Albert CAMUS
philosophe et
écrivain français [1913—1960]
CARNETS I
Mai 1935 — février 1942
Paris : Les Éditions Gallimard, 1962, 252 pp.
Ouvrages
d’Albert Camus écrits entre 1935 et 1942.
Cahier
I. Mai 1935 —
septembre 1937.
Cahier
II. Septembre 1937 —
avril 1939
Cahier
III. Avril 1939 — février
1942.
[7][1]
CARNETS
I. mai 1935 — février
1942.
NOTE DES ÉDITEURS
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De 1935 à sa mort, Albert Camus a tenu ce qu’il appelait ses Ca-hiers. Nous
avons choisi le titre de « Carnets » pour ne pas entraîner
de confusion avec « Les
Cahiers Albert Camus »
en préparation. Pour la période qui va de 1935 à 1953, il
avait pris le soin de faire établir une copie dactylographiée : la c
Mme Albert Camus, MM. Jean Grenier et René Char ont
donné leur assentiment à cette publication.
CARNETS I. mai 1935 — février 1942.
Notes
biographiques
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1934 Premier mariage.
Adhésion au Parti c
1935 Albert Camus a 22 ans.
Juin 1935 — 4° Certificat de licence — licence ès
lettres (philosophie).
S’occupe activement de la « Maison de la Culture » et fonde
le « Théâtre du Travail » rattaché à
celle-ci.
Rédaction collective de Révolte dans les
Asturies.
1936 Mai 1936 —
diplôme d’études
supérieures sur « Néoplatonisme
et pensée chrétienne ».
Été 36 — Voyage en Autriche —
retour par Prague et l’Italie.
Se sépare de sa femme.
S’occupe
toujours du « Théâtre
du Travail ».
1937 Été 37 — Voyage en France pour raison de santé — en août à Paris — puis un mois à Embrun — passe quelques jours en Italie
avant de rejoindre Alger en septembre.
Septembre 37 —
N
Rupture définitive avec le Parti c
[10] Création du « Théâtre de l’Équipe »
— indépendant — qui continue le « Théâtre du Travail ».
1938 Pascal Pia vient à Alger pour créer Alger-Républicain.
A. Camus y fait ses débuts dans le journalisme. Il y occupe
successivement toutes les fonctions depuis la rédaction des faits divers
jusqu’à l’éditorial, et la chronique
littéraire. Il se consacrera surtout aux grands procès et aux
reportages (Misère de la Kabylie — repris dans Actuelles III).
1939 Activités du « Théâtre de l’Equipe ».
Septembre 39 —
Essaie de s’engager — Il est refusé par le
conseil de révision.
Alger-Républicain se transforme en
Soir-Républicain —
fréquemment censuré.
1940 Disparition d’Alger-Républicain.
Printemps 40 —
A. Camus rejoint Pascal Pia à Paris. Celui-ci le fait entrer c
Juin 40 —
L’exode avec Paris-soir — Clermont-Ferrand — Bordeaux — puis Lyon.
Décembre 40 — Second mariage.
1941 Rejoint Oran en janvier — Enseigne dans une école privée — Fréquents séjours à
Alger où il essaie de ranimer le « Théâtre de l’Équipe ».
ŒUVRAGES D’ALBERT CAMUS
écrits entre 1935 et 1942
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R
LA MORT HEUREUSE.
(non publié)
L’ENVERS ET L’ENDROIT.
Charlot, 1937. Écrit en 1935—36.
NOCES. Charlot,
1938. Réédité en 1947 par Gallimard. Écrit en 1936—37.
LE MINOTAURE OU
LA HALTE D’ORAN. Charlot, 1950. Repris dans L’ÉTÉ. Écrit
en 1939.
L’ÉTRANGER.
Gallimard, 1942. Terminé en mai 40.
LE MYTHE DE SISYPHE.
Gallimard, 1942. Achevé en février 1941.
Théâtre
RÉVOLTE
DANS LES ASTURIES. Création collective en 1935. Publié par
Charlot.
CALIGULA.
Gallimard, 1944. Écrit en 1938.
[12]
pièces jouées par
“Le Théâtre du Travail” puis Théâtre de l’Équipe
entre 1935 et 1939.
LE TEMPS DU MÉPRIS A.
Malraux (adaptation de A. Camus)
LE PAQUBOT TÉNACITY Ch.
Vildrac
LE RETOUR DE
L’ENFANT PRODIGUE A.
Gide
LA FEMME
SILENCIEUSE Ben
Jonson
LE PROMÉTHÉE Eschyle
LES FRÈRES
KARAMAZOV Dostoievski
DON JUAN Pouchkine
LES BAS-FONDS Gorki
LA CÉLESTINE Fernando
da Rojas
LE SALADIN DU
MONDE OCCIDENTAL Synge
CARNETS I. mai 1935 — février 1942.
CAHIER I
Mai 1935 — septembre 1937.
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[15]
Mai 35
Ce que je veux
dire :
Qu’on peut avoir
— sans r
De là,
pour qui s’en aperçoit, une reconnaissance et donc une mauvaise
conscience. De là encore et par c
À mauvaise
conscience, aveu nécessaire. L’œuvre est un aveu, il me faut témoigner.
Je n’ai qu’une chose à dire, à bien voir. C’est dans cette vie de
pauvreté, parmi ces gens humbles ou vaniteux, que j’ai le plus sûrement
touché ce qui me paraît le sens vrai de la vie. Les œuvres d’art
n’y suffiront jamais. L’art n’est pas tout pour moi. Que du moins ce soit un
moyen.
Ce qui c
Il faudrait que
tout cela s’exprime par le truchement de la mère et du fils.
Ceci dans le général.
À préciser,
tout se c
1) Un décor. Le quartier et ses habitants.
2) La mère et ses actes.
3) Le rapport du fils à la mère.
Quelle solution.
La mère ? Dernier chapitre la valeur symbolique réalisée
par nostalgie du fils.
[17]
*
Grenier [2] :
nous nous mésestimons toujours. Mais pauvreté, maladie, solitude :
nous prenons conscience de notre éternité. « Il faut qu’on
nous pousse dans nos derniers retranchements. »
C’est exactement cela,
ni plus, ni moins.
*
Vanité du
mot expérience. L’expérience n’est pas expérimentale. On
ne la provoque pas. On la subit. Plutôt patience qu’expérience.
Nous patientons — plutôt nous pâtissons.
Toute pratique :
au sortir de l’expérience, on n’est pas savant, on est expert. Mais en
quoi ?
*
Deux amies :
l’une et l’autre très malades. Mais l’une, des nerfs une résurrection
est toujours possible. L’autre tuberculose, avancée. Aucun espoir.
Un après-midi. La tuberculeuse au chevet de son amie. Celle-ci :
— Vois-tu, jusqu’ici,
et même dans mes pires [18] crises, quelque chose me restait. Un espoir de vie
très tenace. Aujourd’hui il me semble qu’il n’y a plus rien à espérer.
Je suis si lasse qu’il me semble que je ne me relèverai jamais.
Alors, l’autre,
un éclair de joie sauvage dans les yeux, et lui prenant la main : « Oh !
nous ferons le grand voyage ensemble. »
Les mêmes —
la tuberculeuse mourante, l’autre presque guérie. Elle a pour cela fait
un voyage en France pour essayer une nouvelle méthode.
Et l’autre le
lui reproche. Elle lui
reproche apparemment de l’avoir abandonnée. Au vrai, elle souffre de la
voir guérie. Elle avait eu cet espoir fou de ne pas mourir seule — d’entraîner
avec elle son amie la plus chère. Elle va mourir seule. Et de le savoir
nourrit son amitié d’une haine terrible.
*
Ciel d’orage en août.
Souffles brûlants. Nuages noirs. À l’est pourtant, une bande
bleue, délicate, transparente. Impossible de la regarder. Sa présence
est une gêne pour les yeux et pour l’âme. C’est que la
beauté est insupportable. Elle nous désespère, éternité
d’une minute que nous voudrions pourtant étirer tout le long du temps.
*
Il est à
son aise dans la sincérité. Très rare.
[19]
*
Important aussi
le thème de la c
Frappant chez les
pauvres — Dieu a mis la c
*
Jeune, je
demandais aux êtres plus qu’ils ne pouvaient donner : une amitié
continuelle, une émotion permanente.
Je sais leur
demander maintenant moins qu’ils peuvent donner : une c
*
… Ils avaient déjà trop bu et
voulaient manger. Mais c’était soir de réveillon et il n’y avait
plus [20] de places. Éconduits, ils avaient insisté. On les avait
mis à la porte. À ce m
L’aventure était
simple et s’achèverait demain par un article du journal. Mais, pour l’instant,
dans ce coin reculé du quartier, la lumière rare sur le pavé
gras de pluies récentes, les longs glissements mouillés des
autos, l’arrivée espacée de tramways sonores et illuminés,
donnaient un relief inquiétant à cette scène d’un autre
monde : image doucereuse et insistante de ce quartier quand la fin du jour
peuple d’
*
Janvier 36.
Ce jardin de l’autre
côté de la fenêtre, je n’en vois que les murs. Et ces
quelques feuillages où coule la lumière. Plus haut, c’est encore les
feuillages. Plus haut, c’est le soleil. Et de toute cette jubilation de l’air
que l’on sent au dehors, de toute cette joie épandue sur le monde, je ne
[21] perçois que des
Prisonnier de la
caverne, me voici seul en face de l’
Si une angoisse
encore m’étreint, c’est de sentir cet impalpable instant glisser entre
mes doigts c
Instant d’adorable
silence. Les h
*
On ne pense que
par image. Si tu veux être philosophe, écris des r
[24]
II° Partie[4]
A. au présent
B. au passé
Ch. A 1 — La
Maison devant le Monde. Présentation.
Ch. B 1 — Il se
souvenait. Liaison avec Lucienne.
Ch. A 2 — Maison
devant le Monde. Sa jeunesse.
Ch. B 2 — Lucienne
raconte ses infidélités.
Ch. A 3 — Maison
devant le Monde. Invitation.
Ch. B 4 — Jalousie
sexuelle. Salzbourg. Prague.
Ch. A 4 — Maison devant le Monde. Le soleil.
Ch. B 5 — La
fuite (lettre). Alger. Prend froid, est malade.
Ch. A 5 — Nuit
devant les étoiles. Catherine.
*
Patrice[5]
raconte son histoire de condamné à mort : « Je le vois,
cet h
« … Et
cet autre qui veut le fléchir. Je le vois [25] vivre aussi. Il est en
moi. Je lui envoie le prêtre pour l’affaiblir tous les jours. »
« Je sais
que maintenant je vais écrire. Il vient un temps ou l’arbre,
après avoir beaucoup souffert, doit porter ses fruits. Chaque hiver se
clôt dans un printemps. Il me faut témoigner. Le cycle
après reprendra.
« … Je ne
dirai pas autre chose que mon amour de vivre. Mais je le dirai à ma façon…
« D’autres écrivent
par tentations différées. Et chaque déception de leur vie
leur fait une œuvre d’art, mensonge tissé des mensonges de leur
vie. Mais moi c’est de mes bonheurs que sortiront mes écrits. Même
dans ce qu’ils auront de cruel. Il me faut écrire c
III Partie (tout au présent)
Chap. I. — Catherine,
dit Patrice, je sais que maintenant je vais écrire. Histoire du condamné
à mort. Je suis rendu à ma véritable fonction qui est d’écrire.
Chap. II. — Descente
de la Maison devant le Monde au port, etc. Goût de la mort et du soleil.
Amour de vivre.
*
6 histoires :
Histoire du jeu
brillant. Luxe.
Histoire du
quartier pauvre. Mort de la mère. [26]
Histoire de la
Maison devant le Monde.
Histoire de la
jalousie sexuelle.
Histoire du condamné
à mort.
Histoire de la
descente vers le soleil.
*
Aux Baléares : L’été passé.
Ce qui fait le
prix du voyage, c’est la peur. C’est qu’à un certain m
[27]
*
Baléares.
La baie.
San Francisco — Cloître.
Bellver.
Quartier riche (l’
Quartier pauvre
(la fenêtre).
Cathédrale
(mauvais goût et chef-d’œuvre).
Café chantant.
Côte de
Miramar.
Valldemosa et les
terrasses.
Soller et le
midi.
San Antonio
(couvent). Felanitx.
Pollensa :
ville. Couvent. Pension.
Ibiza :
baie.
La Pena :
fortifications.
San Eulalia :
La plage. La fête.
Les cafés sur
le port.
Les murs de
pierre et les moulins dans la campagne.
*
13 février
36. Je demande aux êtres
plus qu’ils ne peuvent m’apporter. Vanité de prétendre le
contraire. Mais quelle erreur et quelle désespérance. Et moi-même
peut-être…
[28]
*
Chercher les
contacts. Tous les contacts. Si je veux écrire sur les h
On va voir un ami
plus âgé pour lui dire tout. Du moins ce quelque chose qui étouffe.
Mais lui est pressé. On parle de tout et de rien. L’heure passe. Et me
voici plus seul et plus vide. Cette infirme sagesse que je tenté de
construire, quel mot distrait d’un ami qui m’échappe viendra la détruire !
« Non ridere, non lugere » … et les doutes sur moi-même et les
autres.
*
Mars.
Journée traversée
de nuages et de soleil. Un froid pailleté de jaune. Je devrais faire un
cahier du temps de chaque jour. Ce beau soleil transparent d’hier. La baie
tremblante de lumière — c
*
Un titre :
Espoir du monde.
[29]
*
Grenier à
propos du c
Toutes
proportions gardées : le problème du christianisme. Le croyant
s’embarrasse-t-il des contradictions des évangiles et des excès
de l’Église ? Croire est-ce admettre l’Arche de Noé — est-ce
défendre l’Inquisition ou le tribunal qui condamna Galilée ?
Mais, d’autre
part, c
*
La mort qui donne
au jeu et à l’héroïsme son vrai sens.
*
Hier. Le soleil
sur les quais, les acrobates arabes et le port bondissant de lumière. On
dirait que pour le dernier hiver que je passe ici, ce pays se prodigue et s’épanouit.
Cet hiver unique et tout éclatant de froid et de soleil. Du froid bleu.
Lucide ivresse et
dénuement souriant — le désespoir dans la virile acceptation des
stèles grecques. Qu’ai-je besoin d’écrire ou de créer, [30]
d’aimer ou de souffrir ? Ce qui dans ma vie est perdu n’est au fond pas le
plus important. Tout devient inutile.
Ni le désespoir
ni les joies ne me paraissent fondés en face de ce ciel et de là
touffeur lumineuse qui en descend.
*
16 mai.
Longue pr
*
Si le temps coule
si vite, c’est qu’on n’y répand pas de points de repères. Ainsi
de la lune au zénith et a l’horizon. C’est pourquoi ces années de
jeunesse sont si longues parce que si pleines, les années de vieillesse
si courtes parce que déjà constituées. Remarquer par exemple
qu’il est presque impossible de regarder une aiguille tourner cinq minutes sur
un cadran tant la chose est longue et exaspérante.
*
Mars.
Ciel gris. Mais la
lumière s’infiltre. Quelques gouttes d’eau tout à l’heure. La
baie tout là-bas s’est
*
Mars.
Ma joie n’a pas
de fin.
*
Dolorem exprimit
quia movit amorem.
*
[32]
Mars.
Clinique
au-dessus d’Alger. Une assez forte brise remonte la colline brassant les herbes
et le soleil. Et tout ce mouvement tendre et blond s’arrête à
quelque distance du s
— Bonjour
Mademoiselle (à la jeune femme qui est avec moi). Monsieur, permettez
que je me présente, Monsieur Ambrosino[4].
— Monsieur Camus.
— Ah ! j’ai
connu un Camou. Entreprise de camionnage à Mostaganem. Un parent sans
doute.
— Non.
— Ça ne
fait rien. Permettez-moi de rester un m
— Oui, Monsieur.
— Ah ! Je
vous annonce alors que nous allons [33] nous financer à Paques. Ma femme
me l’a permis. Tenez, Mademoiselle, acceptez ces quelques fleurs. Et cette
lettre, c’est pour vous. Asseyez-vous près de moi. je n’ai qu’une
demi-heure.
— Il faut que
nous partions, monsieur Ambrosino.
— Ah bon, mais
quand vous reverrai-je alors ?
— Demain.
— Ah ! C’est
que je n’ai qu’une demi-heure et justement je suis venu pour faire un peu de
musique.
Nous partons. Sur
le chemin, le merveilleux éclat des géraniums rouges. Le fou a
tiré de sa boîte un roseau fendu dans sa longueur et dont la fente
est tapissée d’une peau de caoutchouc. Il en tire une bizarre musique,
plaintive et chaude : « Il pleut sur la route… » La musique nous
poursuit devant les géraniums et les gros massifs de marguerites, devant
cette mer au sourire imperturbable.
J’ai ouvert la
lettre. Elle contenait des réclames découpées et classées
avec soin à l’aide de numéros au crayon.
*
M[7]. —
Il posait tous les soirs cette arme sur la table. Le travail fini, il rangeait
ses papiers, approchait le revolver et y plaquait son front, [34] y roulait ses
tempes, apaisait sur le froid du fer la fièvre de ses joues. Et puis il
restait ainsi un long m
Dès l’instant
où l’on ne se tue pas, il faut se taire sur la vie. Et lui se
réveillant, la bouche pleine d’une salive déjà amère,
léchait le canon de l’arme, y introduisait sa langue et, râlant d’un
bonheur sans fond, répétait avec émerveillement :
« Ma joie n’a
pas de prix. »
M. — 2° partie.
Les catastrophes successives
— Son courage — La vie se tisse de ces malheurs. Il s’installe dans cette toile
douloureuse, construit ses jours autour de ses rentrées du soir, de sa
solitude, de sa méfiance, de ses dégoûts. On le croit stoïque
et résistant. Les choses vont de leur mieux à bien regarder. Un
jour, un incident insignifiant : un de ses amis lui parle distraitement.
Il rentre chez lui. Il se tue.
*
31 mars.
Il me semble que
j’émerge peu à peu.
L’amitié
douce et retenue des femmes.
*
[35]
Question sociale
réglée. Balance rétablie. Je fais le point dans 15 jours.
— Mon livre, y penser constamment. Mon travail, l’organiser sans attendre à
partir de dimanche.
Reconstruire à
nouveau après cette longue période de vie trépidante et désespérée.
Le soleil enfin et mon corps haletant. Me taire — Me faire confiance.
*
Avril.
Premières
journées de chaleur. Étouffant. Toutes les bêtes sont sur
le flanc. Quand la journée décline, la qualité étrange
de l’air au-dessus de la ville. Les bruits qui montent et s’y perdent c
*
La chaleur sur
les quais — Énorme, écrasante, elle coupe la respiration. Odeurs
volumineuses de goudron qui raclent la gorge. [36] L’anéantissement et
le goût de la mort. Le vrai climat de la tragédie et non la nuit,
selon le préjugé.
*
Les sens et le
monde — Les désirs se confondent. Et dans ce corps que je retiens contre
moi, je tiens aussi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer.
*
Soleil et mort[8]. Le
débardeur à la jambe cassée. Les gouttes de sang, une
à une, sur les pierres brûlantes du quai. Leur grésillement.
Dans le café, il me raconte sa vie. Les autres sont partis, restent six verres.
Villa en banlieue. Seul, ne rentrait que le soir pour faire sa cuisine. Un
chien, un chat, une chatte, six petits. La chatte ne peut nourrir. Ses petits
meurent un à un. Chaque soir, un mort raide et des ordures. Deux odeurs
aussi : urine et mort mélangées. Le dernier soir (il allonge
sur la table ses bras qu’il écarte doucement, pousse les verres lentement
jusqu’au bord de la table). Le dernier chat est mort. Mais la mère en a
mangé la moitié. Un demi-chat, quoi ! Toujours les ordures. Le
vent qui hurle autour de la maison. Un piano, très loin. Lui assis au milieu
de ces ruines et de cette [37] misère. Et tout le sens du monde lui était
monté d’un coup à la gorge. (Les verres t
Tous les verres
sont cassés. Et lui sourit. « Ça va, dit-il au patron, on payera
tout. »
*
Jambe brisée
du débardeur. Dans un coin, un h
*
« Ce n’est
rien. Ce qui m’a fait le plus de mal, ce sont les idées générales. »
— Course après le camion, vitesse, poussière, vacarme. Rythme
éperdu des treuils et des machines, danse des mâts sur l’horizon, roulis
des coques. Sur le camion . Sauts sur les pavés inégaux du quai. Et
dans la poussière blanche et crayeuse, le soleil et le sang, dans l’immense
et fantastique décor du port, deux h
*
Mai.
Ne pas se
séparer du monde. On ne rate pas [38] sa vie lorsqu’on la met dans la lumière.
Tout mon effort, dans toutes les positions, les malheurs, les désillusions,
c’est de retrouver les contacts. Et même dans cette tristesse en moi quel
désir d’aimer et quelle ivresse à la seule vue d’une colline dans
l’air du soir.
Contacts avec le
vrai, la nature d’abord, et puis l’art de ceux qui ont c
Désespoir
souriant. Sans issue, mais exerçant sans cesse une d
*
Mai.
Tous les contacts
— culte du Moi ? Non[9].
Culte du moi
présuppose amateurisme ou optimisme. Deux foutaises. Non pas choisir sa
vie, mais l’étendre.
Attention :
Kierkegaard, l’origine de nos maux, c’est la c
S’engager à
fond. Ensuite, accepter avec une égale force le oui et le non.
*
[39]
Mai.
Ces fins du jour à
Alger où les femmes sont si belles.
*
Mai.
Aux confins — Et
par-dessus : le jeu. Je nie, suis lâche et faible, J’agis c
D’où
prendre le jeu au tragique, dans son effort ; au c
Mais, pour cela,
ne pas perdre son temps. Rechercher l’expérience extrême dans la
solitude. Épurer le jeu par la conquête de soi-même — la
sachant absurde2[5].
Conciliation du
sage hindou et du héros occidental.
« Ce sont
les idées générales qui m’ont fait le plus de mal. »
Cette extrême
expérience doit toujours s’arrêter devant une main tendue[6]. Pour reprendre ensuite. Les mains
tendues sont rares.
*
[40]
Dieu — Méditerranée :
des constructions — rien de naturel.
Nature —
équivalence.
*
Contre rechute et faiblesse : effort — Attention démon : culture — le corps
volonté — le travail (Phil.)
Mais contrepartie : les intercesseurs — tous
les jours
mon œuvre (les émotions)
les expériences extrêmes.
Œuvre
philosophique : l’absurdité.
Œuvre littéraire :
force, amour et mort sous le signe de la conquête.
Dans les deux,
mêler les deux genres en respectant le ton particulier. Écrire un
jour un livre qui donnera le sens.
Et sur cette
tension : l’impassibilité — Mépriser la c
*
Un essai sur la
mort et Philosophie — Malraux. Inde.
Un essai sur la
chimie.
*
[41]
Mai.
