pas ce soir. Laissons-lui ce temps et cette halte. Donnons-nous cette marge. C’est dans cette marge peut-être que nous pourrons être sauvées.
La fille. — Qu’appelles-tu être sauvées ?
La mère. — Recevoir le pardon éternel.
La sœur. — Alors je suis déjà sauvée. Car pour tous les temps à venir, je me suis d’avance pardonné à moi-même.
II
Id. voir plus haut.
Sœur. — Au n
La femme. — Au n
Sœur. — Qu’est-ce que ce mot veut dire ?
(Passage).
[64] Femme. — L’amour, c’est ma joie passée et ma douleur d’aujourd’hui.
Sœur. — Vous parlez
décidément un langage que je ne c
III
— Ah ! dit-il avant de mourir, ce monde n’est donc pas fait pour moi et cette maison n’est pas la mienne.
La sœur. — Le monde est fait pour qu’on y meure et les maisons pour y dormir.
IV
2e acte. Méditation sur les
chambres d’hôtel. Il sonne. Silence. Des pas. Apparaît le vieux
muet. Un m
— Rien, dit l’autre. Rien. Je voulais savoir si quelqu’un répondait, si la sonnette marchait.
Le vieux un m
V
La sœur. — Priez Dieu qu’il vous rende c
Il est sourd, je vous dis, et muet c
*
Le monde absurde ne reçoit qu’une justification esthétique.
*
Nietzsche. — Rien de décisif ne se bâtit que sur un
« malgré
tout ».
*
Les r
Th
Th
Aminadab, malgré les apparences, est
plus obscur. C’est une forme nouvelle du Mythe d’Orphée et d’Eurydice
(à noter que dans les deux livres l’impression de fatigue que le
personnage semble éprouver et qu’en même temps il donne au lecteur
est une impression d’art).
*
Peste. Deuxième version.
Bible : Deutéron
« Chacun cherche son désert et dès qu’il est trouvé, le reconnaît trop dur. Il ne sera pas dit que je ne saurai pas supporter le mien. »
*
Primitivement[25], les 3 premières parties c
Chaque partie devait aussi resserrer un peu plus les liens entre les personnages — et devait + faire sentir par la fusion progressive des journaux en un seul et la parfaire dans les scènes de la 4° partie.
*
2° version.
La Peste pittoresque et descriptive — petits morceaux documentaires et une dissertation sur les fléaux.
Stephan[26] — chap. 2 : Il maudit cet amour qui l’a frustré de tout le reste.
Tout mettre au style indirect (- prêches - journaux, etc.) et soulagement monotone par tableaux de la Peste ?
Il faut décidément que ce soit une relation, une chronique. Mais que de problèmes cela pose.
Peut-être : refaire Stephan entièrement en supprimant thème de l’amour. Stephan manque de développement. La suite faisait prévoir plus ample.
Poursuivre jusqu’à la fin le thème de la séparation.
Faire rédiger rapport général sur la peste à O. ?
Ceux qui se découvrent une puce.
Un chapitre sur la misère.
Pour le prêche : « Avez-vous
remarqué, mes frères, c
Personnage supplémentaire : un séparé, un exilé [68] qui fait tout pour sortir de la ville et qui ne peut pas. Ses démarches : il veut obtenir un sauf-conduit sous prétexte « qu’il n’est pas d’ici ». S’il meurt, montrer qu’il souffre d’abord de ne pas avoir rejoint l’autre, et de tant de choses en suspens. C’est cela toucher le fond de la peste.
Attention : asthme ne justifie pas de si
n
Introduire l’atmosphère d’Oran.
Rien de « grimaçant », le naturel.
Héroïsme civil.
Développer la critique sociale et la
révolte. Ce qui leur manque c’est l’imagination. Ils s’installent dans l’épopée
c
Un chapitre sur la maladie. « Ils
constataient une fois de plus que le mal physique ne leur était jamais
donné seul mais s’acc
Moralité de la peste : elle n’a servi à rien ni à personne. Il n’y a que ceux que la mort a touchés en eux ou dans leurs proches qui sont instruits. Mais la vérité qu’ils ont ainsi conquise ne concerne qu’eux-mêmes. Elle est sans avenir.
[69] Les événements et les chroniques doivent donner le sens social de la Peste. Les personnages en donnent le sens plus profond. Mais tout cela en gros.
Critique sociale. La rencontre de l’administration
qui est une entité abstraite et de la peste qui est la plus
concrète de toutes les forces ne peut donner que des résultats c
Le séparé s’évade parce qu’il ne peut pas attendre qu’elle ait vieilli.
Un chapitre sur les parents isolés dans des camps.
Fin de la Ire partie. La progression des cas de peste doit être calqué sur celle des rats. Élargir. Élargir.
La drôle de peste ?
La Ire partie est une partie d’exposition qui devrait être tout entière très rapide — même dans les journaux.
Un des thèmes — possibles — lutte de la
médecine et de la religion : les puissances du relatif (et quel
relatif !) contre celles de l’absolu. C’est le relatif qui tri
« Bien sûr, nous savons que la
peste a sa bienfaisance, qu’elle ouvre les yeux, qu’elle force à penser.
Elle est à ce c
Tous cherchent la paix. Le marquer.
? Prendre Cottard à l’envers :
décrire son c
[70] Les journaux n’ont plus rien à raconter que des histoires de peste. Les gens disent : il n’y a rien dans le journal.
On fait venir des médecins de l'extérieur.
Ce qui me semble caractériser le mieux
cette époque, c’est la séparation. Tous furent
séparés du reste du monde, de ceux qu’ils aimaient ou de leurs
habitudes. Et dans cette retraite ils furent forcés, ceux qui le
pouvaient, à méditer, les autres à vivre une vie d’animal
traqué. En s
L’exilé, à la fin, atteint de la peste, court sur un lieu élevé et appelle sa femme à grands cris par-dessus les murs de la ville, la campagne, trois villages et un fleuve.
? Une préface du narrateur avec des considérations sur l’objectivité et sur le témoignage.
À la fin de la peste, tous les habitants ont l’air d’émigrants.
Ajouter détails « épidémie ».
Tarrou est l’h
Quel est l’idéal de l’h
Supprimer : « au début — en fait — en réalité — les premiers jours — à peu près à la même époque etc.
? Montrer tout le long de l’ouvrage que Rieux est le narrateur par des moyens de détective. Au début’: odeur de cigarette.
À la fois sauvagerie et besoin de chaleur. Pour concilier : le cinéma — où l’on est serré l’un contre l’autre sans se connaître.
[71] Ilots de lumières dans la ville
obscure vers lesquels un peuple d’
Pour l’exilé : le soir dans les
cafés où l’on retarde le plus possible l’heure d’allumer pour
écon
Les Séparés 2° partie : « Ils
étaient frappés par la s
Je veux exprimer au moyen de la peste l’étouffement dont nous avons tous souffert et l’atmosphère de menace et d’exil dans laquelle nous avons vécu. Je veux du même coup étendre cette interprétation à la notion d’existence en général. La peste donnera l’image de ceux qui dans cette guerre ont eu la part de la réflexion, du silence — et celle de la souffrance morale.
*
On ne connaît pas ici la soif et cette sensation de dessèchement qui s’empare de l’être entier après une course sous le soleil et dans la poussière. La limonade qu’on avale : on ne sent pas du tout le liquide passer mais seulement les mille petites aiguilles brûlantes du gaz.
*
[73]
Pas fait pour la dispersion.
*
15 janvier.
La maladie est une croix, mais peut-être
aussi un garde-fou. L’idéal cependant serait de lui prendre sa force et
d’en refuser les faiblesses. Qu’elle soit la retraite qui rend plus fort au m
*
Parce que le ciel est bleu, les arbres
couverts de neige qui lancent leurs rameaux blancs, au bord de la rivière,
très bas au-dessus de l’eau glacée, ont l’air d’amandiers en
fleurs. Il y a pour les yeux dans ce pays une perpétuelle confusion
entre le printemps et l’hiver.
J’ai lié une intrigue avec ce pays, c’est-à-dire
que j’ai des raisons de l’aimer et des raisons de le détester. Pour l’Algérie
au contraire, c’est la passion sans frein et l’bandon à la
volupté d’aimer. Question : Peut-on aimer un pays c
*
Peste, 2° version. Les Séparés.
