Îáîçíà÷åíèÿ:
ïîëóæèðíûé øðèôò óäàðíàÿ ãëàñíàÿ
↑ íåìàÿ áåçóäàðíàÿ ñòîïà
↓ íåìàÿ óäàðíàÿ ñòîïà
↔ öåçóðà
e — âíåñèñòåìíî íåìàÿ «e» (íà êîíöàõ ñòðîê «e» ó Ìîëüåðà âîîáùå íå ïðîèçíîñÿòñÿ, ïîýòîìó èõ ÿ
íå ïîìå÷àë; òî æå ïåðåä öåçóðîé).
×òî êàñàåòñÿ íåïðîèçíîñèìûõ « e » íà êîíöàõ ñëîâ, îñîáåííî, åñëè íà íèõ ïðèõîäèòñÿ ñèëüíàÿ äîëÿ, èõ
íåîáÿçàòåëüíî ïðîèçíîñèòü, íî âñå ðàâíî íóæíà ïàóçî÷êà, ÷òîáû ñîõðàíèòü ðèòì
ñòèõà.
[i](y)[i] =
y è i[i] = i — äëÿ òîãî, ÷òîáû ðàçäåëèòü óäàðíóþ è áåçóäàðíóþ
ñòîïû. {Â êâàäðàòíûõ ñêîáêàõ ñ íèæíèì ðåãèñòðîì
ïîêàçàíî, êàê ñëåäóåò ïðîèçíîñèòü òåêñò, çàêëþ÷åííûé â êðóãëûå ñêîáêè.  ñëó÷àå
îòñóòñòâèå êðóãëûõ ñêîáîê, â êâàäðàòíûõ íèæíèõ ñêîáêàõ ïîêàçàíû ïîÿâëÿþùèåñÿ äîïîëíèòåëüíûå çâóêè, êàê â ñëó÷àå ñ
äîïîëíèòåëüíûì éîòèðîâàíèåì.}
Àëåêñàíäðèéñêèé ñòèõ ôîðìàëüíî ñîñòîèò èç äâóõ ïîëóñòðîê, ìåæäó êîòîðûìè ñòîèò öåçóðà. Êàæäàÿ ïîëóñòðîôà ñîñòîèò èç òðåõ ÿìáè÷åñêèõ ñòîï. Èòîãî — øåñòü ñëîãîâ.  êîíöå ñòðîêè äîáàâëÿåòñÿ ñòðîêîâàÿ ïàóçà, ïðåäñòàâëÿþùàÿ ñîáîé «íåìóþ» ñòîïó. Òî æå — íà ìåñòå öåçóðû.  îáîèõ ñëó÷àÿõ çàâåðøàþùåå ïîëóñòðîêó íåìîå «e» (ïðè åãî íàëè÷èè) âêëþ÷àåòñÿ è â öåçóðó, è â ñòðîêîâóþ ïàóçó. Íàïðèìåð[1]:
Quoi, le beau nom de fille↔est
un titre, ma sœur,
- ‘ –‘ –‘ (–‘)[2]- ‘ –‘ –‘ (–‘)[3]
Dont vous voulez quitter↔la
charmante douceur ?
- ‘ –‘ –‘ (–‘)- ‘ –‘ –‘
(–‘)
Òàêèì îáðàçîì,
ðèòìè÷åñêè îäíà ñòðîêà ñîñòîèò íå èç øåñòè, à èç âîñüìè ñòîï, òðè ÿìáè÷åñêèå,
íåìàÿ (öåçóðà), òðè ÿìáè÷åñêèå, çàâåðøàþùàÿ íåìàÿ (ñòðîêîâàÿ ïàóçà).
J.-B. MOLIÈRE
L’École des femmes
comédie
Dédicace
À MADAME
Madame,
Je suis le plus embarrassé homme du monde, lorsqu’il me
faut dédier un livre ; et je me trouve si peu fait au style
d’épître dédicatoire, que je ne sais par où sortir
de celle-ci.
Un autre auteur qui serait en ma place trouverait d’abord cent belles choses
à dire de Votre Altesse Royale, sur le titre de L’École des
femmes, et l’offre qu’il vous en ferait. Mais, pour moi, Madame, je vous avoue
mon faible. Je ne sais point cet art de trouver des rapports entre des choses
si peu proportionnées ; et, quelques belles lumières que mes
confrères les auteurs me donnent tous les jours sur de pareils sujets, je ne vois
point ce que Votre Altesse Royale pourrait avoir à démêler
avec la comédie que je lui
présente. On n’est pas en peine, sans doute, comment il faut faire pour
vous louer. La matière, Madame, ne saute que trop aux yeux ; et, de
quelque côté qu’on vous regarde, on rencontre gloire sur gloire,
et qualités sur qualités. Vous en avez, Madame, du
côté du rang et de la naissance, qui vous font respecter de toute
la terre. Vous en avez du côté des grâces, et de l’esprit et
du corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qui vous voient. Vous
en avez du côté de l’âme, qui, si l’on ose parler ainsi,
vous font aimer de tous ceux qui ont l’honneur d’approcher de vous : je
veux dire cette douceur pleine de charmes, dont vous daignez tempérer la
fierté des grands titres que vous portez, cette bonté toute
obligeante, cette affabilité généreuse que vous faites
paraître pour tout le monde. Et ce sont particulièrement ces
dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne me
pourrai taire quelque jour. Mais encore une fois, Madame, je ne sais point le
biais de faire entrer ici des vérités si éclatantes et ce
sont choses, à mon avis, et d’une trop vaste étendue et d’un
mérite trop relevé, pour les vouloir renfermer dans une
épître, et les mêler avec des bagatelles. Tout bien
considéré, Madame, je ne vois rien à faire ici pour moi,
que de vous dédier simplement ma comédie et de vous assurer, avec
tout le respect qu’il m’est possible, que je suis, De Votre Altesse Royale,
Madame, le très humble, très obéissant et très
obligé serviteur,
J.-B. MOLIÈRE.
PRÉFACE
Bien des gens ont frondé d’abord cette comédie; mais les rieurs ont
été pour elle, et tout le mal qu’on en a pu dire n’a pu faire
qu’elle n’ait eu un succès dont je me contente.
Je
sais qu’on attend de moi dans cette impression quelque préface qui
réponde aux censeurs et rende raison de mon ouvrage ; et sans doute
que je suis assez redevable à toutes les personnes qui lui ont
donné leur approbation, pour me croire obligé de défendre
leur jugement contre celui des autres ; mais il se trouve qu’une grande
partie des choses que j’aurais à dire sur ce sujet est
déjà dans une dissertation que j’ai faite en dialogue[4] , et dont je ne sais
encore ce que je ferai. L’idée de ce dialogue, ou, si l’on veut, de
cette petite comédie, me vint après les deux ou trois
premières représentations de ma pièce. Je la dis, cette
idée, dans une maison où je me trouvai un soir, et d’abord une
personne de qualité, dont l’esprit est assez connu dans le monde, et qui
me fait l’honneur de m’aimer, trouva le projet assez à son gré,
non seulement pour me solliciter d’y mettre la main, mais encore pour l’y mettre
lui-même ; et je fus étonné que deux jours
après il me montra toute l’affaire exécutée d’une
manière à la vérité beaucoup plus galante et plus
spirituelle que je ne puis faire, mais où je trouvai des choses trop
avantageuses pour moi ; et j’eus peur que, si je produisais cet ouvrage
sur notre théâtre, on ne m’accusât d’abord d’avoir
mendié les louanges qu’on m’y donnait. Cependant cela m’empêcha,
par quelque considération, d’achever ce que j’avais commencé.
Mais tant de gens me pressent tous les jours de le faire, que je ne sais ce qui
en sera ; et cette incertitude est cause que je ne mets point dans cette
préface ce qu’on verra dans la Critique, en cas que je me
résolve à la faire paraître. S’il faut que cela soit, je le
dis encore, ce sera seulement pour venger le public du chagrin[5] délicat de
certaines gens ; car, pour moi, je m’en tiens assez vengé par la
réussite de ma comédie; et je souhaite que toutes celles que je
pourrai faire soient traitées par eux comme celle-ci pourvu que le reste
soit de même.
LES PERSONNAGES
ARNOLPHE, autrement
M. DE LA SOUCHE.
AGNÈS, jeune fille innocente, élevée par Arnolphe.
HORACE, amant
d’Agnès.
ALAIN, paysan,
valet d’Arnolphe.
GEORGETTE, paysanne, servante d’Arnolphe.
CHRYSALDE, ami d’Arnolphe.
ENRIQUE, beau-frère
de Chrysalde.
ORONTE, père
d’Horace et grand ami d’Arnolphe.
La
scène est dans une place de ville.
ACTE
I
SCÈNE
PREMIÈRE
CHRYSALDE,
ARNOLPHE.
CHRYSALDE
Vous
venez, dites-vous,↔pour lui donner la
main ?→
ARNOLPHE
Oui,
je veux terminer↔la chose dans demain.→
CHRYSALDE
Nous
sommes ici seuls, ↔et l’on peut, ce me
semble,→
Sans
craindre d’être ouïs, ↔ y discourir ensemble.→
Voulez-vous
qu’en ami je vous ouvre mon cœur ?→
Votre
dessein, pour vous,↔me fait trembler de peur ;→
Et
de quelque façon↔que vous tourniez
l’affaire,→
Prendre
femme, est à vous↔un coup
bien téméraire.→
ARNOLPHE
Il
est vrai, notre ami.↔Peut-être
que chez vous→
Vous
trouvez des sujets↔de craindre pour chez nous ;→
Et
votre front, je crois,↔↑veut que du
mariage,→
Les
cornes soient partout↔l’infaillible apanage.→
CHRYSALDE
Ce
sont coups du hasard,↔dont on n’est point
garant ;→
Et
bien sot, ce me semble,↔est le soin qu’on
en prend.→
Mais
quand je crains pour vous,↔c’est cette raillerie→
Dont
cent pauvres maris ↔ ont souffert
la furie :→
Car
enfin vous savez, ↔ qu’il n’est
grands, ni petits,→
Que
de votre critique ↔ on ait
vus garantis ;→
Que
vos plus grands plaisirs ↔ sont, partout où vous êtes,→
De
faire cent éclats ↔ des intrigues secrètes...→
ARNOLPHE
Fort
bien : est-il au monde ↔ une autre ville aussi,→
Où
l’on ait des maris ↔ ↑ si
patients qu’ici ?→
Est-ce
qu’on n’en voit pas ↔ de toutes
les espèces,→
Qui
sont accommodés ↔ chez eux de toutes pièces ?→
L’un
amasse du bien, ↔ dont sa
femme fait part→
À
ceux qui prennent soin ↔ de le faire cornard.→
L’autre
un peu plus heureux, ↔ mais non pas moins infâme,→
Voit
faire tous les jours ↔ des présents à sa femme,→
Et
d’aucun soin jaloux ↔ n’a l’esprit
combattu,→
Parce
qu’elle lui dit ↔ que
c’est pour sa vertu.→
L’un
fait beaucoup de bruit, ↔ qui ne lui sert de guères ;→
L’autre,
en toute douceur, ↔ laisse
aller les affaires,→
Et
vo[i](y)[i]ant arriver ↔ chez lui le damoiseau,→
Prend
fort honnêtement ↔ ses gants, et son manteau.→
L’une
de son galant, ↔ en adroite
femelle,→
Fait
fausse confidence↔à son époux fidèle,→
Qui
dort en sûreté↔sur un pareil appas,→
Et
le plaint, ce galant, ↔des soins qu’il ne perd
pas.→
L’autre,
pour se purger↔de sa magnificence [6] ,→
Dit
qu’elle gagne au jeu↔l’argent qu’elle
dépense ;→
Et
le mari benêt, ↔sans songer à quel jeu,→
Sur
les gains qu’elle fait, ↔rend des grâces
à Dieu.→
Enfin
ce sont partout↔des sujets de satire,→
Et
comme spectateur, ↔ne puis-je pas en rire ?[7]→
Puis-je
pas de nos sots [8]... ?↔
CHRYSALDE
Oui,
mais qui rit d’autrui,→
Doit
craindre, qu’en revanche, ↔on rie aussi de lui.→
J’entends
parler le monde, ↔et des gens se délassent→
À
venir débiter ↔les choses qui se passent :→
Mais
quoi que l’on divulgue ↔aux endroits où
je suis,→
Jamais
on ne m’a vu ↔tri[i]ompher [9] de
ces bruits ;→
J’y
suis assez modeste ; ↔ et bien qu’aux occurrences→
Je
puisse condamner ↔ certaines tolérances ;→
Que
mon dessein ne soit ↔ de souffrir nullement,→
Ce
que quelques maris ↔ souffrent paisiblement,→
Pourtant
je n’ai jamais ↔ affecté de le dire ;→
Car
enfin il faut craindre ↔ un revers de satire,→
Et
l’on ne doit jamais ↔ jurer, sur de tels cas,→
De
ce qu’on pourra faire, ↔ ou bien ne faire pas.→
Ainsi
quand à mon front, ↔ par un sort qui tout mène,→
Il
serait arrivé ↔ quelque disgrâce
humaine,→
Après
mon procédé, ↔ je suis presque certain,→
Qu’on
se contentera ↔ de s’en rire[10] sous
main ;→
Et
peut-être qu’encor ↔ j’aurai cet avantage,→
Que
quelques bonnes gens↔diront, que c’est dommage !→
Mais
de vous, cher compère, ↔ il en est autrement ;→
Je
vous le dis encor, ↔ vous risquez diablement.→
Comme
sur les maris ↔ accusés de souffrance [11] ,→
De
tout temps votre langue ↔ a daubé d’importance,→
Qu’on
vous a vu contre eux ↔ un diable déchaîné ;→
Vous
devez marcher droit, ↔ pour n’être point
berné,→
Et
s’il faut que sur vous ↔ on ait la moindre prise,→
Gare
qu’aux carrefours ↔ on ne vous tympanise,→
Et...