Que la vie est la
plus forte — vérité, mais principe de toutes les lâchetés.
Il faut penser le contraire ostensiblement.
*
Et les
voilà qui meuglent : je suis immoraliste.
Traduction :
j’ai besoin de me donner une morale. Avoue-le donc, imbécile. Moi aussi.
*
L’autre cloche :
il faut être simple, vrai, pas de littérature — accepter et se
donner. Mais nous ne faisons que ça.
Si on est bien persuadé
de son désespoir, il faut agir c
*
Intellectuel ?
Oui. Et ne jamais renier. Intellectuel : celui qui se dédouble. Ça
me plaît. Je suis content d’être les deux. « Si ça peut
s’unir ? « Question pratique. Il faut s’y mettre. « Je méprise
l’intelligence « signifie en réalité : « Je ne
peux supporter mes doutes ».
Je préfère
tenir les yeux ouverts.
*
[42]
Novembre.
Voir la Grèce.
Esprit et sentiment, goût de l’expression c
Paradoxe du Grec
grand artiste malgré lui. Les Apollon doriques admirables parce que sans
expression. Seulement l’expression était donnée par la peinture
(regrettable) — Mais là peinture partie, le chef-d’œuvre demeure[7].
*
Nationalités
apparaissent c
Internationalisme
essaie de rendre à l’Occident son vrai sens et sa vocation. Mais le
principe n’est plus chrétien, il est grec. Humanisme d’aujourd’hui :
il affirme encore le fossé qui existait entre l’Orient et l’Occident
(cas Malraux). Mais il restitue une force.
*
Protestantisme.
Nuance. En théorie, admirables attitudes : Luther, Kierkegaard. En
pratique ?
*
[43]
Janvier.
Caligula ou le sens de la mort. 4 Actes[10]
I — a) Son accession. Joie. Discours
vertueux (Cf. Suétone)
b) Miroir
II — a) Ses sœurs et
Drusilla
b) Mépris des grands
c) Mort de Drusilla. Fuite de Caligula
III —
Fin :
Caligula apparaît en ouvrant le rideau :
« Non,
Caligula n’est pas mort. Il est là, et là. Il est en chacun de vous.
Si le pouvoir vous était donné, si vous aviez du cœur, si
vous aimiez la vie, vous le verriez se déchaîner, ce monstre ou
cet ange que vous portez en vous. Notre époque meurt d’avoir cru aux
valeurs et que les choses pouvaient être belles et cesser d’être absurdes.
Adieu, je rentre dans l’histoire où me tiennent enfermé depuis si
longtemps ceux qui craignent de trop aimer. »
*
Janvier.
Essai : La Maison devant le Monde[11].
[44]
— Dans le
quartier, on l’appelait la maison des 3 Étudiants.
— Lorsqu’on en
sort c’est pour s’enfermer.
— La maison
devant le monde n’est pas une maison où l’on s’amuse mais une maison où
l’on est heureux.
*
— « Il n’y a
pas que des jeunes filles ici », dit M. devant qui X. dit des grossièretés.
M. et l’amour :
— « Vous ces
arrivé à un âge où l’on est heureux de se reconnaître
dans l’enfant des autres. »
— « Il lui
faut apprendre la relativité dans Einstein pour pouvoir faire l’amour. »
— « Dieu m’en
préserve » dit M.
*
Y monter chaque
fois c’est chaque fois la conquérir, tant le chemin qui y mène est
escarpé.
*
Février.
La civilisation
ne réside pas dans un degré plus ou moins haut de raffinement. Mais
dans une conscience c
*
Tournées
(théâtre).
Au matin,
tendresse et fragilité d’une Oranie que l’on connaît si dure et si
violente dans le soleil du jour : oueds miroitants bordés de lauriers-roses,
teintes presque conventionnelles du ciel levant, montagnes mauves frangées
de rose. Tout annonce un jour rayonnant. Mais avec une pudeur et une délicatesse
qu’on sent déjà près de leur fin.
*
Avril 37.
Curieux. Incapacité
d’être seul, incapacité de ne l’être pas. On accepte les
deux. Les deux profitent.
*
La tentation la
plus dangereuse : ne ressembler à rien.
*
[46]
Kasbah : Il arrive toujours un m
*
Folie — Beau décor
de l’admirable matin — Soleil. Ciel et ossements. Musique. Un doigt au carreau.
*
Le besoin d’avoir
raison, marque d’esprit vulgaire.
*
Récit — l’h
*
Avril.
Les femmes — qui préfèrent
leurs idées a leurs sensations[10].
[47]
— Pour l’essai
sur les ruines2[11]
Le vent desséchant
— Le vieil h
1) Essai sur les
ruines : le vent dans les ruines ou la mort au soleil.
2) Reprendre la « mort
dans l’âme1» — Pressentiment.
3) La maison
devant le monde.
4) R
5) Essai sur
Malraux.
6) Thèse.
*
Dans un pays étranger,
soleil qui dore les maisons sur une colline. Sentiment plus puissant que devant
le même fait dans son propre pays. Ce n’est pas le même soleil. Je
sais bien, moi, que ce n’est pas le même soleil.
*
Au soir, douceur
du monde sur la baie — Il y a des jours où le monde ment, des jours où
il dit vrai. Il dit vrai, ce soir — et avec quelle insistante et triste beauté.
[48]
*
Mai.
Erreur d’une
psychologie de détail. Les h
*
1) La
prestigieuse poésie qui précède l’amour.
2) L’h
3) Jeune, on adhère
mieux à un paysage qu’à un h
C’est que les premiers
se laissent interpréter.
*
Mai.
Projet de préface
pour L’Envers et l’Endroit.
Tels qu’ils sont présentés,
ces essais, pour beaucoup sont informes[13]. Ce qui ne vient pas d’un mépris c
*
Écrire, c’est
se désintéresser. Un certain renoncement en art. Réécrire.
L’effort qui apporte toujours un gain, quel qu’il soit. Question de paresse
pour ceux qui ne réussissent pas.
*
Luther : « Il
est mille fois plus important de croire fermement à l’absolution que d’en
être digne. Cette foi vous rend digne et constitue la véritable
satisfaction. »
(Sermon
prêché à Leipzig en 1519 sur la Justification.)
*
Juin.
Condamné à
mort qu’un prêtre vient visiter tous les jours. À cause du cou tranché,
les genoux qui plient, les lèvres qui voudraient former un n
Et chaque fois,
la résistance dans l’h
*
Les philosophies
valent ce que valent les philosophes. Plus l’h
*
La
civilisation contre la culture.
Impérialisme
est civilisation pure. Cf. Cecil Rhodes. « L’expansion est tout » — les
civilisations sont des îlots — La civilisation c
Culture :
cri des h
Civilisation, sa
décadence : désir de l’h
D’une théorie
politique sur la Méditerranée.
« Je parle
de ce que je connais. »
*
1) Évidences
écon
2) Évidences
spirituelles (Saint-Empire r
*
[51]
C
*
Pouvoir consolant
de l’Enfer.
1) D’une part,
souffrance sans fins, n’a pas de sens pour nous — Nous imaginons des
répits.
2) Nous ne s
3) L’enfer, c’est
la vie avec ce corps — qui vaut encore mieux que l’anéantissement.
*
Règle
logique : le singulier a valeur d’universel.
— illogique :
le tragique est contradictoire.
— pratique :
un h
*
Être profond
par insincérité.
*
[52]
La petite, vue par Marcel. « Son mari y savait
pas y faire. Un jour elle me dit : Avec mon mari, c’est jamais c
*
La bataille de
Charleroi vue par Marcel.
« Nous
autres les zouaves, on nous avait fait mettre c
*
— Oh !
Marcel, c
— Où j’ai gagné
tout ça ? À la guerre, dis.
— C
— Dis, tu veux
que je t’apporte les diplômes [53] où c’est écrit ? Tu
veux que je te fasse lire. Qu’est-ce que tu crois ?
On apporte les « diplômes ».
Les « diplômes »
concernent le régiment tout entier dont Marcel faisait partie.
*
Marcel. Nous
autres, on est pas riches, mais on mange bien. Tu vois mon petit-fils, plus que
son père y mange. Son père, il lui faut une livre de pain, lui un
kilo il lui faut. Et vas-y la soubressade. Vas-y l’escabèche. Des fois
qu’il a fini, y dit « han, han » et y mange encore.
*
Juillet.
Paysage de la
Madeleine[13].
Beauté qui donne le goût de la pauvreté. Je suis si loin de
ma fièvre — si peu capable d’autre orgueil que d’aimer. Se tenir loin.
Il faut dire et dire vite ce qui me remplit le cœur.
*
« Aucun
rapport. » Vrai r
*
Hydravion :
gloire du métal étincelant sur la baie et dans le ciel bleu.
*
Les pins, le
jaune des pollens et le vert des feuilles.
*
Christianisme, c
*
Prague. Fuite
devant soi[15].
— Je voudrais une
chambre. [55]
— Certainement.
Pour une nuit ?
— Non. Je ne sais
pas.
— Nous avons des
chambres à 18, 25 et 30 couronnes.
(aucune réponse)
— Quelle chambre désirez-vous,
Monsieur ?
— N’importe
laquelle (regarde au dehors).
— Chasseur,
portez les bagages à la chambre No 12.
(se réveille)
— C
— 30 couronnes.
— C’est trop
cher. Je voudrais une chambre à 18 couronnes.
— Chasseur,
chambre No 34
*
1) Dans le train
qui l’emportait vers « … », « X. » regardait ses mains.
2) Le type qui
est toujours là. Mais coïncidence.
*
Lyon.
Vorarlberg-Halle.
Kupstein — La chapelle et les champs sous la pluie
le long de l’Inn. Solitude qui s’ancre.
Salzbourg — Ildermann. Cimetière
Saint-Pierre. Jardin Mirabelle et sa précieuse réussite. [56]
Pluies, phloxs — Lac et montagnes — marche sur le plateau.
Linz — Danube et faubourgs ouvriers. Le médecin.
Butweiss — Faubourg. Petit cloître gothique.
Solitude.
Prague — Les quatre premiers jours. Cloître
baroque. Cimetière juif[15]. Églises baroques. Arrivée au
restaurant. Faim. Pas d’argent. Le mort. Conc
Dresde — Peinture.
Bautzen — Cimetière gothique. Géraniums
et soleils dans les arceaux de brique.
Breslau — Bruine. Églises et cheminées
d’usine. Tragique qui lui est particulier.
Plaines de Silésie : impitoyables et ingrates — dunes —
Vols d’oiseaux dans le matin gras sur la terre gluante.
Olmutz — Plaines tendres et lentes de Moravie.
Pruniers aigres et lointains émouvants.
Brno — Quartiers pauvres.
Vienne — Civilisation — Luxe amoncelé et jardins
protecteurs. Détresse intime qui se cache dans les plis de cette soie.
*
Italie.
Églises — Sentiment
particulier qui s’y rapporte : Cf. Andrea del Sarto. [57]
Peinture :
monde grave et figé. Confiance, etc.
À noter :
peinture italienne et sa décadence.
*
L’intellectuel
devant l’adhésion (fragment).
*
Juillet.
Pour les femmes,
ce qu’il y a d’insupportable dans la tendresse sans amour qu’un h
Pour l’h
*
Les couples :
l’h
*
Dans les trains : une mère à son
enfant
— Ne suce pas tes
doigts, sale. ou [16]: — Si tu continues, tu vas recevoir.
Id. Couples ; la femme s’est levée
dans le train bondé.
— Donne,
dit-elle.
Le mari cherche
dans sa poche et lui donne le papier qu’il faut.
*
[58]
Juillet 37.
Pour le R
Cf. Les Pleiades[17] :
Cadence débordante. Jouer le jeu.
Âme de
luxe. L’aventurier.
*
Juillet 37 — Joueur.
Révolution,
gloire, amour et mort. Que me fait cela au prix de ce quelque chose en moi, si grave et si vrai ?
— Et quoi ?
— Ce lourd
cheminement de larmes, dit-il, qui fait tout mon goût de la mort.
*
Juillet 37
L’aventurier. A
le sentiment net qu’il n’y a plus rien à faire en art. Rien de grand ou
nouveau n’est possible — dans cette culture d’Occident du moins. Il ne reste
que l’action. Mais qui porte une grande âme n’entrera dans cette action
qu’avec désespoir.
*
[59]
Juillet.
Quand l’ascèse
est volontaire, on peut jeûner 6 semaines (eau suffit). Quand elle est contrainte
(famine) pas plus de 10 jours.
Réservoir
d’énergie réelle.
*
Coutumes
respiratoires des yogis du Tibet. Ce qu’il faudrait, c’est apporter notre méthodologie
positive à des expériences de cette envergure. Avoir des « révélations »
auxquelles on ne croit pas. Ce qui me plaît : porter sa lucidité
dans l’extase.
*
Femmes dans la
rue. La bête chaude du désir qu’on porte lovée au creux des
reins et qui remue avec une douceur farouche.
*
Août.
Sur le chemin de
Paris : cette fièvre qui bat aux tempes, l’abandon singulier et
soudain du monde et des h
Aller jusqu’au
bout, ce n’est pas seulement résister mais aussi se laisser aller. J’ai
besoin de sentir ma personne, dans la mesure où elle est sentiment de ce
qui me dépasse. J’ai besoin parfois d’écrire des choses qui m’échappent
en partie, mais qui précisément font la preuve de ce qui en moi
est plus fort que moi.
*
Août.
Tendresse et
émotion de Paris. Les chats, les enfants, l’abandon du peuple. Les
couleurs grises, le ciel, une grande parade de pierre et d’eaux.
*
Arles.
*
Août 37.
Il s’enfonçait
tous les jours dans la montagne et en revenait muet, les cheveux pleins d’herbes
[61] et couvert des égratignures de toute une journée. Et chaque
fois c’était la même conquête sans séduction. Il fléchissait
peu à peu la résistance de ce pays hostile. Il arrivait à
se faire semblable à ces nuages ronds et blancs derrière l’unique
sapin qui se détachait sur une crête, semblable à ces champs
d’épilobes rosâtres, de sorbiers et de campanules. Il s’intégrait
à ce monde ar
*
Douceur de la
Savoie.
*
Août 37.
Un h
Ire Partie — Sa
vie jusque-là.
II° Partie — Le
jeu.
III° Partie — L’abandon
des c
*
Août 37
Dernier chapitre ?
Paris Marseille. La descente vers la Méditerranée.
Et il entra dans
l’eau et il lava sur sa peau les images noires et grimaçantes qu’y avait
laissées le monde. Soudain l’odeur de sa peau renaissait pour lui dans
le jeu de ses muscles. Jamais peut-être il n’avait autant senti son
accord avec le monde, sa course accordée à celle du soleil. À
cette heure où la nuit débordait d’étoiles, ses gestes se
dessinaient sur le grand visage muet du ciel. S’il bouge ce bras, il dessine l’espace
qui sépare cet astre brillant de celui qui semble disparaître par
m
*
Deux personnages.
Suicide de l’un ?
*
[63]
Août 37.
Le joueur.
— Ça va
être difficile, très difficile. Mais ça n’est pas une
raison.
— Bien sûr,
dit Catherine, levant les yeux vers le soleil.
*
Le Joueur.
Mme X, par
ailleurs une parfaite vieille grue, avait un beau talent de musicienne.
Pour r
Ire Partie :
Théâtre circulant. Cinéma. Histoire du grand Amour (Collège
Sainte-Chantal).
*
Août 37.
Projet de plan. C
Ire Partie.
A — Fuite devant
soi.
B — M. et pauvreté.
(Tout au présent.) Les chapitres de la série A décrivent
le joueur. Ceux de la série B la vie jusqu’à la mort de la mère
(Mort de Marguerite — Métiers différents : courtage,
accessoires aut
Dernier chapitre :
Descente vers le soleil et mort (suicide — mort naturelle). [64]
II°Partie.
Inverse. A au présent :
Redécouverte de la joie. Maison devant le Monde. Liaison avec Catherine.
B au passé.
Pris au jeu. Jalousie sexuelle. Fuite.
III° Partie.
Tout au présent.
Amour et soleil. Non, dit le garçon.
*
Août 37.
Chaque fois que j’entends
un discours politique ou que je lis ceux qui nous dirigent, je suis effrayé
depuis des années de n’entendre rien qui rende un son humain. Ce sont
toujours les mêmes mots qui disent les mêmes mensonges. Et que les
h
*
A2 ou A5 de I.
Ce qui me navre,
c’est l’importance qu’on accorde aux mouvements de l’âme. Êtes-vous
[65] mélancolique, et la vie à deux devient impossible. Car si
vous avez le cœur bien né, vous ne pouvez supporter les questions
multiples qu’on vous pose. Alors que ça peut avoir à peu près
autant d’importance que de prendre de l’appétit ou de vouloir…
*
Août 37.
Plan. 3 parties.
1° partie : A au présent
B au passé.
Ch. A1 — Journée de M. Mersault vue par l’extérieur.
Ch. B1 — Quartier pauvre de Paris. Boucherie chevaline. Patrice et sa famille. Le
muet. La grand-mère.
Ch. A2 — Conversation et paradoxes. Grenier. Cinéma.
Ch. B2 — Maladie de Patrice. Le docteur. « Cette extrême pointe… »
Ch. A3 — Un mois de théâtre circulant.
Ch. B3 — Les métiers (courtage,
accessoires aut
Ch. A4 — L’histoire du grand amour
« Vous n’avez plus jamais éprouvé ça ? — Si,
madame, devant vous. » Thème du revolver.
Ch. B4 — Mort de la mère.
Ch. A5 — Rencontre de Raymonde.
*
[66]
ou bien :
I A — Jalousie sexuelle.
B — Quartier pauvre — mère.
II A — Maison devant le Monde — étoiles.
B — Vie débordante.
III Fuite — Catherine qu’il n’aime pas.
*
Réduire et
condenser. Histoire de jalousie sexuelle qui conduit au dépaysement.
Retour à la vie.
« La
leçon qu’il était allé chercher si loin, oui, elle gardait
toute sa valeur, mais seulement d’avoir été ramenée au
pays de la lumière. »
*
Arrivée à
Prague — jusqu’au départ — maladie.
Explication — Lucile
— Fuite.
*
Août.
Absence de
philosophes espagnols.
*
[67]
R
*
Septembre.
Ce mois d’août
a été c
Il faut vivre et
créer. Vivre à pleurer — c
*
Montherlant :
Je suis celui à qui quelque chose arrive.
*
À Marseille,
bonheur et tristesse — Tout au bout de moi-même. Ville vivante que j’aime.
Mais, en même temps, ce goût amer de solitude.
[68]
8 sept.
Marseille,
chambre d’hôtel. Grosses fleurs jaunes de la tapisserie à fond
gris. Géographies de la crasse. Coins gras et boueux derrière le radiateur
énorme. Lit à lamelles, c
*
M. 8 sept.
Longue descente éclatante
de soleil. Les lauriers-roses à Monaco et Gênes pleins de fleurs.
Les soirs bleus de la côte ligurienne. Ma fatigue et cette envie de
larmes. Cette solitude et cette soif d’aimer. Enfin Pise, vivante et austère,
ses palais verts et jaunes, ses dômes et, au long de l’Arno sévère,
sa grâce. Tout ce qu’il y a de noble dans ce refus de se livrer. Ville
pudique et sensible. Dans les rues désertes de la nuit, si près de
moi — que de m’y pr
*
Sur les murs de
Pise : « Alberto fa l’amore con la mia sorella[20]. »
*
[69]
jeudi 9.
Pise et ses h
Il n’y a pas d’autre
vie que celle dont mes pas rythmaient la solitude le long de l’Arno. Celle
aussi qui m’agitait dans le train qui descendait sur Florence. Ces visages de
femmes si graves, qu’un rire emportait soudain. L’une surtout, le nez long et
la bouche fière, et qui riait. À Pise, longue heure à
paresser sur l’herbe de la Piazza del Du
Des choses, des êtres
m’attendent et sans doute je les attends aussi et les désire de toute ma
force et ma tristesse. Mais ici je gagne ma vie à force de silence et de
secret[21].
Le miracle de n’avoir
pas à parler de soi.
*
Gozzoli et l’Ancien
Testament (costumé).
*
[70]
Les Giotto de
Santa Croce. Le sourire intérieur de saint François, amant de la
nature et de la vie. Il justifie ceux qui ont le goût du bonheur. Lumière
douce et fine sur Florence. La pluie attend et gonfle le ciel. Mise au t
*
Florence. Au coin
de chaque église, des étalages de fleurs, grasses et brillantes,
perlées d’eau, naïves.
*
Mostra Giottesca.
Il faut du temps
pour s’apercevoir que les visages des primitifs florentins sont ceux qu’on
rencontre tous les jours dans la rue. C’est que nous avons perdu l’habitude de
voir l’essentiel d’un visage. Nous ne regardons plus nos contemporains, ne
prenant d’eux que ce qui sert à notre orientation (dans tous les sens).
Les primitifs ne déforment pas, ils « réalisent ».
Dans le cloître
des Morts, à la Santissima Annunziata, ciel gris chargé de
nuages, architecture sévère, mais rien n’y parle de la mort. Il y
a des dalles funéraires et des ex-voto, celui-ci fut [71] père tendre
et mari fidèle, cet autre en même temps que le meilleur des
époux un c
Les nuages
grossissent au-dessus du cloître et la nuit peu à peu ass
[72]
Je pensais à
tout cela, assis par terre, adossé à une colonne, et des enfants
riaient et jouaient. Un prêtre m’a souri. Des femmes me regardaient avec
curiosité. Dans l’église, l’orgue jouait sourdement et la couleur
chaude de son dessin reparaissait parfois derrière les cris des enfants.
La mort ! À continuer ainsi, je finirais bien par mourir heureux. J’aurais
mangé tout mon espoir.
*
Septembre.
Si vous dites « Je
ne c
*
Cloître de
San Marco. Le soleil au milieu des fleurs.
*
Primitifs
siennois et florentins. Leur obstination à faire les monuments plus
petits que les h
*
Les roses
tardives dans le cloître de Santa Maria Novella et les femmes, ce
dimanche matin dans Florence. Les seins libres, les yeux et les lèvres
qui vous laissent avec des battements de cœur, la bouche sèche, et
une chaleur aux reins[22].
*
Fiesole.
On mène une
vie difficile à vivre. On n’arrive pas toujours à ajuster ses
actes à la vision qu’on a des choses. (Et la couleur de mon destin, alors
que je crois l’entrevoir, la voici qui fuit devant mon regard.) On peine et
lutte pour reconquérir sa solitude. Mais un jour la terre à son sourire
primitif et naïf. Alors c’est c
*
13 sept.
L’odeur de
laurier qu’on rencontre à Fiesole au coin de chaque rue.
*
15 sept.