Les séparés s’aperçoivent
qu’en réalité ils n’ont jamais cessé, dans la
première phase, d’espérer quelque [74] chose : que les
lettres arriveraient, que la peste cesserait, que l’absent se glisserait dans
la ville. C’est seulement dans la deuxième phase qu’ils n’espèrent
plus. Mais à ce m
Id. : ces m
*
La Pureté du cœur de Kierkegaard — Que de verbiage. Le génie est-il donc si lent ![24]
« Le désespoir est la frontière où se rencontrent dans une égale impuissance l’emportement d’un égoïsme lâchement craintif et la témérité d’un esprit orgueilleusement obstiné »
« Lorsque l’esprit impur sort de l’h
Sa distinction entre h
Id. pour Kafka : « On doit frapper à mort l’espérance terrestre, c’est alors seulement qu’on se sauve soi-même par l’espérance véritable. »
La Pureté du cœur pour K[25], c’est l’unité. Mais c’est l’unité et le bien. Il n’y a pas de pureté en dehors de Dieu. Conclusion : se résigner à l’impur ? je suis loin du bien et j’ai soif d’unité. Cela est irréparable.
*
[75]
Essai sur la Révolte. Après avoir fait partir de l’angoisse la philosophie : la faire sortir du bonheur.
Id. Régénérer l’amour
dans le monde absurde, c’est en fait régénérer le plus
brûlant et le plus périssable des sentiments humains
(Platon : « Si nous étions des dieux, nous ne
connaîtrions[26] pas l’amour »). Mais il n’y a pas de jugement de valeur à
porter sur l’amour durable (sur cette terre) et celui qui ne l’est pas. Un
amour fidèle — s’il ne s’appauvrit pas — est une manière
pour l’h
*
[76]
Peste, 2e version.
Les séparés perdent le sens critique. On peut voir les plus intelligents d’entre eux chercher dans les journaux ou dans des émissions radiophoniques des raisons de croire à une fin rapide de la peste, concevoir des espoirs sans fondement et éprouver des craintes gratuites à la lecture des considérations qu'un journaliste écrivit un peu au hasard, en bâillant d’ennui.
*
Ce qui éclaire le monde et le rend
supportable, c’est le sentiment habituel que nous avons de nos liens avec lui —
et plus particulièrement de ce qui nous unit aux êtres. Les
relations avec les êtres nous aident toujours à continuer parce
qu’elles supposent toujours des développements, un avenir — et qu’aussi
nous vivons c
*
10 février.
Quatre mois de vie ascétique et solitaire. La volonté, l’esprit y gagnent. Mais le cœur ?
*
Tout le problème absurde devrait pouvoir se concentrer autour d’une critique du jugement de valeur et du jugement de fait.
*
Curieux texte de la Genèse (III, 22) « Et L’Éternel Dieu dit : « Voici, l’h
Et l’épée de feu qui chasse
alors l’h
*
Ce qui me gêne dans l’exercice de la
pensée ou la discipline nécessaire à l’œuvre, c’est
l’imagination. J’ai [78] une imagination déréglée, sans
mesure, un peu monstrueuse. Difficile de savoir le rôle énorme
qu’elle a joué dans ma vie. Et pourtant je ne me suis aperçu de
cette particularité personnelle qu’à l’âge de trente ans.
Quelquefois dans le train, l’autobus, les
heures qui traînent et je m’empêche de m’égarer dans des
jeux d’images, des constructions qui me paraissent stériles. Fatigue
d’avoir à constamment redresser la pente de la pensée, à
la ramener vers ce dont j’ai besoin qu’elle se nourrisse, un m
*
C’est le goût de la pierre qui m’attire peut-être tant vers la sculpture. Elle redonne à la forme humaine le poids et l’indifférence sans lesquels je ne lui vois pas de grandeur.
*
Essai : un chapitre sur la « fécondité des tautologies ».
*
Un esprit un peu r
Cela semble introduire dans la vie des
idées un certain opportunisme. Mais cela semble seulement, car Nietzsche
ni nous-mêmes ne perdons conscience de l’autre côté
de la question et il s’agit seulement d’une réaction de défense.
Et finalement l’expérience de Nietzsche ajoutée à la
nôtre, c
Voir, en tout cas, Nietzsche (Origine de la Philosophie, Bianquis, p. 208) : « Socrate, il me faut l’avouer, m’est si proche que je me bats presque sans arrêt contre lui. »
*
Peste, 2° version. Les séparés ont des difficultés avec les jours de la semaine. Le dimanche naturellement. Le samedi après-midi. Et certains jours consacrés autrefois à certains rites.
[80] Id. Un chapitre sur la terreur : « Les gens qu’on venait chercher le soir… »
Dans le chapitre sur les camps d’isolement :
les parents sont déjà séparés du mort — puis pour
des raisons sanitaires on sépare les enfants des parents et les h
Faire ainsi du thème de la
séparation le grand thème du r
*
Peste 2° version.
On cherche la paix et l’on va vers les
êtres pour qu’ils vous la donnent. Mais ils ne peuvent donner pour c
*
Peste, 2° version.
Il est bon qu’il y ait des terrasses au-dessus de la peste.
[81] Ils ont tous raison, dit Rieux.
Tarrou (ou Rieux) pardonne à la peste[27].
*
Essai sur la Révolte. Le monde absurde
d’abord ne s’analyse pas en rigueur. Il s’évoque et il s’imagine. Ainsi
ce monde est le produit de la pensée en général,
c’est-à-dire de l’imagination précise. C’est l’application
à la conduite de la vie et à l’esthétique d’un certain
principe moderne. Ce n’est pas une analyse.
Mais une fois ce monde tracé à
grands traits, la première pierre (il n’y en a qu’une) posée,
philosopher devient possible — ou plus exactement, si on a bien c
1) le mouvement de révolte et la
révolte extérieure ;
2) l’état de révolte ;
3) la révolte métaphysique.
Mouvement de révolte — Le bon droit —
l’impression que ça a trop duré — que l’autre outrepasse son
droit (son père par ex.) « Jusque-là oui, mais ensuite
non » — continuer analyse.
Voir notes Origine Philosophie et H
*
[82]
Essai sur la Révolte : une des directions de l esprit absurde c est la pauvreté et le dénuement.
Une seule façon de ne pas se laisser « posséder » par l’absurde, c’est de n’en pas retirer d’avantages. Pas de dispersion sexuelle sans chasteté, etc.
Id. Introduire thème de l’oscillation.
Id. La contemplation c
*
Imaginons un penseur qui dit : « Voilà, je sais que cela est vrai. Mais finalement les conséquences m’en répugnent et je recule. La vérité est inacceptable même pour celui qui la trouve. » On aura ainsi le penseur absurde et son perpétuel malaise.
*
Ce vent singulier qui court toujours à
la lisière des bois. Idéal curieux de l’h
*
Il faut se décider à introduire dans les choses de la pensée la distinction nécessaire entre philosophie d’évidence et philosophie de préférence. Autrement dit, on peut aboutir à une philosophie qui répugne à l’esprit et au cœur mais qui s’impose. Ainsi ma philosophie [83] d’évidence c’est l’absurde. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir (ou plus exactement de connaître) une philosophie de préférence : Ex : un juste équilibre entre l’esprit et le monde, harmonie, plénitude, etc.… Le penseur heureux est celui qui suit sa pente — le penseur exilé celui qui s’y refuse — par vérité — avec regret mais détermination…
Peut-on pousser aussi loin que possible cette
séparation entre le penseur et son système ? N’est-ce pas en
fait revenir à un réalisme détourné : la
vérité extérieure à l’h
*
Le grand Problème à résoudre « pratiquement » peut-on être heureux et solitaire.
*
Anthologie de l’insignifiance[28].
Et d’abord qu’est-ce que l’insignifiance ? Ici l’étymologie est tr
Pour prendre un exemple contraire, si, pour
ouvrir une porte je tourne le loquet vers la droite plutôt que vers la
gauche, je ne peux rattacher ce geste à aucune signification
générale c
Mais puisque je me propose de faire une anthologie des actions insignifiantes, c’est donc que je sais ce qu’est une action insignifiante. Probablement. Mais savoir si une action est insignifiante n’est pas pour autant savoir ce qu’est l’insignifiance. Et après tout, je puis par exemple faire cette anthologie pour en avoir le cœur net. Cependant…
Plan.