ARNOLPHE
Mon
Dieu, notre ami,↔[12]ne vous tourmentez point ;→
Bien
huppé qui pourra ↔ m’attraper sur ce point [13] ;→
Je
sais les tours rusés, ↔ et les subtiles trames,→
Dont
pour nous en planter ↔ savent user les femmes,→
Et
comme on est dupé ↔ par leurs dextérités ;→
Contre
cet accident ↔ j’ai pris mes sûretés,→
Et
celle que j’épouse, ↔ a toute l’innocence→
Qui
peut sauver mon front ↔ de maligne influence.→
CHRYSALDE
Et
que prétendez-vous ↔ qu’une sotte
en un mot...→
ARNOLPHE
Épouser
une sotte, ↔ est pour n’être point sot :→
Je
crois, en bon chrétien, ↔ votre moitié
fort sage ;→
Mais
une femme habile ↔ est un mauvais
présage,→
Et
je sais ce qu’il coûte ↔ à de certaines
gens,→
Pour
avoir pris les leurs ↔ avec trop de talents.→
Moi
j’irais me charger ↔ ↑d’une spirituelle,→
Qui
ne parlerait rien ↔ que cercle, et que
ruelle ?→
Qui
de prose, et de vers, ↔ ferait de doux
écrits,→
Et
que visiteraient ↔ marquis, et beaux
esprits,→
Tandis
que, sous le nom ↔ du mari de Madame,→
Je
serais comme un saint, ↔ que pas un ne
réclame [14] ?→
Non,
non, je ne veux point ↔ d’un esprit qui soit haut,→
Et
femme qui compose, ↔ en sait plus qu’il ne faut.→
Je
prétends que la mienne, ↔ en clartés peu
sublime,→
Même
ne sache pas ce que c’est qu’une rime ;→
Et
s’il faut qu’avec elle ↔ on joue au
corbillon [15] ,→
Et
qu’on vienne à lui dire, ↔ à son tour :
« Qu’y met-on [16] »
Je
veux qu’elle réponde, ↔ « Une tarte
à la crème » ;→
En
un mot, qu’elle soit ↔ d’une ignorance
extrême ;→
Et
c’est assez pour elle, à vous en bien
parler,→
De
savoir prier Dieu, ↔ m’aimer, coudre,
et filer.→
CHRYSALDE
Une
femme stupide ↔ est donc votre marotte [17] ?→
ARNOLPHE
Tant,
que j’aimerais mieux ↔ une laide, bien sotte,→
Qu’une
femme fort belle, ↔ avec beaucoup d’esprit.→
CHRYSALDE
L’esprit,
et la beauté...→
ARNOLPHE
L’honnêteté[18] suffit.→
CHRYSALDE
Mais
comment voulez-vous, ↔ après tout, qu’une
bête→
Puisse
jamais savoir ↔ ce que c’est qu’être
honnête ?→
Outre
qu’il est assez ↔ ennu[i](y)[i]eux, que je crois,→
D’avoir
toute sa vie ↔ une bête avec
soi[19],→
Pensez-vous
le bien prendre, ↔ et que sur votre idée→
La
sûreté d’un front ↔ puisse être
bien fondée ?→
Une
femme d’esprit peut trahir son devoir ;→
Mais
il faut, pour le moins, ↔ qu’elle ose
le vouloir ;→
Et
la stupide au sien ↔ peut manquer d’ordinaire,→
Sans
en avoir l’envie, et sans penser le faire.→
ARNOLPHE
À
ce bel argument, ↔ à ce discours
profond [20] ,→
Ce
que ↑Pantagruel ↔ à Panurge
répond.→
Pressez-moi
de me joindre ↔ à femme autre
que sotte ;→
Prêchez,
patrocinez ↔ jusqu’à la Pentecôte,→
Vous
serez ébahi, ↔ quand vous serez au bout,→
Que
vous ne m’aurez rien ↔ ↑ persuadé
du tout [21] .→
CHRYSALDE
Je
ne vous dis plus mot.↔
ARNOLPHE
Chacun
a sa méthode.→
En
femme, comme en tout, ↔ je veux suivre ma mode ;→
Je
me vois riche assez, ↔ pour pouvoir, que je
crois,→
Choisir
une moitié, ↔ qui tienne tout de moi,→
Et
de qui la soumise, ↔ et pleine dépendance,→
N’ait
à me reprocher ↔ aucun bien, ni naissance.→
Un
air doux, et posé, ↔ parmi d’autres enfans,→
M’inspira
de l’amour ↔ pour elle, dès quatre
ans :→
Sa
mère se trouvant ↔ de pauvreté
pressée,→
De
la lui demander ↔ il me vint la pensée [22] ,→
Et
la bonne paysanne, ↔ apprenant mon désir,→
À
s’ôter cette charge ↔ eut beaucoup de plaisir.→
Dans
un petit couvent, ↔ loin de toute pratique [23] ,→
Je
la fis élever, ↔ selon ma politique,→
C’est-à-dire
ordonnant ↔ quels soins on emploierait,→
Pour
la rendre idiote [24] ↔ autant qu’il se pourrait.→
Dieu
merci, le succès ↔ a suivi mon attente,→
Et
grande, je l’ai vue ↔ à tel point innocente,→
Que
j’ai béni le Ciel ↔ d’avoir trouvé
mon fait,→
Pour
me faire une femme ↔ au gré de mon
souhait.→
Je
l’ai donc retirée ; et comme ma
demeure→
À
cent sortes de monde ↔ est ouverte
à toute heure,→
Je
l’ai mise à l’écart, ↔ comme il
faut tout prévoir,→
Dans
cette autre maison, ↔ où nul ne me
vient voir ;→
Et
pour ne point gâter ↔ sa bonté naturelle[25],→
Je
n’y tiens que des gens ↔ tout aussi simples qu’elle.→
Vous
me direz « pourquoi ↔ ↑ cette narration ? »→
C’est
pour vous rendre instruit ↔ de ma ↑précaution.→
Le
résultat de tout, ↔ est qu’en ami fidèle,→
Ce
soir, je vous invite ↔ à souper avec elle :→
Je
veux que vous puissiez ↔ un peu l’examiner,→
Et
voir, si de mon choix ↔ on me doit condamner [26] .→
CHRYSALDE
J’y
consens.
ARNOLPHE
Vous
pourrez↔[27]dans cette conférence,→
Juger
de sa personne, ↔ et de son innocence.→
CHRYSALDE
Pour
cet article-là, ce que vous m’avez
dit,→
Ne
peut...
ARNOLPHE
La
vérité↔[28]passe encor
mon récit.→
Dans
ses simplicités ↔ à tous coups je
l’admire,→
Et
parfois elle en dit, ↔ dont je pâme de rire.→
L’autre
jour (pourrait-on ↔ ↑se le persuader)→
Elle
était fort en peine, ↔ et me vint demander,→
Avec
une innocence ↔ à nulle
autre pareille,→
Si
les enfants[29] qu’on fait, ↔ se faisaient
par l’oreille [30] .→
CHRYSALDE
Je
me réjouis ↑ fort,↔Seigneur Arnolphe...
ARNOLPHE
Bon ;[31]
Me
voulez-vous toujours ↔ appeler de ce nom ?→
CHRYSALDE
Ah !
malgré que j’en aie, ↔ il me vient à
la bouche,→
Et
jamais je ne songe ↔ à Monsieur de la Souche.→
Qui
diable vous a fait aussi vous aviser,→
À
quarante et deux ans ↔ de vous débaptiser [32] ,→
Et
d’un vieux tronc pourri ↔ de votre métairie,→
Vous
faire dans le monde ↔ un nom de seigneurie ?→
ARNOLPHE
Outre
que la maison ↔ par ce nom se connaît,→
La
Souche, plus qu’Arnolphe, ↔ à mes oreilles
plaît [33] .→
CHRYSALDE
Quel
abus, de quitter ↔ le vrai nom de ses pères,→
Pour
en vouloir prendre un ↔ bâti sur des chimères !→
De
la plupart des gens ↔ c’est la démangeaison ;→
Et
sans vous embrasser ↔ dans la comparaison,→
Je
sais un pa[i](y)[i]san, ↔ qu’on appelait Gros-Pierre,→
Qui
n’a[i](y)[i]ant, pour tout bien, ↔ qu’un seul quartier de
terre,→
Y
fit tout à l’entour ↔ faire un
fossé bourbeux,→
Et
de Monsieur de l’Isle ↔ en prit le nom pompeux [34] .→
ARNOLPHE
Vous
pourriez vous passer ↔ d’exemples de la sorte :→
Mais
enfin de la Souche ↔ est le nom que je porte ;→
J’y
vois de la raison, ↔ j’y trouve des appas,→
Et
m’appeler de l’autre, ↔ est ne m’obliger pas.→
CHRYSALDE
Cependant
la plupart ↔ ont peine à
s’y soumettre,→
Et
je vois même encor des adresses
de lettre...→
ARNOLPHE
Je
le souffre aisément ↔ de qui n’est pas instruit ;→
Mais
vous...→
CHRYSALDE→
Soit.
Là-dessus ↔ nous n’aurons point de bruit,→
Et
je prendrai le soin ↔ d’accoutumer ma bouche→
À
ne plus vous nommer ↔ que Monsieur de la Souche.→
ARNOLPHE→
Adieu ;
je frappe ici, ↔ pour donner le bonjour,→
Et
dire seulement, ↔ que je suis de retour.→
CHRYSALDE, s’en allant.
Ma
foi je le tiens fou ↔ de toutes les manières.→
ARNOLPHE
Il
est un peu blessé ↔ sur certaines matières.→
Chose
étrange de voir, ↔ comme avec passion,→
Un
chacun est chaussé ↔ ↑de son opinion !→
Holà !
SCÈNE II→
ALAIN, GEORGETTE,
ARNOLPHE.
ALAIN
Qui heurte ?
ARNOLPHE
Ouvrez. ↔ On
aura, que je pense,→[35]
Grande joie
à me voir, ↔ après dix jours
d’absence.→
ALAIN
Qui va
là ?
ARNOLPHE
Moi.
ALAIN
Georgette ?↔[36]
GEORGETTE
Hé
bien ?
ALAIN
Ouvre là-bas.→[37]
GEORGETTE
Vas-y, toi.
ALAIN
Vas-y, toi.↔[38]
GEORGETTE
Ma foi, je n’irai
pas.→
ALAIN
Je n’irai pas
aussi.↔
ARNOLPHE
Belle cérémonie,→
Pour me laisser
dehors. ↔ Holà ho je vous prie.→
GEORGETTE
Qui frappe ?
ARNOLPHE
Votre maître.↔[39]
GEORGETTE
Alain ?
ALAIN
Quoi ?
GEORGETTE
C’est Monsieur,→[40]
Ouvre vite.
ALAIN
Ouvre, toi.→[41]
GEORGETTE
Je souffle notre
feu.→
ALAIN
J’empêche, peur
du chat, ↔ que mon moineau ne sorte.→
ARNOLPHE
Quiconque de
vous deux ↔ n’ouvrira pas la porte,→
N’aura point à
manger ↔ de plus de quatre jours.→
Ha.
GEORGETTE
Par quelle
raison ↔[42]
y venir quand j’y cours[43].→
ALAIN
Pourquoi plutôt
que moi ? ↔ Le plaisant strodagème [44] !→
GEORGETTE
Ôte-toi donc
de là. ↔
ALAIN
Non, ôte-toi,
toi-même.→
GEORGETTE
Je veux ouvrir
la porte. ↔
ALAIN
Et je veux l’ouvrir,
moi. →
GEORGETTE
Tu ne l’ouvriras
pas. ↔
ALAIN
Ni toi non plus.
GEORGETTE
Ni toi.→[45]
ARNOLPHE
Il faut que j’aie
ici ↔ ↑l’âme bien patiente.→
ALAIN
Au moins, c’est moi,
Monsieur. ↔
GEORGETTE
Je suis votre
servante ;
C’est moi.→
ALAIN
Sans le respect
↔[46]
de Monsieur que voilà,→
Je te...
ARNOLPHE, recevant
un coup d’Alain.
Peste.
ALAIN
Pardon. ↔[47]
ARNOLPHE
Vo[i](y)[i]ez ce lourdaud-là.→
ALAIN
C’est elle
aussi, Monsieur... ↔
ARNOLPHE
Que tous deux on
se taise.→
Songez à me
répondre, ↔ et laissons la fadaise.→
Hé bien, Alain,
comment ↔ se porte-t-on ici ?→
ALAIN
Monsieur, nous nous...
Monsieur, ↔ nous nous por... Dieu merci ;→
Nous nous...
Arnolphe ôte par
trois fois le chapeau de dessus la tête d’Alain.
ARNOLPHE
Qui vous apprend,
↔[48]
impertinente bête,→
À parler devant
moi, ↔ le chapeau sur la tête ?→
ALAIN
Vous faites bien,
j’ai tort. ↔
ARNOLPHE, à
Alain.
Faites descendre
Agnès.→
à Georgette Lorsque je m’en
allai, ↔ fut-elle triste après ?→
GEORGETTE
Triste ! Non.
ARNOLPHE
Non !
GEORGETTE
Si fait. ↔[49]
ARNOLPHE
Pourquoi donc...
GEORGETTE
Oui, je meure,→
Elle vous cro[i](y)[i]ait voir ↔ de retour à toute heure ;→
Et nous n’o[i](y)[i]ions jamais ↔
passer devant chez nous,→
Cheval, âne,
ou mulet, ↔ qu’elle ne prît pour vous.→
SCÈNE III
AGNÈS, ALAIN,
GEORGETTE, ARNOLPHE.
ARNOLPHE
La besogne
à la main, ↔ c’est un bon témoignage.→
Hé bien,
Agnès, je suis ↔ de retour du vo[i](y)[i]age,→
En êtes-vous
bien aise ? ↔
AGNÈS
Oui, Monsieur, Dieu merci.→
ARNOLPHE
Et moi de vous
revoir, ↔ je suis bien aise aussi :→
Vous vous êtes
toujours, ↔ comme on voit, bien
portée ?→
AGNÈS
Hors les puces,
qui m’ont ↔ la nuit ↑ inquiétée.→
ARNOLPHE
Ah ! vous aurez
dans peu ↔ quelqu’un pour les chasser.→
AGNÈS
Vous me ferez
plaisir. ↔
ARNOLPHE
Je le puis bien penser.→
Que faites-vous
donc là ?→
AGNÈS
Je me fais des
cornettes, ↔
Vos chemises
de nuit, ↔ et vos coiffes sont faites.→
ARNOLPHE
Ha ! voilà
qui va bien ; ↔ allez, montez
là-haut,→
Ne vous ennu[i](y)[i]ez point, ↔ je reviendrai tantôt,→
Et je vous parlerai
↔ d’affaires importantes.→
(Tous étant rentrés.)
Héroïnes
du temps, ↔ Mesdames les savantes,→
Pousseuses de
tendresse ↔ et de beaux sentimens,→
Je défie
à la fois ↔ tous vos vers, vos
romans,→
Vos lettres, billets
doux, ↔ ↑ toute votre science,→
De valoir cette
honnête ↔ et pudique ignorance.
SCÈNE IV
HORACE,
ARNOLPHE.
ARNOLPHE
Ce
n’est point par le bien ↔ qu’il faut être
ébloui ;→
Et
pourvu que l’honneur ↔ soit... Que vois-je ?
Est-ce ?... Oui.→
Je
me trompe. Nenni. ↔ Si fait. Non, c’est lui-même.→
Hor...
HORACE
Seigneur
Ar...
ARNOLPHE
Horace.
↔[50]
HORACE
Arnolphe.
ARNOLPHE
Ah !
joie extrême !→
Et
depuis quand ici ? ↔
HORACE
Depuis
neuf jours.
ARNOLPHE
Vraiment.→
HORACE
Je
fus d’abord chez vous, ↔ mais inutilement.→
ARNOLPHE
J’étais
à la campagne. ↔
HORACE
Oui,
depuis deux journées.→
ARNOLPHE
Oh
comme les enfants ↔ croissent en peu d’années !→
J’admire
de le voir ↔ au point où le voilà,→
Après
que je l’ai vu ↔ pas plus grand que cela.→
HORACE
Vous
vo[i](y)[i]ez.