Au cloître
de San Francesco à Fiesole, une petite cour bordée d’arcades,
gonflée de fleurs rouges2, de
soleil et d'abeilles jaunes et noires. Dans un coin, un arrosoir vert. Partout,
des mouches bourdonnent. Recuit de chaleur, le petit [75] jardin fume
doucement. Je suis assis par terre et je pense à ces franciscains dont j’ai
vu les cellules tout à l’heure, dont je vois maintenant les
inspirations, et je sens bien que, s’ils ont raison, c'est avec moi qu'ils ont
raison. Derrière le mur où je m’appuie, je sais qu’il y à
la colline qui dévale vers la ville et cette offrande de tout Florence
avec ses cyprès. Mais cette splendeur du monde est c
Aujourd’hui, je
me sens libre à l’égard de mon passé et de ce que J’ai
perdu. Je ne veux que ce resserrement et cet espace clos — cette lucide et
patiente ferveur. Et c
Chaque fois que l’on
(que je) cède à ses vanités, chaque fois qu’on pense et
vit pour « paraître », on trahit. À chaque fois, c’est
toujours le grand malheur de vouloir paraître qui m’a diminué en
face du vrai. Il n’est pas nécessaire de se livrer aux autres, mais
seulement à ceux qu’on aime. Car alors ce n’est plus se livrer pour paraître
mais seulement pour donner. Il y a beaucoup plus de force dans un h
Une certaine
continuité dans le désespoir finit par engendrer la joie. Et les mêmes
h
15 sept. 37
[79]
CARNETS I. mai 1935 — février 1942.
CAHIER II
Septembre 1937 — avril 1939
Retour
à la table des matières
[81]
22 septembre.
La Mort
heureuse. « — Voyez-vous,
Claire, c’est assez difficile à expliquer. Il n’y a qu’une question :
savoir ce qu’on vaut. Mais pour ça, il faut laisser Socrate de côté.
Pour se connaître, il faut agir, ce qui ne veut pas dire qu’on puisse se définir.
Le culte du moi ! Laissez-moi rire. Quel moi et quelle personnalité ?
Quand je regarde ma vie et sa couleur secrète, c’est en moi c
— Oui, dit
Claire, vous jouez sur deux plans à la fois.
— Sans doute.
Mais quand j’avais vingt ans, [82] je lisais c
— Pourquoi ?
dit Claire.
— Parce que, si l’acteur
jouait sans savoir qu’il joue une pièce, alors ses larmes seraient des
larmes et sa vie serait une vie. Et chaque fois que je songe à ce cheminement
de douleur et de joie en moi, je sais bien, et avec quel emportement, que la
partie que je joue est la plus sérieuse et la plus exaltante de toutes.
« Et moi, je
veux être cet acteur parfait. Je me moque de ma personnalité et n’ai
que faire de la cultiver. Je veux être ce que ma vie me fait et non faire
de ma vie une expérience. C’est moi l’expérience et c’est la vie
qui me façonne et me dirige. Si j'avais assez de force et de patience,
je sais bien à quel degré de parfaite impersonnalité j’arriverais,
jusqu’à quelle poussée de néant actif mes forces
pourraient aller. Ce qui m’a toujours arrêté, c’est ma vanité
personnelle. Aujourd’hui, je c
[83]
La route, etc.…
Mais pour cela il
faut du temps, j’ai du temps maintenant.
Claire, longtemps
silencieuse, regarda Patrice en face et dit lentement :
— Beaucoup de
douleurs attendent ceux qui vous aiment.
Patrice se leva,
quelque chose de désespéré dans le regard, et dit violemment :
— L’amour qu’on
me porte ne m’oblige à rien.
— C’est vrai, dit
Claire. Mais je constatais. (Vous resterez seul, un jour.) »
*
23 septembre.
De K.[24]
in[17] R. P. (Riens philosophiques).
« Le langage
a raison dans le mot passion d’insister sur la souffrance de l’âme ;
alors que l’emploi du mot passion nous fait penser plutôt à l’impétuosité
convulsive qui nous étonne, et oublier ainsi qu’il s’agit d’une
souffrance (orgueil — défi). »
id. L’acteur (de vie) parfait c’est celui
qui « est agi » — et qui le sait — la passion passive.
*
« Il s’éveilla
en sueur, débraillé, erra un m
*
Rama Krishna, à
propos du marchandage :
« L’h
Ne pas confondre
idiotie et sainteté.
*
23 septembre.
Solitude, luxe
des riches.
*
26 septembre.
1) Faire précéder
r
2) Porter sa lucidité
jusque dans l’extase.
Description concrète : Disparition des amis.
Tramways (fin des services ?)
Idées — leitmotiv.
Il s’enfonçait
de silence en silence, se blottissait en lui-même…
[85]
…Arrivé au
point où la lucidité peut se renverser. Immense effort : revient
au monde — gouttes de sueur — pense aux jambes ouvertes de femme — Va vers le
balcon et se déverse tout entier dans le monde de chair et de lumières.
« C’est hygiénique. »
Puis prend une
douche et fait de l’extenseur.
*
(Traité Théologico-Politique.)
*
Dans Georges
Sorel[26]. À
dédier a « l’humanisme de gauche « qui veut nous faire prendre
Helvétius, Diderot et Holbach pour le s
L’idée du
progrès qui infeste les mouvements ouvriers est une idée bourgeoise
issue du XVIIIe. « Tous nos efforts doivent tendre à empêcher
que les idées bourgeoises ne viennent empoisonner la classe qui monte :
c’est pourquoi on ne saura jamais assez faire pour briser tout lien entre le
peuple et la littérature du XVIII°.» (Illusion du Progres, p. 285
et 286.)
*
[86]
30 septembre.
Je finis toujours
par avoir fait le tour d’un être. Il suffit d’y mettre le temps. Il vient
toujours un m
*
Dialogue.
— Et que
faites-vous dans la vie ?
— Je dén
— Quoi ?
— Je dén
— Ça finit
dans la niaiserie, alors.
— Mon Dieu, vous
avez l’opinion de votre journal du matin. Moi, j’ai l’opinion du monde. Vous
pensez avec L’Echo de Paris et je pense avec le monde. Quand il est dans
la lumière, quand le soleil tape, j'ai envie d’aimer et d’embrasser, de
me couler dans des corps c
[87]
Après son
départ :
1) — C’est un imbécile.
2) — Un prétentieux.
3) — Un cynique.
— Mais non, dit l’institutrice,
c’est un enfant gâte ; ça se voit, allez. Un fils de famille
qui n’a pas connu la vie.
(Parce qu’il est
de plus en plus entendu que, pour trouver que la vie peut être belle et
facile, il faut ne l’avoir pas connue.)
*
30 septembre.
C’est pour briller
plus vite qu’on ne consent pas a réécrire. méprisable. À
rec
*
2 octobre.
« Il marcha
sans arrêt dans des rues boueuses sous une petite pluie fine. Il ne
voyait pas plus loin que quelques pas devant lui. Mais il marchait tout seul
dans cette petite ville si éloignée de tout. De tout et de lui-même.
Non, ce n’était plus possible. Pleurer devant un chien et devant tout le
monde. Il voulait être heureux. Il avait le droit d’être heureux.
Il n’avait pas mérité ça. »
[88]
*
4 octobre.
« J’ai
vécu jusqu’à ces jours derniers avec l’idée qu'il fallait
faire quelque chose dans la vie et plus précisément que, pauvre,
il fallait gagner sa vie, avoir une situation, s’installer. Et il faut croire
que cette idée, que je n’ose encore appeler préjugé, était
bien enracinée en moi, puisqu’elle durait malgré mes ironies et
mes paroles définitives à ce sujet. Et là, une fois n
[89]
Maintenant,
suis-je capable de ce que les autres appellent le « sérieux »?
Suis-je un paresseux ? Je ne crois pas et je m’en suis donne des preuves.
Mais a-t-on le droit de refuser là peine sous prétexte qu’elle ne
vous plaît pas ? Je pense que l’oisiveté ne désagrège
que ceux qui manquent de tempérament. Et si j'en manquais, il ne me resterait
qu’une solution. »
*
10 octobre.
Avoir ou n’avoir
pas de valeur. Créer ou ne pas créer. Dans le premier cas, tout
est justifié. Tout, sans exception. Dans le second cas, c’est l’Absurdité
c
*
Dans le chemin de
la Madeleine — encore cet immense désir de dépouillement devant
une nature aussi belle que celle-là.
*
15 octobre.
Giraudoux (pour
une fois)[28]
« L’innocence d’un [90] être est l’adaptation absolue à l’univers
dans lequel il vit. »
Ex. :
innocence du loup.
L’innocent est
celui qui n’explique pas.
*
17 octobre.
Dans les chemins
au-dessus de Blida, la nuit c
*
Des villages
groupés autour de points naturels et vivant chacun de sa vie propre. Des
h
*
18 octobre.
Au mois de
septembre, les caroubiers mettent une odeur d’amour sur toute l’Algérie,
et c’est c
Dans le chemin de
Sidi-Brahim, après la pluie, l’odeur d’amour descend des caroubiers,
lourde et oppressante, pesant de tout son poids d’eau. Puis le soleil p
*
Huxley, « Après
tout, il vaut mieux être un [92] bon bourgeois c
*
20 octobre.
L’exigence du
bonheur et sa recherche patiente[29].
Il n’y a pas de nécessité à exiler une mélancolie,
mais il y en a une à détruire en nous ce goût du difficile
et du fatal. Être heureux avec ses amis, en accord avec le monde, et
gagner son bonheur en suivant une voie qui pourtant mène à la
mort.
« Vous
tremblerez devant la mort. »
« Oui, mais
je n’aurai rien manqué de ce qui fait toute ma mission et c’est de
vivre. » Ne pas consentir à la convention et aux heures de bureau.
Ne pas renoncer. Ne jamais renoncer — exiger toujours plus. Mais être lucide
même pendant ces heures de bureau. Aspirer à la nudité où
nous rejette le monde, sitôt que nous s
*
21 octobre.
Il faut singulièrement
plus d’énergie pour [93] voyager pauvrement que pour jouer au voyageur
traqué. Prendre un pont sur les bateaux, arriver fatigué et creusé
par l’intérieur, voyager longuement en troisième, ne faire
souvent qu’un repas par jour, c
*
25 octobre.
Le bavardage — ce
qu’il a d’insupportable et de dégradant.
*
5 novembre.
Cimetière
d’El Kettar. Un ciel couvert et une [94] mer grosse face aux collines pleines
de t
*
6 novembre.
Chemin de la
Madeleine. Des arbres, de la terre et du ciel. Ah ! de mon geste à
cette première étoile qui nous attendait au retour, quelle distance
à la fois, et quelle secrète entente.
*
7 novembre.
Personnage. A. M.
infirme — amputé des deux jambes — paralysé d’un
côté[30].
« On m’aide à
faire mes besoins. On me lave. On m’essuie. Je suis à peu près sourd.
Eh bien, je ne ferai jamais un geste pour abréger une vie à laquelle
je crois tant. J’accepterais pire encore. D’être aveugle et sans aucune sensibilité
— d’être muet et sans contact avec l’extérieur — pourvu seulement
que je sente en moi cette flamme s
[95]
*
8 novembre.
Au cinéma
de quartier, on vend des pastilles de menthe où est écrit : « M’épouserez-vous
un jour ? » « M’aimez-vous ? » Et les réponses :
«Ce soir », « Beaucoup », etc. On les passe à sa voisine
qui répond de la même manière. Des vies s’engagent sur un échange
de pastilles de menthe.
*
13 novembre.
Cviklinsky[31]. « J’ai
toujours agi par dépit. Maintenant ça va mieux. Agir de façon
à être heureux ? Si je dois m’installer, le faire plutôt
dans ce pays qui me plaît ? Mais l’anticipation sentimentale est toujours
fausse — toujours. Alors il faut vivre c
Oui, mais je ne
suis pas sûr que toute anticipation sentimentale soit fausse. Elle[18] est seulement déraisonnable. En tout
cas, la seule expérience qui m’intéresse, c’est celle où
justement tout se [96] trouverait être c
Ædificabo
et destruam, dit Montherlant. J’aime mieux : Ædificabo et destruat.
L’alternance ne va pas de moi à moi. Mais du monde à moi et de
moi au monde. Question d’humilité.
*
16 novembre.
Il dit : « Il
faut avoir un amour — un grand amour dans sa vie, parce que ça fait un
alibi pour les désespoirs sans raison dont nous s
*
17 novembre.
« Volonté
du Bonheur ».
3° partie. Réalisation
du bonheur.
Plusieurs années.
succession du temps dans les saisons et rien que cela. 1° partie (fin). Infirme
qui dit à Mersault « L’Argent. C’est par une sorte de snobisme
spirituel qu’on veut essayer de croire qu’on peut être heureux sans
argent. »
[97]
M., rentrant chez
lui, examine les événements de sa vie à la lumière de
ces faits. Réponse : oui.
Pour un h
*
22 novembre.
Il est normal de
donner un peu de sa vie pour ne pas la perdre tout entière. Six ou huit
heures par jour pour ne pas crever de faim. Et puis tout est profit à
qui veut profiter.
*
Décembre.
Une pluie
épaisse c
(À
Salzbourg.)
*
Ironie avec
Marthe — là quitte.
*
Le type qui
donnait toutes les pr
*
[99]
La politique et
le sort des h
*
Nous n’avons pas
le temps d’être nous-mêmes. Nous n’avons que le temps d’être heureux.
*
Oswald Spengler (Déclin
de l’Occident) : I Forme et réalité :
« J’appelle
c
« Celui qui définit
ne connaît pas le destin. »
« Il existe
dans la vie, outre la nécessité causale — que j’appellerai la
logique de l’espace — également la nécessite organique du destin
— la logique du temps… »
[100]
Absence du sens
historique chez les Grecs. « L’histoire, de l’antiquité jusqu’aux
guerres persiques, est le produit d’une pensée essentiellement mythique. »
La colonne égyptienne
était dans le début une colonne en pierre, la colonne dorique était
une colonne en bois. L’âme attique exprimait par là sa profonde
hostilité envers la durée. « La culture égyptienne,
incarnation du souci. » Les Grec , peuple heureux, n’ont pas d’histoire.
Le mythe et sa signification
antipsychologique. Au début de l’histoire spirituelle d’Occident, au
contraire, se place un fragment d’auto-analyse intime et c’est la Vita Nuova d’Occident.
(Cf. au contraire : fragments mythiques d’Héraclès :
les mêmes d’H
Ex. : « C’étaient
les Allemands qui inventèrent les horloges mécaniques, effrayants
symboles du temps qui s’écoule, dont les coups sonores, retentissant
jour et nuit des tours inn
« H
Stupidité
du schème : Antiquité — Moyen-Àge — Temps Modernes.
[101]
« Que
signifie le type du surh
Notre littérature
et notre musique le sont pour des citadins.
Ainsi
faisons-nous de l’Histoire de la Philosophie l’unique thème sérieux
de toute philosophie.
Toute la question :
l’antithèse de l’histoire et de la
nature
les Mathématiques Histoire
et tableaux (à revoir).
*
1 Fragment pour La Mort heureuse.
Décembre.
Ce qui l’émouvait,
c’était sa façon de s’accrocher à ses vêtements, de
le suivre en pressant son bras, cet abandon et cette confiance qui touchait l’h
Dans la nuit, il
sentit sous ses doigts les p
Alors ce [102]
fut en lui c
*
Décembre.
Un h
*
C’est toujours au
début que lassent les choses lassantes. Après, c’est la mort. « Je
ne pourrai [103] jamais mener cette vie » ; mais c’est de la mener qui
permet de l’accepter.
*
R
« Nous
autres, les zouaves… «
« Avec mon
mari… «
Un type noir :
« Tu me dégoûtes. Tu me dégoûtes. Et j’vais te
dire pourquoi. Parce que t’y es un petit renfermé. Moi j’aime pas les
petits renfermés. Tu ne sais pas vivre. »
(Parc Saint-Raphaël.)
R
Les heureux sur la terre
Le rayon doré.
*
— Connaissez-vous
beaucoup d’h
— Vous appelez tempérament
l’absence de tout sentiment sérieux.
— Exactement. (Du
moins au sens ou vous prenez « sérieux ».)
*
R
Habitation de
Zagreus à la campagne en [104] banlieue. Assassinat. La pièce est
trop chauffée. Mersault qui sent ses oreilles rougir suffoque. Il s’enrhume
en sortant (de là la maladie qui l’abattra).
Ch. IV :
conversation avec Z. entamée par « impersonnalité ».
— Oui, dit Z.,
mais ça vous ne
pouvez pas le faire en travaillant.
— Non, parce que
je suis en état de révolte et ça, c’est mauvais.
… Au fond, dit
M., je suis un dangereux exalté.
*
R
« L’erreur,
dit M., est de croire qu’il faut choisir, qu’il faut faire ce qu’on veut, qu’il
y a des conditions du bonheur. Le Bonheur est ou il n’est pas. C’est la volonté
du bonheur qui c
*
R
À quelque
temps de là, Mersault annonça son départ. Il allait
voyager d’abord et se fixer ensuite [105] dans les environs d’Alger. Un mois
après, il était de retour, certain désormais que le voyage
figurait une vie fermée pour lui. Le voyage lui paraissait ce qu’il est
au vrai, un bonheur d’inquiet. Ce n’est pas cela que voulait M. à la
recherche d’une félicité consciente. Aussi bien, il se sentait
malade et il savait ce qu’il voulait. Pour la deuxième fois, il se prépara
à quitter la Maison devant la mer.
*
Février 38.
Ici, les h
*
La souffrance de
n’avoir pas tout en c
*
Février
38.
L’esprit révolutionnaire
est tout entier dans une protestation de l’h
Et sans doute cet
esprit, on peut le saisir dans son acte historique. Mais il faut toute l’émotion
de Malraux pour ne pas céder alors à la volonté de
prouver. Il est plus simple de le trouver dans son essence et son destin. À
ce titre, une œuvre d’art qui retracerait la conquête du bonheur
serait une œuvre révolutionnaire.
*
Trouver une démesure
dans la mesure.
*
Avril 38.
Ce qu’il y a de
sordide et de misérable dans la condition d’un h
Mais il s’agit de
tenir et de ne pas lâcher prise. La réaction naturelle est toujours
de se disperser hors du travail, de créer autour de soi des admirations
faciles, un public, un prétexte à lâchetés et c
Il s’agit d’abord
de se taire — de supprimer le public et de savoir se juger. D’équilibrer
une attentive culture du corps avec une attentive conscience de vivre. D’abandonner
toute prétention et de s’attacher à un double travail de
libération — à l’égard de l’argent et à l’égard
de ses propres vanités et de ses lâchetés. Vivre en règle.
Deux ans ne sont pas de trop dans une vie pour réfléchir sur un
seul point. Il faut liquider tous les états antérieurs et mettre
toute sa force d’abord à ne rien désapprendre, ensuite à
patiemment apprendre.
À ce prix-là,
il y a une chance sur dix d’échapper à la plus sordide et la plus
misérable des conditions : celle de l’h
*
Avril.
Expedier 2
Essais. Caligula. Aucune importance. Pas assez mûr. Publier à
Alger.
Reprendre :
Philosophie et Culture. Tout lâcher pour ça : Thèse
soit Biologie +
agrégation
soit Indochine.
Noter tous les
jours dans ce cahier : Dans deux ans écrire une œuvre.
[108]
*
Avril 38[19].
Melville[38]
court l’aventure et finit dans un bureau. Il meurt inconnu et pauvre. À
force de solitude et d’isolement (ça n’est pas la même chose) on
doit finir par user même la méchanceté et les cal
*
Mai.
Nietzsche.
Condamnation de la Réforme qui sauve le christianisme contre les
principes de vie et d’amour que lui infusait César Borgia. Le pape
Borgia justifiait enfin le christianisme.
*
Ce qui m’attire
dans une idée, c’est ce qu’elle a de piquant et d’original — de neuf et
de superficiel. Il faut bien l’avouer.
*
C. qui joue à
séduire, qui donne trop à tout le monde et ne tient jamais. Qui a
le besoin d’acquérir, [109] de gagner l’amour et l’amitié et qui
est incapable de l’un et de l’autre. Belle figure de r
*
Scène :
le mari, la femme et la galerie.
Le premier a de
la valeur et aime briller. La seconde se tait, mais par petites phrases sèches,
démolit tous les effets du cher époux. Marque ainsi constamment
sa supériorité. L’autre se d
Ex. : Avec
un sourire — « Ne vous faites pas plus bête que vous n’êtes,
mon ami. »[20]
La galerie se
tortille et sourit avec gêne. Lui rougit, va vers elle, lui embrasse la
main en souriant : « Vous avez raison, ma chérie. »
La face est sauvée
et la haine engraisse.
*
Je me souviens
encore de cette crise de désespoir qui me saisit lorsque ma mère m’annonça
que « maintenant j’étais assez grand et que je recevrais des
cadeaux utiles au Jour de l’An ». Aujourd’hui encore je ne peux me défendre
d’une crispation secrète lorsque je reçois des cadeaux de cette
catégorie. Et sans doute je savais bien qu’alors c’était l’amour
qui parlait, mais [110] pourquoi l’amour a-t-il parfois un langage si
dérisoire ?
*
Sur une même
chose, on ne pense pas de même façon le matin ou le soir. Mais où
est le vrai, dans la pensée de la nuit ou l’esprit de midi ? Deux réponses,
deux races d’h
*
Mai.
La vieille femme à
l’asile de vieillards, qui meurt[39].
Son amie, l’amie qu’elle s’est faite en trois ans, qui pleure « parce qu’elle
n’a plus rien ». Le concierge de la petite morgue qui est parisien et qui
vit là avec sa femme. « Qui leur aurait dit qu’à 74 ans il
finirait dans un asile de vieillards à Marengo ?1[21] » Son fils a une situation. Ils sont
venus de Paris. La belle-fille ne les a pas voulus. Scènes. Le vieux a
fini par « lui lever la main ». Son fils les a mis aux vieillards. Le
fossoyeur qui était l’ami de la morte. Ils allaient quelquefois le soir
au village. Le petit vieux qui a tenu à suivre le convoi jusqu’à
l’église et au cimetière (2 km.). C
L’infirmière
mauresque qui cloue la bière à un chancre au nez et porte un
bandeau perpétuel.
Les amis de la
morte : Petits vieux myth
dans le passe. L’un
à l’autre : « Votre fille ne vous a pas écrit ? — Non.
— Elle pourrait
se souvenir qu’elle a une mère. »
L’autre est morte
— c
*
juin.
Pour Mort
heureuse : Une série de lettres de rupture. Thème connu :
c’est parce que je t’aime trop.
Et la dernière :
un chef-d’œuvre de lucidité. Mais là encore, la part de c
*
Fin. Mersault
boit.
« Oh !
dit Céleste[40]
en essuyant le zinc. Tu vieillis, Mersault. »
[112]
Mersault s’arrêta
net et posa son verre. Il se regarda dans la glace derrière le c
*
Été
à Alger[41]
Pour qui cette
gerbe d’oiseaux noirs dans le ciel vert ? L’été aveugle et
sourd qui s’infiltre et donne un sens plus pur aux appels des martinets et aux
cris des marchands de journaux.