1° actions insignifiantes : le vieux et le chat[29] — le militaire et la jeune fille (note pour celui-ci. J’ai [86] hésité à ranger cette histoire dans l’anthologie. Elle a peut-être une grande signification. Mais je la donne cependant pour montrer l’extrême difficulté de mon travail. De toutes façons il sera possible de la verser aussi dans une anthologie des choses qui ont du sens — en préparation), etc., etc.
2° Paroles insignifiantes. « C
3° Pensées insignifiantes. Plusieurs énormes volumes sont à prévoir.
*
Pourquoi cette anthologie ? On remarquera
que pour finir, l’insignifiance s’identifie presque toujours avec l’aspect
mécanique des choses et des êtres — avec l’habitude le plus
souvent. C’est dire que tout finissant par devenir habituel, on est
assuré que les plus grandes pensées et les plus grandes actions
finissent par devenir insignifiantes. La vie a[31] pour but
assigné l’insignifiance. D’où l’intérêt de l’anthologie.
Elle décrit pratiquement non seulement la part la plus
considérable de l’existence, celle des petits gestes, des petites
pensées et des petites humeurs mais encore notre avenir c
*
[87]
Nietzsche, avec la vie extérieure la plus monotone qui soit, prouve que la pensée à elle seule, menée dans la solitude, est une terrible aventure.
*
Nous supportons que Molière ait
dû mourir !
*
9 mars. Les premières pervenches — et il neigeait il y a huit
jours !
*
Nietzsche connaît aussi la nostalgie.
Mais il ne veut rien demander au ciel. Sa solution : ce qu’on ne peut
demander à Dieu, on le demande à l’h
*
L’Européen qui fait du courage une volupté : il s’admire. Répugnant. Le vrai courage est passif : il est indifférence à la mort. Un idéal : la connaissance pure et le bonheur.
*
[88]
Qu’est-ce qu’un h
*
On ne peut pas supprimer absolument les jugements de valeur. Cela nie l’absurde.
*
Les anciens philosophes (et pour cause)
réfléchissaient beaucoup plus qu’ils ne lisaient. C’est pourquoi
ils tenaient si étroitement au concret. L’imprimerie a changé
ça. On lit plus qu’on ne réfléchit. Nous n’avons pas de
philosophies mais seulement des c
*
[89]
Pour La Peste : Il y a chez les h
*
Quand on choisit le renoncement malgré la certitude du « Tout est permis », il en reste tout de même quelque chose, c’est qu’on ne juge plus les autres.
Ce qui attire beaucoup de gens vers le r
*
La sensation de la mort qui désormais m’est familière : elle est privée des secours de la douleur. La douleur accroche au présent, elle demande une lutte qui occupe. Mais pressentir la mort à la simple vue d’un mouchoir rempli de sang, sans effort c’est être replongé dans le temps de façon vertigineuse : c’est l’effroi du devenir.
*
L’épaisseur des nuages diminua. Dès que le soleil put sortir, les labours se mirent à fumer.
*
[90]
La mort donne sa forme à l’amour c
*
La curieuse théorie de Mme de Lafayette
est celle du mariage considéré c
(Le r
*
Peste. Les séparés : Journal de la Séparation ? « Le sentiment de la séparation fut général et il est possible d’en donner une idée d’après les conversations, [91] les confidences et les nouvelles qui paraissaient dans les journaux. »
Id. Les séparés. Cette heure du soir, qui pour les croyants est celle de l examen de conscience — cette heure est dure pour le prisonnier — elle est celle de l’amour frustré.
Peste. Id. La faim pousse les uns à réfléchir et les autres à faire du ravitaillement. Ainsi, non seulement ce qui apportait du malheur était en même temps un bien, mais ce qui était un malheur pour les uns était un bien pour les autres. On ne s’y retrouvait plus.
? Stephan. Journal de la séparation
Trois plans dans l’œuvre :
Tarrou qui décrit par le menu ;
Stephan qui évoque le général ;
Rieux qui concilie dans la conversion supérieure du diagnostic relatif.
*
Les séparés. Id. Tout au bout du
temps de la peste, ils n’imaginaient plus cette intimité qui avait
été la leur et c
*
Épigraphe pour Le Malentendu ? « Ce qui naist ne va pas à perfection et cependant jamais n’arrête. » Montaigne.
*
[92]
On imagine volontiers un Européen converti au Bouddhisme — parce qu’il y est assuré de la survie — que Bouddha juge un malheur sans remède — mais que lui désire de toutes ses forces.
*
Saint-Étienne et sa banlieue. Un pareil spectacle est la condamnation de la civilisation qui l’a fait naître. Un monde où il n’y a plus de place pour l’être, pour la joie, pour le loisir actif, est un monde qui doit mourir. Aucun peuple ne peut vivre en dehors de la beauté. Il peut quelque temps se survivre et c’est tout. Et cette Europe qui offre ici un de ses visages les plus constants s’éloigne sans arrêt de la beauté. C’est pour cela qu’elle se convulse et c’est pour cela qu’elle mourra si la paix pour elle ne signifie pas le retour à la beauté et sa place rendue à l’amour.
*
Toute vie dirigée vers l’argent est une mort. La renaissance est dans le désintéressement.
*
Il y a dans le fait d’écrire la preuve
d’une assurance personnelle qui c
*
Avoir la force de choisir ce qu’on préfère et de s’y tenir. Ou sinon il vaut mieux mourir.
*
Les séparés : « Ils attendaient avec impatience, pour revivre leur amour, l heure de la jalousie sans objet. »
*
Id. On leur demande de s’inscrire pour
connaître la liste de ceux qui sont séparés. Ils s’étonnent
que rien ne s’en suive. Mais il s’agit seulement de connaître le n
*
Id- 3° p. « Mais quand ils se furent retrouvés, ils eurent encore bien du mal à remplacer par la créature réelle celle de leur imagination... et l’on peut dire que la peste ne mourut que le jour où l’un d’entre eux put à nouveau regarder avec ennui le visage de celle qui lui faisait face. »
*
Toute pensée se juge à ce qu’elle sait tirer de la souffrance. Malgré ma répugnance, la souffrance est un fait.
*
Je ne peux pas vivre hors de la beauté. C’est ce qui me rend faible devant certains êtres.
*
Quand tout sera fini, s’écarter (Dieu
ou la femme).
*
Ce qui distingue le plus l’h
*
L’absurde, c’est l’h
*
Le temps ne va pas vite quand on l’observe. Il
se sent tenu à l’œil. Mais il profite de nos distractions.
Peut-être y a-t-il même deux temps, celui qu’on observe et celui
qui nous transforme.
*
Épigraphe pour Malentendu : « Voilà pourquoi
les poètes feignent cette misérable mère Niobé,
ayant perdu premièrement sept fils et par la suite autant sept filles,
surchargée de pertes, avoir été enfin transmuée en
rochier...[28] pour exprimer cette morne, muette et sourde stupidité qui nous
transit lorsque les accidents nous accablent, surpassant nostre[29] portée. » Montaigne.
Id. De la tristesse. « je suis des plus
exempts de cette passion et ne l’ayme ny[30] l’estime, quoy[31] que le monde ayt prins, c
Id. (Des menteurs) « Et n’est rien où la force d'un cheval se cognoisse plus qu’à faire un arrest rond et net. »
*
Absurde. Restituer morale par le Tu. Je ne
crois pas qu’il y ait un autre monde où nous devrions « rendre c
*
Id. À propos du langage. (Parain :
les arguments qui prouvent que l’h
*
La consolation de ce monde c’est qu’il n’y a
pas de souffrances continues. Une douleur disparaît et une joie
renaît. Toutes s’équilibrent. Ce monde est c
*
3° Intempestives[32]. « D’un regard douloureux, Schopenhauer se détournait de l’image du grand fondateur de la Trappe de Rancé, disant “ Ceci exige la grâce ” ».
*
À propos de M.[33] je ne refuse pas d’aller vers 1’Être, mais je ne veux pas d’un chemin qui s’écarte des êtres. Savoir si l’on peut trouver Dieu au bout de ses passions.
*
Peste : très important. « C’est parce qu’ils vous ont foutu le ravitaillement et la douleur des séparations qu’ils vous ont eus sans révolte. »
*
20 mai.