ARNOLPHE
Mais,
de grâce, ↔[51] Oronte votre père,→
Mon
bon et cher ami, ↔ que j’estime et
révère,→
Que
fait-il ? Que dit-il ? ↔ est-il toujours gaillard [52] ?→
À
tout ce qui le touche ↔ il sait que je prends
part.→
Nous
ne nous sommes vus ↔ depuis quatre ans
ensemble,→
Ni,
qui plus est, écrit ↔ l’un à l’autre,
me semble [53] .→
HORACE
Il
est, Seigneur Arnolphe, ↔ encor plus gai que nous,→
Et
j’avais de sa part ↔ une lettre pour vous ;→
Mais
depuis par une autre ↔ il m’apprend sa venue,→
Et
la raison encor ↔ ne m’en est pas connue.→
Savez-vous
qui peut être ↔ un de vos cito[i](y)[i]ens,→
Qui
retourne en ces lieux ↔ avec beaucoup de biens,→
Qu’il
s’est en quatorze ans ↔ acquis dans l’Amérique ?→
ARNOLPHE
Non :
vous a-t-on point dit ↔ comme on le
nomme [54] ?
HORACE
Enrique.→
ARNOLPHE
Non.
HORACE
Mon
père m’en parle, ↔ et qu’il est revenu,→
Comme
s’il devait m’être ↔ entièrement connu,→
Et
m’écrit qu’en chemin ↔ ensemble
ils se vont mettre,→
Pour
un fait important ↔ que ne dit point sa lettre [55] .→
ARNOLPHE
J’aurai
certainement ↔ grande joie à
le voir,→
Et
pour le régaler ↔ je ferai mon pouvoir.→
(Après
avoir lu la lettre.) Il faut pour des amis[56], ↔ des lettres moins civiles [57] ,→
Et
tous ces compliments ↔ sont choses inutiles ;→
Sans
qu’il prît le souci ↔ de m’en écrire rien,→
Vous
pouvez librement ↔ disposer de mon bien.→
HORACE
Je
suis homme à saisir ↔ les gens par leurs paroles,→
Et
j’ai présentement ↔ besoin de cent pistoles [58] .→
ARNOLPHE
Ma
foi, c’est m’obliger, ↔ que d’en user ainsi,→
Et
je ↑me réjouis ↔ de les avoir ici.→
Gardez
aussi la bourse. ↔
HORACE
Il
faut...
ARNOLPHE
Laissons
ce style [59] .→
Hé
bien, comment encor ↔ trouvez-vous cette ville ?→
HORACE
Nombreuse
en cito[i](y)[i]ens, ↔ superbe en
bâtiments,→
Et
j’en crois merveilleux ↔ les divertissements.→
ARNOLPHE
Chacun
a ses plaisirs, ↔ qu’il se fait à sa guise :→
Mais
pour ceux que du nom ↔ de galans on baptise,→
Ils
ont en ce pays ↔ de quoi se contenter,→
Car
les femmes y sont ↔ faites à coqueter [60] .→
On
trouve d’humeur douce ↔ et la brune,
et la blonde,→
Et
les maris aussi ↔ les plus bénins du monde :→
C’est
un plaisir de prince, ↔ et des tours que je voi,→
Je
me donne souvent ↔ la comédie[61] à moi.→
Peut-être
en avez-vous ↔ déjà féru [62] quelqu’une :→
Vous
est-il point encore ↔ arrivé de fortune ?→
Les
gens faits comme vous, ↔ font plus que les
écus,→
Et
vous êtes de taille ↔ à faire des cocus.→
HORACE
À
ne vous rien cacher ↔ de la vérité pure,→
J’ai
d’amour en ces lieux ↔ eu certaine
aventure,→
Et
l’amitié m’oblige ↔ à vous en faire
part.→
ARNOLPHE
Bon,
voici de nouveau ↔ quelque conte gai[i]llard,→
Et
ce sera de quoi ↔ mettre sur mes tablettes.→
HORACE
Mais,
de grâce, qu’au moins ↔ ces choses soient
secrètes.→
ARNOLPHE
Oh.
HORACE
Vous
n’ignorez pas ↔ ↑ qu’en ces occasions→
Un
secret éventé ↔ ↑ rompt nos prétentions.→
Je
vous avouerai ↔ donc avec pleine
franchise,→
Qu’ici
d’une beauté ↔ mon âme s’est éprise :→
Mes
petits soins d’abord ↔ ont eu tant de succès,→
Que
je me suis chez elle ↔ ouvert un doux accès ;→
Et
sans trop me vanter, ↔ ni lui faire
une injure,→
Mes
affaires y sont ↔ en fort bonne posture.→
ARNOLPHE, riant.
Et
c’est ?
HORACE, lui montrant le logis d’Agnès.
Un
jeune objet [63] ↔ qui loge en
ce logis,→
Dont
vous vo[i](y)[i]ez d’ici ↔ que les murs sont rougis,→
Simple
à la vérité, ↔ par l’erreur sans seconde→
D’un
homme qui la cache ↔ au commerce du monde,→
Mais
qui dans l’ignorance ↔ où l’on veut l’asservir,→
Fait
bri[i]ller des attraits ↔ capables de ravir,→
Un
air tout engageant, ↔ je ne sais quoi de tendre,→
Dont
il n’est point de cœur ↔ qui se puisse
défendre :→
Mais,
peut-être, il n’est pas ↔ que vous n’a[i](y)[i]ez bien vu→
Ce
jeune astre d’amour ↔ de tant d’attraits
pourvu :→
C’est
Agnès qu’on l’appelle. ↔
ARNOLPHE, à part.
Ah !
je crève.
HORACE
Pour
l’homme,→
C’est,
je crois, de la Zousse, ↔ ou Souche, qu’on le nomme,→
Je
ne me suis pas fort ↔ arrêté sur le nom ;→
Riche,
à ce qu’on m’a dit, ↔ mais des plus sensés,
non,→
Et
l’on m’en a parlé ↔ comme d’un ridicule[64].→
Le
connaissez-vous point ? ↔
ARNOLPHE,
à part.
La
fâcheuse pilule !→
HORACE
Eh !
vous ne dites mot. ↔
ARNOLPHE
Eh
oui, je le connois.→
HORACE
C’est
un fou, n’est-ce pas ? ↔
ARNOLPHE
Eh...
HORACE
Qu’en
dites-vous ? quoi ?→
Eh ?
c’est-à-dire oui. ↔ Jaloux ? à faire rire[65].→
Sot ?
Je vois qu’il en est ↔ ce que l’on m’a pu dire.→
Enfin
l’aimable Agnès ↔ a su m’assujettir,→
C’est
un joli bijou, ↔ pour ne vous point mentir,→
Et
ce serait péché, ↔ qu’une beauté
si rare→
Fût
laissée au pouvoir ↔ de cet homme bizarre.→
Pour
moi, tous mes efforts, ↔ tous mes vœux les
plus doux,→
Vont
à m’en rendre maître, ↔ en dépit du jaloux ;→
Et
l’argent que de vous ↔ j’emprunte
avec franchise,→
N’est
que pour mettre à bout ↔ cette juste
entreprise.→
Vous
savez mieux que moi, ↔ quels que soient
nos efforts,→
Que
l’argent est la clef ↔ de tous les grands
ressorts,→
Et
que ce doux métal ↔ qui frappe tant de têtes,→
En
amour, comme en guerre, ↔ avance les conquêtes.→
Vous
me semblez chagrin ; ↔ serait-ce qu’en effet→
Vous
désapprouveriez ↔ le dessein que j’ai fait ?→
ARNOLPHE
Non,
c’est que je songeais... ↔
HORACE
Cet
entretien vous lasse ;→
Adieu,
j’irai chez vous ↔ tantôt vous rendre grâce.→
ARNOLPHE
Ah !
faut-il...
HORACE,
revenant.
Derechef,
↔
veuillez être discret,→
Et
n’allez pas, de grâce, ↔ éventer mon
secret.→
ARNOLPHE
Que
je sens dans mon âme... ↔
HORACE, revenant.
Et
surtout à mon père, ↔
Qui
s’en ferait peut-être ↔ un sujet de colère.→
ARNOLPHE, croyant qu’il revient encore.
Oh...
Oh que j’ai souffert ↔ durant cet entretien !→
Jamais
trouble d’esprit ↔ ne fut égal au mien.→
Avec
quelle imprudence, ↔ et quelle hâte
extrême,→
Il
m’est venu conter ↔ cette affaire
à moi-même !→
Bien
que mon autre nom ↔ le tienne dans l’erreur,→
Étourdi
montra-t-il ↔ jamais tant de fureur ?→
Mais
a[i](y)[i]ant tant souffert, ↔ je devais me contraindre [66] ,→
Jusques
à m’éclaircir ↔ de ce que je dois craindre,→
À
pousser jusqu’au bout ↔ son caquet indiscret,→
Et
savoir pleinement ↔ leur commerce secret.→
Tâchons
à le rejoindre [67] , ↔ il n’est pas loin je pense,→
Tirons-en
de ce fait ↔ l’entière confidence ;→
Je
tremble du malheur ↔ qui m’en peut arriver,→
Et
l’on cherche souvent ↔ plus qu’on ne veut
trouver.→
ACTE 2
SCÈNE PREMIÈRE
ARNOLPHE
Il m’est, lorsque j’y pense, ↔ avantageux sans doute [68]→
D’avoir perdu mes pas, ↔ et pu manquer sa route :→
Car enfin, de mon cœur ↔ le trouble impérieux→
N’eût pu se renfermer ↔ tout entier à ses yeux,→
Il eût fait éclater ↔ l’ennui qui me dévore,→
Et je ne voudrais pas ↔ qu’il sût ce qu’il ignore.→
Mais je ne suis pas homme ↔ à gober le morceau,→
Et laisser un champ libre ↔ aux vœux du damoiseau [69] ;→
J’en veux rompre le cours, ↔ et sans tarder, apprendre→
Jusqu’où l’intelligence ↔ entre
eux a pu s’étendre :→
J’y prends, pour mon honneur, ↔ un notable
intérêt,→
Je la regarde
en femme, ↔ aux termes
qu’elle en est,→
Elle n’a pu faillir, sans ↔ ↑ me couvrir de honte,→
Et tout ce qu’elle a fait, ↔ enfin est sur mon compte [70] .→
Éloi[i]gnement fatal ! ↔ Vo[i](y)[i]age malheureux !→
Frappant à la porte.
SCÈNE II
ALAIN, GEORGETTE, ARNOLPHE.
ALAIN
Ah ! Monsieur, cette
fois... ↔
ARNOLPHE
Paix. Venez çà tous deux :→
Passez là, passez
là. ↔ Venez là, venez dis-je.→
GEORGETTE
Ah ! vous me faites
peur, ↔ et tout mon sang se fige.→
ARNOLPHE
C’est donc ainsi, qu’absent,
↔ vous m’avez obéi,→
Et tous deux, de concert,
↔ vous m’avez donc trahi ?→
GEORGETTE
Eh ne me mangez pas,
↔ Monsieur, je vous conjure.→
ALAIN, à part.
Quelque chien enragé
↔ l’a mordu, je m’assure.→
ARNOLPHE
Ouf. Je ne puis parler,
↔ tant je suis prévenu [71] ,→
Je suffoque, et
voudrais ↔ me pouvoir mettre nu [72] .→
Vous avez donc souffert,
↔ ô canaille maudite,→
Qu’un homme soit venu...
↔ Tu veux prendre la fuite ?→
Il faut que sur-le-champ...
↔ Si tu bouges... Je veux→
Que vous me disiez... Euh ?
↔ Oui, je veux que tous deux...→
Quiconque remûra,
↔ par la mort[73],
je l’assomme.→
Comme est-ce
que chez moi ↔ s’est introduit cet homme ?→
Eh ? parlez, dépêchez,
↔ vite, promptement, tôt,→
Sans rêver, veut-on
dire ? ↔
ALAIN ET
GEORGETTE
Ah, Ah.
GEORGETTE
ALAIN
Je meurs.
ARNOLPHE
Je suis en eau, ↔[76] prenons un peu d’haleine,→
Il faut que je
m’évente, ↔ et que je me promène.→
Aurais-je deviné,
↔ quand je l’ai vu petit,→
Qu’il croîtrait pour
cela ? ↔ Ciel que mon cœur pâtit !→
Je pense qu’il vaut mieux
↔ que de sa propre bouche→
Je tire avec
douceur l’affaire qui me touche :→
Tâchons de modérer
↔ notre ressentiment.→
Patience, ↓mon cœur,
↔ doucement, doucement,→
Levez-vous, et rentrant,
↔ faites qu’Agnès descende.→
Arrêtez. Sa surprise
↔ en deviendrait moins grande,→
Du chagrin qui me trouble,
↔ ils iraient l’avertir ;→
Et moi-même je veux
↔ l’aller faire sortir.→
Que l’on m’attende
ici. ↔
SCÈNE III
ALAIN, GEORGETTE.→
GEORGETTE
Mon Dieu, qu’il est terrible !→
Ses regards m’ont
fait peur, ↔ mais une peur horrible,→
Et jamais je
ne vis ↔ un plus hideux chrétien.→
ALAIN
Ce Monsieur l’a
fâché, ↔ je te le disais bien.→
GEORGETTE
Mais que diantre
est-ce là, qu’avec tant de rudesse→
Il nous fait au
logis ↔ garder notre maîtresse ?→
D’où vient
qu’à tout le monde ↔ il veut tant la cacher,→
Et qu’il ne saurait
voir ↔ personne en approcher ?→
ALAIN
C’est que cette
action ↔ le met en jalousie.→
GEORGETTE
Mais d’où
vient qu’il est pris ↔ de cette fantaisie ?→
ALAIN
Cela vient… Cela
vient, ↔ de ce qu’il est jaloux.→
GEORGETTE
Oui : mais
pourquoi l’est-il ? ↔ et pourquoi ce
courroux ?→
ALAIN
C’est que la jalousie...
↔ Entends-tu bien, Georgette,→
Est une chose…
là… ↔ qui fait ↑qu’on s’inquiète...→
Et qui chasse
les gens ↔ d’autour d’une maison.→
Je m’en vais te
bailler ↔ une comparaison,→
Afin de concevoir
↔ la chose davantage.→
Dis-moi, n’est-il
pas vrai, ↔ quand tu tiens ton potage,→
Que si quelque
affamé ↔ venait pour en manger,→
Tu serais en
colère, ↔ et voudrais le charger ?→
GEORGETTE
Oui, je comprends
cela. ↔
ALAIN
C’est justement
tout comme.→
La femme
est en effet ↔ le potage de l’homme ;→
Et quand un homme
voit ↔ d’autres hommes parfois,→
Qui veulent dans
sa soupe ↔ aller tremper leurs doigts,→
Il en montre aussitôt
↔ une colère extrême.→
GEORGETTE
Oui : mais
pourquoi chacun ↔ n’en fait-il pas de même ?→
Et que nous en
vo[i](y)[i]ons ↔ qui paraissent
jo[i](y)[i]eux,→
Lorsque leurs femmes
sont ↔ avec les biaux monsieux [77] ?→
ALAIN
C’est que chacun
n’a pas ↔ cette amitié goulue,→
Qui n’en veut que
pour soi. ↔
GEORGETTE
Si je n’ai la berlue,→
Je le vois qui
revient. ↔
ALAIN
Tes yeux sont bons, c’est lui.→
GEORGETTE
Vois comme
il est chagrin. ↔
ALAIN
C’est qu’il a de l’ennui.→
SCÈNE IV
ARNOLPHE, AGNÈS,
ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE
Un certain Grec disait ↔ à l’empereur
Auguste,→
Comme une
instruction ↔[78]
utile, autant que juste,→
Que lorsqu’une
aventure ↔ en colère nous met,→
Nous devons avant tout ; ↔ dire
notre alphabet.→
Afin que dans
ce temps ↔ la bile se tempère,→
Et qu’on ne fasse
rien ↔ que l’on ne doive faire.→
J’ai suivi sa
leçon ↔ sur le sujet d’Agnès ;→
Et je la fais
venir ↔ en ce lieu tout exprès,→
Sous prétexte d’y faire ↔ un tour
de promenade ;→
Afin que les
soupçons ↔ de mon esprit malade→
Puissent sur le
discours ↔ la mettre adroitement :→
Et lui sondant
le cœur ↔ s’éclaircir doucement.→
Venez, Agnès [79] .