*
Juin. Pour l’été :
1) Finir Florence
et Alger.
2) Caligula.
3) Impr
4) Essai sur théâtre.
5) Essai sur 40
heures.
6) Récrire
R
7) L’Absurde.
*
Pour Impr
— Spectateur.
— Eh ! [113]
— Spectateur.
— Eh !
— Tu es rare,
spectateur.
— C
— Rare, quoi !
Tu n’es pas beaucoup. Tu es quelques-uns.
— On est ce qu’on
peut.
— Bien sûr.
Tel quel, tu nous conviens.
*
R
— Je suis obligé
de reconnaître que j’ai de graves défauts, dit Bernard[42].
Par exemple, je suis menteur.
— Oh ![22] je sais bien. Il y a des défauts qu’on
n’avoue jamais. D’au très qu’il ne coûte rien de se reconnaître.
Avec le ton de la fausse humilité, bien sûr ! « C’est
vrai, je suis colère, je suis gourmand. » Dans un sens, ça
les flatte. Mais être menteur, vaniteux, envieux, ça ne s’avoue
pas. Ce sont les autres qui le sont. Et d’ailleurs, à avouer ses colères,
on évite de parler du reste. À quelqu’un qui s’accuse spontanément,
vous n’allez pas chercher d’autres défauts n’est-ce pas ?
Moi, je n’ai pas
de mérite. je[23] me suis accepté moi-même. De
là que tout soit si simple.
[114]
*
Caligula : « Ce
que vous ne c
*
Essai sur 40
heures.
Dans ma famille :
travail 10 heures. S
*
« On parle
beaucoup en ce m
Mais c’est une
duperie. Il n’y a de dignité du travail que dans le travail librement
accepte. Seule l’oisiveté est une valeur morale parce qu’elle peut
servir à juger les h
Je propose qu’on
renverse la formule classique et qu’on fasse du travail un fruit de l’oisiveté.
Il y a une dignité du travail dans les petits tonneaux faits le
dimanche. Ici le travail rejoint le jeu et le jeu plié à la
technique atteint l’œuvre d’art et la création tout entière…
J’en sais qui s’extasient
et s’indignent. Eh quoi, mes ouvriers gagnent 40 francs par jour…
Fin du mois ou la
mère dit avec un sourire encourageant : « Ce soir on boira du café
au lait. De temps en temps, ça change… »
Mais du moins ils
y pourront faire l’amour…
*
La seule fraternité
maintenant possible, la seule qu’on nous offre et qu’on nous permette, c’est la
sordide et gluante fraternité devant la mort militaire.
*
Juin.
Au cinéma,
la petite oranaise avec son mari pleure à chaudes larmes devant les
malheurs du héros. Son mari la supplie de s’arrêter. Au milieu
[116] des pleurs : « Mais enfin, dit-elle, laisse-moi profiter. »
*
La Mort
heureuse :
Dans le train,
Zagreus est assis en face de lui. Seulement au lieu du foulard noir qu’il
portait d’habitude, il a mis une cravate d’été très claire.
(Après assassinat, reprend son appartement. N’y change rien. Met
seulement une glace neuve.)
*
La tentation c
*
Misère et
grandeur de ce monde : il n’offre point de vérités mais des
amours.
L’Absurdité
règne et l’amour en sauve.
*
Il y a une
psychologie juste dans les r
*
La vieille femme
aux souhaits de Nouvel An : [117] On ne demande pas grand-chose : du travail et de la
santé[25].
*
Cette singulière
vanité de l’h
*
C’est une
constatation difficile à faire que de c
*
Août.
Une pièce
donne sur la cour — ouvre sur une deuxième pièce qui en
reçoit le jour et qui, à son tour, débouche dans une troisième
sans fenêtre. Dans cette pièce, trois matelas. Trois personnes qui
dorment. Mais c
*
L’aveugle qui sort
la nuit entre une heure et quatre heures avec un autre ami aveugle. Parce [118]
qu’ils sont sûrs de ne rencontrer personne dans les rues. S’ils
rencontrent un réverbère, ils peuvent rire a l’aise. Ils rient.
Tandis que le jour, il y à la pitié des autres qui les empêche
de rire.
« Écrire,
dit cet aveugle. Mais ça n’intéresse personne. Ce qui intéresse
dans un livre, c’est la marque d’une existence pathétique. Et nos vies
ne sont jamais pathétiques. »
*
Pour écrire,
être toujours un peu en deçà dans l'expression (plutôt
qu’au-delà). Pas de bavardages en tout cas.
L’expérience
« réelle » de la solitude est une des moins littéraires qui
soient — à mille lieues de l’idée littéraire qu’on se fait
de la solitude.
Cf. ce qu’il y a
de dégradant en toutes souffrances. Ne pas se laisser aller au vide.
Tâcher de vaincre et de « remplir ». Le temps — ne pas le
perdre.
*
La seule liberté
possible est une liberté a l’égard de la mort. L’h
*
21 août
1938.
« Seul celui
qui a connu le « présent » sait vraiment ce qu’est l’enfer. « (Jacob
Wassermann.)
*
Lois de Manou :
« La bouche
d’une femme, le sein d’une jeune fille, la prière d’un enfant, la fumée
du sacrifice sont toujours purs. »
*
Sur la mort
consciente, cf. Nietzsche. Crépuscule des Idoles, p. 203. Nietzsche :
« C’est aux âmes les plus spirituelles, en admettant qu’elles soient
les plus courageuses, qu’il est donné de vivre les tragédies les
plus douloureuses. Mais c’est bien pour cela qu’elles tiennent la vie en
honneur, parce qu’elle leur oppose son plus grand antagonisme. » (Crépuscule
des Idoles.)
*
Nietzsche. « Que
désirons-nous donc à l’aspect [120] de la beauté ? C’est
d’être beaux. Nous nous figurons que beaucoup de bonheur y est attaché,
mais c’est une erreur. « (Humain, trop humain.)
*
L’air est peuplé
d’oiseaux cruels et redoutables.
*
Accroître
le bonheur d’une vie d’h
*
Méthode de
la météorologie. La température varie d’une minute à
l’autre. C’est une expérience trop mouvante pour être stabilisée
en concepts mathématiques. L’observation représente ici une coupe
arbitraire dans la réalité. Et seule la notion de moyenne permet
de fournir une image de cette réalité.
*
Bibliographie Étrusque :
A. Grenier :
Recherches Étrusques dans la Revue des Études Anciennes, IX, 1935
— [121]
B. Nogara :
Les Étrusques et leur civilisation — Paris, 1936.
Fr. de Ruyt :
Charon, démon étrusque de la mort. (Référence ?)
*
Belcourt.
La jeune femme
dont le mari fait la sieste et ne doit pas être dérangé par
les enfants. Deux pièces. Elle met une couverture par terre dans la
salle à manger et amuse les enfants sans bruit pour que l’h
*
Belcourt.
Mis à la
porte. N’ose pas lui dire. Parle.
— Eh bien, on
boira du café le soir. De temps en temps, ça change.
Il la regarde. Il
a souvent lu des histoires de pauvreté où la femme est « vaillante ».
Elle n’a pas souri. Elle est repartie dans la cuisine. Vaillante ? Non,
résignée.
*
L’ancien boxeur
qui a perdu son fils. « Qu’est-ce [122] qu’on est sur la terre ? Et
on se remue, et on se remue. »
*
Belcourt.
Histoire de R.[45] « J’ai
connu une dame… c’était pour ainsi dire ma maîtresse… je me suis aperçu
qu’il y avait de la tr
Calcul des 1300
francs. Elle n’a pas assez c
Il demande un
conseil. Il a encore « un sentiment pour son coït ». Il veut une
lettre avec « des coups de pied » et des « choses pour la faire
regretter ».
Ex. « Tu
veux t’amuser avec ta chose, c’est tout ce que tu veux. » Et puis : « J’avais
cru que… » etc.
« Tu vois
pas que le monde, il est jaloux du bonheur que je te donne. »[26]
[123]
« — Je la
tapais, mais tendrement pour ainsi dire. Elle criait, je fermais les volets. »
Idem avec la
copine.
Il veut que ce
soit elle qui revienne. Personnage tragique dans ce goût de l’humilier.
Il l’emmènera dans un hôtel et il appellera les « mœurs ».
Histoire des amis
et de la bière. « Vous autres, vous dites que vous êtes du
milieu. » « Ils m’ont dit que, si je voulais, ils allaient la marquer. »
Histoire du paletot.
Histoire des allumettes.
« Tu connaîtras
le bonheur que je te donnais. »
C’est une Arabe.
*
Thème :
L’univers de la mort. œuvre tragique : œuvre heureuse[46].
… — Mais cette
vie, Mersault, ne vous satisfait pas si j’en juge par votre ton.
— Elle ne me
satisfait pas parce qu’on va me l’ôter — ou plutôt c’est parce qu’elle
me satisfait trop que je sens toute l’horreur de la perdre.
— Je ne c
— Vous ne voulez
pas c
— Peut-être.
Après un
temps, Patrice s’en va.
— Mais Patrice,
il y a l’amour.
Il se retourna,
le visage déc
— Oui, dit
Patrice, mais l’amour est de ce monde[27].
*
Asile de
vieillards (le vieux à travers champs)[47].
Enterrement. Le soleil qui fait fondre le goudron de la route — les pieds y
enfoncent et laissent ouverte la chair noire. On découvre une
ressemblance entre cette boue noire et le chapeau en cuir bouilli du cocher. Et
tous ces noirs, noir gluant du goudron ouvert, noir terne des habits, noir laqué
de la voiture — le soleil, l’odeur de cuir et de crottin, de vernis, d’encens.
La fatigue. Et l’autre, à travers champs.
Il va a l’enterrement
parce que c’est sa seule amie. À l’asile, on lui disait c
*
Personnages.
A) Etienne,
personnage « physique »; l’attention qu’il apporte à son corps
1° la pastèque
2° la maladie
(les points)
3° les besoins
naturels — Bon — Chaud, etc.
4° Il rit de
plaisir quand ce qu’il mange est bon.
[125]
B) Marie C.[48]1 Son beau-frère et la vie
ensemble, « il paye le loyer ».
C) Marie Es.
Enfance. Sa position dans la famille. Sa virginité dont tout le monde
parle. Saint François d’Assise. Souffrance et humiliation.
D) Mme Leca. Cf.
plus haut.
E) Marcel, le
chauffeur — et la vieille du café.
*
Nous n’éprouvons
pas des sentiments qui nous transforment, mais des sentiments qui nous
suggèrent l’idée de transformation. Ainsi l’amour ne nous purge
pas de l’égoïsme, mais nous le fait sentir et nous donne l’idée
d’une patrie lointaine où cet égoïsme n’aurait plus de part.
*
Reprendre travail
sur Plotin[49].
Thème :
la Raison plotinienne.
1) La Raison — le
concept n’est pas univoque.
Intéressant
de considérer son jeu dans l’histoire à un m
Cf. Diplôme.
C’est la même
raison et ce n’est pas la même.
C’est que deux
raisons : [126]
l’une
éthique,
l’autre esthétique.
Creuser : l’image
plotinienne c
L’image c
C
*
Belcourt. Le spéculateur
en sucres qui se suicide dans les w.-c.
*
La famille
allemande en 14. Quatre mois de répit. On vient chercher le père.
Camp de concentration. Quatre ans sans nouvelles. La vie pendant ce temps. Il
revient en 19. Tuberculeux. Meurt en quelques mois.
Les petites
filles a l’école.
[127]
*
Artiste et œuvre
d’art. La véritable œuvre d’art est celle qui dit moins. Il y
à un certain rapport entre l’expérience globale d’un artiste, sa
pensée + sa vie (son système en un sens —
Le problème
est d’acquérir ce savoir-vivre (avoir vécu plutôt) qui dépasse le
savoir-écrire. Et dans la fin, le grand artiste est avant tout un grand vivant (étant
c
*
L’amour pur est
un amour mort si l’amour implique une vie amoureuse, la création d’une
certaine vie — il n’est alors dans cette vie qu’une [128] perpétuelle référence
et c’est sur le reste qu’il faut alors s’entendre.
*
La pensée est
toujours en avant. Elle voit trop loin, plus loin que le corps qui est dans le présent.
Supprimer l’espérance,
c’est ramener la pensée au corps. Et le corps doit pourrir.
*
Couché, il
sourit gauchement et ses yeux brillèrent. Elle sentit tout son amour lui
monter à la gorge et des larmes à ses yeux. Elle se jeta sur ses
lèvres et écrasa des pleurs entre leurs visages. Elle pleurait dans
sa bouche et lui, mordait dans ces lèvres salées toute l’amertume
de leur amour.
*
Le cœur sec
du créateur.
*
« Si encore
je savais lire ! Mais le soir je ne peux pas tricoter à la lumière.
Alors je suis obligée de m’étendre et d’attendre. C’est long, deux
heures c
*
2 P.
Aujourd’hui,
maman est morte[50].
Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un
télégramme de l’asile. « Mère décédée.
Enterrement demain. Sentiments distingués. » Ça ne veut rien
dire. C’est peut-être hier…
C
… Mais aussi le
convoi allait trop vite. Seulement, le soleil t
[130]
L’employe des P
*
Décembre 38.
Pour Caligula :
L’anachronisme est ce qu’on peut inventer de plus fâcheux au théâtre.
C’est pourquoi Caligula ne prononce pas dans la pièce la seule phrase
raisonnable qu’il eût pu prononcer : « Un seul être qui
pense et tout est dépeuplé. »
*
Caligula. « J’ai
besoin que les êtres se taisent autour de moi. J’ai besoin du silence des
êtres et que se taisent ces affreux tumultes du cœur. »
*
15.
Le bagne. Cf. reportage.
[131]
*
Au meeting. Le
vieux cheminot, propre, bien rasé, sur le bras l’imperméable
double d’écossais soigneusement plié du côté de la
doublure — les chaussures cirées — qui demande si « c’est bien la »
que la réunion a lieu, et qui me dit c
*
À l’hôpital.
Le tuberculeux à qui le médecin avait donne cinq jours à vivre.
Il prend les devants et se tranche la gorge d’un coup de rasoir. Il ne peut pas
attendre cinq jours, c’est évident.
À un
journaliste présent : « N’en parlez pas dans vos journaux, dit
l’infirmier. Il a assez souffert c
*
Celui qui aime sur
cette terre et celle qui l’aime avec la certitude de le rejoindre dans l’éternité.
Leurs amours ne sont pas à la même mesure.
*
La mort et l’œuvre.
Près de mourir, il se fait lire sa dernière œuvre. Ce n’est
pas encore ce qu’il [132] avait à dire. Il fait brûler. Et c’est
sans consolation qu’il meurt — avec quelque chose qui claque dans sa poitrine c
*
Dimanche.
Le vent de tempête
dans la montagne qui nous empêchait d’avancer, nous bâillonnait,
hurlait dans nos oreilles. Toute la forêt tordue de bas en haut.
Au-dessus des vallées, les fougères rouges qui volent d’une montagne
à l’autre. Et ce bel oiseau couleur d’orange.
*
Histoire du
légionnaire qui tue sa maîtresse dans une arrière-boutique.
Et puis il prend le cadavre par les cheveux et le traîne dans la salle de
cons
*
Le petit couple
dans le train. Laids tous les deux. Elle s’accroche, rit, coquette, le
séduit. Lui, à l’œil morne, est gêné d’être
aimé devant tout le monde par une femme dont il n’est pas fier.
[133]
*
Le beau monde où
les deux vieux journalistes qui s’engueulent en plein c
— Moi, je suis un
type propre.
— Entre nous deux
il y a une différence.
— Oui, et une
grande. Toi tu es le dernier des cons[28].
— Ne continue pas
ou je te casse la gueule et je te défonce le cul à coups de
godasses.
— Ta force, je la
mets à la pointe de mon nœud. Parce que moi, je suis un type
propre.
*
Espagne. Le type
qui est au parti. Veut s’engager. Après interrogatoire, c’est pour des
chagrins intimes. On n’en veut pas.
*
Dans toute vie,
il y à un petit n
[134]
*
Mais au fait,
ce sont deux monstres.
*
Le plaisir qu’on
trouve aux relations entre h
*
P. qui se déclare
prêt à offrir « une miniature de vierge enceinte dans un
cadre en clavicules de toréador ».
*
Affiche à
la caserne : « L’alcool éteint l’h
*
« La terre
serait une cage splendide pour des animaux qui n’auraient rien d’humain. »
*
C’est a Jeanne
que sont liées quelques-unes de mes joies les plus pures. Elle me disait
souvent : [135] « Tu es bête[51]. »
C’était son mot, celui qu’elle disait en riant, mais c’était
toujours au m
Je crois que j’ai
bien souffert quand je l’ai perdue. Mais pourtant je n’ai pas eu de révolte.
C’est que je n’ai jamais été très a l’aise au milieu de la
possession. Il me semble toujours plus naturel de regretter. Et, bien que je
voie clair en moi, je n’ai jamais pu m’empêcher de croire que Jeanne est
plus en moi dans un m
Nous avions
ensemble des joies singulières. Quand nous avons été fiancés,
j’avais vingt-deux ans et elle dix-huit. Mais ce qui nous pénétrait
le cœur d’amour grave et joyeux, était le caractère officiel
de la chose. Et que Jeanne fût reçue chez moi, que maman l’embrassât
et lui dit « Ma petite », c’étaient autant de joies un peu
ridicules que nous ne cherchions pas à cacher. Mais le souvenir de
Jeanne est lié pour moi à une impression qui me paraît
aujourd’hui inexprimable. Je la retrouve encore et il suffit que je sois triste
et que je rencontre, à quelques minutes d’intervalle, un visage de femme
qui me touche et une devanture brillante, pour que je retrouve, avec une vérité
qui me fait mal, le visage de Jeanne renversé vers moi et me disant « C
[138]
Aujourd’hui,
si j’essaye de
préciser cette émotion singulière, j’y vois beaucoup de choses. Bien sûr,
cette joie me venait d’abord
de Jeanne — de son parfum et
de sa main serrée sur mon poignet, des moues que j’attendais. Mais aussi ce soudain
éclat des magasins dans un quartier d’ordinaire si noir, l’air
pressé des passants chargés d’emplettes, la joie des enfants dans les rues, tout contribuait
à nous arracher à notre monde solitaire. Le papier d’argent de ces bouchées au
chocolat était le signe qu’une
période confuse mais bruyante et do-rée s’ouvrait pour les cœurs simples, et
Jeanne et moi nous pressions un peu plus l’un contre l’autre.
Peut-être sentions-nous confusément alors ce bonheur singulier de
l’h
*
Décembre.
Le Faust à
L’Envers. L’h
Après un
silence, le diable qui allume une cigarette anglaise ajoute : « Et ce
sera ta punition éternelle. »
*
Peter Wolf. S’évade
d’un camp de concentration, tue une sentinelle et parvient à passer la
frontière. Se réfugie à Prague où il essaie de revivre.
Après l’annexion de Munich, est extradé par le gouvernement de
Prague. Livré aux nazis. Condamné à mort. Exécuté
quelques heures après à la hache.
*
Sur une porte :
« Entrez. Je suis pendu. » On entre et c’est vrai. (Il dit « je »
mais il n’est plus « je »[52].)
*
Danses
javanaises. La lenteur, principe de la [140] danse hindoue. Le dépliement.
Les efflorescences de détail dans le mouvement d’ensemble. C
À
côté de ça, le tragique par bonds dans certaines danses
cruelles. L’utilisation des silences dans l’acc
(Othello dans la
danse des tètes.)
*
Pour la fin de Noces.
La terre !
Ce grand temple déserté par les dieux, la tâche de l’h
…ces monstrueuses
idoles de la joie, visage d’amour et pieds d’argile.
*
Le député
de Constantine qui est élu pour la troisième fois. Le jour de l’élection,
à midi, il meurt. Le soir on va l’acclamer. La femme sort sur le balcon
et dit qu’il est légèrement fatigué.
[141]
Peu après,
le cadavre est élu député. C’est ce qu’il fallait.
*
Sur l’Absurde ?
Il n’y a qu’un
cas où le désespoir soit pur. C’est celui du condamné à
mort (qu’on nous permette une petite évocation). On pourrait demander à
un désespéré d’amour s’il veut être guillotiné
le lendemain, et il refuserait. À cause de l’horreur du supplice ?
Oui. Mais l’horreur naît ici de la certitude — plutôt de l’élément
mathématique qui c
Kirilov a raison.
Se suicider c’est faire preuve de sa liberté. Et le problème de
sa liberté a une solution simple. Les h
[142]
Avant : « Ce cœur, ce petit
bruit qui depuis si longtemps m’acc
« Ah !
le bagne, le paradis du bagne. »
(La mère :
« Et maintenant ils me le rendent… Voilà ce qu’ils en ont fait… Ils
me le rendent en deux morceaux. »)
« J’ai fini
par ne plus, dormir qu’un peu dans la journée, attendant patiemment dans
mes nuits que la lumière éclate et, avec elle, la vérité
d’un nouveau jour. Pendant toute l’heure douteuse où je savais qu’ils
venaient d’habitude… alors j’étais c
Je calculais. J’essayais
de me d
… Mais ce sont
eux. Et pourtant il fait très noir. Ils sont venus plus tôt. Je
suis volé. Je vous dis que je suis volé…
…Fuir. Tout
briser. Mais non, je reste. Cigarette ? Pourquoi pas. Du temps. Mais en même
temps il coupe le col de ma chemise. En même temps. C’est le même temps.
Il n’y a pas de temps gagne. Je vous dis qu’on me vole.
…Que ce couloir
est long, mais que ces gens marchent vite… Pourvu qu’ils soient beaucoup,
pourvu qu’ils m’accueillent avec des cris de haine. Pourvu qu’ils soient
beaucoup et que je ne sois pas seul…
…J’ai froid. C
« Et ce ciel
sans étoiles, ces fenêtres sans lumières, et cette rue grouillante
et cet h
FIN
*
L’Absurde.
Gurvitch[55]. Traité
du désespoir. Pouvoir des chefs…
*
Mersault.
Caligula.
Numéro spécial
de Rivages sur le théâtre. Retrouver les mises en scène.
C
Le Jardin Mirabel
à Salzbourg.
La troupe en
tournée à Bordj-bou-Arreridj.
*
1939
Brûler fait
mon repos. Il n’y a pas que la joie [145] qui brûle. Mais le travail
incessant, le mariage incessant ou le désir incessant.
*
Ordre du travail :
Conférence
sur théâtre.
Absurde en
lecture.
Caligula.
Mersault.
Théâtre.
Rivages chez Charlot[57]
lundi
Leçon.
Journal.
*
Février.
Des vies que la
mort ne surprend pas. Qui se sont arrangées pour. Qui en ont tenu c
*
De même que
la mort d’un écrivain fait qu’on exagère l’importance de son œuvre,
la mort d’un individu fait qu’on surestime sa place parmi nous. Ainsi le passé
est fait tout entier de la mort, qui le peuple d’illusions.