Pour la première fois : sentiment bizarre de satisfaction et de plénitude. Question que je me suis posée, couché dans l’herbe, devant le soir lourd et chaud : « Si ces jours étaient les derniers... » Réponse : un sourire tranquille en moi. Pourtant rien dont je puisse être fier : rien n’est résolu, ma conduite même n’est pas si ferme. Est-ce l’endurcissement qui termine une expérience, ou la douceur du soir, ou au contraire le début d’une sagesse qui ne nie plus rien ?
*
Juin. Luxembourg.
Un dimanche matin plein de vent et de soleil. Autour du grand bassin le vent éparpille les eaux de [98] la fontaine, les voiliers minuscules sur l’eau ridée et les hirondelles autour des grands arbres. Deux jeunes gens qui discutent : « Toi qui crois à la dignité humaine. »
*
Prologue :
— L’amour…
— La connaissance...
— C’est le même mot.
*
Alors que dans la journée le vol des oiseaux paraît toujours sans but, le soir ils semblent toujours retrouver une destination. Ils volent vers quelque chose. Ainsi peut-être au soir de la vie...[34] Y a-t-il un soir de la vie ?
*
Chambre d’hôtel à Valence.
« je ne veux pas que tu fasses cela. Qu’est-ce que je deviendrai avec
cette pensée ? Qu’est-ce que je de-viendrai devant ta mère,
tes sœurs, Marie-Rolande, je m’étais pr
*
Van Gogh frappé par une pensée de Renan : « Mourir à soi-même, réaliser de grandes choses, arriver à la noblesse et dépasser la vulgarité où se traîne l’existence de presque tous les individus. »
« Si l’on continue à aimer sincèrement ce qui est vraiment digne d’amour et qu’on ne gaspille pas son amour à des choses insignifiantes et nulles et fades, on obtiendra peu à peu plus de lumière et l’on deviendra plus fort. »
« Si l’on se perfectionne dans une seule
chose et qu’on la c
« Je suis un espèce de fidèle dans mon infidélité. »
« Si je fais des paysages, il y aura toujours là-dedans trace de figures. »
Il cite le mot de Doré : « J'ai la patience d’un bœuf. »
Cf. la lettre 340 sur le voyage à Zweeloo[35].
Le mauvais goût des grands artistes : il égale Millet à Rembrandt.
[100] « Je crois de plus en plus qu’il ne faut pas juger le Bon Dieu sur ce monde-ci, c’est une étude de lui qui est mal venue. »
« Je peux bien dans la vie et dans la peinture aussi me passer du Bon Dieu mais je ne puis pas, moi souffrant, me passer de quelque chose qui est plus grand que moi, qui est ma vie, la puissance de créer. »
La longue recherche de Van Gogh errant jusqu’à 27 ans avant de trouver sa voie et de découvrir qu’il est peintre.
*
Quand on a fait ce qu’il faut pour bien c
*
Peste. Professeur sentimental[36] à la fin de la peste conclut que la seule occupation intelligente reste de recopier un livre à l’envers (développer le texte et le sens).
Tarrou meurt en silence (clin d’œil, etc.).
Camp d’isolement administratif.
Conversation à la fin avec professeur et docteur : Ils sont réunis. Mais c’est qu’ils demandaient peu de chose. Moi, je n’ai pas eu, etc.
Le quartier juif (les mouches). Ceux qui veulent [101] maintenir les apparences. On invite les gens à une chicorée.
Séparés. 2° Et ce qui leur était déjà si dur à supporter pour eux-mêmes (la vieillesse) ils devaient maintenant l’endurer pour deux.
Pourtant les affaires courantes continuent d’être
expédiées. C'est à ce m
*
La confiance dans les mots, c’est le classicisme — mais pour garder sa confiance il n’en use que prudemment. Le surréalisme qui s’en défie en abuse. Retournons au classicisme, par modestie.
*
Ceux qui aiment la vérité doivent chercher l’amour dans le mariage, c’est-à-dire l’amour sans illusions.
*
« En quoi consiste l’inspiration
occitanienne ? » Un numéro spécial Cahiers du Sud.
En gros, nous n’avons rien valu pendant la Renaissance, le XVIII° et la
Révolution. Nous n’avons c
*
L’humanisme ne m’ennuie pas : il me sourît même. Mais je le trouve court.
*
Brück, d
« G. a tout du curé, une sorte d’onction épiscopale. Et déjà c’est à peine si je la supporte chez les évêques. »
*
Moi. — « Jeune, je croyais que tous les prêtres étaient heureux. »
Brück. – « La peur de perdre leur foi leur fait rétrécir leur sensibilité. Ce n’est plus qu’une vocation négative. Ils ne regardent pas la vie en face. » (Son rêve, le grand clergé conquérant, mais magnifique de pauvreté et d’audace.)
Conversation sur Nietzsche damné.
*
[103]
Barrès et Gide. Le déracinement
est un problème dépassé pour nous. Et quand les
problèmes ne nous passionnent pas nous disons moins de bêtises. En
s
*
Malentendu. La femme, après la mort du
mari : « C
*
Agrippa d’Aubigné[37]:
Voilà un h
*
Ce qui fait une tragédie c’est que chacune des forces qui s’y opposent est également légitime, a le droit de vivre. D’où faible tragédie : qui met en œuvre des forces illégitimes. D’où forte tragédie : qui légitime tout.
*
Sur les plateaux du Mézenc, le vent à grands coups d’épée sifflant dans l’air.
*
[104]
Vivre avec ses passions suppose qu’on les a asservies.
*
Le Retour éternel suppose la c
*
La vie est enc
*
Ne pas oublier : la maladie et sa décrépitude. Il n’y a pas une minute à perdre — ce qui est peut-être le contraire de « il faut se dépêcher ».
*
Moralité : On ne peut pas vivre avec les gens en connaissant leurs arrière-pensées.
Refuser obstinément tout jugement
collectif. Apporter l’innocence au milieu de l’aspect « c
*
La chaleur mûrit les êtres c
*
[105]
B. B. « Personne ne se rend c
*
Peste. Si les carnets de Tarrou ont tant de place, c’est qu’il s'est trouvé mourir chez le narrateur (au début).
— Êtes-vous sûr que la contagion
soit un fait, l’isolement rec
*
À force de lutter, les formations sanitaires ne s’intéressent plus aux nouvelles de la peste.
La peste supprime les jugements de valeur. On ne juge plus les qualités des vêtements, des aliments, etc. On accepte tout.
Le séparé veut demander au docteur un certificat pour pouvoir sortir (c’est ainsi qu’il le connaît) il raconte ses démarches... Il revient régulièrement.
Les trains, les gares, les attentes.
La peste accuse la séparation. Mais le fait d’être réuni n’est qu’un hasard qui se prolonge. C’est la peste qui est la règle.
*
[106]
1° septembre 1943
Celui qui désespère des
événements est un lâche, mais celui qui espère en la
condition humaine est un fou.
*
15 septembre.
Il laisse tout t
*
Puisque le mot d’existence recouvre quelque
chose, qui est notre nostalgie, mais puisqu’en même temps il ne peut
s’empêcher de s’étendre à l’affirmation d’une
réalité supérieure, nous ne le garderons que sous une
forme convertie — nous dirons philosophie inexistentielle, ce qui ne c
*
Sade. « On déclame contre les passions, sans songer que c’est à leur flambeau que la philosophie allume le sien. »
*
[107]
L’art a les mouvements de la pudeur. Il ne peut pas dire les choses directement.
*
En période de révolution ce sont les meilleurs qui meurent. La loi du sacrifice fait que finalement ce sont toujours les lâches et les prudents qui ont la parole puisque les autres l’ont perdue en donnant le meilleur d’eux-mêmes. Parler suppose toujours qu’on a trahi.
*
Il n’y a que les artistes qui fassent du bien au monde. Non, dit Parain.
*
Peste. Tous luttent — et chacun à sa façon. La seule lâcheté est de se mettre à genoux... On vit sortir des tas de nouveaux moralistes et leur conclusion était toujours la même : il faut se mettre à genoux. Mais Rieux répondait : il faut lutter de telle et telle façon.
L’exilé passe des heures dans des gares. Faire revivre la gare morte.
Rieux : « Dans toute
collectivité en lutte il faut des h
*
[108]
Peste. Il y a en ce m
*
« Venir à Dieu parce qu’on s’est
dépris de la terre et que la douleur vous a séparé du
monde, cela est vain. Dieu a besoin d’âmes attachées au monde.