Rentrez. ↔
SCÈNE V
ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPHE
La promenade est belle.→
AGNÈS
Fort belle.
ARNOLPHE
Le beau jour ! ↔[80]
AGNÈS
Fort beau !
ARNOLPHE
Quelle nouvelle ?→[81]
AGNÈS
Le petit chat est mort.
↔
ARNOLPHE
C’est dommage : mais quoi→
Nous sommes tous mortels,
↔ et chacun est pour soi.→
Lorsque j’étais
aux champs ↔ n’a-t-il point fait de pluie ?→
AGNÈS
Non.
ARNOLPHE
Vous ennuyait-il ? ↔
AGNÈS
Jamais je ne m’ennuie.→
ARNOLPHE
Qu’avez-vous fait encor
↔ ces neuf ou dix jours-ci ?→
AGNÈS
Six chemises, je pense,
↔ et six coiffes aussi.→
ARNOLPHE, ayant un peu rêvé.
Le monde, chère
Agnès, ↔ est une étrange
chose.→
Vo[i](y)[i]ez la médisance, ↔
et comme chacun cause.→
Quelques voisins m’ont dit
↔ qu’un jeune homme inconnu :→
Était en mon absence
↔ à la maison venu ;→
Que vous aviez souffert
↔ sa vue et ses harangues.→
Mais je n’ai point pris foi
↔ sur ces méchantes langues ;→
Et j’ai voulu gager
↔ que c’était faussement...→
AGNÈS
Mon Dieu, ne gagez pas,
↔ vous perdri[i]ez
vraiment.→
ARNOLPHE
Quoi ! c’est la vérité
↔ qu’un homme...
AGNÈS
Chose sûre.[82]→
Il n’a presque bougé
↔ de chez nous, je vous jure.→
ARNOLPHE, à part.
Cet aveu qu’elle fait
↔ avec sincérité,→
Me marque pour le moins
↔ ↑ son ingénuité.→
Mais il me semble,
Agnès, ↔ si ma mémoire
est bonne,→
Que j’avais défendu
↔ que vous vissiez personne.→
AGNÈS
Oui : mais quand je
l’ai vu, ↔ vous ignorez pourquoi [83] ,→
Et vous en auriez fait,
↔ sans doute, autant que moi.→
ARNOLPHE
Peut-être : mais
enfin, ↔ contez-moi cette histoire.→
AGNÈS
Elle est fort étonnante
↔ et difficile à croire.→
J’étais sur le
balcon ↔ à travailler au frais :→
Lorsque je vis passer
↔ sous les arbres d’auprès→
Un jeune homme
bien fait, ↔ qui rencontrant ma vue,→
D’une humble révérence
↔ aussitôt me salue.→
Moi, pour ne point manquer
↔ à la civilité,→
Je fis la révérence
↔ aussi de mon côté.→
Soudain, il me refait
↔ une autre révérence.→
Moi, j’en refais de même
↔ une autre en diligence ;→
Et lui d’une troisième
↔ aussitôt repartant,→
D’une troisième
aussi ↔ j’y repars à l’instant.→
Il passe, vient, repasse,
↔ et toujours de plus belle→
Me fait à chaque fois
↔ révérence nouvelle.→
Et moi, qui tous ces tours
↔ fixement regardais.→
Nouvelle révérence
↔ aussi je lui rendais.→
Tant, que si sur ce point
↔ la nuit ne fût venue,→
Toujours comme cela
↔ je me serais tenue.→
Ne voulant point
céder ↔ et recevoir l’ennui [84] ,→
Qu’il me pût estimer
↔ moins civile que lui.→
ARNOLPHE
Fort bien.
AGNÈS
Le lendemain ↔[85] étant sur notre porte,→
Une vieille m’aborde
↔ en parlant de la sorte.→
« Mon enfant [86] ,
le bon Dieu ↔ puisse-t-il vous bénir,→
Et dans tous vos attraits
↔ longtemps vous maintenir.→
Il ne vous a pas faite
↔ une belle personne ;→
Afin de mal user ↔
des choses qu’il vous donne.→
Et vous devez savoir
↔ que vous avez blessé→
Un cœur, qui de s’en
plaindre ↔ est aujourd’hui forcé. »→
ARNOLPHE, à part.
Ah suppôt de Satan,
↔ exécrable damnée.→
AGNÈS
« Moi, j’ai blessé
quelqu’un ? ↔ fis-je toute étonnée.→
Oui, dit-elle, blessé,
↔ mais blessé tout de bon ;→
Et c’est ↑ l’homme
qu’hier ↔ vous vîtes du balcon.→
Hélas ! qui pourrait,
dis-je, ↔ en avoir été cause ?→
Sur lui, sans y penser,
↔ fis-je choir quelque chose ?→
Non, dit-elle, vos yeux
↔ ont fait ce coup fatal,→
Et c’est de leurs regards
↔ qu’est venu tout son mal.→
Hé, mon Dieu ! ma
surprise ↔ est, fis-je, sans seconde.→
Mes yeux ont-ils du mal
↔ pour en donner au monde ?→
Oui, fit-elle, vos yeux,
↔ pour causer le trépas→
Ma fille, ont un
venin ↔ que vous ne savez pas.→
En un mot, il languit
↔ le pauvre misérable.→
Et s’il faut, poursuivit
↔ la vieille charitable,→
Que votre cruauté
↔ lui refuse un secours,→
C’est un homme
à porter ↔ en terre dans deux jours.→
Mon Dieu ! j’en aurais,
dis-je, ↔ une douleur bien grande,→
Mais pour le secourir,
↔ qu’est-ce qu’il me demande ?→
Mon enfant, me dit-elle,
↔ il ne veut obtenir,→
Que le bien de vous voir
↔ et vous entretenir.→
Vos yeux peuvent eux seuls
↔ ↑ empêcher sa ruine,→
Et du mal qu’ils ont fait
↔ être la médecine.→
Hélas ! volontiers,
dis-je, ↔ et puisqu’il est ainsi,→
Il peut tant qu’il voudra
↔ me venir voir ici. »→
ARNOLPHE, à part.
Ah sorcière maudite,
↔ empoisonneuse d’âmes,→
Puisse l’enfer pa[i](y)[i]er
↔ tes charitables trames.→
AGNÈS
Voilà comme
il me vit ↔ et reçut guérison.→
Vous-même,
à votre avis, ↔ n’ai-je pas
eu raison ?→
Et pouvais-je après
↔ tout avoir la conscience [87]→
De le laisser mourir faute d’une
assistance ?→
Moi qui compatis tant
↔ aux gens qu’on fait souffrir,→
Et ne puis sans pleurer
↔ voir un poulet mourir.→
ARNOLPHE, bas.
Tout cela n’est parti
↔ que d’une âme innocente :→
Et j’en dois accuser
↔ mon absence imprudente,→
Qui sans guide
a laissé ↔ cette bonté de mœurs,→
Exposée
aux aguets ↔ des rusés séducteurs.→
Je crains que le pendard,
↔ dans ses vœux téméraires,→
Un peu plus fort que jeu
↔ n’ait poussé les affaires.→
AGNÈS
Qu’avez-vous ? vous
grondez, ↔ ce me semble, un petit.→
Est-ce que c’est mal fait
↔ ce que je vous ai dit ?→
ARNOLPHE
Non. Mais de cette vue
↔ apprenez-moi les suites,→
Et comme le jeune
homme ↔ a passé ses visites[88].→
AGNÈS
Hélas ! si vous
saviez, ↔ comme il était
ravi,→
Comme il perdit
son mal, ↔ sitôt que je le vi ;→
Le présent qu’il
m’a fait ↔ d’une belle cassette,→
Et l’argent qu’en ont eu
↔ notre Alain et Georgette.→
Vous l’aimeriez sans doute,
↔ et diriez comme nous...→
ARNOLPHE
Oui ; mais que faisait-il
↔ étant seul avec vous ?→
AGNÈS
Il jurait qu’il m’aimait
↔ d’une amour sans seconde [89] :→
Et me disait des mots
↔ les plus gentils du monde :→
Des choses que jamais
↔ rien ne peut égaler.→
Et dont, toutes les fois
↔ que je l’entends parler,→
La douceur me chatouille,
↔ et là-dedans remue→
Certain je ne sais quoi,
dont je suis toute émue.→
ARNOLPHE, à part.
Ô fâcheux examen
↔ d’un mystère fatal,→
Où l’examinateur
↔ souffre seul tout le mal !→
(À Agnès) Outre
tous ces discours, ↔ toutes ces gentillesses,→
Ne vous faisait-il point
↔ aussi quelques caresses ?→
AGNÈS
Oh tant ; il me prenait
↔ et les mains et les bras,→
Et de me les baiser
↔ il n’était jamais las.→
ARNOLPHE
Ne vous a-t-il point pris,
↔ Agnès, quelque autre chose ?→
(La voyant interdite.) Ouf.
AGNÈS
Hé, il m’a...
ARNOLPHE
Quoi ?
AGNÈS
Pris...↔[90]
ARNOLPHE
Euh !
AGNÈS
Le...
ARNOLPHE
Plaît-il ?
AGNÈS
Je n’ose,→[91]
Et vous vous fâcherez
↔ peut-être contre moi.→
ARNOLPHE
Non.
AGNÈS
Si fait.
ARNOLPHE
Mon Dieu ! non. ↔[92]
AGNÈS
Jurez donc votre foi.→
ARNOLPHE
Ma foi, soit.
AGNÈS
Il m’a pris... ↔ vous serez en colère.→
ARNOLPHE
Non.
AGNÈS
Si.
ARNOLPHE
Non, non, non, non ! ↔ Diantre !
que de mystère !→
Qu’est-ce qu’il vous a pris ?↔
AGNÈS
Il...
ARNOLPHE, à part.
Je souffre en damné.→
AGNÈS
Il m’a pris le ruban
↔ que vous m’aviez donné,→
À vous dire le vrai,
↔ je n’ai pu m’en défendre.→
ARNOLPHE, reprenant haleine.
Passe pour le ruban.
↔ Mais je voulais apprendre,→
S’il ne vous a rien fait
↔ que vous baiser les bras.→
AGNÈS
Comment. Est-ce qu’on fait
↔ d’autres choses ?
ARNOLPHE
Non pas.→
Mais pour guérir
du mal ↔ qu’il dit qui le possède,→
N’a-t-il point exigé
↔ de vous d’autre remède [93] ?→
AGNÈS
Non. Vous pouvez juger
↔ s’il en eût demandé,→
Que pour le secourir
↔ j’aurais tout accordé.→
ARNOLPHE
Grâce aux
bontés du Ciel, ↔ j’en suis quitte
à bon compte.→
Si j’y retombe plus
↔ je veux bien qu’on m’affronte [94] .→
Chut. De votre
innocence, ↔ Agnès, c’est un effet,→
Je ne vous en dis mot,
↔ ce qui s’est fait est fait.→
Je sais qu’en vous flattant
↔ le galant ne désire→
Que de vous abuser,
↔ et puis après s’en rire[95].→
AGNÈS
Oh ! point. Il me
l’a dit ↔ plus de vingt fois à moi.→
ARNOLPHE
Ah ! vous ne savez pas
↔ ce que c’est que sa foi.→
Mais enfin : apprenez
↔ qu’accepter des cassettes,→
Et de ces beaux blondins
↔ écouter les sornettes :→
Que se laisser par eux
↔ à force de langueur→
Baiser ainsi les mains,
↔ et chatouiller le cœur :→
Est un péché
mortel ↔ des plus gros qu’il se fasse.→
AGNÈS
Un péché, dites-vous,
↔ et la raison de grâce ?→
ARNOLPHE
La raison ? La raison,
↔ est l’arrêt prononcé,→
↑ Que par ces actions
↔ le Ciel est courroucé.→
AGNÈS→
Courroucé. Mais
pourquoi ↔ faut-il qu’il s’en courrouce ?→
C’est une chose,
hélas [96] !
si plaisante et si douce.→
J’admire quelle joie
↔ on goûte à tout cela.→
Et je ne savais point
↔ encor ces choses-là.→
ARNOLPHE
Oui. C’est un grand plaisir
↔ que toutes ces tendresses,→
Ces propos si gentils, ↔
et ces douces caresses ;→
Mais il faut le
goûter ↔ en toute
honnêteté [97],→[98]
↑ Et qu’en se mariant
↔ le crime en soit ôté.→
AGNÈS
N’est-ce plus un
péché ↔ lorsque l’on se marie ?→
ARNOLPHE
Non.
AGNÈS→
↓ Mariez-moi donc ↔ promptement,
je vous prie.→
ARNOLPHE→
Si vous le souhaitez,
↔ je le souhaite aussi,→
↑ Et pour vous marier
↔ on me revoit ici.→
AGNÈS
Est-il possible ?
ARNOLPHE
Oui. ↔[99]
AGNÈS
Que vous me ferez aise !→
ARNOLPHE
Oui, je ne doute point
↔ que l’hymen [100] ne
vous plaise.→
AGNÈS
Vous nous voulez, nous deux...
↔
ARNOLPHE
Rien de plus assuré.→
AGNÈS
Que si cela se fait,
↔ je vous caresserai !→
ARNOLPHE
Hé, la chose sera
↔ de ma part réciproque.→
AGNÈS
Je ne reconnais point,
↔ pour moi, quand on se moque.→
Parlez-vous tout de bon ?
↔
ARNOLPHE
Oui, vous le pourrez voir.→
AGNÈS
Nous serons mariés ?
ARNOLPHE
Oui. ↔[101]
AGNÈS
Mais quand ?
ARNOLPHE
↑ Dès ce soir.→[102][103] [!!!]
AGNÈS, riant.
Dès ce soir ?→
ARNOLPHE→
Dès ce soir. ↔ Cela vous fait
donc rire ?→
AGNÈS
Oui.
ARNOLPHE
Vous voir bien contente, ↔ est ce
que je désire.→
AGNÈS
Hélas ! que je
vous ai ↔ grande obligation ![104]→
Et qu’avec lui j’aurai
↔ ↑ de satisfaction !→
ARNOLPHE
Avec qui ?