*
[146]
Un amour qui ne supporte
pas d’être confronté avec la réalité n’en est pas
un. Mais alors, c’est le privilège des cœurs nobles que de ne pouvoir
aimer.
*
R
« Et cette
vie d’attente. J’attends le dîner et j’attends le s
« … Venir
dans la joie pour répartir le lendemain — et c
*
L’Algérie,
pays à la fois mesure et démesure. Mesure dans ses lignes, démesure
dans sa lumière.
*
[147]
La mort de « Caporal ».
Cf. papier.
*
Le fou dans la
librairie. Cf. papier.
*
La tragédie
est un monde clos — où on bute, ou on se heurte. Au théâtre,
il faut qu’elle naisse et meure dans l’espace restreint de la scène.
*
Cf. Stuart Mill :
« Mieux vaut être Socrate mécontent qu’un cochon satisfait. »
*
Ce matin plein de
soleil : les rues chaudes et pleines de femmes. On vend des fleurs à
tous les coins de rue. Et ces visages de jeunes filles qui sourient.
*
Mars.
« Quand je
me suis trouvé dans ce c
*
Oran. Baie de
Mers-el-Kébir par-dessus le petit jardin de géraniums rouges et
de fréesias. Il ne fait qu’a moitié beau : nuages et soleil.
Pays accordé. Il suffit d’un grand morceau de ciel et le calme revient
dans les cœurs trop tendus.
*
Avril 39.
À Oran un « sufoco »
est un affront. Un sufoco [149] ne se supporte pas. Il se répare, et
tout de suite. Les Oranais ont le sang chaud.
Un paysage peut
être magnifique sans être grand. Il peut même manquer la
grandeur d’un rien. C’est ainsi que la baie d’Alger manque la grandeur par excès
de beauté. Mers-el-Kébir vu de Santa-Cruz, au contraire, donne la
mesure de la grandeur. Magnifique et sans tendresse.
*
Dans la banlieue immédiate
d’Oran, a quelques mètres des dernières maisons c
*
Les Hauts
Plateaux et le Djebel Nador.
D’interminables étendues
de terres à blé, sans arbres et sans h
À Tiaret,
quelques instituteurs m’ont dit qu’ils « s’emmerdaient ».
— Et qu’est-ce
que vous faites quand vous vous emmerdez ?
— On se noircit.
— Et après ?
— On va au
bordel.
Je suis allé
avec eux au bordel. Il neigeait. La neige t
L’une disait :
— Tu viens niquer ?
L’h
— Moi, disait la
fille, j’ai bien envie que tu me mettes ça.
Au sortir, de la
neige toujours. Par une échappée on voyait la campagne. Toujours
la même étendue désolée, mais blanche cette fois.
*
À Trezel —
café maure. Thé à la menthe et conversations.
La rue des filles
s’appelle « Rue de la Vérité ». La passe est à
trois francs.
*
[151]
Tolba et les
bagarres1.
« Je suis
pas méchant, mais je suis vif. Je saute à droite et à
gauche. L’autre il m’a dit : “ Descends du
tram si tu es un h
*
Mobilisation.
Le fils aine s’en
va. Il est assis devant sa mère et il dit : « Ça ne sera
rien. » La mère ne dit rien. Elle a pris un journal qui traînait
sur la table. Elle le plie en deux, puis en quatre, puis en huit.
*
À la gare,
la foule qui acc
*
Visages de
femmes, joies du soleil et de l’eau, voilà ce qu’on assassine. Et si l’on
n’accepte pas l’assassinat, alors il faudra tenir. Nous s
Non seulement il n’y a pas de solutions, mais encore il n’y a pas de problèmes.
[153][30]
CARNETS I. mai 1935
— février 1942.
CAHIER III
Avril 1939 — février 1942
[155]
Alors que les
cyprès sont d’ordinaire des taches s
*
… C
Dialogue
Europe-Islam.
— Et quand nous
contemplons vos cimetières et ce que vous en avez fait, alors nous s
— … Nous aussi,
nous avons parfois pitié de nous-mêmes. Cela nous aide à
vivre. C’est un sentiment que vous ne connaissez guère, et il vous paraîtrait
peu viril. Et pourtant ce sont les plus virils d’entre nous qui l’éprouvent.
Car nous appelons virils les lucides et nous ne voulons point d’une force qui
se sépare de la clairvoyance. Pour vous, au contraire, la vertu de l’h
*
À la
guerre. Les gens qui évaluent le degré de danger particulier à
chaque front. « C’est le mien qui était le plus expose. » Ils
font encore des hiérarchies dans l’avilissement universel. C’est c
*
— Oui, dit le
vidangeur, et si vous voyiez les cabinets qu’« ils » leur ont fait,
en bas, à la Marine ! C’est d
*
La femme qui vit
avec son mari sans rien c
Elle le quitte. « C’est
cette marionnette qui monte sur mon ventre tous les soirs. »
*
Sujet de pièce.
L’h
Après un
long voyage, il rentre chez lui masqué. Il le reste pendant toute la pièce.
Pourquoi ? C’est le sujet.
Il se démasque
à la fin. C’était pour rien. Pour voir sous un masque. Il serait
reste longtemps ainsi. Il était heureux, si ce mot à un sens. Mais
ce qui le force à se démasquer, c’est la souffrance de sa femme.
« Jusqu’ici
je t’aimais avec tout moi-même et maintenant je t’aimerai seulement c
(Ou deux femmes.
L’une l’aime masqué parce qu’il l’intrigue. Ne l’aime plus ensuite. « Tu
m’aimais avec ton cerveau. Il fallait m’aimer aussi avec tes reins. « L’autre
l’aime en dépit du masque et continue après.)
[158]
Par une
réaction singulière, mais naturelle, elle imaginait à la
douleur de l’h
*
Esprit historique
et esprit éternel. L’un a le sentiment du beau. L’autre celui de l’infini.
*
Le Corbusier. « Ce
qui fait l’artiste, voyez vous, ce sont ces minutes où il se sent plus
qu’un h
*
Pia[59]
et les documents qui disparaîtront. L’effritement volontaire. Devant le néant,
l’hédonisme et le déplacement continuel. L’esprit historique
devient ici l’esprit géographique.
Dans le tram. Le
type à moitié noir qui s’accroche à moi. « Si tu es un
h
Je lui donne cinq
francs. Il me prend la main, me regarde, se jette contre ma poitrine et éclate
en sanglots. « Ah ! toi t’es un brave type. Tu me c
*
L’h
*
« J’attendais
le m
*
Poe et les quatre
conditions du bonheur
1) La vie en
plein air
2) L’amour d’un être
3) Le détachement
de toute ambition
4) La création.
*
Baudelaire :
« On a oublié deux droits dans la Déclaration des Droits de
l’H
Id. « Il est des séductions si
puissantes qu’elles ne peuvent être que des vertus. »
*
Sur l’échafaud,
madame du Barry : « Encore une minute, monsieur le bourreau. »
*
14 juillet 1939 —
Il y à un an.
*
[161]
Sur la plage, l’h
*
Chez Pierre, l’obscénité
c
*
« Ces
terribles années de doute ou il attendait le mariage ou n’importe quoi —
où il construisait déjà la philosophie du renoncement qui justifierait
son échec et sa lâcheté. »
*
« Avec sa
femme. Le problème qui se posait était de savoir s’il était
permis à un h
*
Août.
1) Œdipe supprime
le sphinx et, s’il dissipe les mystères, c’est par sa connaissance de l’h
[162]
2) Mais c’est le même
h
*
Voir Epicure
(essai).
La grotte d’Aglaure
sur l’Acropole. Statue de Minerve dépouillée une fois l’an de ses
vêtements. Probable que toutes les statues ainsi habillées. Le nu
grec est de notre invention[32].
*
À Athènes
il y avait un temple consacré à la vieillesse. On y conduisait
les enfants.
Cresus et
Kallirhoe (pièce)[60].
Sacrifie sacrifiée.
Se frappe sur cette preuve d’amour.
*
Légende des
divinités camouflées en mendiants, incitaient à la charité.
Elle n’était pas naturelle.
[163]
*
À Sicyone,
Pr
*
La fille du potier
Dibutades qui aimait un jeune h
*
À
Corinthe, deux temples voisinent : celui de la violence et celui de la nécessité.
*
Dimétos
eut un amour coupable pour sa nièce qui se pendit. Sur le sable fin de
la plage, les petites vagues apportèrent un jour une merveilleuse jeune
femme morte. Dimétos qui la vit t
[164]
*
À
Pallantion, dans l’Arcadie, l’autel aux « Dieux purs ».
Je veux bien
mourir pour elle, dit P. Mais qu’elle ne me demande pas de vivre.
*
Septembre 39. La guerre.
Les gens qui se
font opérer d’urgence par un médecin réputé d’Alger
parce qu’ils ont peur qu’il soit mobilisé.
Gaston : « L’essentiel
c’est qu’avant d’être mobilise j’aie le temps de tirer une
fève. »
Sur le quai de la
gare, une mère à un jeune réserviste (trente ans) : « Sois
prudent. »
Dans le tram :
« La Pologne, elle se laisse pas faire. »
« Le pacte “ anti-c
« Hitler, si
on lui donne le petit doigt, il faudra bientôt t
Au marché :
— Vous savez, samedi, c’est la réponse. [165]
— Quelle réponse ?
— La réponse
de Hitler.
— Et alors ?
— Alors on saura
si c’est la guerre.
— Si c’est pas
malheureux
À la gare,
des réservistes giflent les employés « Embusqués ! »
*
La guerre a éclaté[61]. Où
est la guerre ? En dehors des nouvelles qu’il faut croire et des affiches
qu’il faut lire, où trouver les signes de l’absurde événement ?
Elle n’est pas dans ce ciel bleu sur la mer bleue, dans ces crissements de
cigales, dans les cyprès des collines. Ce n’est pas ce jeune
bondissement de lumière dans les rues d’Alger.
On veut y croire.
On cherche son visage et elle se refuse à nous. Le monde seul est roi et
ses visages magnifiques.
Avoir vécu
dans la haine de cette bête, l’avoir devant soi et ne pas savoir la reconnaître.
Si peu de choses ont changé. Plus tard, sans doute, viendront la boue,
le sang et l’immense écœurement. Mais pour aujourd’hui on
éprouve que le [166] c
*
… Se souvenir des
premiers jours d’une guerre aussi probablement désastreuse, c
*
Il y a ceux qui
sont faits pour aimer et ceux qui sont faits pour vivre.
*
On exagère
toujours l’importance de la vie individuelle1.
Tant de gens ne savent qu’en faire qu’il n’est pas absolument immoral de les en
priver. D’autre part, tout prend une valeur nouvelle. Mais cela a
déjà été dit. L’absurdité essentielle de
cette catastrophe ne change rien a ce qu’elle est. Elle généralise
l’absurdité un peu plus essentielle de la vie. Elle la rend plus immédiate
et plus pertinente. Si cette guerre peut avoir un effet sur l’h
*
Un vent froid
entre par la fenêtre.
Maman : — Le
temps c
— Oui.
— Est-ce qu’on va
garder l’éclairage réduit pendant toute la guerre ?
— Oui,
probablement.
— C’est l’hiver
que ce sera triste.
— Oui.
*
Tous ont trahi,
ceux qui poussaient à la résistance et ceux qui parlaient de la
paix. Ils sont là, [168] aussi dociles et plus coupables que les autres.
Et jamais l’individu n’a été plus seul devant la machine à
fabriquer le mensonge. Il peut encore mépriser et lutter avec son mépris.
S’il n’a pas le droit de s’écarter et de mépriser, il garde celui
de juger. Rien ne peut sortir de l’humain, de la foule. La trahison était
de croire le contraire. On meurt seul. Tous vont mourir seuls. Que du moins l’h
Accepter l’épreuve
et tout ce qu’elle c
*
Être fait
pour créer, aimer et gagner des parties, c’est être fait pour
vivre dans la paix. Mais la guerre apprend à tout perdre et à devenir
ce qu’on n’était pas. Tout devient une question de style.
*
J’ai rêvé
que, victorieux, nous entrions dans R
*
[169]
Concilier l’œuvre
qui décrit et l’œuvre qui explique[34]. Donner son vrai sens à la
description. Lorsqu’elle est seule, elle est admirable mais n’emporte rien. Il
suffit alors de faire sentir que nos limites ont été posées
avec intention. Elles disparaissent ainsi et l’œuvre « retentit ».
*
« D’un côté,
dit le reformé appelé devant la c
*
L’autre réserviste
dont on a radiographié l’est
« Ils m’ont
fait boire au moins trois litres de chaux. Avant je chiais
noir, maintenant je chie
blanc. C’est la guerre. »
[170]
*
7 septembre.
On se demandait où
était la guerre — ce qui, en elle, était ignoble. Et on s’aperçoit
qu’on sait ou elle est, qu’on l’a en soi — qu’elle est, pour la plupart, cette
gêne, cette obligation de choisir qui les fait partir avec le remords de
n’avoir pas été assez courageux pour s’abstenir ou qui les fait s’abstenir
avec le regret de ne pas partager la mort des autres.
Elle est là,
vraiment là, et nous la cherchions dans le ciel bleu et dans l’indifférence
du monde. Elle est dans cette solitude affreuse du c
*
Cette haine et
cette violence qu’on sent déjà monter chez les êtres. Plus
rien de pur en eux. Plus rien d’inappréciable. Ils pensent ensemble. On
ne rencontre que des bêtes, des faces bestiales d’Européens. Ce
monde est écœurant et cette montée universelle de lâcheté,
cette dérision du courage, cette contrefaçon de la grandeur, ce dépérissement
de l’honneur.
*
[171]
Il est ahurissant
de voir la facilité avec laquelle s’écroule la dignité de
certains êtres. À la réflexion, cela est normal puisque la
dignité en question n’est maintenue chez eux que par d’incessants
efforts contre leur propre nature.
*
Il y a une fatalité
unique qui est la mort et en dehors de quoi il n’y a plus de fatalité.
Dans l’espace de temps qui va de la naissance à la mort, rien n’est fixé :
on peut tout changer et même arrêter la guerre et même maintenir
la paix, si on le veut assez, beaucoup et longtemps.
*
Règle :
chercher d’abord ce qu’il y a de valable dans chaque h
*
Cf. Groethuysen à
propos de Dilthey : « Ainsi, ayant reconnu le caractere fragmentaire
de notre existence et ce qu’il y a d’accidentel et de limité dans chaque
vie prise séparément, nous chercherons dans l’ensemble des vies
ce que nous ne saurions plus trouver en nous mêmes. »
[172]
*
S’il est vrai que
l’absurde est cons
*
Il est toujours
vain de vouloir se désolidariser, serait-ce de la bêtise et de la
cruauté des autres. On ne peut dire « Je l’ignore ». On collabore
ou on la c
Juger un
événement est impossible et immoral si c’est du dehors. C’est au
sein de cet absurde malheur qu’on conserve le droit de le mépriser.
La réaction
d’un individu n’a aucune importance en soi. Elle peut servir à quelque
chose mais [173] ne justifie rien. Vouloir, par le dilettantisme, planer et se
séparer de son milieu, c’est faire l’épreuve la plus
dérisoire des libertés. Voilà pourquoi il fallait que j’essaie
de servir. Et si l’on ne veut pas de moi, il faut aussi que j’accepte la
position du civil dédaigné. Dans les deux cas, mon jugement peut demeurer absolu et mon dégoût sans
réserves. Dans les deux cas, je suis au milieu de la guerre et j’ai le
droit d’en juger. D’en juger et d’agir.
*
Accepter. Et par
exemple, voir le bon dans le mauvais. Si l’on ne veut pas de moi pour c
*
Goethe (avec
Eckermann) : « Si j’avais voulu me laisser aller sans contraînte,
il ne tenait qu’à moi de me ruiner à fond avec tous ceux qui m’entourent… »
La première
chose est qu’on apprenne a se d
[174]
*
De Goethe : « Il
est tolerant sans indulgence. »
*
Un Pr
« Ce qui ne
me fait pas mourir me rend plus fort « (Nietzsche).
*
« La volonté
du système est un manqué de loyauté « (Crépuscule
des Idoles).
*
« L’artiste
tragique n’est pas un pessimiste. Il dit oui à tout ce qui est problématique
et terrible « (Crépuscule des Idoles).
*
Qu’est-ce que la
guerre ? Rien. Il est profondément indifférent d’être civil
ou militaire, de là faire ou de la c
L’h
« G.
concevait un h
*
Surmonter ceci
encore ? Il le faudra. Mais cet effort incessant ne va pas sans tristesse.
Cela du moins n’aurait-il pu nous être évite ? Mais cette
lassitude aussi doit être surmontée. Il n’en sera[35] rien perdu. Un soir ou l’on approche de
la glace, un pli un peu plus profond creuse les lèvres. Qu’est donc ceci ?
C’est ce dont je fis mon bonheur surmonte.
Cette histoire de
Jarry à l’agonie et à qui on demandait ce qu’il voulait. « Un
cure-dent. » Il l’eut, le prit à la bouche et mourut satisfait. Ô
misère, on en rit et personne ne voit la terrible leçon. Pas plus
qu’un cure-dent, rien d’autre [176] qu’un cure-dent, autant qu’un cure-dent —
voilà toute la valeur de cette vie exaltante.
*
« Mais ce
petit est très malade, dit le lieutenant. Nous ne pouvons pas le
prendre. » J’ai 26 ans, une vie, et je sais ce que je veux.
*
Paulhan qui s’émerveille
dans la N.R.F., après tant d’autres, que la guerre de 1939 n’ait pas débute
dans l’atmosphère de 14. Naïfs qui croyaient que l’horreur à
toujours le même visage, naïfs qui ne peuvent se détacher du matériel
d’images sur quoi ils ont vécu.
*
Le printemps à
Paris : une pr
*
[177]
Novembre 39
Avec quoi on fait
la guerre :
1) avec ce que
tout le monde connaît
2) avec le désespoir
de ceux qui ne veulent pas là faire
3) avec l’amour-propre
de ceux que rien ne force à partir et qui partent pour ne pas être
seuls
4) avec la faim
de ceux qui s’engagent parce qu’ils n’ont plus de situation
5) avec beaucoup
de sentiments nobles tels que
a) la solidarité dans la souffrance
b) le Mépris qui ne veut pas s’exprimer
c) l’absence de haine.
Tout cela est
bassement utilisé et tout cela conduit à la mort.
*
Mort de Louis
XVI. Il demande à l’h
*
Dans les musées
italiens, les petits écrans peints [178] que le prêtre tenait
devant le visage des condamnes pour qu’ils ne voient pas l’échafaud.
Le saut
existentiel, c’est le petit écran.
*
Lettre à
un désespéré.
Vous m’écrivez
que cette guerre vous accable, que vous consentiriez à mourir mais que
vous ne pouvez supporter cette universelle sottise, cette lâcheté sanguinaire
et cette naïveté criminelle qui croit encore que le sang peut résoudre
des problèmes humains.
Je vous lis et je
vous c
Je vous c
Vous dites :
« Et d’ailleurs, que faire ? Et que puis-je faire ? » Mais
la question ne se pose pas d’abord c
Et, tout bien considéré,
ceux qui firent la guerre en 1914 avaient plus de raisons de désespérer
puisqu’ils c
Mais d’abord il
faut vous demander si vous avez bien fait ce qu’il fallait pour empêcher
cette guerre. Si oui, cette guerre pourrait vous paraître fatale et vous
pourriez juger qu’il n’y a plus rien à faire. Mais je suis sur que vous
n’avez pas fait tout ce qu’il fallait, pas plus qu’aucun de nous. Vous n’avez
pas pu empêcher ? Non, cela est faux. Cette guerre, vous le savez, n’était
pas fatale. Il suffisait que le traité de Versailles fut révise a
temps. Il ne l’a pas été. voilà toute l’histoire et vous
voyez qu’elle pourrait être autre. Mais ce traite, ou telle autre cause,
il peut encore être révise. Cette parole de Hitler, on peut encore
faire que sa loyauté soit inutile. Ces injustices qui ont appelé
d’autres injustices, on peut encore les refuser et demander que leurs répliques
le soient aussi. Il y a encore une tache utile à acc
Vous avez quelque
chose à faire, n’en doutez pas : Chaque h
*
Un mot cité
par Green dans son journal :
« Il ne faut
pas craindre la mort, c’est lui faire trop d’honneur. »
*
Green et son
journal.
Note beaucoup de rêves.
Les rêves racontes m’ennuient toujours.
*
La mort de Le
Poittevin, l’ami de Flaubert.
« Fermez la fenêtre !
C’est trop beau. »
*
Cathédrale
de Bordeaux. Dans un coin :
« Grand
saint Paul, faites que je sois dans les dix premières. »
« Grand
saint Paul, faites qu’il vienne au rendez-vous. »
*
C’est Montherlant
qui cite en exergue de Service inutile un admirable mot de [183] Mgr
Darbout : « Votre erreur est de croire que l’h
*
Toujours frappe
par l’aspect « rigolard » que prend en Algérie ce qui touche
à la mort. Rien ne me paraît plus légitime. On ne saurait trop
insister sur le caractère ridicule d’un événement qui
surgit en général parmi les gargouillis et la sueur. De même
on ne saurait trop dégrader l’apparence sacrée qu’on lui prête.
Rien n’est plus méprisable que le respect fonde sur la crainte. Et, à
ce c
*
Lawrence : « Le
tragique devrait être c
Id.[36] « Il ne faut pas faire la Révolution
pour donner le pouvoir à une classe mais pour donner une chance à la
vie. »
[184]
*
M. « Les h
… « avec
elle seule (May) j’ai en c
*
Personnages
absurdes.
Caligula. Le
glaive et le poignard.
« Je crois qu’on
ne m’a pas bien c
Mais pourquoi le
soleil un jour ne se lèverait-il pas a l’ouest ?
[185]
*
Id. (Ptolémée). Je l’ai fait tuer parce qu’il n’y avait pas de raison qu’il produisît un plus beau manteau que le mien. Absolument, il
n'y avait pas de raison. Naturellement, il n’y avait pas de raison non plus pour que mon manteau fût le
plus beau. Mais lui n’en
était pas conscient et, puisque j’étais le seul à voir
clair, il est normal que je sois avantagé.
*
Don Quichotte et La Pallice.
La Pallice. —
Un quart d’heure avant ma
mort, j’étais encore
en vie. Ceci a suffi à ma gloire, Mais cette, gloire est usurpée[37].
Ma vraie philosophie est qu’un
quart d’heure après ma
mort, je ne serai plus en vie.