C’est votre joie qui lui c
*
Répéter ce monde c'est
peut-être le trahir plus sûrement qu’en le transfigurant. La
meilleure des photographies est déjà une trahison.
Contre le rationalisme. Si le
déterminisme pur avait du sens, il suffirait d’une seule affirmation
vraie pour que, de conséquence en conséquence, on parvienne
à la vérité tout entière. Cela n’est pas. Donc ou
bien nous n’avons jamais prononcé une seule affirmation vraie et pas
même celle que tout est déterminé. Ou bien nous avons dit
vrai mais pour rien et le déterminisme est faux.
*
Pour ma « création contre
Dieu »[38].
C’est un critique catholique (Stanislas Fumet) qui dit que l’art, [109] quel
que soit son but, fait toujours une coupable concurrence à Dieu. De
même : Roger Secrétain, Cahiers du Sud,
août-septembre 43. Encore Péguy : « Il y a même
une poésie qui tire son éclat de l’absence de Dieu, qui ne
spécule sur aucun salut, qui ne s’en remet à rien d’autre
qu’à elle-même, effort humain, réc
Il n’y a pas de milieu entre la littérature apologétique et la littérature de concurrence.
*
Le devoir c’est de faire ce qu’on sait être juste et bon — « préférable ». Cela est facile ? Non, car même ce qu’on sait être préférable, on le fait difficilement.
*
Absurde. Si l’on se tue, l’absurde est nié. Si l’on ne se tue pas l’absurde révèle à l’usage un principe de satisfaction qui le nie lui-même. Cela ne veut pas dire que l’absurde n’est pas. Cela veut dire que l’absurde est réellement sans logique. C’est pourquoi on ne peut réellement pas en vivre.
*
Paris. Novembre 1943[39]
Surena. Au 4° acte, toutes les portes sont
gardées. [110] Et Eurydice qui a trouvé jusqu’ici de si
admirables accents c
« Ah !.. la douleur qui me presse
Ne la ravalez pas jusques à la tendresse. »
L’admirable gageure du théâtre classique où de successifs couples d’acteurs viennent dire les événements sans les jamais vivre — et où pourtant l’angoisse et l’action ne cessent de croître.
*
Parain. Ils ont tous triché. Ils n’ont
jamais dépassé le désespoir où ils se trouvaient.
Et cela, à cause de la littérature. Un c
*
Dans toute souffrance, émotion,
passion, il y a un stade où elle appartient à l’h
C’est la transcendance de l’h
*
[111]
Avec Sade[40] l’érotisme systématique est une des directions de la pensée absurde.
*
Pour Kafka, la mort n’est pas une délivrance. Son pessimisme humble suivant Magny.
*
Peste. L’amour avait pris chez eux la forme de l’obstination.
*
Ajouter épreuves Caligula : « Allons,
la tragédie est terminée, l’échec est bien c
*
« Le Christ est peut-être mort pour
quelqu’un mais ce n’est pas pour moi ». — L’h
*
[112]
Sur la justice — le type qui n’y croit plus
à partir du m
Id. Ce que je reproche au Christianisme, c’est qu’il est une doctrine de l’injustice.
*
Peste. Finir sur une femme immobile et en
deuil qui annonce en souffrances ce que les h
*
Trente ans.
La première faculté de l’h
*
Peste. C’est la séparation qui est la
règle. Le reste est hasard.
— Mais les gens sont toujours réunis.
— Il y a des hasards qui durent toute une vie.
On interdit les bains de mer. C’est le signe.
Défense de réjouir son corps — de rejoindre la vérité
des choses. Mais la peste finit et il y aura une vérité des
choses.
Journal du séparé ?
*
[113]
La plus grande écon
*
Lorsque, vieux, on arrive à une sagesse ou à une morale, trouble qu’on doit ressentir au regret de tout ce qu’on a fait de contraire à cette morale et à cette sagesse. Trop en avance ou trop en retard. Il n’y a pas de milieu.
*
Je fréquente les X. parce qu’ils ont
meilleure mémoire que moi. Le passé que nous avons en c
*
Pour que l’œuvre soit défi, il
faut qu’elle soit terminée (d’où nécessité du
« sans lendemain »). Elle est le contraire de la création
divine. Elle est terminée, bien limitée, claire, pétrie de
l’exigence humaine. L’unité est dans nos mains.
*
Parain. L’individu peut-il choisir le m
*
[114]
Dans ce monde, il y a les témoins et
les gâcheurs. Dès qu’un h
*
Le succès peut bonifier le jeune h
*
Roger Bacon fait douze ans de prison pour avoir affirmé la primauté de l’expérience dans les choses de la connaissance.
*
Il y a un m
*
À propos du r
*
[115]
Peste. « Il aimait se réveiller à quatre
heures du matin et l’imaginer alors. C’était l’heure où il
pouvait se saisir d’elle. À quatre heures du matin, on ne fait rien.
On dort[42]. »
Une troupe théâtrale continue à jouer : une pièce sur Orphée et Eurydice.
*
Les séparés : Le monde... Mais que suis-je moi pour les juger. Ils ont tous raison. Mais il n’y a pas d’issue.
Conversation sur l’amitié entre docteur
et Tarrou : « J’y ai pensé. Mais ce n’est pas possible. La
peste ne laisse pas de temps — Soudain : En ce m
Id. Un type qui choisit le silence.
*
—
Défendez-vous, disaient les juges.
— Non, dit l’Inculpé.
— Pourquoi ? Cela se doit.
— Non encore. Je veux que vous preniez toute votre responsabilité.
*
Du naturel en art. Absolu il est impossible.
Parce que le réel est impossible (mauvais goût, vulgarité,
[116] inadéquation à l’exigence profonde de l’h
*
Portrait de S. par A. : « Sa
grâce, sa sensibilité, ce mélange de langueur et de
fermeté, de prudence et d’audace, cette naïveté qui ne
l’empêche pas d’être sainement avertie. »
*
Les Grecs n’auraient rien c
Id. Il n’y a pas de connaissance absolument
pure, c’est-à-dire désintéressée. L’art est un
essai, par la description, de connaissance pure.
*
Id. Il n’y a pas de connaissance absolument pure, c’est-à-dire désintéressée. L’art est un essai, par la description, de connaissance pure.
*
Poser la question du monde absurde, c’est demander : « Allons-nous accepter le désespoir, sans rien faire. » Je suppose que personne d’honnête ne peut répondre oui.
*
[117]
Algérie. je ne sais pas si je me fais
bien c
*
Mon œuvre. Terminer suite d’œuvres
sur livre sur le monde créé : « La création corrigée. »
*
Si l’œuvre, produit de la révolte,
résume l’ensemble des aspirations de l’h
*
Cette extraordinaire confusion qui fait qu’on
nous présente la poésie c
*
R
*
[118]
Peste. On ne peut pas jouir du cri des oiseaux
dans la fraîcheur du soir — du monde tel qu’il est. Car il est recouvert
maintenant d’une couche épaisse d’histoire que son langage doit
traverser pour nous atteindre. Il en est déformé. Rien de lui
n’est senti pour lui-même parce qu’à chaque m
*
Mémoires d’un bourreau. « J’alterne la douceur et la violence. Psychologiquement, c’est une bonne chose. »
*
Peste. Le type qui se demande s’il doit entrer dans les formations sanitaires ou se garder pour son grand amour. Fécondité ! Où est-elle ?
Id. Après le couvre-feu, la ville reste de pierre.
Id. Ce qui les gênait, c’était l’insécurité. Tous les jours, toutes les heures, sans répit, traqués, incertains.
Id. J’essaie de me tenir prêt. Mais il y
a toujours une heure de la journée ou de la nuit où l’h
Id. Le camp d’isolement. « Je savais ce que c’était. On m’oublie-rait, cela était sûr. Ceux qui ne me [119] connaissaient pas m’oublie-raient parce qu’ils penseraient à autre chose et ceux qui me connaissaient et m’aimaient m’oublieraient parce qu’ils s’épuiseraient en démarches et en pensées pour me faire sortir. De toutes façons personne ne penserait à moi. Personne ne m’imaginerait minute par minute, etc., etc. »
(Faire visiter par Rambert.)