AGNÈS
Avec... là. ↔[105]
ARNOLPHE
Là... là n’est pas mon compte [106] .→
À choisir un mari,
↔ vous êtes un peu prompte.→
C’est un autre
en un mot ↔ que je vous tiens tout prêt,→
Et quant au monsieur, là,
↔ je prétends, s’il vous plaît,→
Dût le mettre
au tombeau ↔ le mal dont il vous berce,→
Qu’avec lui désormais
↔ vous rompiez tout commerce ;→
Que venant au logis
↔ pour votre compliment→
Vous lui fermiez au nez
↔ la porte honnêtement,→
Et lui jetant, s’il heurte,
↔ un grès par la fenêtre,→
L’obligiez tout de bon
↔ à ne plus y paraître.→
M’entendez-vous, Agnès ?
↔ Moi, caché dans un coin,→
De votre procédé
↔ je serai le témoin.→
AGNÈS
Las ! il est si bien
fait. ↔ C’est...
ARNOLPHE
Ah que de langage !→[107]
AGNÈS
Je n’aurai pas le cœur...
↔
ARNOLPHE
Point de bruit davantage,→
Montez là-haut.
AGNÈS
Mais quoi, ↔[108] voulez-vous...
ARNOLPHE
C’est assez.→[109]
Je suis maître, je
parle, ↔ allez, obéissez [110] .→
ACTE
III,
SCÈNE
PREMIÈRE
ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN,
GEORGETTE.
ARNOLPHE
Oui : tout a bien été, ↔
ma joie est sans pareille.→
Vous avez là
suivi ↔ mes ordres à merveille :→
Confondu de tout point ↔ le blondin séducteur ;→
Et voilà de quoi sert ↔ un sage directeur [111] .→
Votre innocence, Agnès, ↔ avait
été surprise,→
Vo[i]y[i]ez, sans y penser ↔ où vous
vous étiez mise.→
Vous enfiliez tout droit, ↔ ↑ sans mon instruction,→
Le grand chemin d’enfer ↔ ↑ et de perdition.→
De tous ces damoiseaux ↔ on sait trop les coutumes.→
Ils ont de beaux
canons, ↔ force rubans, et plumes,→
Grands cheveux, belles
dents, ↔ et des propos fort doux :→
Mais comme je
vous dis ↔ la griffe est là-dessous.→
Et ce sont vrais
satans, ↔ dont la gueule altérée→
De l’honneur féminin
↔ cherche à faire curée [112] .→
Mais encore
une fois, ↔ grâce au soin apporté,→
Vous en êtes
sortie ↔ avec honnêteté[113].→
L’air dont je vous
ai vu ↔ lui jeter cette pierre,→
Qui de tous ses
desseins ↔ a mis l’espoir par terre,→
Me confirme
encor mieux ↔ à ne point différer→
Les noces, où
je dis ↔ qu’il vous faut préparer.→
Mais avant toute
chose ↔ il est bon de vous faire→
Quelque petit
discours, ↔ qui vous soit salutaire.→
Un siège
au frais ici. ↔ Vous, si jamais en rien...→
GEORGETTE
De toutes vos leçons ↔ nous nous
souviendrons bien.→
Cet autre monsieur-là
↔ nous en faisait accroire.→
Mais...
ALAIN
S’il entre jamais, ↔
je veux jamais ne boire.→
Aussi bien est-ce un sot, ↔
il nous a l’autre fois→
Donné deux écus
d’or ↔ qui n’étaient pas de
poids [114] .→
ARNOLPHE
A[i](y)[i]ez donc pour souper
↔ tout ce que je désire,→
Et pour notre
contrat, ↔ comme je viens de dire,→
Faites venir
ici ↔ l’un ou l’autre au retour,→
Le notaire
qui loge ↔ au coin de ce carfour [115] .
SCÈNE II
ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPHE, assis.
Agnès, pour m’écouter, ↔ laissez là votre ouvrage.→
Levez un peu la tête, ↔ et tournez le visage.→
Là, regardez-moi là, ↔ durant cet entretien :→
Et jusqu’au moindre mot ↔ imprimez-le-vous bien.→
Je vous épouse,
Agnès, et cent fois la journée→
Vous devez bénir l’heur ↔ de votre destinée :→
Contempler la bassesse ↔ où vous avez été,→
Et dans le même temps ↔ admirer ma bonté,→
Qui de ce vil état ↔ de pauvre villageoise,→
Vous fait monter au rang ↔ d’honorable bourgeoise :→
↑ Et jouir de la couche ↔ et des embrassements,→
D’un homme qui fu[i](y)[i]ait ↔ tous ces engagements ;→
Et dont à vingt partis ↔ fort capables de plaire,→
Le cœur a refusé ↔ l’honneur qu’il vous veut faire.→
Vous devez toujours, dis-je, ↔ avoir devant les yeux→
Le peu que vous étiez ↔ ↑sans ce nœud glorieux ;→
Afin que cet objet ↔ d’autant mieux vous instruise,→
À mériter l’état ↔ où je vous aurai mise ;→
À toujours vous connaître, ↔ et faire qu’à jamais→
Je puisse ↓me louer ↔ de l’acte que je fais [116] .→
Le mariage, Agnès, ↔ n’est pas un badinage.→
À d’austères
devoirs ↔ le rang
de femme engage :→
Et vous n’y montez pas, ↔ à ce que je prétends,→
Pour être libertine [117] ↔ et prendre du bon temps.→
Votre sexe n’est là ↔ que pour la dépendance.→
Du côté de la barbe ↔ est la toute-puissance.→
Bien qu’on soit deux moitiés ↔ ↑ de la société,→
Ces deux moitiés pourtant ↔ n’ont point d’égalité :→
L’une est
moitié suprême, ↔ et l’autre subalterne :→
L’une en
tout est soumise ↔
à l’autre qui gouverne.→
Et ce que le soldat ↔ dans son devoir instruit→
Montre d’obéissance ↔ au chef qui le conduit,→
Le valet à son maître, ↔ un enfant à son père,→
↑ À son supérieur ↔ le moindre petit frère,→
N’approche point encor ↔ de la docilité,→
Et de l’obéissance, ↔ et de l’humilité,→
Et du profond respect, ↔ où la femme doit être→
Pour son mari, son chef, ↔ son seigneur, et son maître.→
Lorsqu’il jette sur elle ↔ ↑un regard sérieux,→
Son devoir aussitôt ↔ est de baisser les yeux ;→
Et de n’oser jamais ↔ le regarder en face→
Que quand d’un doux regard ↔ il lui veut faire grâce,→
C’est ce qu’entendent mal ↔ les femmes d’aujourd’hui :→
Mais ne vous gâtez pas ↔ sur l’exemple d’autrui.→
Gardez-vous d’imiter ↔ ces coquettes vilaines,→
Dont par toute la ville ↔ on chante les fredaines :→
Et de vous laisser prendre ↔ aux assauts du malin,→
C’est-à-dire, d’ouïr ↔ aucun jeune blondin.→
Songez qu’en vous faisant ↔ moitié de ma personne ;→
C’est mon honneur, Agnès, ↔ que je vous abandonne :→
Que cet honneur est tendre, ↔ et se blesse de peu ;→
Que sur un tel sujet ↔ il ne faut point de jeu :→
Et qu’il est aux enfers ↔ des chaudières bouillantes,→
Où l’on plonge
à jamais ↔
les femmes mal vivantes.→
Ce que je vous dis là ↔ ne sont pas des chansons :→
Et vous devez du cœur ↔ dévorer ces leçons.→
Si votre
âme les suit[118] ↔ et fuit
d’être coquette,→
Elle sera toujours ↔ comme
un lis blanche et nette :→
Mais s’il faut qu’à
l’honneur ↔ elle
fasse un faux bond[119],→
Elle deviendra lors ↔ noire comme un charbon.→
Vous paraîtrez à tous ↔ un objet effro[i](y)[i]able,→
Et vous irez un jour, ↔ vrai partage du diable,→
Bouillir dans les enfers ↔ à toute
éternité :→
Dont vous veuille garder ↔ la céleste bonté.→
Faites la révérence. Ainsi qu’une novice→
Par cœur dans le couvent ↔ doit savoir son office [120] ,→
↑ Entrant au mariage ↔ il en
faut faire autant :→
Et voici dans ma poche un écrit important→
Qui vous enseignera ↔ l’office de la femme.→
J’en ignore l’auteur : ↔ mais c’est
quelque bonne âme.→
Et je veux que ce soit ↔ votre
unique entretien. (Il se lève.)→
Tenez : vo[i](y)[i]ons un peu ↔ si vous le lirez bien.→
AGNÈS lit.
LES MAXIMES DU MARIAGE OU LES DEVOIRS DE LA FEMME MARIÉE, AVEC SON EXERCICE JOURNALIER.
Ire MAXIME.
Celle qu’un lien
honnête,→
Fait entrer au lit
d’autrui :→
Doit se mettre
dans la tête,→
Malgré le train
d’aujourd’hui,→
Que l’homme qui la prend, ↔ ne la prend que pour lui [121] .→
ARNOLPHE
Je vous expliquerai ↔ ce que cela veut dire.→
Mais pour l’heure présente ↔ il ne faut rien que lire.→
AGNÈS poursuit.
IIe MAXIME.
Elle ne
se doit parer,→
Qu’autant que
peut désirer→
Le mari
qui la possède.→
C’est lui que touche
seul ↔ le soin
de sa beauté ;→
Et pour rien doit
être compté :→
Que les autres la trouvent laide.→
IIIe MAXIME.
Loin, ces études
d’œillades,→
Ces eaux, ces blancs,
ces pommades,→
Et mille ingrédients ↔ qui font
des teints fleuris.→
À l’honneur tous
les jours ↔ ce sont
drogues mortelles.→
Et les soins de paraître belles→
Se prennent peu pour les maris.→
IVe MAXIME.
Sous sa coiffe
en sortant, ↔ comme l’honneur
l’ordonne,→
Il faut que de ses yeux ↔ elle
étouffe les coups[122]→
Car pour bien plaire
à son époux,→
Elle ne doit plaire
à personne[123].→
Ve MAXIME.
Hors ceux, dont au
mari ↔ la visite
se rend,→
La bonne
règle défend→
De recevoir aucune
âme.→
Ceux qui de galante
humeur,→
N’ont affaire
qu’à Madame,→
N’accommodent
pas Monsieur.→
VIe MAXIME.
Il faut ↑ des
présents des hommes→
Qu’elle se
défende bien[124].→
Car dans le siècle
où nous sommes→
On ne donne
rien pour rien[125].→
VIIe MAXIME.
Dans ses meubles,
dût-elle ↔ en avoir de
l’ennui,→
Il ne faut écritoire, ↔ encre,
papier ni plumes.→
↑ Le mari ↑doit, ↔ dans les
bonnes coutumes,→
Écrire tout ce qui ↔ s’écrit ↑↓ chez lui.→
VIIIe MAXIME.
Ces sociétés ↑ déréglées,→
Qu’on nomme belles assemblées,→
Des femmes tous les
jours ↔ corrompent
les esprits.→
En bonne politique ↔ on les
doit interdire ;→
Car c’est là que ↑ l’on
conspire→
Contre les pauvres maris. [äàêòèëè÷åñêàÿ ñòðîêà]→
IXe MAXIME.
Toute femme qui veut ↔ à l’honneur
se vouer,→
Doit se défendre
de jouer, [äàêòèëè÷åñêàÿ
ñòðîêà]→
Comme
d’une chose funeste. [äàêòèëè÷åñêàÿ ñòðîêà]→
Car le jeu fort
décevant [äàêòèëè÷åñêàÿ
ñòðîêà]→
Pousse
une femme souvent, [äàêòèëè÷åñêàÿ ñòðîêà]→
À jouer de tout
son reste.→
Xe MAXIME.
Des promenades
du temps,→
Ou repas qu’on donne
aux champs→
Il ne faut point
qu’elle essaye.→
Selon ↑ les prudents cerveaux,→
↑ Le mari
dans ces cadeaux [126]→
↑ Est toujours celui qui paye.→
XIe MAXIME...
ARNOLPHE
Vous achèverez seule, ↔ et pas à pas tantôt→
Je vous expliquerai ↔ ces choses
comme il faut.→
Je me suis souvenu ↔ d’une petite affaire.→
Je n’ai qu’un mot à dire, ↔ et ne tarderai guère.→
Rentrez et conservez ↔ ce livre chèrement.→
Si le notaire vient, ↔ qu’il m’attende
un moment.→
SCÈNE III
ARNOLPHE
Je ne puis faire
mieux ↔ que d’en faire ma femme.→
Ainsi que je
voudrai, ↔ je tournerai cette âme.→
Comme un
morceau de cire ↔ entre mes mains elle
est,→
Et je lui puis
donner ↔ la forme qui me plaît.→
Il s’en est peu
fallu ↔ que, durant mon absence,→
On ne m’ait attrapé
↔ par son trop d’innocence.→
Mais il vaut beaucoup
mieux, ↔ à dire vérité,→
Que la femme
qu’on a ↔ pèche de ce côté.→
De ces sortes
d’erreurs ↔ le remède est
facile,→
Toute personne
simple ↔ aux leçons est docile :→
Et si du bon
chemin ↔ on l’a fait écarter→
Deux mots incontinent
↔ l’y peuvent rejeter.→
Mais une femme
habile ↔ est bien une autre bête.→
Notre sort ne
dépend ↔ que de sa seule tête :→
De ce qu’elle
s’y met, ↔ rien ne la fait gauchir,→
Et nos enseignements
↔ ne font là que blanchir [127] .→
Son bel esprit
lui sert ↔ à railler nos maximes,→
À se faire
souvent ↔ des vertus de ses crimes :→
Et trouver, pour
venir ↔ à ses coupables fins,→
Des détours
à duper ↔ l’adresse des plus fins.→
Pour se parer
du coup ↔ en vain on se fatigue,→
Une femme
d’esprit ↔ est un diable en intrigue [128] :→
Et dès que
son caprice ↔ a prononcé tout bas→
L’arrêt de notre
honneur, ↔ il faut passer le pas.→
Beaucoup d’honnêtes
gens ↔ en pourraient bien que dire [129] .→
Enfin mon étourdi
↔ n’aura pas lieu d’en rire.→
Par son trop de
caquet ↔ il a ce qu’il lui faut.→
Voilà de nos
Français ↔ l’ordinaire défaut.→
Dans la ↑ possession
↔ d’une bonne fortune,→
Le secret est
toujours ↔ ce qui les importune ;→
Et la vanité
sotte ↔ a pour eux tant d’appas,→
Qu’ils se pendraient
plutôt ↔ que de ne causer pas.→
Oh que les femmes
sont ↔ du diable bien tentées,→
Lorsqu’elles vont
choisir ↔ ces têtes éventées,→
Et que... Mais le
voici : ↔ cachons-nous toujours bien,→
Et découvrons
un peu ↔ quel chagrin est le sien.→
SCÈNE IV
HORACE, ARNOLPHE.