Don Quichotte. — Oui,
j’ai c
*
Vedas. Ce que l’h
[186]
*
Gisèle et la guerre. « Non, je ne lis pas les journaux. Ce qui m’intéresse, c’est le temps qu’il fait. je vais camper dimanche. »
*
« Savez-vous,
Fontanes, ce que j’admire le plus au monde ? C’est l’impuissance de la
force à garder quelque chose. Il n’y a que deux puissances au monde :
le sabre et l’esprit. À la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit. » Napoléon[63][38]
*
Louis XIV. — «
Mon enfant, vous allez être un grand roi ; ne m’imitez pas dans le goût que j’ai eu pour la guerre. Tachez de
soulager vos peuples…
ce que je suis assez malheureux pour n’avoir pu faire. »
*
Oran[39].
Le Tlélat[64] c
Pour aller à Oran, on voyage de jour ou on voyage de
nuit[41].
De jour, je ne sais pas. Mais de nuit, je sais qu’on arrive au petit matin à
Sainte-Barbe-du-Tlélat, après avoir passé les eucalyptus
frissonnants de Perregaux à cette heure qui n’est pas le jour mais qui n’est plus la nuit. Au Tlélat, c’est la petite gare aux volets
verts, à la grosse horloge...
… Maintenant, le
Tlelat quand il pleut…
…Sainte Barbe du
Tlélat, vous qui êtes indifférence, équivalence et
disponibilité, gardez-nous des choix trop précipités et
laissez-nous cette liberté sans partage qui a n
*
Oran[65]. Ville
extravagante où les boutiques de chaussures expo-sent d’affreux modèles en plâtre de
pieds torturés, où les farces-attrapes voisinent dans les
devantures avec des porte-billets tricolores, où l’on peut encore trouver d’extraordinaires cafés, au c
[189]
Mais au-dessous, pour que nul n’en ignore, les patrons ont mis un
écriteau : « Vierge
en bois par Maya. » Les
boutiques de photographes exposent d’étonnants visages, depuis le marin oranais qui s’appuie du coude sur une console
jusqu’à la jeune fille
à marier curieusement fagotée devant un fond sylvestre, en
passant par l’authentique
produit d’Oran, le beau jeune
h
Ville sans égale et facile avec son
défilé de jeunes filles imparfaites et émouvantes, visage
sans fard, incapable d’apprêter
l’émotion, simulant si
mal la coquetterie que la ruse est tout de suite éventée.
Café d’Apollon,
chez Milo, petits, bars, trams en forme de nacelles, pastels du XVIe
s’appuyant sur un bourricot mécanique en peluche, eau de Provence pour
faire les olives vertes, bouquets patriotiques des fleuristes, Oran, Chicago de
notre absurde Europe !
Santa Cruz
ciselée dans le roc, les montagnes, la mer plate, le vent violent et le
soleil, les grandes grues et les rampes gigantesques qui gravissent le
rocher de la ville, les trams, les ponts et les hangars — on sent bien pourtant qu’il y a là une grandeur.
*
J »ai
souvent entendu des Oranais se plaindre [190] de leur ville. « Il n »y a pas de milieu intéressant ! » Eh, parbleu, vous ne le voudriez pas. Une certaine grandeur
ne prête pas à l’élévation.
Elle est inféconde par état. Elle maintient l’h
*
Oran. Canastel et
la mer immobile au pied des falaises rouges. Deux caps s
*
La baie de Mers-el-Kébir et le chemin sous les
amandiers en fleurs ; le
dessin parfait de la baie — son
étendue moyenne — l’eau c
*
[191]
Novembre.
Devant Borgia,
élu pape, on allume trois fois un feu d’etoupes pour rappeler à
ce maître du monde que la gloire du monde est chose qui passe.
Il rendait la justice d’une façon « admirable » (Burchard).
*
Ferdinand de Naples embaumant les cadavres suppliciés
de ses en-nemis pour « en
orner ses appartements ».
Alexandre et Lucrèce Borgia qui protégeaient
les juifs en toute occasion. Alexandre partage le monde entre Espagnols et
Portugais en traçant une ligne droite des Açores au pôle austral.
Le monde ne vaut pas plus que ça.
*
Selon Burchard[66]
Après le
meurtre du duc de Gandie, son fils.
Alexandre VI
était resté dans la stupeur d’une [192] peine farouche. Les yeux
fixes, il avait contemplé la dépouille inerte et sanglante — puis
s’était enfermé dans sa chambre où on l’entendit
sangloter.
César Borgia. Robuste, avait des « accidents de santé », abcès qui le
tenaient au lit, « des
pressentiments funèbres se mêlaient à cette jeune gloire ». Coupait alors son travail
de plaisirs violents. Dormait le jour — travaillait la nuit —
« Aut Caesar aut nihil ».
*
29 novembre.
R
Il est expliqué tout entier par ses habitudes. Son
habitude la plus mortelle : rester couché. C’est plus fort que lui. Et ce qu’il veut devenir, ce dont il
rêve, ce qu’il admire
est le contraire. Il veut une œuvre qui soit née du contraire de l’habitude — les résolutions qu’il prend.
*
29 novembre.
L’exaltation
du divers, de la quantité, en [193] particulier de la vie des sens et de
l’abandon aux mouvements
profonds n’est
légitime que si l’on
fait la preuve de son désintéressement à l’égard de l’objet.
Il y a aussi le saut dans la matière — et bien des h
D’où
nécessité absolue d’avoir
fait l’épreuve, par
exemple, de la chasteté, de s’être traité rigoureusement. Avant toute entreprise
théorique, visant à la glorification de l’immédiat, s’impose un mois d’ascèse dans tous les sens.
Chasteté sexuelle.
Chasteté dans la pensée — interdire aux désirs de s’égarer, à la
pensée de se disperser.
Un seul sujet —
constant — de
méditation — refuser
le reste.
Un travail à heure fixe, continu, sans
défaillances, etc., etc. (ascèse morale aussi).
Une seule défaillance et tout coule : pratique et théorie.
*
À Ferrare, le palais de Schifanoia, construit par
Albert d’Este pour « esquiver l’ennui ».
Les Este.
Hippolyte qui fait arracher les yeux à son
frère Jules parce que la femme qu’il aimait a dit « préférer
les yeux de Jules au corps d’Hippolyte ».
[194]
Jules et Fernand qui veulent assassiner Hippolyte et
Alphonse d’Este.
Découverts, condamnés, graciés sadiquement sur l’échafaud[42].
Mais 35 ans de cachot pour Fernand qui y mourut, 54 pour Jules qui en sortit
fou[43].
Alphonse d’Este
qui fait couler une statue de Jules II par Michel-Ange et en fait un canon.
Cf. Gonzague Truc. « Ils ne construisaient que pour eux et,
faute de s’effacer devant l’œuvre, de la ranger avec
humilité dans le sens de l’œuvre
mystérieuse du monde ( ?),
de la nourrir des valeurs éter-nelles ( ?), ils la condamnaient à disparaître
aussitôt que née. D’eux-mêmes
il ne subsistait que des n
*
Bibliographie
Borgia.
Louis de
Villefosse (Machiavel et nous, 1937).
Rafaël Sabatini
(Cesar Borgia, 37).
Fred Bérence (Lucrèce Borgia, 37).
Gab. Brunet (Ombres
vivantes, 36).
L. Collison-Morley
(Histoire des Borgia).
Charles Benoist (Machiavel).
Le Journal
de Jean Burchard (ed. Turmel, 1933), etc., etc.
*
1940
Les soirs sur la
terrasse des Deux Merveilles.
[195]
La palpitation de la mer qu’on devine au creux de la nuit. Le frémis-sement des oliviers
et l’odeur de fumée
qui monte de la terre.
Les rochers dans la mer couverts de mouettes blanches. Leur
masse grise éclairée par la blancheur des ailes, c
*
R
Cette histoire c
— Terminée
à Paris avec le froid ou le ciel gris, les pigeons parmi les pierres
noires du Palais-Royal, la cité et ses lumières, les baisers
rapi-des, la tendresse énervante et inquiète, le désir et
la sagesse qui mon-te dans un cœur d’h
Id. Cette autre histoire c
[196]
— poursuivie
sur les collines d’Alger ou
devant le port mystérieux et large.
— Casbah
misérable et magnifique, cimetière d’El Kettar déversant
toutes ses t
Cela ne c
Cet autre m
*
Les premiers amandiers en fleurs sur la route, devant la
mer. Une nuit a suffi pour qu'ils se couvrent de cette neige fragile dont on
ima-gine [197] mal qu'elle puisse résister au froid et à cette
pluie qui trempe tous les pétales[67].
*
Dans le
trolleybus.
La vieille dame
qui a une figure de maquerelle mais qui porte une croix entre des seins absents :
« Les
femmes honnêtes, ça sait garder son rang. Ce n’est pas c
*
Février.
Oran. De très loin, a partir de Valmy, dans le train,
la montagne de Santa-Cruz, avec son encoche profonde en pleine terre et la
cathédrale elle-même c
Au coin du boulevard Gallieni, il faut se faire cirer les
souliers à dix heures du matin. Un vent [198] frais, le soleil clair,
des h
*
La maison du colon qui exprime à la fois une
métaphysique, une morale et une esthétique. Pièce
montée terminée par un pschent égyptien. Curieuse
mosaïque, on ne sait pourquoi de style byzantin où de charmantes
infirmières à sandales portent des couffins de raisins et
où tout un cortège d’esclaves
vêtus à l’antique
se presse vers un gracieux colon à casque colonial et à nœud
papillon.
*
La rue d’Austerlitz
et ses juifs centenaires. Chaque action : une petite scène de théâtre.
*
[199]
Les tailleurs c
*
Du haut de la route en corniche, l’épaisseur des falaises est telle,
que ce paysage devient irréel à force d’être précieux. L’h
*
Petite place de la Perle, ou jouent des enfants à
deux heures. Mosquée, minarets, bancs, un peu de ciel. La radio
espagnole dont la voix grelotte. Ce que j’aime ici, c’est
une heure qui n’est pas
celle-ci mais que je devine, où le ciel d’été vidé de sa chaleur, la petite place s’adoucit dans le soir, les
militaires et les femmes y tournent en rond tandis que l’odeur d’anisette attire les h
*
R
[200]
*
« Ô
mon âme, n’aspire pas
à la vie immortelle mais épuise le champ du possible » (Pindare — 3° Pythique)[69].
*
Personnages.
Le vieux et son
chien. Huit ans de haine[70].
L’autre et
son tic de langage « C’était
charmant, je dirai plus, agréable. »
« Un
bruit assourdissant, je dirai plus, éclatant. »
« C’est
éternel, je dirai plus :
humain. » A. T. R.[45]
*
Une matinée dans le soleil et les corps nus. Douche,
puis chaleur et lumière.
*
Février.
Ce visage florentin qui dit son amour et son passé
douloureux. Quelle est la part du jeu ?
[201]
Quelle est aussi la part de l’émotion, si grande, si bouleversante à certaines
secondes, si ténue à d’autres ?
M. — c
« Ce n’est pas un amour qu’elle
représente, mais une chance de vie — tout ce qui n’est pas l’exil, tout
ce qui est le consentement à la vie. Et jamais chance de vie n’a eu
visage si émouvant. Qui peut être sûr d’aimer ? Mais
tout le monde sait reconnaître l’émotion. Cette chanson, ce
visage, cette voix profonde et souple, cette vie ingénieuse et libre, c’est
tout ce que j’attends et espère. Et si j’y renonce, ils demeurent
néanmoins c
*
Mars.
Que signifie ce réveil soudain — dans cette chambre obscure — avec les bruits d’une ville tout d’un coup étrangère ? Et tout m’est étranger, tout, sans un
être à moi, sans un lieu où refermer cette plaie. Que
fais-je ici, à quoi riment ces gestes, ces sourires ? Je ne suis pas d’ici — pas d’ailleurs
non plus. Et le monde n’est
plus qu’un paysage inconnu
où mon cœur ne trouve plus [202] d’appuis. Étranger, qui peut savoir ce que ce mot veut dire.
*
Étranger,
avouer que tout m’est Étranger.
Maintenant que
tout est net, attendre et ne rien épargner. Travailler du moins de
manière à parfaire à la fois le silence et la
création. Tout le reste, tout le reste, quoi qu’il advienne, est
indiffèrent.
*
Soir : Événements. Personnages.
Réactions personnelles.
Trouville. Un plateau plein d’asphodèles devant la mer. De petites villas à
barrières vertes ou blanches, à véranda, quelquesunes
enfouies sous les tamaris, quelques autres nues au milieu des pierres. La mer
gronde un peu, en bas. Mais le soleil, le vent léger, la blancheur des
asphodèles, le bleu déjà dur du ciel, tout laisse imaginer
l’été, sa
jeunesse dorée, ses filles et ses garçons bruns, les passions
naissantes, les longues heures au soleil et la douceur subite de ses soirs.
Quel autre sens trouver à nos jours que celui-ci et la leçon de
ce plateau : une
naissance et une mort, entre les deux la beauté et la mélancolie.
*
[203]
R. C. Un de ces types dont on se dit qu’ils
doivent se cacher pour aller aux w.-c. Et puis non, ils s’en sont fait une
théorie et c’est la grandeur de l’h
*
De plus en plus, devant le monde des h
*
L’h
Un chien dans la villa. S. l’accueille malgré sa mère. Le chien vole deux
anchois. La mère le poursuit et le chien s’enfuit, épouvanté, pen-dant
que S. dit : « Reste,
reste. Ne t’affole pas. »
Après : S.
— Ce pauvre chien, il croyait déjà au paradis.
La mère : — Moi aussi, j’ai cru à des
paradis et je ne les ai jamais vus de ma vie.
S. — Oui, mais
lui était déjà entré.
*
Descente vers la mer au-dessus de Mers-el-Kébir. La
ligne des collines et des falaises qui entourent la baie. Cœur
fermé.
*
Marseille. La foire : « La vie ? Le
Néant ? Illusions ? Mais la vérité quand
même. » Grosse caisse. Boum, boum, entrez dans le Néant.
*
[205]
À l’aube
des temps modernes :
Tout est cons
*
Paris. Mars 1940.
Ce qu’il y
a de haïssable à Paris : la tendresse, le sentiment, la
hideuse sentimentalité qui voit joli ce qui est beau et trouve beau le
joli. La tendresse et le désespoir de ces ciels brouillés, des
toits luisants, de cette pluie interminable.
Ce qu’il y
a d’exaltant : la terrible solitude. C
[206]
Mais d’un
autre côté, l’âme n’a jamais raison et ici moins qu’ailleurs. Car les plus splendides visages qu’elle ait donnés à cette religion
si soucieuse d’âme sont
taillés dans la pierre à l’image de la chair. Et ce dieu, s’il vous touche, c’est
par son visage d’h
Le christianisme à cet égard l’a c
D’où
vient que savoir rester seul à Paris un an dans une chambre pauvre
apprend plus à l’h
*
Eisenstein et les Fêtes de la Mort au Mexique[71].
Les masques macabres pour amuser les enfants, les têtes de mort en sucre
qu’ils grignotent avec
délices. Les enfants rient avec la mort, ils la trouvent gaie, ils la
trouvent douce et sucrée. Aussi des « petits morts ».
Tout finit à « Notre
amie la Mort ».
*
Paris.
La femme de l’étage
au-dessus s’est
suicidée en se jetant dans la cour de l’hôtel. Elle avait 31 ans, dit un locataire, c’est assez pour vivre et, si elle a
vécu un peu, elle pouvait mourir. Dans l’hôtel, toute l’
*
[208]
Paris. Les arbres
noirs dans le ciel gris et les pigeons couleur de ciel. Les statues dans l’herbe et cette
elegance mélancolique…
L’envol
des pigeons c
*
Paris. Les petits cafés à 5 heures du matin —
la buée sur les vitres — le café bouillant — le public des Halles
et des convoyeurs — le petit verre matinal et le beaujolais.
La Chapelle.
Brumes — voies aériennes et lampadaires.
*
Léger.
Cette intelligence — cette peinture métaphysique qui repense la
matière. Curieux : dès qu’on repense la matière, la
seule chose permanente est justement celle qui faisait l’apparence :
la couleur.
*
Le type dans une brasserie qui entend une dame
téléphoner et appeler son numéro et son n
*
Sans
lendemain.
« Les œuvres dont parle ici J. M. ont
été brûlées. Mais on entend bien qu’il eût pu tout autant les publier et
qu’il n’y aurait eu là qu’indifférence ou contradiction, ce
qui revient au même. » S. L.[47]
*
Pour donner la ponctuation et la respiration, l’écrire tout au long de ma
vie. « Aujourd’hui, j’ai 27 ans », etc.
*
Faire systeme de
notes par c
*
Le petit soldat
espagnol au restaurant. Pas un mot de français et ce désir de
chaleur humaine quand il s’adresse à moi[48]. Paysan d’Estrémadure, c
[210]
Il est venu à Paris qui l’a broyé en quelques heures. Sans un
mot de français, s’égarant
dans le métro, étranger, étranger à tout ce qui n’est pas sa terre, sa joie sera de
retrouver ses amis du régiment. Et même s’il doit crever sous un ciel bas et des
boues grasses, ce sera du moins côte à côte avec des h
*
Avril.
À La Haye. L’h
*
R
L’h
*
[211]
Dans le métro, le petit militaire. Une quarantaine d’années. Veut obtenir un
rendez-vous d’une fille assez
jeune. « Je pourrais
peut-être aller vous voir si je passais par là un de ces jours. — Non, mon frère me
disputerait. — Ah oui,
évidemment, c’est trop
naturel, vous avez raison. Mais est-ce que je puis vous écrire ? — Non, j’aimerais mieux vous donner un rendez-vous. » Il est débordé par
cet acquiescement direct qu’il
essayait d’obtenir par des
voies détournées. « Ah
bien, c’est ça, c’est ça. Oui, vous avez
raison, tout à fait raison, c’est préférable. Eh bien, voyons. Demain, c’est lundi. Oui, c’est lundi. Voyons, vers quelle heure ? Je cherche, vous savez,
parce que dans ce métier... Voyons, oui, c’est lundi demain. Eh bien, à cinq
heures ?
Elle (toujours
directe). — Vous ne pouvez pas après dîner ?
Lui (toujours
dépassé). — Mais oui, mais oui, vous avez encore raison.
Elle. — A huit
heures.
Lui. —
Oui, oui, à huit heures. À la Terrasse, voulez-vous ?
Elle. — Oui.
Il se tait. Mais
tout d’un coup on le sent pris d’une panique qu’il ne veut pas avouer. Il a
besoin de prendre ses précautions contre la perte possible d’une
aventure devenue si facile et si [212] précieuse. « Et s’il y avait
un empêchement, je pourrais vous écrire ? — Non, j’aime mieux
pas. — Eh bien, nous pouvons convenir d’un autre rendez-vous, dans le
cas ou il y aurait un empêchement. — Oui, jeudi à 8 heures au même endroit. » Il est content, mais il a peur tout
d’un coup que ce nouveau
rendez-vous fasse sous-évaluer celui de demain. — « Mais de-main, n’est-ce
pas, à 8 heures, sans faute ?
Ce n’est qu’en cas d’accident. — Oui », dit l’autre. Elle descend à la Concorde
et lui à Saint-Lazare.
*
Peintre qui va à Port-Cros pour peindre. Et tout est
si beau qu’il acheté
une maison, range ses tableaux et n’y
touche plus.
*
Sentir à
Paris-soir[72]
tout le cœur de Paris et son abject esprit de midinette. La mansarde de
Mimi est devenue gratte-ciel mais le cœur est resté le même.
Il est pourri. La sentimentalité, le pittoresque, la c
*
[213]
Vous n’écririez
pas tant sur la solitude si vous saviez en tirer le maximum.
*
« Je
suis, dit-il, un olfactif. Et il n’y
a pas d’art qui s’adresse à ce sens. Il n’y a que la vie. »
*
Nouvelle. Prêtre heureux de son sort dans une campagne
provençale. Par accident, assiste un condamné à mort dans
ses derniers m
*
Avril.
Préface Terracini. — … Ce goût d’exil, beaucoup parmi nous en sentent aussi
la nostalgie. Ces terres d’Italie
et d’Espagne ont formé
tant d’âmes
européennes qu’elles
appartiennent un peu à l’Europe,
à cette Europe des esprits qui prévaudra sur toutes celles qu’on forgera par les armes.
Là est peut-être la signification de ces pages. Mais cette
actualité était valable déjà il y a [214] 200 ans.
Elle lest encore. Et il ne faut point désespérer que sa jeunesse
sera toujours vivante le jour où des fleurs finiront par renaître
sur les ruines.
*
II° série. Pour Don Juan. Voir Larousse : les moines franciscains le
tuèrent et le firent passer pour foudroyé par le C
Avant-dernier acte : provocations du C
*
II° série.
Pour Don Juan.
(Le père et Don Juan entrent dans le vestibule de Don
Juan et ce-lui-ci racc
Début I.
Le père franciscain.
— Vous ne croyez donc à rien, Don Juan ?
Don Juan. — Si,
mon père, à trois choses.
Le père. —
Peut-on savoir lesquelles ?
Don Juan. — Je
crois au courage, à l’intelligence et aux femmes.
[215]
Le père. —
Il faudra donc désespérer de vous.
Don Juan. —
Oui, s’il faut plaindre un h
Le père (sur
la porte). — Je prierai pour vous, Don Juan.
Don Juan. —
Je vous en remercie, mon père. Je veux voir là une forme de
courage.
Le Père (doucement). — Non, Don Juan, il s’agit
seulement de deux sentiments que vous vous obstinez à
méconnaître :
la charité et l’amour.
Don Juan. —
Je ne connais que la tendresse et la générosité qui sont
les formes viriles de ces vertus femelles. Mais adieu, mon père.
Le père. —
Adieu, Don Juan.
*
Mai.
L’Étranger
est termine.
*
L’admirable
Misanthrope, avec ses contrastes grossiers et ses caractères types.
Alceste et
Philinte
Célimène et Éliante
La monotonie d’Alceste
— l’absurde conséquence d’un caractère poussé vers sa
fin — qui fait tout le sujet.
Et le vers, « le mauvais
vers », à peine
scandé c
[216]
*
Exode.
Clermont. L’asile
des fous et son étrange horloge. Les petits matins sales à 5
heures. Les aveugles — le fou
de l’immeuble qui hurle toute
la journée — cette
terre à petite échelle. Tout le corps tourné vers deux
pôles, la mer ou Paris. C’est
à Clermont qu’on peut
connaître Paris.
*
Septembre.
Fini Ire
partie Absurde[75].
L’h
*
Petit h
*
Octobre 1940. Lyon.
Saint Th
*
Le dernier Carrara, prisonnier dans Padoue vidée par
la peste, assiégée par les Vénitiens, parcourait toutes
les salles de son palais en hurlant :
il appelait le diable et lui demandait la mort.
À Sienne sans doute, un condottiere sauve la ville.
Il demande tout. Raisonnement du public : « Rien
ne le réc
Jean-Paul Baglione, dont Machiavel dit qu’il manqua l’occasion de se rendre immortel en manquant celle d’assassiner le pape Jules II.
Burchard :
« La
scélératesse, l’impiété,
le talent militaire et la culture intellectuelle se trouvaient réunis
chez J. Malatesta (mort en 1417).