Id. Les formations sanitaires ou les h
Id. « C’est sur cette terrasse que le
docteur Rieux conçut l’idée de laisser une chronique de l’événement
où la solidarité qu’il se sentait avec ces h
Id. Dans la peste on ne vit plus par le corps, on se décharne.
Id. Début : Le docteur acc
*
Être et Néant (p. 135—136). Étrange erreur sur nos vies parce que nous essayons
d'éprouver nos vies de l’extérieur.
*
Si le corps a sa nostalgie de l'âme, il n’y a pas de raisons pour que dans l’éternité l’âme ne souffre douloureusement de sa séparation d’avec le corps — et qu’alors elle n’aspire encore à retrouver la terre.
*
[120]
On écrit dans les instants de désespoir. Mais qu’est-ce que le désespoir ?
*
On ne peut rien fonder sur l’amour : il est fuite, déchirement, instants merveilleux ou chute sans délai. Mais il n’est pas...
*
Paris ou le décor même de la sensibilité.
*
Nouvelles. En pleine Révolution le type
qui pr
Id. Un prêtre torturé trahit[43].
Id. Cyanure. Il ne l’utilise pas pour voir s’il ira jusqu’au bout.
Id. Le type qui tout d’un coup fait de la défense passive. Il soigne les sinistres. Mais il a gardé le brassard. On le fusille.
Id. Le lâche.
*
Peste. Après la peste il entend
la pluie sur la terre pour la première fois.
[121] Id. Puisqu’il allait mourir, il
devenait urgent de trouver que la vie était stupide. C’était ce
qu’il avait pensé jusque-là, que du moins cela lui serve dans ce
m
Id. Le type qu’on
met à l’hôpital par erreur. C’est une erreur, disait-il. Quelle
erreur ? Ne soyez pas stupide, il n’y a jamais d’erreurs.
Id. Médecine et Religion : Ce sont deux
métiers et ils semblent se concilier. Mais aujourd’hui où tout
est clair, on c
Justice : l’expérience de la
justice par le sport.
*
Peste. Le type qui
accepte avec philosophie la maladie des autres. Mais que son meilleur ami soit
malade — et il met tout en œuvre. Donc la solidarité du c
Chronique de Tarrou : un match de boxe —
Tarrou se fait un copain boxeur. C
Cette bonne heure du matin où,
après un bon petit déjeuner on marche dans les rues en fumant une
cigarette. Il y avait encore de bons m
Tarrou : « C’est curieux, vous avez une philosophie [122] triste et un visage heureux. » — Concluez alors que ma philosophie n’est pas triste.
Au milieu, tous les personnages se retrouvent dans la même formation sanitaire. Un chapitre sur une grande réunion.
Le dimanche d’un joueur de football qui ne
peut plus jouer, le lier à Tarrou : Étienne Villaplane,
depuis que les matches de football sont interdits, s’ennuie le dimanche. Ce qu’étaient
ses dimanches. Ce qu’ils sont : il traîne dans les rues, donne des
coups de pied dans les cailloux qu’il essaie d’envoyer droit dans les bouches d’égout
(« Un à zéro », dit-il. Et il ajouta que la vie
était vache). Il intervient dans les jeux d’enfants où il y a des
balles. Il crache ses mégots et les rattrape d’un coup de pied (au
début, naturellement. Ensuite il garda les mégots).
Rieux et Tarrou.
Rieux : Quand on écrit ce que vous
écrivez, il semble que l’on n’a rien à faire avec le service des
h
—Allons, dit Tarrou, ce n’est qu’une apparence.
*
W. Toute chose qu’elle peut définir lui paraît méprisable. Elle dit : « C’est écœurant. Ça fait lutte des sexes. » Or la lutte des sexes existe et nous n’y pouvons rien.
*
Un être qui exige que l’autre fasse tout et qui alors subit et vit passivement sauf à agir, et violemment, [123] pour persuader l’autre de continuer à tout donner et à tout faire.
*
Essai sur Révolte : « Tous
les révoltés agissent pourtant c
Id. La
liberté n’est que le vœu de quelques esprits. La justice celui du
plus grand n
L’h
Vous êtes pertinent ? Mais je n’ai
jamais dit que l’h
Id. Sacrifice qui
conduit à valeur. Mais suicide égoïste aussi : met une
valeur en avant — qui lui paraît plus importante que sa propre vie — c’est
le sentiment de cette vie digne et heureuse dont il a été prive.
*
Considérer l’héroïsme et le
courage c
*
R
Le lier à r
*
Caractère insensé du sacrifice : le type qui meurt pour quelque chose qu’il ne verra pas.
*
J’ai mis dix ans à conquérir ce
qui me paraît sans prix : un cœur sans amertume. Et c
*
Le terrible et dévorant
égoïsme des artistes.
*
On ne peut conserver un amour que pour des
raisons extérieures à l’amour. Des raisons morales, par exemple.
*
[125]
R
*
On ne peut pas être capable d’engagement sur tous les plans. Du moins peut-on choisir de vivre sur le plan où l’engagement est possible. Vivre ce qu’on a d’honorable et cela seulement. Dans certains cas cela peut conduire à se détourner des êtres même (et surtout) pour un cœur qui a la passion des êtres.
En tout cas cela fait du déchirement. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Cela prouve que celui qui aborde sérieusement le problème moral doit finir dans les extrêmes. Qu’on soit pour (Pascal) ou contre (Nietzsche), il suffit qu’on le soit sérieusement et l’on voit que le problème moral n’est que sang, folie et cris.
*
Révolte. Chap. 1er. La morale existe. Ce qui est immoral, c’est le Christianisme. Définition d’une morale contre le rationalisme intellectuel et l’irrationalisme divin.
Chap. X. La conspiration c
*
[126]
R
Celle qui a tout fait manquer par distraction : « Et pourtant, je l’aimais de toute mon âme. »
— Allons, dit le
prêtre, ce n’était pas encore assez[32].
*
Dimanche 24 septembre 1944. Lettre.
R
*
R
*
Ceux qui aiment toutes les femmes sont ceux
qui sont en route vers l’abstraction. Ils dépassent ce monde, quoiqu’il
y paraisse. Car ils se détournent du particulier, du cas singulier. L’h
*
Décembre. Ce cœur plein de larmes
et de nuit.
*
[127]
Peste. Séparés, ils
s’écrivent et il trouve le ton juste et il garde son amour. Tri
*
Justification de l’art : La
véritable œuvre d’art aide à la sincérité,
renforce la c
*
Je ne crois pas aux actions
désespérées. Je ne crois qu’aux actions fondées. Mais
je crois qu’il faut peu de choses pour fonder une action[33].
*
Il n’y a pas d’autre objection à l’attitude totalitaire que l’objection religieuse ou morale. Si ce monde n’a pas de sens, ils ont raison. Je n’accepte pas qu’ils aient raison. Donc...
C’est à nous de créer Dieu. Ce
n’est pas lui le créateur. Voilà toute l’histoire du
Christianisme. Car nous n’avons qu’une façon de créer Dieu, qui
est de le devenir.
*
R
À la fin. Devant la mère pauvre
et malade [128]
— Je suis bien tranquille pour toi, Jean. Tu
es intelligent.
— Non, mère, ce n’est pas cela. Je me
suis tr
— Bien sûr.
— Il y a une chose, c’est que je ne vous ai
jamais trahis. Toute ma vie, je vous ai été fidèle.
— Tu es un bon fils, Jean. Je sais que tu es
un très bon fils.
— Merci, mère.
— Non, c’est moi qui te remercie. Toi, il faut que tu continues.
*
Il n’y a pas de liberté pour l’h
*
L’héroïsme et la sainteté,
vertus secondaires. Mais il faut avoir fait ses preuves.
*
R
*
[129]
La réputation. Elle vous est
donnée par des médiocres et vous la partagez avec des
médiocres ou des gredins.
*
La grâce ?
Nous devons servir la justice parce que notre
condition est injuste, ajouter au bonheur et à la joie parce que cet
univers est malheureux. De même, nous ne devons pas condamner à
mort puisqu’on a fait de nous des condamnés de mort.
Le médecin, ennemi de Dieu : il
lutte contre la mort.