HORACE
Je reviens de chez vous, ↔ et le destin me montre→
Qu’il n’a pas résolu ↔ que je vous y rencontre.→
Mais j’irai tant de fois ↔ qu’enfin quelque moment...→
ARNOLPHE
Hé mon Dieu ! n’entrons point dans ce vain compliment.→
Rien ne me fâche tant ↔ que ces cérémonies,→
Et si l’on m’en cro[i](y)[i]ait, ↔ elles
seraient bannies.→
C’est un maudit usage, ↔ et la plupart des gens→
Y perdent sottement ↔ les deux tiers de leur temps.→
Mettons donc sans façons [130] . ↔ Hé bien. Vos amourettes.→
Puis-je, Seigneur Horace, ↔ apprendre
où vous en êtes ?→
J’étais tantôt distrait ↔ ↑ par quelque vision :→
Mais depuis là-dessus ↔ j’ai fait ↑ réflexion.→
De vos premiers progrès ↔ j’admire la vitesse,→
Et dans l’événement [131] mon âme s’intéresse.→
HORACE
Ma foi, depuis qu’à vous ↔ s’est découvert mon cœur,→
Il est à mon amour ↔ arrivé du malheur.→
ARNOLPHE
Oh, oh ! comment cela ? ↔
HORACE
La fortune cruelle,→
A ramené des champs ↔ le patron [132] de la belle.→
ARNOLPHE
Quel malheur !
HORACE
Et de plus, ↔ à mon très grand regret,→
Il a su de nous deux ↔ le commerce secret.→
ARNOLPHE
D’où diantre
a-t-il sitôt ↔
appris cette aventure ?→
HORACE
Je ne sais. Mais enfin ↔ c’est une chose sûre.→
Je pensais aller rendre, ↔ à mon
heure à peu près,→
Ma petite visite ↔ à ses jeunes attraits,→
Lorsque changeant pour moi ↔ de ton et de visage,→
Et servante
et valet ↔ m’ont bouché
le passage,→
Et d’un : « Retirez-vous, ↔ vous nous importunez [133] »,→
M’ont assez rudement ↔ fermé
la porte au nez.→
ARNOLPHE
La porte au nez !
HORACE
Au nez. ↔
ARNOLPHE
La chose
est un peu forte.→
HORACE
J’ai voulu leur parler ↔ au travers de la porte :→
Mais à tous mes propos ↔ ce qu’ils ont répondu→
C’est, « Vous n’entrerez point, ↔ Monsieur l’a défendu. »→
ARNOLPHE
Ils n’ont donc point ouvert ? ↔
HORACE
Non. Et de la fenêtre→
Agnès m’a confirmé ↔ le retour de ce maître ;→
En me chassant de là ↔ d’un ton plein de fierté,→
Accompagné d’un grès ↔ que sa main a jeté.→
ARNOLPHE
Comment d’un grès ?
HORACE
D’un grès ↔ de taille non petite,→
Dont on a par ses mains ↔ régalé ma visite.→
ARNOLPHE
Diantre ! ce ne sont pas ↔ des prunes que cela ;→
Et je trouve fâcheux ↔ l’état où vous voilà.→
HORACE
Il est vrai, je suis mal ↔ par ce retour funeste.→
ARNOLPHE
Certes j’en suis fâché ↔ pour vous, je vous proteste.→
HORACE
Cet homme me rompt tout. ↔
ARNOLPHE
Oui, mais cela n’est rien,→
Et de vous raccrocher ↔ vous trouverez mo[i](y)[i]en.→
HORACE
Il faut bien essa[i](y)[i]er, ↔
par quelque intelligence [134]→
De vaincre du jaloux ↔ l’exacte vigilance.→
ARNOLPHE
Cela vous est facile, ↔ et la
fille, après tout→
Vous aime.
HORACE
Assurément. ↔
ARNOLPHE
Vous en viendrez à bout.→
HORACE
Je l’espère.
ARNOLPHE
Le grès ↔ vous a mis en déroute,→
Mais cela ne doit pas ↔ vous étonner.
HORACE
Sans doute,→
Et j’ai compris d’abord ↔ que mon homme était là,→
Qui sans se faire voir ↔ conduisait tout cela :→
Mais ce qui m’a surpris ↔ et qui va vous surprendre,→
C’est un autre
incident ↔ que vous
allez entendre,→
Un trait hardi qu’a fait ↔ cette jeune beauté,→
Et qu’on n’attendrait point ↔ de sa simplicité ;→
↑ Il le faut avouer, ↔ l’amour est un grand maître,→
Ce qu’on ne fut jamais ↔ il nous
enseigne à l’être,→
Et souvent de nos mœurs ↔ l’absolu changement→
Devient par ses leçons ↔ l’ouvrage d’un moment.→
De la nature
en nous ↔ il force
les obstacles,→
Et ses effets soudains ↔ ont de l’air des miracles,→
D’un avare[135] à
l’instant ↔ il fait
un libéral :→
Un vaillant d’un poltron, ↔ un civil d’un brutal.→
Il rend agile
à tout ↔ l’âme
la plus pesante,→
Et donne de l’esprit ↔ à la plus innocente :→
Oui, ce dernier miracle ↔ éclate dans Agnès,→
Car tranchant avec moi ↔ par ces termes exprès,→
« Retirez-vous, mon âme ↔ aux visites[136] renonce,→
Je sais tous vos discours : ↔ et voilà ma réponse, »→
Cette pierre
ou ce grès ↔
dont vous vous étonniez,→
Avec un mot de lettre ↔ est tombée
à mes pieds,→
Et j’admire de voir ↔ cette
lettre ajustée,→
Avec le sens des mots ; ↔ et la pierre jetée ;→
D’une telle action ↔ n’êtes-vous pas surpris ?→
L’amour sait-il pas l’art ↔ d’aiguiser les esprits ?→
↑ Et peut-on me nier ↔ que ses flammes puissantes,→
Ne fassent dans un cœur ↔ des choses étonnantes ?→
Que dites-vous du tour, ↔ et de ce mot d’écrit ?→
Euh ! n’admirez-vous
point ↔ cette
adresse d’esprit ?→
Trouvez-vous pas plaisant ↔ de voir quel personnage[137]→
A joué ↑ mon jaloux ↔ dans tout ce badinage ?→
Dites...
ARNOLPHE
Oui, fort plaisant. ↔
HORACE
Arnolphe rit d’un rire forcé [138] .
Riez-en donc un peu,→
Cet homme gendarmé ↔ d’abord contre mon feu,→
Qui chez lui se retranche, ↔ et de grès fait parade [139] ,→
Comme si j’y voulais ↔ entrer par escalade,→
Qui pour me repousser ↔ dans son
bizarre effroi,→
Anime du dedans ↔ tous ses gens contre moi,→
Et qu’abuse
à ses yeux ↔
par sa machine même [140] ,→
Celle qu’il veut tenir ↔ dans l’ignorance
extrême :→
Pour moi je vous l’avoue, ↔ encor que son retour→
En un grand embarras ↔ jette
ici mon amour,→
Je tiens cela plaisant ↔ autant qu’on saurait dire,→
Je ne puis y songer ↔ sans de bon cœur en rire.→
Et vous ↑ n’en riez pas ↔ assez à mon avis.→
ARNOLPHE,
avec un rire forcé.
Pardonnez-moi, j’en ris ↔ tout autant que je puis.→
HORACE
Mais il faut qu’en ami ↔ je vous montre la lettre [141] .→
Tout ce que son cœur sent, ↔ sa main a su l’y mettre :→
Mais en termes touchants, ↔ et tous pleins de bonté,→
De tendresse
innocente,
↔
↑ et d’ingénuité ;→
De la manière enfin ↔ que la pure nature[142]→
Exprime de l’amour ↔ la première blessure.→
ARNOLPHE, bas.
Voilà, friponne,
à quoi ↔ l’écriture
te sert,→
Et contre mon dessein ↔ l’art t’en fut découvert.→
HORACE lit.
Je veux vous écrire, et je suis bien en peine par où je m’y prendrai. J’ai des pensées que je désirerais que vous sussiez ; mais je ne sais comment faire pour vous les dire, et je me défie de mes paroles. Comme je commence à connaître qu’on m’a toujours tenue dans l’ignorance, j’ai peur de mettre quelque chose, qui ne soit pas bien, et d’en dire plus que je ne devrais. En vérité je ne sais ce que vous m’avez fait ; mais je sens que je suis fâchée à mourir de ce qu’on me fait faire contre vous, que j’aurai toutes les peines du monde à me passer de vous, et que je serais bien aise d’être à vous. Peut-être qu’il y a du mal à dire cela, mais enfin je ne puis m’empêcher de le dire, et je voudrais que cela se pût faire, sans qu’il y en eût. On me dit fort, que tous les jeunes hommes sont des trompeurs, qu’il ne les faut point écouter, et que tout ce que vous me dites, n’est que pour m’abuser ; mais je vous assure, que je n’ai pu encore me figurer cela de vous, et je suis si touchée de vos paroles, que je ne saurais croire qu’elles soient menteuses. Dites-moi franchement ce qui en est : car enfin, comme je suis sans malice, vous auriez le plus grand tort du monde, si vous me trompiez. Et je pense que j’en mourrais de déplaisir.
ARNOLPHE
Hom chienne.
HORACE
Qu’avez-vous ? ↔
ARNOLPHE
Moi ? rien ; c’est que je tousse.→
HORACE
Avez-vous jamais vu, ↔ ↑ d’expression plus douce,→
Malgré les soins maudits ↔ d’un injuste pouvoir,→
Un plus beau naturel ↔ peut-il se faire voir [143] ?→
Et n’est-ce pas sans doute [144] ↔ un crime punissable,→
De gâter méchamment ↔ ce fonds
d’âme admirable ?→
D’avoir dans l’ignorance ↔ et la stupidité,→
Voulu de cet esprit ↔ étouffer la clarté ?→
L’amour a commencé ↔ d’en déchirer le voile,→
Et si par la faveur ↔ de quelque
bonne étoile,→
Je puis, comme j’espère, ↔ à ce franc animal,→
Ce traître, ce bourreau, ↔ ce faquin, ce brutal...→
ARNOLPHE
Adieu.
HORACE
Comment, si vite ? ↔
ARNOLPHE
Il m’est dans la pensée→
Venu tout maintenant ↔ une affaire pressée.→
HORACE
Mais ne sauriez-vous point ↔ comme
on la tient de près,→
Qui dans cette maison ↔ pourrait avoir accès ?→
J’en use sans scrupule, ↔ et ce n’est pas merveille,→
Qu’on se puisse
entre amis ↔ servir à
la pareille [145] .→
Je n’ai plus là-dedans ↔ que gens pour m’observer,→
Et servante
et valet ↔ que je
viens de trouver,→
N’ont jamais de quelque
air ↔ que je
m’y sois pu prendre,→
Adouci leur rudesse ↔ à me vouloir entendre ;→
J’avais pour de tels coups ↔ certaine
vieille en main,→
D’un génie
à vrai dire ↔
au-dessus de l’humain,→
Elle m’a dans l’abord ↔ servi de bonne sorte :→
Mais depuis quatre jours ↔ la pauvre
femme est morte,→
Ne me pourriez-vous point ↔ ouvrir quelque mo[i](y)[i]en ?→
ARNOLPHE
Non vraiment, et sans moi ↔ vous en trouverez bien.→
HORACE
Adieu donc. Vous vo[i](y)[i]ez ↔ ce que je vous
confie.→
SCÈNE V
ARNOLPHE
Comme il
faut devant lui ↔ que je me mortifie,→
Quelle peine
à cacher ↔ mon déplaisir cuisant.→
Quoi pour une
innocente, ↔ un esprit si présent ?→
Elle a
feint d’être telle ↔ à mes yeux la
traîtresse ;→
Ou le diable
à son âme ↔ a soufflé cette
adresse :→
Enfin me voilà
mort ↔ par ce funeste écrit,→
Je vois qu’il a
le traître ↔ empaumé son esprit,→
↑ Qu’à
ma suppression ↔ il s’est ancré chez elle,→
Et c’est mon désespoir,
↔ et ma peine mortelle,→
Je souffre doublement
↔ dans le vol de son cœur,→
Et l’amour y
pâtit ↔ aussi bien que l’honneur.→
J’enrage de
trouver ↔ cette place usurpée,→
Et j’enrage
de voir ↔ ma prudence trompée.→
Je sais que pour
punir ↔ son amour libertin→
Je n’ai
qu’à laisser faire ↔ à son mauvais
destin,→
Que je serai
vengé ↔ d’elle par elle-même :→
Mais il est bien
fâcheux ↔ de perdre ce qu’on aime [146] .→
Ciel ! puisque
pour un choix ↔ j’ai tant philosophé,→
Faut-il de ses
appas ↔ m’être si fort coiffé ?→
Elle n’a ni
parents, ↔ ni support [147] ,
ni richesse,→
Elle trahit
mes soins, ↔ mes bontés, ma tendresse,→
Et cependant
je l’aime, ↔ après ce lâche tour,→
Jusqu’à ne
me pouvoir ↔ passer de cet amour.→
Sot, n’as-tu point
de honte ? ↔ Ah je crève, j’enrage,→
Et je souffletterais
↔ mille fois mon visage,→
Je veux entrer
un peu ; ↔ mais seulement pour voir→
Quelle est
sa contenance ↔ après un trait si noir.→
Ciel ! faites
que mon front ↔ soit exempt de disgrâce,→
Ou bien s’il est
écrit, ↔ qu’il faille que j’y passe,→
Donnez-moi tout
au moins ↔ pour de tels accidens,→
La constance
qu’on voit ↔ à de certaines gens.→
ACTE IV
SCÈNE PREMIÈRE
ARNOLPHE
J’ai peine, je
l’avoue, ↔ à demeurer en place,→
Et de mille
soucis ↔ mon esprit s’embarrasse,→
Pour pouvoir mettre
un ordre ↔ et dedans et dehors,→
Qui du godelureau
↔ rompe tous les efforts :→
De quel œil la
traîtresse ↔ a soutenu ma vue,→
De tout ce qu’elle
a fait ↔ elle n’est point émue.→
Et bien qu’elle
me mette ↔ à deux doigts du trépas,→
On dirait à
la voir ↔ qu’elle n’y touche pas.→
Plus en la regardant
↔ je la vo[i](y)[i]ais tranquille,→
Plus je sentais
en moi ↔ s’échauffer une bile,→
Et ces bouillants
transports ↔ dont s’enflammait mon cœur,→
Y semblaient
redoubler ↔ mon amoureuse
ardeur.→
J’étais
aigri, fâché, ↔ désespéré
contre elle,→
Et cependant
jamais ↔ je ne la vis si belle ;→
Jamais ses yeux
aux miens ↔ n’ont paru si perçants,→
Jamais je n’eus
pour eux ↔ des desirs si pressants,→
Et je sens là
dedans ↔ qu’il faudra que je crève,→
Si de mon triste
sort ↔ la disgrâce s’achève.→
Quoi ? j’aurai
dirigé ↔ ↑ son éducation→
Avec tant de
tendresse ↔ et ↓ de précaution ?→
Je l’aurai fait
passer ↔ chez moi dès son enfance,→
Et j’en aurai
chéri ↔ la plus tendre espérance ?→
Mon cœur aura
bâti ↔ sur ses attraits naissains,→
Et cru la mitonner
↔ pour moi durant treize ans,→
Afin qu’un jeune
fou ↔ dont elle s’amourache→
Me la vienne
enlever ↔ jusque sur la moustache,→
Lorsqu’elle
est avec moi ↔ mariée à demi ?→
Non parbleu, non
parbleu, ↔ petit sot mon ami,→
Vous aurez beau
tourner ↔ ou j’y perdrai mes peines,→
Ou je rendrai
ma foi, vos espérances vaines,→
Et de moi tout
à fait ↔ vous ne vous rirez point.→
SCÈNE II
LE NOTAIRE, ARNOLPHE.