Philippe Marie Visconti, condottiere de Milan, ne voulait
jamais entendre parler de la mort et demandait qu’on fît disparaître de sa vue
ses favoris mourants. Et pourtant Burchard : « Il
mourut avec nobles-se et dignité. »
Au t
*
Nouvelle : Le Rhône, la Saône, les suivre
pendant leur cours, l’un
bondit, l’autre hésite
et finit par le rejoindre et se perdre dans son élan. Deux êtres
les descendent :
parallèles.
*
Nouvelle :
histoire Y.
*
Ternay. Petit village désert et froid qui surpl
*
La vieille
église avec une copie de Boucher. La chaisière : elle a eu si peur lorsque les b
Au dehors, le même ciel et le même froid. Les
labours sont tièdes et le fleuve en bas coule, étalé et
luisant, avec un frémissement de temps en temps. Un peu plus loin, la
salle d’attente d’une petite gare à Serresin.
Éclairage de guerre —
*
Décembre.
(Egypte)
Les Grecs —
Les Etrusques — R
[220]
— Saint
Empire R
Inde, Chine,
Japon
Mexique — Etats-Unis.
Les styles —
de la colonne dorique à l’arche
de ciment par le gothique et le baroque.
Histoire
Philosophie Art Religion
P. S. M.
*
Décembre.
Les Grecs.
Histoire — Littérature — Art Philosophie.
*
Consciemment ou non, les femmes utilisent toujours ce
sentiment de l’honneur et de
la parole donnée qui est si vif chez l’h
*
Les fils de Caïn — au naturel. Le père[52]
spectateur du meurtre d’Abel
et qui n'empêche rien. Mais Caïn grandit en souffrance et en force.
Le père offre le pardon que Caïn refuse : « Je ne veux plus regarder ta face. »
(Ou bien
poème — id. Juda.)
*
[221]
Oran. janvier 41.
Histoire de P. Le petit vieux qui lance du premier
étage des bouts de papier pour attirer les chats. Puis il crache dessus.
Quand l’un des chats est
atteint, le vieux rit[77].
*
Il n’y a
pas un lieu que les Oranais n’aient
souillé par quelque hideuse construction qui devrait écraser n’importe quel paysage. Une ville
qui tourne le dos à la mer et se construit en tournant autour d’elle-même à la
façon des escargots. On erre dans ce labyrinthe, cherchant la mer c
Mais tout cela en vain : l’une des
terres les plus fortes du monde fait éclater le décor
malencontreux dont on la couvre et fait entendre ses cris violents entre chaque
maison et au-dessus de tous les toits. Et la vie qu’on peut mener à Oran par-dessus l’ennui est à l’égal de cette terre. Oran [222]
fait la preuve qu’il y a dans
les h
On ne peut pas savoir ce qu’est la pierre si l’on
n’est pas venu à Oran.
Dans l’une des villes les
plus poussiéreuses du monde, le caillou et la pierre sont rois. Ailleurs
les cimetières arabes ont la douceur que tout le monde sait. Ici,
au-dessus du ravin Raz el Aïn, face à la mer, ce sont, plaques
contre le ciel bleu, des champs de pierres crayeuses et friables dont la
blancheur aveugle. Au milieu de ces ossements de la terre, un géranium
rouge de temps en temps c
*
On écrit des livres sur Florence et Athènes.
Ces villes ont formé tant d’esprits
européens qu’il faut
bien qu’elles aient un sens.
Elles ont de quoi attendrir ou exalter. Elles apaisent une certaine faim de l’âme dont l’aliment est le souvenir. Mais personne n’aurait l’idée d’écrire sur une ville où rien
ne sollicite l’esprit,
où la laideur a pris une part sans mesure, où le passé est
réduit à rien. Et pourtant cela parfois est bien tentant.
Qu’est-ce
qui fait qu’on s’attache et s’intéresse à ce qui n’a rien à offrir ? Ce vide, cette laideur, cet
ennui sous un ciel implacable et magnifique, quelles sont leurs
séductions ? Je
peux répondre : la
créatu-re. Pour une certaine race d’h
Café. Langoustines, brochettes, escargots dont la
sauce emporte la bouche. On la calme ensuite avec un muscat doux et écœurant.
Cela ne s’invente pas.
À côté un aveugle chante « flamenco ».
*
Les collines au-dessus de Mers-el-Kébir c
*
Servitude et Grandeur militaires. Admirable livre qu’il faut relire à
l’âge d’h
« Montecuculli
qui, Turenne étant tué, se retira, ne daignant plus engager la
partie contre un joueur ordinaire. »
L’honneur,
« c’est une vertu toute humaine que l’on peut croire née de la
mort, sans palme céleste après la mort ; c’est la vertu de la vie ».
*
Oran. Ravin de Noiseux : long cheminement entre deux
versants desséchés et poussiéreux. La terre craque sous le
soleil. Les lentisques sont couleur de pierre. Le ciel au-dessus déverse
régulièrement sa provision de chaleur et de feu. Peu à peu
les lentisques grossissent et verdissent. Un gonflement de la
végétation, d’abord
[224] inapprécia-ble, puis surprenant. Au bout d’une très longue route, les lentisques
peu à peu deviennent chênes, tout à la fois s’accroît et s’adoucit et, à un tournant brusque,
un champ d’amandiers en
fleurs : c
La route à flanc de coteau qui d
*
21 février 1941.
Terminé Sisyphe.
Les trois Absurdes sont acheves.
C
*
15 mars 1941.
Dans le train. —
Vous avez bien connu Camps ?
— Camps ? Un
grand maigre avec une moustache noire ?
— Oui, qui
était à l’aiguillage,
à Bel-Abbès.
— Oui,
bien sûr. Il est mort. Ah !
Et de quoi ? De la
caisse. Tiens, il n’avait pas
l’air.
[225]
— Oui,
mais il faisait de la musique, à l’orphéon. Toujours souffler dans la musique, ça l’a tué.
— Ça,
évidemment. Quand on est malade, il faut se soigner. Il ne faut pas
souffler dans un piston1.
*
La dame qui a l’air
de souffrir d’une
constipation de trois ans : « Ces
Arabes, ça masque leurs filles. Ah ! ils ne sont pas encore civilisés ! »
Peu à peu, elle nous révèle son
idéal de civilisation .
un mari à 1 200
francs par mois, un appartement de deux pièces, cuisine et dépendances,
le cinéma le dimanche et un intérieur Galeries Barbès pour
la semaine.
*
L’Absurde
et le Pouvoir — à
creuser (cf. Hitler).
*
18 mars 41.
Les hauteurs au-dessus d’Alger débordent de fleurs au printemps. L’odeur de miel des roses jaunes coule dans
les petites rues. D’énormes cyprès noirs laissent gicler à
leur s
*
Santa-Cruz et la montée à travers les pins. L’élargissement continu du
golfe jusqu’au s
*
19 mars.
Chaque année, la floraison des filles sur les plages.
Elles n’ont qu’une saison. L’année d’après, elles sont remplacées
par d’autres visages de
fleurs qui, la saison d’avant,
étaient encore des petites filles. Pour l’h
*
20 mars.
À propos d’Oran. Écrire une biographie insignifiante et absurde.
À propos de Caïn, l’insignifiant
inconnu qui a sculpté les insignifiants lions de la place d’Armes[53].
[227]
*
21 mars.
L’eau
glacée des bains de printemps. Les méduses mortes sur la plage : une gelée qui rentre
peu à peu dans le sable. Les immenses dunes de sable pâle — La mer et le sable, ces deux
déserts.
*
L’hebd
*
Renoncer à cette servitude qu’est l’attirance féminine.
*
Rosanov. « Michel-Ange,
Léonard ont construit. La révolution leur tirera la langue et les
égorgera à l’âge
de douze ou treize ans, lorsqu’ils
manifesteront leur personnalité, leur âme à eux. »
*
« Privé de ce qui est péché, l’h
Çakia-Mouni, de longues années, resta au
désert, immobile et les yeux au ciel. Les dieux eux-mêmes
enviaient cette sagesse et ce destin de pierre. Dans ses mains tendues et
raidies, les hirondelles avaient fait leur nid. Mais un jour elles s’envolèrent pour ne plus
revenir. Et celui qui avait
tué en lui désir et volonté, gloire et douleur, se mit
à pleurer. Les fleurs naissent ainsi des pierres[79].
*
They may torture, but shall not subdue me[54].
*
« L’abbé.
— Mais pourquoi ne point vivre, ne point agir avec les h
Manfred. — Leur existence répugne à mon
âme. »
*
Par quoi un cœur se gouverne-t-il ? Aimer ? rien n’est moins sûr. On peut savoir ce qu’est la souffrance d’amour, on ne sait pas ce qu’est [229] l’amour. Il est ici privation, regret, mains vides. Je n’aurai pas l’élan ; il me reste l’angoisse. Un enfer où tout
suppose le paradis. C’est un
enfer cependant. J’appelle
vie et amour ce qui me laisse vide. Départ, contrainte, rupture, ce cœur
sans lumière éparpillé en moi, le goût sale des
larmes et de l’amour.
*
Le vent, une des
rares choses propres du monde.
*
Avril. II° série.
Le monde de la tragédie et l’esprit de révolte — Budejovice (3 actes)[80].
Peste ou aventure
(r
*
La peste
libératrice.
Ville heureuse. On vit suivant des systèmes
différents. La peste : réduit tous les systèmes. Mais
ils meurent quand même. Deux fois inutile. Un philosophe y écrit
« une anthologie des actions insignifiantes ». Il tiendra, sous cet
angle, le journal de la peste. (Un autre journal mais sous [230] l’angle pathétique. Un
professeur de latin-grec[81].
Il c
Un jeune curé perd sa foi devant le pus noir qui s’échappe des plaies. Il
remporte ses huiles. « Si
j’en réchappe... » Mais il n’en réchappe pas. Il faut que tout
se paye[82].
On emporte les corps dans les tramways. Des rames
entières pleines de fleurs et de morts longent la mer. Du coup on
licencie des receveurs :
les voyageurs ne paient plus.
L’agence « Ransdoc — SVP » donne tous les renseignements au téléphone. « 200 victimes aujourd’hui, Monsieur. Nous vous
débitons 2 francs sur votre c
On ferme la ville. On meurt en vase clos et [231] dans l’entassement. Un monsieur pourtant
qui ne perd pas ses habitudes. Il continue à s’habiller pour le dîner. Un à
un, les membres de la famille disparaissent de la table. Lui meurt devant son
assiette, toujours habillé. C
Un h
À la fin, le personnage le plus insignifiant se
décide à parler :
« Dans un sens, dit-il,
c’est un fléau. »
*
En attendant :
plaquette sur Oran. Les Grecs.
*
Tout l’effort
de l’art occidental est de
proposer des types à l’imagination.
Et l’histoire de la
littérature européenne ne semble pas être autre chose [232]
qu’une suite de variations
sur ces types et ces thèmes donnés. L’amour racinien est une variation sur un
type d’amour qui n’a peut-être pas cours dans
la vie. C’est une
simplification : un
style. L’Occident ne retrace
pas sa vie quotidienne. Il se propose sans arrêt de grandes images qui l’enfièvrent. Il est à
leur poursuite. Il veut être Manfred ou Faust, Don Juan ou Narcisse. Mais
l’approximation reste
toujours vaine. C’est
toujours la fièvre d’unité
qui entraîne tout. En désespoir de cause, on a inventé le
héros de cinéma[55].
*
Les dunes devant la mer — la petite aube tiède et les
corps nus devant les premières vagues encore noires et amères. L’eau est lourde, à porter.
Le corps s’y retrempe et
court sur la plage dans les premiers rayons de soleil. Tous les matins d’été sur les plages
ont l’air d’être les premiers du monde. Tous les
soirs d’été
prennent un visage de solennelle fin du monde. Les soirs sur la mer
étaient sans mesure. Les journées de soleil sur les dunes
étaient écrasantes. À deux heures de l’après-midi, cent mètres de
marche sur le sable brûlant donnent l’ivresse. On va t
[233]
La nuit, la lune fait les dunes blanches. Un peu auparavant,
le soir accuse toutes les couleurs, les fonce et les rend plus violentes. La
mer est outremer, la route rouge, sang caillé, la plage jaune. Tout
disparaît avec le soleil vert, et les dunes ruissellent de lune. Nuits de
bonheur sans mesure sous une pluie d’étoiles. Ce qu’on
presse contre soi, est-ce un corps ou la nuit tiède ? Et cette nuit d’orage où les éclairs
couraient le long des dunes, pâlissaient, mettaient sur le sable et dans
les yeux des lueurs orange ou blanchâtres. Ce sont des noces
inoubliables. Pouvoir écrire :
j’ai été
heureux huit jours durant.
*
Il faut payer et se salir à l’abjecte souffrance humaine. Le sale,
répugnant et visqueux univers de la douleur.
*
« Une
plainte mêlée de sanglots règne seule sur la mer au large,
jusqu’à l’heure où la nuit au s
*
En 477, pour consacrer la confédération de
Délos, on jetait des blocs de fer au fond de la [234] mer. Le serment d’alliance devait être tenu
aussi longtemps que le fer resterait au fond de l’eau[56].
*
On n’a pas
assez senti en politique c
*
« C’est toujours un grand crime de
détruire la liberté d’un
peuple sous prétexte qu'il en fait un mauvais usage. » (Tocqueville.)
*
Le problème en art est un problème de
traduction. Les mauvais écrivains : ceux qui écrivent en tenant c
*
Manuscrits de guerre, de prisonniers, de c
*
« Voici
le m
*
« Je
veux l’empire, la possession.
L’action est tout, la gloire
n’est rien. » (Faust.)[57]
*
Pour l’h
*
La volonté
aussi est une solitude.
*
Liszt de Chopin :
« Il ne se servait plus
de l art que pour se
donner à lui-même sa propre tragédie. »
[236]
*
Septembre.
On règle tout : C’est
simple et évident. Mais la souffrance humaine intervient, qui change
tous les plans.
*
Vertige de se perdre et de tout nier, de ne ressembler
à rien, de briser à jamais ce qui nous définit, d’offrir au présent la
solitude et le néant, de retrouver la plateforme unique où les
destins à tout coup peuvent se rec
*
J. Copeau. « Aux
grandes époques, ne cherchez pas le poète dramatique dans son
cabinet. Il est sur le théâtre, au milieu de ses acteurs. Il est
acteur et metteur en scène. »
Nous ne s
*
Sur le théâtre
grec :
[237]
G. Meautis : Eschyle et la Trilogie
L’aristocratie athénienne.
Navarre : Le
théâtre grec.
*
Dans la pant
Chancerel insiste justement sur l importance du mime. Le corps dans le
théâtre :
tout le théâtre français contemporain (sauf Barrault) l’a oublié.
*
Constitution des Zibaldone[58]
dans la C
Molière, mourant, se fait porter au
théâtre, ne voulant pas priver du gain de la représentation
c
Le livre de Chancerel intéressant malgré un
défaut : risque
de décourager. Significatif de voir aussi un h
[238]
*
Opinion de Nicolas Clément, bibliothécaire de
Louis XIV, sur Shakespeare :
« Ce poète
anglais a l’imagination assez
belle, il s’exprime avec
finesse ; mais ces
belles qualités sont obscurcies par les ordures qu’il mêle à ses c
Ce grand siècle n’a été tel que par une mutilation de l’âme et de l’esprit dont Clément fait la preuve.
Pendant ce temps, le poète anglais écrivait magnifiquement de
Richard II :
« Parlons
de t
*
Les masques, divertissement de circonstance. Les danseurs
traçaient sur le plancher, par leurs pas, les initiales des nouveaux
mariés en l’honneur
desquels la fête était donnée.
*
« Oh ! no, there is not the end ; the end is death and
madness »[59]. (Kyd : La Tragédie
espagnole) et à trente ans Marlowe meurt d’un coup de poignard au front,
assassiné par un flic.
53 pièces manuscrites de la collection Warburton
(Philipp Massinger et Fletcher) brûlées par [239] un cordon bleu
qui en entourait ses pâtés. C’est la conclusion.
*
Cf. Georges Conne : Le
Mystère shakespearien (Boivin)
État présent des études shakespeariennes
(Didier).
*
Octobre.
Peste. Bonsels,
p. 144 et 222.
1342 — |
Peste noire sur l’Europe. On assassine les Juifs. |
1481 — |
Peste ravage le Sud de l’Espagne. L’inquisition dit : Les Juifs.
Mais la peste fait mourir un inquisiteur. |
*
Au II° siècle, discussions sur l’apparence personnelle de Jésus.
Saint Cyrille et saint Justin :
pour donner tout son sens à l’incarnation, il fallait qu’il eût un aspect abject et répugnant. (Saint Cyrille : « le plus affreux des fils des h
Mais l’esprit
grec : « S’il n’est pas
beau, il n’est pas Dieu. » Les Grecs ont vaincu.
[240]
*
Sur les Cathares :
Douais : Les
Hérétiques du Midi au XIII° siècle.
*
La hermosa Sembra. Dénonce son père qui c
*
C’est
Alexandre Borgia qui est le premier à contrer Torquemada. Trop averti et
trop « distingué » pour supporter cette fureur.
*
Voir Herder. Idées pour servir à une
philosophie de l’Histoire de l’Humanité.
*
Ceux qui ont créé en pleines périodes
de [241] troubles : Shakespeare, Milton, Ronsard, Rabelais, Montaigne, Malherbe[61].
*
En Allemagne, le sentiment national, à l’origine, fait défaut. Ce
qui en a tenu lieu, c’est une
conscience de race créée de toutes pièces par ses
intellectuels. Bien plus virulent. Ce qui intéresse l’Allemand, c’est la politique étrangère — le Français, c’est la politique intérieure.
*
De la monotonie.
Monotonie des derniers ouvrages de Tolstoï. Monotonie
des livres hindous —
monotonie des prophéties bibliques — monotonie du Bouddha. Monotonie du Coran et de tous les livres
religieux. Monotonie de Nietzsche —
de Pascal — de Chestov — terrible monotonie de Proust, du
marquis de Sade, etc., etc...
*
Au siège de Sébastopol, Tolstoï saute des
tranchées et fuit vers le bastion sous le feu nourri de l’ennemi : il avait une horrible peur des rats et venait d’en apercevoir un.
[242]
*
La politique ne
peut jamais être l’objet de poésie (Goethe)[62].
À ajouter à l’absurde citation de Tolstoï c
« Si
tous les biens terrestres pour lesquels nous vivons, si toutes les jouissances
que nous procure la vie, la richesse, la gloire, les honneurs, le pouvoir, nous
sont ravis par la mort, ces biens n’ont
aucun sens. Si la vie n’est
pas infinie, elle est tout simplement absurde, elle ne vaut pas la peine d’être vécue et il faut
s’en débarrasser le
plus vite possible par le moyen du suicide. » (Confession.)
Mais, plus loin, Tolstoï rectifie : « L’existence de la mort nous oblige soit
à renoncer volontairement à la vie, soit à transformer
notre vie de manière à lui donner un sens que la mort ne peut
lui ravir. »
*
Peur et douleur : les plus passagères des
émotions, dit Byrd[83].
Dans la solitude absolue du Nord, il s’aperçoit que le corps a des be-soins aussi exigeants que l’esprit « Il ne peut pas se passer des sons,
des odeurs et des voix. »
*
[243]
T. E. Lawrence rengageant
après la guerre c
D’où
définition d’A. Fabre-Luce : Le surh
*
À la relecture : les Cahiers de Malte Lauris
Brigge : livre insigni-fiant. Le responsable : Paris. C’est une défaite parisienne. Une
infection parisienne non surmontée. Ex. : « Le
monde considère le solitaire c
La seule chose
valable : l’histoire d’Arvers qui au m
*
C
[244]
*
Jean Hytier[84],
du dramaturge . « Il fait ce qu’il veut à condition de faire ce qu’il faut. »
*
Pour Montherlant (la décadence de la chevalerie par
les femmes). Jehan de Saintré, p. 108. MA. LF.
*
Pierre de
Larrivey : traducteur. Les Esprits, traduction de Lorenzino de Medicis —
Saint-Evremond[85]
*
Tous les caps de la côte ont l’air d’une flottille en partance. Ces vaisseaux de roc et d’azur tremblent sur leur quille c
*
[245]
Dans la pleine chaleur sur les dunes immenses, le monde se
resserre et se limite. C'est une cage de chaleur et de sang. Il ne va pas plus
loin que mon corps. Mais qu'un âne braie au loin, les dunes, le
désert, le ciel reçoivent leur distance. Et elle est infinie.
*
Essai sur tragédie.
I. Le silence de Pr
II Les élisabethains
III. Molière
IV. L’esprit de révolte.
*
Peste. « J’ai
envie d’une chose qui soit juste. » — « Voilà justement la
peste. »
*
« La
nuit, une « vraie nuit », c
[246]
R
*
À un certain m
*
Un Spartiate se voit infliger un blâme public par un
éphore parce qu'il avait un trop gros ventre.
Un dicton
athénien rejetait au dernier rang des citoyens celui qui ne savait ni
lire ni nager.
Voir Alcibiade selon Plutarque : « À Sparte, h
*
Un jour que le
peuple l’applaudissait :
[247]
« Aurais-je
proféré quelque sottise ? » dit
Phocion[86].
*
Décadence ! Les discours sur la décadence !
Le III° siècle avant Jésus-Christ[64]
est un siècle de décadence pour la Grèce. Il donne au
monde la gé
*
Il y a encore des gens pour confondre l’individualisme et le goût de la
personnalité. C’est
mêler deux plans :
le social et le métaphysique. « Vous vous dispersez. » Aller de vie en vie, c’est n’avoir pas
de figure propre. Mais avoir une figure propre, c’est une idée particulière
à une certaine forme de civilisation. Cela peut paraître à
d’autres le pire des
malheurs.
*
Contradiction dans le monde moderne. À
Athènes, le peuple ne pouvait vraiment exercer son pouvoir que parce qu’il y consacrait la plus grande
partie de son temps, et des esclaves, tout [248] le jour, faisaient les travaux
qui restaient à faire. À partir du m
*
Trois acteurs seulement dans le théâtre
grec : il ne s’agit pas
de créer un personnage[65].
À Athènes, le spectacle est une chose
grave : les représentations ont lieu deux ou trois fois par an.
À Paris ? Et ils veulent retourner à ce qui est mort !
Créez plutôt vos propres formes.
*
« Il
n’y a chose si innocente
où les h
*
Voir dernière scène de l’acte I de Tartuffe : « Relève l intérêt et le tient en
suspens » : la suite à vendredi
prochain.
Solon fait l’œuvre qu’on lui connaît et, dans sa vieillesse, il immortalise son
œuvre par la poésie.
*
[249]
Thucydide fait dire à Périclès que ce
qui est particulier aux Athéniens « c’est d’avoir une extrême audace et, cependant, de bien peser leurs
entreprises ».
Les trières victorieuses à Salamine
étaient conduites par les Athéniens les plus misérables.