*
Peste. Rieux dit qu’il était l’ennemi
de Dieu puisqu’il luttait contre la mort et que c’était même son
métier que d’être l’ennemi de Dieu. Il dit aussi qu’en essayant de
sauver Paneloux il lui démontrait en même temps qu’il avait tort
et qu’en acceptant d’être sauvé Paneloux acceptait la possibilité
de n’avoir pas raison. Paneloux lui dit seulement qu’il finirait par avoir
raison puisque sans nul doute il mourrait et Rieux répondit que
l’essentiel était de ne pas accepter et de lutter jusqu’au bout.
*
Sens de mon œuvre : Tant d’h
*
Le classicisme, c’est la d
Réponse : si on ne peut pas tout
faire en même temps, renoncer à tout. Qu’est-ce à dire ?
Il y faut plus de force et de volonté qu’il n’en fallait. Nous y
parviendrons. Le grand classique de demain est un vainqueur
inégalé.
*
R
Le type qui rallie les révolutionnaires
(C
Id. Le type qui
applique la morale de la sincérité pour affirmer la
solidarité. Son immense solitude finale.
Id. Nous tuons les
plus culottés d’entre eux. Ils ont tué les plus culottés
d’entre nous. Il reste les fonctionnaires et la connerie. Ce que c’est que
d’avoir des idées.
*
[131]
Peste. Un chapitre sur la fatigue.
*
Révolte. La liberté c’est le droit de ne pas mentir. Vrai sur le plan social (subalterne et supérieur) et sur le plan moral.
*
Création corrigée[44]. Histoire du suicide à terme.
*
Peste. « Les choses qui gémissent d’être séparées. »
*
Celui-là (un inspecteur de la S.N.C.F.,) il ne vit que pour les chemins de fer.
Le fonctionnaire de la S.N.C.F. vit à la surface pelliculaire de la matière.
*
Le cousin de M. V. Il collectionne les montgolfières (en porcelaine, en pipes, en presse-papiers, en encriers, etc.).
*
[132]
R
*
Bob à l’attaque dans les prairies d’été. Son casque couvert de ravenelles et d’herbes folles.
*
Création corrigée.
Le tank qui se retourne et se débat c
Bob dans les prairies d’été en Normandie. Son casque couvert d’herbes folles et de ravenelles.
Cf. rapport de la c
Le journaliste espagnol de Suzy (demander son
texte) (des enfants lui montrent les cadavres en riant).
Douche froide au cœur pendant une heure.
Toute la journée on parle de la
possibilité d’avoir une soupe au lait le soir parce que ça fait
pisser plusieurs fois dans la nuit. Que les w.-c. sont à cent
mètres du block, qu’il fait froid, etc.
— Les femmes déportées entrant en Suisse et qui éclatent de rire en apercevant un enterrement :
« C’est c
— Jacqueline.
— Les deux jeunes Polonais à qui l’on fait brûler, [133] à quatorze ans, leur maison où se trouvent leurs parents. De quatorze à dix-sept, Buchenwald.
— La concierge de la Gestapo installée dans
deux étages d’un immeuble rue de la P
— Jacqueline retour de Koenisberg à Ravensbruck — 100 kil
— Aspect mondial dans le dialogue de la
politique et de la morale. En face de ce congl
— X. déportée, libérée avec un tatouage sur la peau : a servi pendant un an au camp des S.S. de...
*
Démonstration. Que l’abstraction est le
mal. Elle fait les guerres, les tortures, la violence, etc.
Problème : c
*
Christianisme. Vous seriez bien punis si nous admettions vos postulats. Car alors notre condamnation serait sans merci.
*
Sade. Autopsie par Gall : « Le crâne mis à nu ressemblait à tous les crânes des vieillards. Les organes de la tendresse paternelle et de l’amour des enfants y sont saillants. »
Sade sur Mme de Lafayette : « Et en devenant plus concise, elle devint plus intéressante. »
Admiration passionnée de Sade pour
Rousseau et Richardson dont il a appris « que ce n’est pas toujours en faisant tri
Id. « On
n’acquiert la connaissance du cœur de l’h
Id. L’h
*
Révolte. Finalement la politique
aboutit aux partis qui desservent la c
*
— Et la création elle-même. Que
faire ? C’est le révolté qui a le moins de chances
d’écarter les c
*
[135]
Dégoût profond de toute
société. Tentation de fuir et d’accepter la décadence de
son époque. La solitude me rend heureux. Mais sentiment aussi que la
décadence c
*
C
*
Le cœur qui vieillit. Avoir aimé
et que rien pourtant ne soit sauvé !
*
La tentation des besognes subalternes et
quotidiennes.
*
C. et P. G. : la passion de la
vérité. Autour d’eux, tout le monde est crucifié.
*
[136]
Nous autres Français s
C'est nous qui témoignons contre Dieu.
*
Juillet 45.
Chateaubriand à Ampère allant en Grèce en 1841 :
« Faites bien mes adieux au mont Hymette, où j'ai laissé des abeilles ; au cap Sunium où j’ai entendu des grillons... Il me faudra bientôt renoncer à tout. J’erre encore dans ma mémoire au milieu de mes souvenirs ; mais ils s’effaceront... Vous n’aurez retrouvé ni une feuille des oliviers ni un grain des raisins que j’ai vus dans l’Attique. Je regrette jusqu’à l’herbe de mon temps. Je n’ai pas eu la force de faire vivre une bruyère. »
*
Révolte.
Finalement, je choisis la liberté. Car
même si la justice n’est pas réalisée, la liberté
préserve le pouvoir de protestation contre l’injustice et sauve la c
La liberté c’est pouvoir défendre ce que je ne pense pas, même dans un régime ou un monde que j’approuve. C’est pouvoir donner raison à l’adversaire.
*
« L’h
*
L’h
*
Inédits de Ch.
« Je n’ai jamais été serré dans les bras d’une femme avec cette plénitude d’abandon, ces doubles noeuds, cette ardeur de passion que j’ai cherchée et dont le charme vaudrait toute une vie. »
« Il y a des temps où le
caractère étant sans énergie, les vices ne produisent que
la corruption et non pas les crimes. »
Id. « S’il n’y
avait point de passion, il n’y aurait [138] point de vertu et pourtant ce
siècle est arrivé à ce c
« Quand on a l’esprit élevé
et le coeur bas, on écrit de grandes choses et on en fait de
petites. »
*
R
« J’ai donné aux h
30 juillet 45.
À trente ans, un h
[1] Судя по всему, нумерация бумажной книги, правда, неясно, она там внизу страницы или вверху. В электронной версии «акробат» расставил собственную пагинацию в верхнем колнтитуле, соответствует ли это или нет истине, сказать трудно. Видимо, стоит просто заглянуть в любое галлимаровское аналогичное издание; думается, стилистика издания едина. 16.07.2015
По причине незнания французского языка,
я, скорее всего, не буду давать своих комментариев сносок, маргиналий, схолий — короче, всех аналогов
«карандашных» пометок на полях и между строк в «бумажных книгах, которые я обычно себе позволяю в этих публикациях и где я предуведомляю
читателей, что читать их необязательно, поскольку я их делал исключительно для
себя. Но зарекаться не буду, поскольку — вдруг что-то пойму и захочу
высказаться. Уж тогда я себе в этом
не откажу. Они будут форматированы вот так или иным цветом и фонтом; последнее касается
исключительно предуведомляющих маркировок, о которых говорится в следующей фразе.
Три особых цвета комментариев информируют тех, кто все же
решил в них заглянуть: информация
(например, первод цитаты или дефиниция), цитата и абсценная (ненормативная) лексика. Обычно этим же цветом отмечается и выноска, так что, салатовая
выноска предупреждает, что в комментарии присутствует мат, и в случае неприятия
читателем такового, можно по этой ссылке не ходить. 08.07.2015 — НИЛ [здесь и далее — автор ресурса http://tlf.msk.ru.]
[2] Это Ницше, цитата уже была в
1-м томе. 24.07.2015
[3] Поль де
Гонди, кардинал де Рец (точнее, де Рэ, 1613—1679), один из лидеров Фронды в
1648 г. Автор мемуаров, из которых Камю делает далее выписки.
[5] Имеется в виду документальная книга Даниеля Дефо «Дневник чумного года» (1722).
[6] Речь идет об официальной пропаганде вишистских властей в оккупированной Франции.