LE NOTAIRE
Ah le voilà ! Bonjour, ↔ me voici tout à point→
Pour dresser le contrat ↔ que vous souhaitez faire.→
ARNOLPHE, sans le voir.
Comment faire ?
LE NOTAIRE
Il le faut ↔ dans la
forme ordinaire.→
ARNOLPHE,
sans le voir.
↑ À mes précautions ↔ je veux songer de près.→
LE NOTAIRE
Je ne passerai rien ↔ contre vos intérêts.→
ARNOLPHE,
sans le voir.
Il se faut garantir ↔ de toutes les surprises.→
LE NOTAIRE
Suffit qu’entre mes mains ↔ vos affaires
soient mises,→
Il ne vous faudra point ↔ de peur d’être déçu,→
Quittancer le contrat ↔ que vous n’a[i](y)[i]ez reçu [148] .→
ARNOLPHE,
sans le voir.
J’ai peur si je vais faire ↔ éclater quelque chose→
Que de cet incident ↔ par la
ville on ne cause.→
LE NOTAIRE
Hé bien il est aisé ↔ d’empêcher cet éclat,→
Et l’on peut en secret ↔ faire votre contrat.→
ARNOLPHE,
sans le voir.
Mais comment faudra-t-il ↔ qu’avec elle j’en sorte ?→
LE NOTAIRE
↑ Le douaire se règle ↔ au bien qu’on vous apporte.→
ARNOLPHE,
sans le voir.
Je l’aime,
et cet amour
↔
est mon grand embarras.→
LE NOTAIRE
On peut avantager ↔ une femme
en ce cas.→
ARNOLPHE,
sans le voir.
Quel traitement lui faire ↔ en pareille
aventure ?→
LE NOTAIRE
L’ordre est
que le futur
↔
↑ doit douer la future→
Du tiers du dot qu’elle a [149] , mais cet ordre n’est rien,→
Et l’on va plus avant ↔ lorsque l’on le veut bien.→
ARNOLPHE,
sans le voir.
Si...
LE NOTAIRE, Arnolphe l’apercevant.
Pour le préciput [150] ,
↔ il les regarde ensemble,→
Je dis que le futur ↔ peut comme bon lui semble→
Douer la future.
ARNOLPHE,
l’ayant aperçu.
Euh ! ↔
LE NOTAIRE
Il peut l’avantager→
Lorsqu’il l’aime beaucoup ↔ et qu’il veut l’obliger,→
↑ Et cela par douaire, ↔ ou préfix qu’on appelle,→
Qui demeure perdu par ↔ ↑ le trépas d’icelle,→
Ou sans retour, qui va ↔ de ladite à ses hoirs,→
Ou coutumier, selon ↔ les différents vouloirs,→
↑ Ou par donation ↔ dans le contrat formelle,→
Qu’on fait, ou pure et simple, ↔ ↑ ou qu’on fait mutuelle [151] ;→
Pourquoi hausser le dos ? ↔ Est-ce qu’on parle en fat,→
Et que l’on ne sait pas ↔ les formes d’un contrat ?→
Qui me les apprendra ? ↔ Personne ; je présume.→
Sais-je pas qu’étant joints ↔ on est par la coutume,→
Communs en meubles, biens, ↔ immeubles et conquêts [152] ,→
À moins que par un acte ↔ on y renonce exprès ?→
Sais-je pas que le tiers ↔ du bien de la future→
Entre en communauté ? ↔ pour...
ARNOLPHE→
Oui, c’est chose sûre,→
Vous savez tout cela, ↔ mais qui vous en dit mot ?→
LE NOTAIRE
Vous qui me prétendez ↔ faire passer pour sot,→
En me haussant l’épaule, ↔ et faisant la grimace.→
ARNOLPHE
La peste soit fait l’homme [153] , ↔ et sa chienne de face.→
Adieu. C’est le mo[i]y[i]en ↔ de vous faire finir.→
LE NOTAIRE
Pour dresser un contrat ↔ m’a-t-on pas fait venir ?→
ARNOLPHE
Oui, je vous ai mandé : ↔ mais la chose est remise,→
Et l’on vous mandera ↔ quand l’heure sera prise.→
Vo[i]y[i]ez quel diable d’homme ↔ avec son entretien ?→
LE NOTAIRE
Je pense qu’il en tient [154] ,
↔ et je crois penser bien. →
SCÈNE III
LE NOTAIRE, ALAIN, GEORGETTE [155] .LE NOTAIRE
M’êtes-vous pas venu ↔ querir pour votre maître ? →
ALAIN
Oui.
LE NOTAIRE
J’ignore pour qui ↔ vous le pouvez connaître : →
Mais allez de ma part ↔ lui dire de ce pas→
Que c’est un fou fieffé. ↔
GEORGETTE
Nous n’y manquerons pas. →
SCÈNE IV
ALAIN, GEORGETTE, ARNOLPHE.
ALAIN
Monsieur...
ARNOLPHE
Approchez-vous, ↔ vous êtes mes fidèles,→
Mes bons, mes vrais amis, ↔ et j’en sais des nouvelles. →
ALAIN
Le notaire...
ARNOLPHE
Laissons, c’est ↔ pour quelque autre jour.
On veut à mon honneur ↔ ↑ jouer d’un mauvais tour : →
Et quel affront pour vous ↔ mes enfants
pourrait-ce être,→
Si l’on avait ôté ↔ l’honneur à votre maître ?→
Vous n’oseriez après ↔ paraître
en nul endroit,→
Et chacun vous vo[i](y)[i]ant ↔ vous montrerait au doigt :
Donc puisque
autant que moi ↔
l’affaire vous regarde,→
Il faut de votre part ↔ faire
une telle garde→
Que ce galant ne puisse ↔ en aucune façon...→
GEORGETTE
Vous nous avez tantôt ↔ montré notre leçon.→
ARNOLPHE
Mais à ses beaux discours ↔ gardez bien de vous rendre.→
ALAIN
Oh vraiment...
GEORGETTE
Nous savons ↔ comme
il faut s’en défendre.→
ARNOLPHE
S’il venait doucement. ↔ « Alain, mon pauvre cœur,→
Par un peu de secours ↔ soulage ma langueur. »→
ALAIN
Vous êtes un sot.
ARNOLPHE
Bon. ↔
(À Georgette.) « Georgette ma mignonne, ↔
Tu me parais si douce, ↔ et si bonne personne. »→
GEORGETTE
Vous êtes un nigaud. ↔
ARNOLPHE
Bon.
(À Alain.) « Quel mal trouves-tu→
Dans un dessein honnête, ↔ et tout plein de vertu ? »→
ALAIN
Vous êtes un fripon. ↔
ARNOLPHE
Fort bien.
(À Georgette.) « Ma mort est sûre→
Si tu ne prends pitié ↔ des peines que j’endure. »→
GEORGETTE
Vous êtes un benêt, ↔ un impudent.
ARNOLPHE
Fort bien.→
« Je ne suis pas un homme ↔ à vouloir rien pour rien,→
Je sais quand on me sert ↔ en garder la mémoire :→
Cependant par avance, ↔ Alain voilà pour boire,→
Et voilà pour
t’avoir, ↔ Georgette,
un coti[i]llon.→
(Ils tendent tous deux la main, et prennent l’argent.)→
Ce n’est de mes bienfaits ↔ qu’un simple
échanti[i]llon,→
Toute la courtoisie ↔ enfin dont je vous presse,→
C’est que je puisse voir ↔ votre belle maîtresse. »→
GEORGETTE, le poussant
À d’autres.
ARNOLPHE
Bon cela. ↔
ALAIN, le poussant
Hors d’ici.
ARNOLPHE
Bon.
GEORGETTE, le poussant.
Mais tôt.→
ARNOLPHE
Bon. Holà, c’est assez. ↔
GEORGETTE
Fais-je pas comme
il faut ?→
ALAIN
Est-ce de la façon ↔ que vous voulez l’entendre ?→
ARNOLPHE
Oui, fort bien, hors l’argent ↔ qu’il ne fallait pas prendre.→
GEORGETTE
Nous ne nous sommes pas ↔ souvenus de ce point.→
ALAIN
Voulez-vous qu’à l’instant ↔ nous recommencions ?
ARNOLPHE
Point.→
Suffit, rentrez tous deux. ↔
ALAIN
Vous n’avez rien qu’à dire.→
ARNOLPHE
Non, vous dis-je, rentrez, ↔ puisque je le désire.
Je vous laisse l’argent, ↔ allez, je vous rejoins,→
A[i](y)[i]ez bien l’œil à tout, ↔ et secondez
mes soins.
SCÈNE V
ARNOLPHE
Je veux ↑ pour
espion ↔ qui soit d’exacte vue,→
Prendre le savetier
↔ du coin de notre rue ;→
Dans la maison
toujours ↔ je prétends la tenir,
Y faire bonne
garde, ↔ et surtout en bannir→
Vendeuses de
ruban, ↔ perruquières, coiffeuses,→
Faiseuses de
mouchoirs, ↔ gantières, revendeuses,→
Tous ces gens qui
sous main ↔ travaillent chaque jour,→
À faire réussir
↔ les mystères d’amour [156] ;
Enfin j’ai vu
le monde, ↔ et j’en sais les finesses,→
Il faudra que
mon homme ↔ ait de grandes adresses,→
Si message
ou poulet ↔ de sa part peut entrer.
SCÈNE VI
HORACE, ARNOLPHE.
HORACE
La place m’est
heureuse ↔ à vous y rencontrer,→
Je viens de l’échapper
↔ bien belle je vous jure,
Au sortir d’avec
vous ↔ sans prévoir l’aventure,→
Seule dans son
balcon ↔ j’ai vu paraître
Agnès,→
Qui des arbres
prochains ↔ prenait un peu le frais ;→
Après m’avoir
fait signe, ↔ elle a su faire
en sorte→
Descendant au
jardin, ↔ de m’en ouvrir la porte :
Mais à peine
tous deux ↔ dans sa chambre étions-nous,→
Qu’elle
a sur les degrés ↔ entendu son
jaloux,→
Et tout ce qu’elle
a pu ↔ dans un tel accessoire [157] ,→
C’est de me renfermer
↔ dans une grande armoire ;→
Il est entré
d’abord ; ↔ je ne le vo[i](y)[i]ais pas,
Mais je l’o[i](y)[i]ais marcher ↔
sans rien dire à grands pas ;→
Poussant de temps
en temps ↔ des soupirs pito[i](y)[i]ables,→
Et donnant quelquefois
↔ de grands coups sur les tables,→
Frappant un petit
chien ↔ qui pour lui s’émouvait,→
Et jetant brusquement
↔ les hardes qu’il trouvait,
Il a même
cassé ↔ d’une main mutinée,→
Des vases dont
la belle ↔ ornait sa cheminée,→
Et sans doute
il faut bien ↔ qu’à ce becque cornu [158] ,→
Du trait qu’elle
a joué ↔ quelque jour soit venu ;→
Enfin après
cent tours [159] a[i](y)[i]ant de la manière,
Sur ce qui n’en
peut mais ↔ déchargé sa colère,→
↑ Mon jaloux
inquiet ↔ sans dire son ennui,→
Est sorti de
la chambre, ↔ et moi de mon étui,→
Nous n’avons point
voulu, ↔ de peur du personnage[160],→
Risquer à nous
tenir ↔ ensemble davantage,
C’était
trop hasarder ; ↔ mais je dois cette nuit,→
Dans sa chambre
un peu tard ↔ m’introduire sans bruit,→
En toussant par
trois fois ↔ je me ferai connaître,→
Et je dois au
signal ↔ voir ouvrir la fenêtre,→
Dont avec une
échelle, ↔ et secondé d’Agnès,
Mon amour tâchera
↔ de me gagner l’accès.→
Comme à
mon seul ami ↔ je veux bien vous l’apprendre,→
L’allégresse
du cœur ↔ s’augmente à la
répandre,→
Et goûtât-on
cent fois ↔ un bonheur trop parfait [161] ,→
On n’en est pas
content ↔ si quelqu’un ne le sait ;
Vous prendrez part
je pense ↔ à l’heur de mes affaires→
Adieu je vais
songer ↔ aux choses nécessaires.
SCÈNE VII
ARNOLPHE
Quoi ? l’astre qui s’obstine ↔ à me désespérer,→
Ne me donnera pas ↔ le temps de respirer,→
Coup sur coup je verrai ↔ par leur intelligence,
De mes soins vigilants ↔ confondre la prudence,→
Et je serai la dupe ↔ en ma maturité,→
D’une jeune
innocente,
↔
et d’un jeune éventé ?→
En sage philosophe ↔ on m’a vu vingt années,→
Contempler des maris ↔ les tristes destinées,
Et m’instruire
avec soin ↔ de tous
les accidents,→
Qui font dans le malheur ↔ tomber les plus prudents,→
Des disgrâces d’autrui ↔ profitant dans mon âme,→
J’ai cherché les
mo[i](y)[i]ens ↔ voulant prendre
une femme,→
De pouvoir garantir ↔ mon front de tous affronts,
Et le tirer de pair ↔ d’avec les autres fronts [162] ;→
Pour ce noble dessein ↔ j’ai cru mettre en pratique,→
Tout ce que peut trouver ↔ l’humaine politique,→
Et comme si du sort ↔ il était arrêté,→
Que nul homme
ici-bas ↔ n’en serait
exempté,
Après ↑ l’expérience, ↔ et toutes les lumières,→
Que j’ai pu m’acquérir ↔ sur de telles matières,→
Après vingt ans et plus, ↑ de méditation,→
Pour me conduire en tout ↔ avec ↑ précaution,→
De tant d’autres maris ↔ j’aurais quitté la trace,
Pour me trouver après ↔ dans la même disgrâce [163] .→
Ah bourreau de destin ↔ vous en aurez menti,→
De l’objet qu’on poursuit, ↔ je suis encor nanti ;→
Si son cœur m’est volé ↔ par ce blondin funeste,→
J’empêcherai du moins ↔ qu’on s’empare du reste,
Et cette nuit qu’on prend ↔ pour ce galant exploit,→
Ne se passera pas ↔ si doucement qu’on croit,→
Ce m’est quelque plaisir ↔ parmi tant de tristesse,→
Que l’on me donne
avis ↔ du piège
qu’on me dresse,→
Et que cet étourdi ↔ qui veut m’être fatal,
Fasse son confident ↔ de son
propre rival.
SCÈNE VIII
CHRYSALDE, ARNOLPHE.