Cf. Cohen : « Athènes
ne posséda de théâtre digne de ce n
*
O. Flake sur Sade[87]:
« Aucune valeur n’est stable pour qui ne peut s’incliner devant elle. Sade ne voit
pas la raison pour laquelle il s’inclinerait,
il a longtemps cherché cette raison et ne la trouvait pas. » Selon Sade, l’h
Cf. la mathématique du mal dans Juliette.
Le mon
« Il a forgé des cruautés qu’i1 n’a point vécues [250] et n’aurait pas voulu vivre — pour entrer en contact avec de
grands problèmes. »
*
Moby Dick et le symbole[88],
p. 120, 121, 121, 129, 173—177,
203, 209, 241, 312, 313, 339, 373, 415, 421, 452, 457, 460, 472, 485, 499, 503,
517, 520, 522.
Les sentiments, les images multiplient la philosophie par
dix.
*
À Athènes on ne s’occupait des morts que pendant les
Anthestéries. Une fois finies : « Allez-vous-en,
les âmes, les Anthestéries sont finies. »
Primitivement, dans la religion grecque, tout le monde est
aux Enfers. Il n’y a pas de
réc
*
404. Athènes ayant signé armistice avec
Lysandre, la fin de la guerre du Péloponnèse est marquée
par l’assaut que Lysandre
donne aux murs d’Athènes au son des flûtes.
*
[251]
La belle histoire de Timoléon, tyran de Syracuse (il
avait saisi son père pour le faire tuer c
*
Au IV° siècle, dans certaines cités grecques,
les oligarques prê-taient ce serment :
« Je
serai toujours l’ennemi du
peuple et je conseillerai ce que je saurai lui être nuisible. »
La fuite de Darius poursuivi par Alexandre (293—4).
Les noces de Suse : 10 000
soldats, 80 généraux et Alexandre s’unissent à des Perses.
*
Demetrios Poliorceté[89]:
Tantôt au s
rant de village
en village.
Antisthené[90]: « C’est
chose royale de faire le bien et d’entendre dire du mal de soi. »
*
[252]
Cf. Marc-Aurèle : « Partout
où l’on peut vivre, on
y peut bien vivre. »
« Ce
qui arrête un ouvrage projeté devient l’ouvrage même. »
Ce qui barre la route fait faire du chemin.
Terminé février 1942.
Fin du texte
[1] Судя по всему, нумерация бумажной книги, правда, неясно, она там внизу страницы или вверху. В электронной версии «акробат» расставил собственную пагинацию в верхнем колонтитуле, соответствует ли это или нет истине, сказать трудно. Видимо, стоит просто заглянуть в любое галлимаровское аналогичное издание; думается, стилистика издания едина. 16.07.2015
По причине незнания французского языка, я, скорее
всего, не буду давать своих комментариев сносок,
маргиналий, схолий — короче, всех аналогов «карандашных» пометок на полях и между
строк в «бумажных книгах, которые я обычно себе позволяю в этих
публикациях и где я предуведомляю
читателей, что читать их необязательно, поскольку я их делал исключительно для
себя. Но зарекаться не буду, поскольку — вдруг что-то пойму и захочу
высказаться. Уж тогда я себе в этом не откажу.
Они будут форматированы вот так или иным цветом и фонтом; последнее касается исключительно
предуведомляющих маркировок, о которых говорится в следующей фразе. Три особых цвета
комментариев информируют тех, кто все же решил в них заглянуть: информация
(например, первод цитаты или дефиниция), цитата и абсценная
(ненормативная) лексика. Обычно этим же цветом отмечается и выноска, так
что, салатовая выноска предупреждает, что в комментарии присутствует мат, и в
случае неприятия читателем такового, можно по этой ссылке не ходить. 08.07.2015
— НИЛ [здесь и далее — автор ресурса http://tlf.msk.ru.]
[2]
Комментарии (сноски), имеющиеся в тексте исходного файла PDF, оформлены так, как они оформлены
там и, судя по всему, в бумажной книге — фонтом
Times New
R
[3]
Не знаю языка и посему не понимаю, почему в начале фразы в этом слове
сиркумфлекс у «o»
отсутствует, а здесь появился: то ли это два различных слова, то ли в одном из
случаев присутствовала очепятка. 08.07.2015
[4]
Месье Образина. 16.07.2015
[5]
Так в книге: вдруг внесистемная нумерация: после 9-й сноски — еще одна 2-я, а
дальше — 10-я. 14.07.2015
[6] В переводе — «рука дружбы». Здорово: «протянутая рука». 14.07.2015
[7] Живопись выселяется, шедевр — въезжает. 14.07.2015
[8]
Какой замечательный словоигрец! К сожалению, в переводе это не передать.
15.07.2015
[9] Еще одна несистемная сноска, на этот раз под номером 1. А предыдущая почему-то была — 2. Чудеса! 15.07.2015
[10]
Да? А такие есть? Или это мечты Альбера? (Или его персонажа.) 15.07.2015
[11] Больше я уже не стану комментировать несистемные сноски, поскольку отсутствие системы действительно присутствует. Просто констатирую, что, видимо, так пойдет и дальше, в частности, на этой же странице (то ли 47-й, то ли 48-й, поскольку так и не стало ясно, где колонтитул с нумерацией страниц — сверху или снизу (впрочем, каждый может это выяснить, заглянув в любую пьесу галлимаровского издания, издательский стиль, думается, неизменен) будет сноска под номером 1. 15.07.2015
[12] В французском у этого слова более сильное наполнение — не просто ищут, а стремятся к…, домогаются. 15.07.2015
[13]
Надо же, я решил, что здесь речь идет об информации, а на самом деле — о
бесформенности, то есть, практически, о противоположном. 15.07.2015
[14] Вот откуда в русском слова: «матерый», «заматерелый». 15.07.2015
[15] Синагога, что ли? А, нет, совсем наоборот — еврейское кладбище.
— Эй, дядя, чья это могила?
— Моя, сэр? Конечно, твоя, раз ты так
глубоко в нее зарылся.
— Пока я ее в ней роюсь, она моя, а когда
зарою в нее вас — будет ваша.
— Она не твоя и не моя, она для мертвых, а
не для живых.
— Пока мы живы, мы живые, а как помрем — так
сразу санем мертвыми, а кто раньше — вы или я — это как повезет.
(«Гамлет», перевод В. Поплавского).
15.07.2015
[16]
В книге именно так: точка, а следующее слово со строчной буквы. 15.07.2015
[17]
Это из какого языка слово? Ага, из латыни. 16.07.2015
[18]
Кто — она? Видимо, anticipation.
17.07.2015
[19]
Офигенный редакторский брак — ну и «Галлимар»! Прямо горинские Мюнхгаузены. Продублировали
знак выноски в следующей строчке. Но в какой же издательской системе они верстают?
В пейджмейкере? В тексе? 17.07.2015
[20]
А ведь это стихи. В переводе утеряно, а ведь так подруга выглядит менее отталкивающе,
в ней есть немного Беатриче. 18.07.2015
[21]
Что может означать эта цифра — непонятно. Форматирована — как обычный текст,
так что это не есть ни системный, ни внесистемный знак выноски, как это уже
встречалось. Возможно, это восклицательный знак. В переводе именно он стоит в
конце предложения, а вот восклицательного как раз и нету. 18.07.2015
[22] Надо понимать, что, по мнению переводчика, эта реплика также принадлежит Бернару: в переводе он (переводчик) вставил абзац, состоящий из тире и знака вопроса. Почему он так решил? Ведь сам по себе текст не несет никаких указаний, кому из персонажей он принадлежит. Вполне мог бы все это говорить и Мерсо. Возможно, переводчик сверился с текстом романа, где подобные указания имеются. 18.07.2015
[23]
Так в книге — фраза начинается со строчной буквы. 18.07.2015
[24]
А наша тетя Сара — старший экономист… 18.07.2015
[25]
До сих пор говорят: были б деньги и здоровье, остальное купим. 18.07.2015
[26]
Карандышев. 18.07.2015
[27]
Откуда же взялась эта страсть выводить в герои убийц и эгоистов? Видимо, таков
запрос публики: порядочный и нравственный человек неинтересен, в нем нет игры.
Азарт же — прерогатива эгоистов, проходимцев и людей, лишенных нравственных
устоев. Что же остается? Театр! 18.07.2015
[28] Дословно: «последний хуй». 18.07.2015
[29]
Точка была в книжке. Судя по тексту,
оба варианта подходят: можно и точку заменить на запятую, можно, наоборот,
начать следующее предложение с прописной. 18.07.2015
[30] Все же, похоже, нумерация в книге была в верхнем колонтитуле. Из этого предлагаю и исходить.
[31]
В смысле, Ян является под маской другого человека. 19.07.2015
[32]
Они были еще и крашеные. Пустые глазницы греческих стату шокируют именно потому,
что это поверхность для смытой веками живописи. 19.07.2015
[33]
А вот эта точка, похоже, — типографский или редакторский брак. 19.07.2015
[34]
…произведения описывающие и произведения объясняющие. 20.07.2015
[35]
Так в книге. 20.07.2015
[36]
А почему так кратко? Обычно пользуются сокращением: Ibid. — там же.
20.07.2015
[37]
Так в книге. Если так изображены стихи, то стихи какие-то половинчатые.
20.07.2015
[38]
В книге знак препинания на конце абзаца отсутствует. Видимо, поскольку подпись
под цитатой. Правда, почему-то не отбитая в отдельный абзац. 20.07.2015
[39]
Хорошо бы достать какой-нибудь сувенир из этого Орана и подарить ЕГ. Подумалось, что, события «Чумы» — образное предвидение ужасов
Алжирской войны. 20.07.2015
[40] Непонятно, что означает этот апостроф, но он в книге присутствует, причем это не просто случайная клякса, а — со всеми признаками форматирования данного символа. 20.07.2015
[41] Такое ощущение, что читаешь рекламный проспект. 20.07.2015
[42]
Как с петрашевцами. Николай, возможно, последовал одному из многочисленных примеров
подобного элемента классической мелодрамы. 20.07.2015
[43] Ну, это, возможно, не от срока, а от старости. Что, впрочем, трудно разделить. 20.07.2015
[44] Не только модно, но всегда к сроку (англ.). 20.07.2015
[45]
Загадочная нигде не объясненная аббревиатура. 20.07.2015
[46] О, горечь причиняемых тобою мук, о, сладость
твоей любви (итал.).
20.07.2015
[47]
Судя по всему, снова «сан ландман». 21.07.2015
[48] Ну да, а Камю-то сам наполовину испанец. 21.07.2015
[49]
Какая-то недоступная нам система символов. 21.07.2015
[50]
И какая умница назвала «Мизантроп» комедией, спрашивается в задаче? 21.07.2015
[51]
В смысле, женщины пользуется чувством чести и верности слову мужчин.
[52]
Здесь — Господь, а не Адам. Можно было бы подумать на Адама, но он не
вписывается в контекст, в писании папаша вообще никак не участвовал в коллизии
сыновей. 22.07.2015
[53]
На плацдарме! 22.07.2015
[54] Они могут меня мучить, но не заставят
покориться (англ.).
22.07.2015
[55]
А что, на Востоке — иначе, что ли? Сама суть искусства — предлагать нечто интересное,
отличное от серых буден, иначе оно останется без потребителя. Посему и серые
будни, скажем, Башмачкина или Девушкина, Вощева или Ивана Денисовича — безумно
интересны и уникальны, а не — тиражированные серые будни нашей имманентной
реальности. 22.07.2015
[56]
Кто ж это там тмкой умный был? В морской воде железо, думается, продержалось считанные
месяцы. 22.07.2015
[57]
Интересно, чей перевод с немецкого? 22.07.2015
[58] Смесь, мешанина (итал.). 22.07.2015
[59] О нет, это не конец, конец — это смерть и
безумие (англ.). 22/07/2015
[60]
Новообращенные (исп.). Конвертированные.
22.07.2015
[61]
Мольер, Майн Рид, Пушкин, Толстой, Достоевский, Чехов, Горький, Маяковский,
Блок, Есенин, Булгаков, Оруэлл, Камю, Ануй, Солженицын. 22.07.2015
[62]
Ну, это до поры до времени. В начале прошлого века было много успешных
прецедентов: Блок, Маяковский… Горький. Лорка. Пушкин наконец. Шекспир. Шиллер.
Да твой же собственный Гец или Клавиго. 22.07.2015
[63]
И вот — аксидан де вуатюр. Но Лоуренс Аравийский погиб один, никого за собой не
утянул. Как Цой. 22.07.2015
[64] Ага, наконец-то указано до н. э., а то я уж было подумал… Но почему на , а то я уж было подумал… Но почему на IV-й не распространяется? 23.07.2015
[65]
И сам же написал «Недоразумение» с тремя (ну, четырьмя, даже пятью, но встречаются
не более чем по трое, а так — по двое) актерами. И там еще какие персонажи!
23.07.2015
[1] Ce texte, où apparaît le thème de la mère (L’Étranger, Le Malentendu, La Peste) est sans doute la première formulation de l’essai intitulé Entre oui et non, dans L’Envers et l’Endroit.
[2]
Jean Grenier, qui fut le professeur
de philosophie de Camus, a exercé sur lui une influence profonde dont témoignent,
outre l’amitié que les deux h
[3] Première formulation des thèmes de Noces.
[4]
Plan pour La Mort heureuse, premièr
r
[5] Patrice est le personnage de La Mort heureuse. Le thème du condamné à mort se retrouvera dans L’Étranger.
[6] Notation reprise dans Noces.
[7]
Notes pour La Mort heureuse.
[8]
Notes pour La Mort heureuse.
[9]
Réflexion qui prefigure
certaines pages du Mythe de Sisyphe.
2 Réflexion qui prefigure certaines
pages du Mythe de Sisyphe. Les premières lignes ont
déjà le goût amèr de La Chute.
[10]
Première allusion à Caligula :
première ébauche du dénouement.
[11]
La Maison devant le Monde constituera un des chapitres de La
Mort heureuse.
1 Thème de L’Étranger.
2 Notes pour Le vent a Djémilà, dans Noces.
1 La Mort dans l’âme est le troisième des essais de L’Envers et l’Endroit. Camus a tenté de l’utiliser à nouveau dans La Mort heureuse.
[12] On trouve ici l’ébauche d’une des dernières scènes de L’Étranger.
[13]
La Madeleine, quartier
périphérique d’Alger, aux alentours d’El-Biar.
[14]
Ces réflexions nous vaudront
une note sur Gide et le désir, dans Noces, p. 47.
[15]
Fragment repris de la Mort dans
l’âme pour La Mort heureuse.
[16]
Sur le manuscrit de Caligulà,
on trouve c
[17]
Il s’agit du r
[18] D’après Camus lui-même, il s’agit là de la première formulation consciente du thème de L’Étranger.
1 Projet de plan pour La Mort heureuse : M. désigne Mersault, qui en est le principal personnage.
[19] Note pour La Mort heureuse.
[20] On retrouve cette notation dans Noces, p. 84, (éd. 1950).
[21] Tout ce voyage à Pise et Florence est utilisé dans Le Désert, dernier essai de Noces.
2 Noces, p. 80 et 81, (éd. 1950).
[22]
Noces, p. 81, (éd. 1950).
[23] 23 Noces, p. 88—89, (éd. 1950).
2 Noces, p. 82 a 85, (éd. 1950).
[24]
Kierkegaard. Albert Camus a
longuement traité de ce philosophe dans Le Mythe de Sisyphe.
[25] Fragment pour La Mort Heureuse.
[26] Georges Sorel. (1847—1922). Ancien polytechnicien, séduit par le bolchévisme. Pessimiste et anti-intellectualiste, syndicaliste antiparlementaire, il a exalté la violence et la grève générale. Son influence a été considérable tant sur Lénine que sur Mussolini.
[27]
Camus avait été n
[28] Albert Camus a consacré par ailleurs à Giraudoux une note critique dans algér-Républicain (1938).
[29] Fragment pour La Mort heureuse.
[30] Ce personnage est Zagreus, que Mersault assassine dans La Mort heureuse.
[31]
Médecin algérois et
philosophe, ami d’Albert Camus.
[32]
Fragment pour La Mort heureuse.
1 А вот эта «несистемная» сноска оказалась
пустой. 17.07.2015
[33]
Fragment pour La Mort heureuse.
[34]
Fragment pour La Mort heureuse :
Camus s’en inspirera aux pages 34 à 38 de L’Étranger (édit.
de 1947).
[35]
Réflexions dont on trouvera c
1 Fragment
pour La Mort heureuse.
[36] Fragment pour La Mort heureuse.
[37]
Ces réflexions, qui ne sont
pas sans rapport avec l’idée que Malraux se fait de la révolution
et de l’art, préfigurent les thèmes majeurs de L’H
[38]
Camus consacrera plus tard une préface
à Melville l’auteur de Moby Dick, dont la technique r
[39]
Fragment pour L’Étranger.
[40]
Le personnage de Céleste apparaissait
lui aussi dans La Mort heureuse avant de passer à L’Étranger.
[41]
Pour Noces.
[42]
Bernard, médecin de La
Mort heureuse.
[43]
Il s’agit de l’écon
[44]
Fragment qui servira pour Le
Mythe de Sisyphe.
[45]
Notations reprises dans L’Étranger,
avec le personnage de Raymond.
[46]
Fragment pour La Mort heureuse.
[47] Notations reprises dans L’Étranger.
[48]
Marie C. : peut-être Marie
Cardona.
1 Пустая сноска.
[49]
Camus avait en 1935 consacré
son diplôme d’études supérieures de philosophie aux
rapports de l’hellenisme et du christianisme chez Plotin et saint Augustin.
[50]
Notes pour L’Étranger.
À ce m
[51]
Première apparition du
personnage de Jeanne, l’epouse volage de Grand. Ce fragment se retrouvait
presque intégralement dans le premièr état de La Peste,
sous la plume de Stéphan, le professeur sentimental.
[52]
Note pour La Peste. Dans le premièr
état, c’est Stéphan qui s’est pendu. Plus tard, ce sera Cottard.
[53]
Réflexions utilisées
à la fois dans L’Étranger et Le Mythe de Sisyphe.
[54]
Fragment pour L’Étranger.
[55]
Il s’agit du sociologue
contemporain. Il a notamment écrit : Les tendances actuelles de
la philosophie allemande et Les Essais de sociologie.
[56]
Louis Miquel, architecte
algérois ami d’Albert Camus. Avec Simounet a fait les plans du « Centre
Albert Camus » de jeunesse et des sports inauguré a Orléansville
en 1960.
[57]
Charlot fut le premièr éditeur
de Camus. Il devait publier la revue Rivages qu’animait Camus : il
en parut deux numéros en 1939.
1 Fragment pour La Mort heureuse.
1 Fragment repris dans L’Étranger,
p. 45.
On notera à quel point le style de l’h
évoque le style de L’Étranger.
[58]
Première ébauche du Malentendu.
[59]
Pascal Pia fut le directeur d’Alger
Républicain en 38, où A. Camus fit ses débuts dans le
journalisme, puis de C
[60]
Il s’agit sans doute de Corésos
et de Callirhoé, fille d’un roi de Calydon, aimée par Corésos,
prêtre de Dionysos, dont elle repoussa les avances ; à la
suite de quoi tous les habitants furent frappés de folie par le dieu. L’oracle
de Dodone ordonna que Callirhoé fut sacrifiée. Corésos
préféra se tuer lui-même ; touchée par tant d’amour,
Callirhoe ne voulut pas lui survivre.
[61] Camus reprendra plus tard ce fragment pour La Peste (sans doute pour l’un des premièrs chapitres). Puis il renoncera à l’utiliser sous cette forme.
1 Même remarque qu’a la note précédente :
les deux textes, d’ailleurs, avaient été fondus en un seul.
[62]
Camus, qui avait désiré
s’engager, malgré une décision antérieure de réforme,
a sans doute connu à ce m
1 Réflexion pour Le Mythe de
Sisyphe.
[63]
On retrouve cette citation en tête des Amandiers (1940), dans L’Été.
[64]
Le Tlélat, plaine assez nue, qu’on découvre à une trentaine de kil
[65]
Fragments pour Le Minotaure ou la halte d’Oran (1939), dans L’Été. Cf. p. 19
et 20 (éd. 1954).
[66]
Burchard, chroniqueur du XVe
siècle.
[67]
Fragment pour Les Amandiers dans L’Été p. 73, (éd. 1954).
[68]
Fragments pour Le Minotaure, cf. p. 22—23, 45—46, 52,
(éd. 1954).
[69]
Cette citation servira d’épigraphe
au Mythe de Sisyphe.
[70] Il s’agit visiblement du vieux Salamano et de Masson de L’Étranger (Chap. IV et p. 75), (édit. 1961).
[71]
Il s’agit probablement des
séquences filmées par Eisenstein pour un film inachevé et
présentées sous les n
[72]
Camus travaille à ce m
[73]
Ce pourrait être le point de départ du personnage de Paneloux, en
même temps que le prolongement de L’Étranger.
[74]
On retrouve ce thème dans Le Mythe de Sisyphe. On se souviendra
également que Camus avait toujours rêvé, et jusqu’à la fin de sa vie, d’écrire un Don Juan.
Il avait entrepris, peu avant sa mort, de traduire le Burlador de Tirso
de Molina.
[75] Il s’agit de la première partie du Mythe de Sisyphe.
[76]
Ternay, village de l’Isère.
[77]
Fragment pour Le Minotaure (dernière partie : “ La
Pierre d’Ariane ”) et partiellement repris
pour la présentation d’Oran,
dans La Peste.
[78]
78 Note pour La Peste.
1 Notations
reprises dans La Peste, p. 36, (édit. 1960).
[79]
Camus a utilisé ce texte dans Le Minotaure, p. 62, (éd.
1954).
[80]
« Budejovice », premier titre prévu
pour Le Malentendu.
[81]
Le personnage visé est Stephan, professeur, qui disparaîtra de l’édition définitive.
[82]
On notera que Camus avait d’abord
prévu que Paneloux perdrait la foi. Il en allait encore ainsi dans le premier
état de La Peste.
[83] L’explorateur des mers arctiques.
[84] Jean Hytier collabora avec Albert Camus à la revue Rivages (1939).
[85]
Première allusion aux Esprits que Camus adapta en 1940, fit
représenter en 1946, en Algérie, pour les mouvements de
culture et d’éducation
populaires et qu’il refondit
en 1953 pour le Festival d’Angers.
[86]
Phocion général, orateur et h
[87]
Camus traitera de Sade dans L’H
[88]
Lectures pour La Peste.
[89]
Démétrios Poliorcète (337—283 avant notre ère) : fils d’Antigone
le Borgne et neveu d’Alexandre ; aventurier
macédonien qui fut un temps maître d’Athènes, puis de la
Macédoine, avant de perdre toutes ses possessions et de finir
emprisonné.
[90]
Antisthène (444—365
avant notre ère)’:
ancien élève de Socrate et de Gorgias, il fut l’un des fondateurs de l’école dite cynique.