[7] Конечно. Это оборотная
сторона верности Пенелопы. 24.07.2015
[8] Кажется, в первом томе
попадалась такая же запись, в данном значении: «не завтра», то есть типа «после
дождичка в четверг». 24.07.2015
[9] Не могу сказать, что уж так
мне было хорошо среди пролетариата, возможно, потому что, в отличие от Камю,
половину своего трудового пути я сам был пролетарием, так что у меня не
возникало этой приязни к все-таки людям не своего круга. Свой круг привычен и
часто люди если и не видят в нем только плохое, то и не слишком замечают
благое. Но в любом случае я себя там чувствовал там себя не менее комфортно,
чем в среде, скажем, творческой интеллигенции. 24.07.2015
[10] Постоянный
мотив в творчестве А. Жида: герой совершает бесполезный, ни с чем не
сообразный, даже разорительный для себя поступок, чтобы таким образом
освободиться от механической заданности жизни. 24.07.2015
[11] Роман все же так и назвал. А
вот пьесу — примерно по указанному принципу. 25.07.2015
[12] Вот так-то! У нас — житие! А
у них — так, мемуары… 25.07.2015
[13] Вероятно, имеются в виду риторические пассажи в поэме Лукреция «О природе вещей», в которых поэт представляет себя обозревающим землю с высоты. 25.07.2015
[14] Вот она — квинтэссенция
этранжеризма. 25.07.2015
[15] В тех, в которых уже жили.
25.07.2015
[16] Так в книге. 25.07.2015
[17] Так в книге. 25.07.2015
[18] Так в книге, как видим, уже
не первый раз фраза начинается со строчной буквы. После вопросительного и
восклицательного знаков это возможно и в русском языке. Но вот после точки —
вряд ли. 25.07.2015
[19] Прекрасное
гнусно, а гнусное прекрасно (англ.). 25.07.2015
[20] Не существует ничего, кроме того,
что не существует (англ.). 25.07.2015
[21] С
этого мгновения в жизни не осталось ничего серьезного (англ.). 25.07.2015
[22] Это бессмысленная история, рассказанная идиотом, где есть и шум, и ярость (англ.). 25.07.2015
[23] А как же!
Как невесту, родину мы любим, бережем, как ласковую мать. 26.07.2015
[24] Да, похоже, действительно
французский язык свободней русского в этом вопросе. Если сама структура фразы
вопросительная или восклицательное, ставить в конце соответствующий знак
препинания вовсе не обязательно, что дает много дополнительных смысловых
возможностей, как и в данном случае: структура фразы вопросительная, а знак
стоит восклицательный. В русском пришлось бы ставить оба знака. 26.07.2015
[25] Кьеркегора. 26.07.2015
[26] В книге: «connaitrions». 26.07.2015
[27] А что, может, и фашизм
простить? Как Он простил всех: Ирода, и Иуду, и Пилата, и фарисеев, и народ,
пославший Его на крест, и Отца, этого потребовавшего: и от Него, и от остальных
вышеперечисленных? И учеников, извративших его учение? 26.07.2015
[28] Опечатка или диалектизм. Так
в книге. 26.07.2015
[29] Почему-то выбрано
итальянское словцо. 26.07.2015
[30] Непонятно, что за слово, из
какого языка. 26.07.2015
[31] То же здесь и далее в этой
фразе. 26.07.2015
[32] А это хорошо. Один из
ответов, вызывающих вопросы — мол, а чего же будет ассэ? И вот на этот вопрос
ответы не обязательны — они парадигматичны, множественны, взаимоисключающи и
все — верные. 29.07.2015
[33] А это называется лицемерие.
Поскольку язык у нас у всех отлично подвешен, когда нужно что-либо обосновать.
Истина — не в словах. Зорко только сердце. И если сердце чует подлость, имеет
ли значение, что нет ответа на аргументы? Впрочем, опять же, это, возможно,
слова персонажа. Но так ли у него отделимы персонажи от него самого, совести
Запада. 29.07.2015
[34] action 29.07.2015
[35] То есть невинных посылает на
смерть, виновных — оправдывает. 29.07.2015
[36] В книге здесь это слово
написано без черточки — слитно в одно слово. А парой записей выше — через
дефис. 30.07.2015
[37] Видимо, свобода. 30.07.2015
[1] Le manuscrit portait la grande pensée. Un second texte corrigé — mais non de la main de Camus — donne la révolution. Nous avons admis que cette modification avait été faite sous sa dictée.
[2] L’épigraphe qui suit, et qu’on trouvait dans l’édition originale de 1939 (Charlot), a disparu dans l’édition Gallimard (L’Été).
[3] Cf. le personnage de Cottard dans La Peste, p. 1260—1261 (Pléiade).
[4] Cf. le vieil asthmatique dans La Peste, p. 1313
(Pléiade).
[5] En haut du cahier manuscrit, on lit : « Cf. correspondance Berlioz. Traité Théologico-politique. »
[6] Allusion aux discours et écrits de la période pétainiste.
[7] Cf. La Peste, p. 1261 (Pléiade).
[8] Il semble que sans lendemain ait été ajouté au manuscrit après relecture.
[9] Albert Camus a consacré à l’essai de Brice Parain un article intitulé « Sur une philosophie de l’expression », dans Poésie 44, n° 17.
[10] Pour des raisons de santé, Camus passa plusieurs mois, de l’hiver 1942 au Printemps 1943, à Panelier, près du Chambon-sur-Lignon.
[11] Camus se rendait chaque semaine du Chambon-sur-Lignon à Saint-Étienne, pour y recevoir des soins.
[12] Notes pour Le Malentendu, acte III, scène III, p. 174 (Pléiade).
[13] Mémoires d’Avakkum, traduits du russe par Pierre Pascal, 1939, Gallimard.
[14] Gu pour Guermantes.
[15] Notes pour Le Malentendu, p. 179—180 (Pléiade).
1 [Несистемная и пустая сноска.]
[16] Nous n’avons rien trouvé, dans les archives de Camus, qui
corresponde à un projet de c
[17] Le Débarquement allié en Afrique du Nord coupe Camus de son pays et des siens.
[18] Cf. La Peste, p. 1379—1380 (Pléiade).
[19] Cf. l’article paru dans L’Arbalète en 1943 et repris en appendice au Mythe de Sisyphe, p. 170 et sq.
[20] Mot difficile à lire au manuscrit ; on hésite entre M et oui.
[21] P. 27
[22] « L’Intelligence et l’Échafaud », dans Confluences. Pléiade, p. 1887.
[23] M. Acault, cf. H
[24] Cf. la Remarque sur la Révolte, dans L’Existence
(1945) qui préfigure le chapitre ler de L’H
[25] Après Primitivement le manuscrit porte « voir Carnet » — le paragraphe qui suit a été retrouvé dans le Carnet de notes pour La Peste.
[26] Stephan, personnage qui figure dans la première version de La Peste (cf. Pléiade, p. 1936 et 1942).
[27] Ouvrage de Max Scheler (cf. L’H
[28] Cf : De l’insignifiance, Cahier des saisons (1959), qui reprend ce texte sur le ton de la dérision. (Pléiade, p. 1894)
[29] Cf. : Carnets 1 et La Peste, p. 1235 et 1236 (Pléiade).
[30] Cure-dents de Jarry : cf. la préface de J. Saltas à l’édition d’Ubu roi (Fasquelle). Camus a déjà évoqué cette anecdote dans les Carnets I, p. 175.
[31] Un mot illisible.
[32] Citation extraite des Considérations Intempestives de Nietzsche. T. II, p. 53 (Aubier).
[33] Un mot illisible.
[34] La phrase qui suit a été rajoutée au crayon sur le cahier manuscrit.
[35] Van Gogh, Correspondance c
[36] Stephan, évoqué plus haut, p. 67.
[37] Il existe, dans les archives de Camus, trois pages de notes sur d’Aubigné.
[38] Cf. « Révolte et Art » dans L’H
[39] Camus est entré c
[40] Cf., dans L’H
[41] En fait, Camus n’a pas utilisé ces notes.
[42] Cf. Rambert dans La Peste, p. 1307 (Pléiade).
[43] On retrouve ce thème dans Le Renégat (L’Exil et le Royaume).
[44] On retrouvera fréquemment ce titre dans les Carnets, et notamment plus loin (cahier V, p. 201). « Création corrigée ou le système. »
[45] Les quelques lettres qui précèdent « Sintes » sont illisibles.
2 Au manuscrit, le mot « c