CHRYSALDE
Hé bien, souperons-nous ↔ avant la promenade ?→
ARNOLPHE
Non, je jeûne ce soir. ↔
CHRYSALDE
D’où vient cette boutade ?→
ARNOLPHE
De grâce
excusez-moi,
↔
j’ai quelque autre
embarras.→
CHRYSALDE
Votre hymen [164] résolu ↔ ne se
fera-t-il pas ?→
ARNOLPHE
↑ C’est trop s’inquiéter ↔ des affaires des autres.→
CHRYSALDE
Oh, oh, si brusquement ? ↔ Quels chagrins sont les vôtres ?→
Serait-il point, compère, ↔ à votre ↓ passion,→
Arrivé quelque peu ↔ ↑ de tribulation ?→
Je le jurerais presque ↔ à voir votre visage.→
ARNOLPHE
Quoi qu’il m’arrive
au moins ↔ aurai-je
l’avantage,→
De ne pas ressembler ↔ à de certaines gens,→
Qui souffrent doucement ↔ l’approche des galants.→
CHRYSALDE
C’est un étrange fait qu’avec tant de lumières,→
Vous vous effarouchiez toujours sur ces matières,→
Qu’en cela vous mettiez le souverain bonheur,→
Et ne conceviez point au monde d’autre honneur ;→
Être avare,
brutal, ↔ fourbe,
méchant, et lâche,→
N’est rien à votre
avis ↔ auprès
de cette tache,→
Et de quelque
façon ↔ qu’on puisse
avoir vécu,→
On est homme d’honneur ↔ quand on n’est point cocu.→
À le bien prendre
au fond, pourquoi voulez-vous croire,→
Que de ce cas fortuit ↔ dépende notre gloire ?→
Et qu’une
âme bien née ↔
ait à se reprocher,→
L’injustice d’un mal ↔ qu’on ne peut empêcher ?→
Pourquoi voulez-vous, dis-je ↔ en prenant une femme,→
Qu’on soit digne
à son choix
↔
de louange ou de blâme,→
Et qu’on s’aille former ↔ un monstre plein d’effroi,→
De l’affront que nous fait ↔ son manquement de foi ?→
Mettez-vous dans l’esprit ↔ qu’on peut ↑ du cocuage,→
Se faire en
galant homme
↔
une plus douce image,→
Que des coups du hasard ↔ aucun n’étant garant,→
Cet accident de soi ↔ doit être
indifférent,→
Et qu’enfin tout le mal ↔ quoi que le monde glose,→
N’est que dans la façon ↔ de recevoir la chose.→
Car pour se bien conduire ↔ en ces difficultés [165] ,→
Il y faut comme
en tout ↔ fuir les
extrémités,→
N’imiter pas ces gens ↔ un peu trop débonnaires,→
Qui tirent vanité ↔ de ces sortes d’affaires ;→
De leurs femmes toujours ↔ vont citant les galants,→
En font partout l’éloge, ↔ et prônent leurs talents,→
Témoignent avec eux ↔ d’étroites sympathies,→
Sont de tous leurs cadeaux [166] , ↔ de toutes leurs parties,→
Et font qu’avec raison ↔ les gens sont étonnés,→
↑ De voir leur hardiesse ↔ à montrer là leur nez.→
Ce procédé, sans doute, ↔ est tout à fait blâmable :→
Mais l’autre
extrémité ↔
n’est pas moins condamnable,→
Si je n’approuve pas ↔ ces amis des galants,→
Je ne suis pas aussi ↔ pour ces gens turbulents,→
Dont l’imprudent chagrin ↔ qui tempête
et qui gronde,→
Attire au
bruit qu’il fait, ↔
les yeux de tout le monde ;→
Et qui par cet éclat ↔ semblent ne pas vouloir→
Qu’aucun puisse
ignorer ↔ ce qu’ils
peuvent avoir.→
Entre ces deux partis ↔ il en est un honnête,→
Où dans ↑ l’occasion ↔ l’homme prudent s’arrête,→
Et quand on le sait prendre ↔ on n’a point à rougir,→
Du pis dont une femme ↔ avec
nous puisse agir.→
Quoi qu’on en puisse dire, ↔ enfin ↑ le cocuage→
Sous des traits moins affreux ↔ aisément s’envisage :→
Et comme je vous dis, ↔ toute l’habileté,→
Ne va qu’à le savoir ↔ tourner du bon côté.→
ARNOLPHE
Après ce beau discours ↔ toute la confrérie,→
Doit un remerciement ↔ à votre seigneurie :→
Et quiconque voudra ↔ vous entendre parler,→
Montrera de la joie ↔ à s’y voir enrôler.→
CHRYSALDE
Je ne dis pas cela, ↔ car c’est ce que je blâme :→
Mais comme c’est le sort ↔ qui nous
donne une femme,→
Je dis que l’on doit faire ↔ ainsi qu’au jeu de dés,→
Où s’il ne vous vient pas ↔ ce que vous demandez→
Il faut ↑ jouer
d’adresse, ↔ et d’une
âme réduite [167] ,→
Corriger le hasard ↔ par la bonne conduite.→
ARNOLPHE
C’est-à-dire dormir, ↔ et manger toujours bien,→
Et se ↑ persuader ↔ que tout cela n’est rien.→
CHRYSALDE
Vous pensez vous moquer, ↔ mais à ne vous rien feindre,→
Dans le monde je vois ↔ cent choses plus à craindre,→
Et dont je me ferais ↔ un bien plus grand malheur,→
Que de cet accident ↔ qui vous fait tant de peur.→
Pensez-vous qu’à choisir ↔ de deux choses prescrites,→
Je n’aimasse pas mieux ↔ être ce que vous dites,→
Que de me voir mari ↔ de ces femmes de bien,→
Dont la mauvaise humeur ↔ fait un procès sur rien.→
Ces dragons de vertu, ↔ ces honnêtes diablesses,→
Se retranchant toujours ↔ sur leurs sages prouesses,→
Qui pour un petit tort ↔ qu’elles ne nous font pas,→
Prennent droit de traiter ↔ les gens de haut en bas [168] ,→
Et veulent sur le pied ↔ de nous être fidèles [169] ,→
Que nous so[i](y)[i]ons tenus ↔ à tout endurer d’elles :→
Encore un coup
compère, ↔ apprenez
qu’en effet,→
↑ Le cocuage n’est ↔ que ce que l’on le fait,→
Qu’on peut ↑ le souhaiter ↔ pour de certaines causes,→
Et qu’il a ses plaisirs ↔ comme les autres choses [170] .→
ARNOLPHE
Si vous êtes d’humeur ↔ à vous en contenter,→
Quant à moi ce n’est pas ↔ la mienne d’en tâter ;→
Et plutôt que
subir ↔ une telle
aventure...→
CHRYSALDE
Mon Dieu ne jurez point ↔ de peur d’être parjure ;→
Si le sort l’a réglé, ↔ vos soins sont superflus,→
Et l’on ne prendra pas ↔ votre
avis là-dessus.→
ARNOLPHE
Moi ! je serais cocu ? ↔
CHRYSALDE
Vous voilà bien malade,→
Mille gens le sont bien ↔ sans vous faire bravade ;→
Qui de mine, de cœur, ↔ de biens et de maison,→
Ne feraient
avec vous ↑ nulle comparaison.→
ARNOLPHE
Et moi je n’en voudrais ↔ avec eux
faire aucune :→
Mais cette raillerie ↔ en un mot m’importune.→
Brisons là, s’il vous plaît. ↔
CHRYSALDE
Vous êtes en courroux,→
Nous en saurons la cause ; ↔ adieu souvenez-vous ;→
Quoi que sur ce sujet ↔ votre
honneur vous inspire,→
Que c’est être
à demi
↔
ce que l’on vient de dire :→
Que de vouloir jurer ↔ qu’on ne le sera pas.→
ARNOLPHE
Moi ! je le jure
encore, ↔ et je
vais de ce pas,→
Contre cet accident ↔ trouver
un bon remède.→
SCÈNE IX
ALAIN, GEORGETTE, ARNOLPHE.
ARNOLPHE
Mes amis, c’est ici ↔ que j’implore
votre aide,→
Je suis ↑ édifié ↔ de votre affection ;→
Mais il faut qu’elle
éclate ↔ en cette
occasion :→
Et si vous m’y servez ↔ selon ↑ ma confiance,→
Vous êtes assurés ↔ de votre récompense.
L’homme que vous savez, ↔ n’en faites point de bruit,→
Veut comme je l’ai su ↔ m’attraper cette nuit,→
Dans la chambre d’Agnès ↔ entrer par escalade,→
Mais il lui faut nous
trois ↔ dresser
une embuscade :→
Je veux que vous preniez ↔ chacun un bon bâton,
Et quand il sera près ↔ du dernier échelon ;→
Car dans le temps qu’il faut ↔ j’ouvrirai la fenêtre,→
Que tous deux à l’envi ↔ vous me chargiez ce traître :→
Mais d’un air dont son dos ↔ garde le souvenir,→
Et qui lui puisse
apprendre ↔ à n’y
plus revenir,
Sans me nommer pourtant ↔ en aucune manière,→
Ni faire
aucun semblant ↔
que je serai derrière.→
Aurez-vous bien l’esprit ↔ de servir mon courroux [171] ?→
ALAIN
S’il ne tient qu’à frapper, ↔ Monsieur, tout est à nous [172] .→
Vous verrez, quand je bats, ↔ si j’y vais de main morte.→
GEORGETTE
La mienne, quoique
aux yeux, ↔ elle
n’est pas si forte [173] ,→
N’en quitte pas sa part ↔ à le bien étriller.
ARNOLPHE
Rentrez donc, et surtout ↔ gardez de babiller ;→
Voilà pour le prochain ↔ une leçon utile,→
Et si tous les maris ↔ qui sont en cette ville,
De leurs femmes ainsi ↔ recevaient
le galant,→
Le nombre des cocus ↔ ne serait
pas si grand.
ACTE V
SCÈNE PREMIÈRE
ARNOLPHE, ALAIN,
GEORGETTE.
ARNOLPHE
Traîtres,
qu’avez-vous fait ↔ ↑ par cette violence ?→
ALAIN
Nous vous avons
rendu, ↔ Monsieur, obéissance.→
ARNOLPHE
De cette
excuse en vain ↔ vous voulez vous
armer.
L’ordre
était de le battre, ↔ et non de l’assommer ;→
Et c’était
sur le dos, ↔ et non pas sur la tête,→
Que j’avais commandé
↔ qu’on fît choir la tempête.→
Ciel ! dans
quel accident ↔ me jette ici
le sort ?→
Et que puis-je
résoudre ↔ à voir cet homme mort ?
Rentrez dans la
maison ; ↔ et gardez de rien dire→
De cet ordre
innocent ↔ que j’ai pu vous prescrire.→
Le jour s’en va
paraître, ↔ et je vais consulter→
Comment dans ce
malheur ↔ je me dois comporter.→
Hélas !
que deviendrai-je ? ↔ et que dira le père,
Lorsque
inopinément ↔ il saura cette
affaire ?
SCÈNE II
HORACE, ARNOLPHE.
HORACE
Il faut que j’aille
un peu ↔ reconnaître qui c’est.→
ARNOLPHE
Eût-on jamais
prévu... ↔ Qui va là ? s’il vous
plaît.→
HORACE
C’est vous, Seigneur
Arnolphe ? ↔
ARNOLPHE
Oui ; mais vous...
HORACE
C’est Horace.→
Je m’en allais
chez vous, ↔ vous prier d’une grâce,→
Vous sortez bien
matin ! ↔
ARNOLPHE, bas
↑ Quelle confusion !→
Est-ce un
enchantement ? ↔ est-ce une illusion ?→
HORACE
J’étais,
à dire vrai, ↔ dans une grande peine ;→
Et je bénis
du Ciel ↔ la bonté souveraine,→
Qui fait
qu’à point nommé ↔ je vous rencontre
ainsi.→
Je viens vous avertir
↔ que tout a réussi,→
Et même beaucoup
plus ↔ que je n’eusse osé dire ;→
Et par un incident
↔ qui devait [174] tout
détruire.→
Je ne sais point
par où ↔ l’on a pu soupçonner→
Cette assignation
↔ qu’on m’avait su donner :→
Mais étant
sur le point ↔ d’atteindre
à la fenêtre→
J’ai, contre mon
espoir, ↔ vu quelques gens paraître,→
Qui sur moi brusquement
↔ levant chacun le bras→
M’ont fait manquer
le pied ↔ et tomber jusqu’en bas ;→
Et ma chute
aux dépens ↔ de quelque meurtrissure,
De vingt coups de
bâton ↔ m’a sauvé l’aventure.→
Ces gens-là, dont
était ↔ je pense mon jaloux,→
Ont imputé ma chute ↔ à l’effort de leurs coups,→
Et comme la douleur ↔ un assez long espace→
↑ M’a fait sans remuer ↔ demeurer sur la place,
Ils ont cru tout de bon ↔ qu’ils m’avaient assommé,→
Et chacun d’eux s’en est
aussitôt alarmé.→
J’entendais tout leur bruit ↔ dans le profond silence [175] ,→
L’un l’autre ils s’accusaient ↔ ↑ de cette violence,→
Et sans lumière
aucune ↔ en querellant le sort,
Sont venus doucement ↔ tâter si j’étais mort.→
Je vous laisse à
penser ↔ si dans la nuit obscure,→
J’ai d’un vrai trépassé ↔ su tenir la figure.→
Ils se sont retirés ↔ avec beaucoup d’effroi ;→
Et comme je songeais ↔ à me retirer moi,
De cette feinte mort ↔ la jeune
Agnès émue,→
Avec empressement ↔ est devers moi venue :→
Car les discours qu’entre
eux ↔ ces gens avaient tenus,→
Jusques à son oreille ↔ étaient
d’abord [176] venus,→
Et pendant tout ce trouble ↔ étant moins observée,
Du logis aisément ↔ elle s’était sauvée.→
Mais me trouvant
sans mal ↔ elle a fait éclater→
Un transport difficile
↔ à bien représenter.→
Que vous dirai-je ?
enfin ↔ cette aimable personne→
A suivi les
conseils ↔ que son amour lui donne,
N’a plus voulu
songer ↔ à retourner chez soi,→
Et de tout son
destin ↔ s’est commise à ma
foi.→
Considérez
un peu ↔ par ce trait d’innocence→
Où l’expose
d’un fou ↔ la haute impertinence ;→
Et quels
fâcheux périls ↔ elle pourrait courir,
Si j’étais
maintenant ↔ homme à la moins
chérir ?→
Mais d’un trop pur
amour ↔ mon âme est embrasée,→
J’aimerais mieux
mourir ↔ que l’avoir abusée.→
Je lui vois des
appas ↔ dignes d’un autre sort,→
Et rien ne m’en
saurait ↔ séparer que la mort.
Je prévois
là-dessus ↔ l’emportement d’un père :→
Mais nous prendrons
le temps ↔ d’apaiser sa colère.→
À des charmes
si doux ↔ je me laisse emporter,→
Et dans la vie,
enfin, ↔ il se faut contenter.→
Ce que je veux
de vous ↔ sous un secret fidèle,
C’est que je puisse
mettre ↔ en vos mains cette belle,→
Que dans votre maison,
↔ en faveur de mes feux,→
Vous lui donniez
retraite ↔ au moins un jour ou deux.→
Outre qu’aux yeux
du monde ↔ il faut cacher sa fuite,→
Et qu’on en pourra
faire ↔ une exacte poursuite [177] ,
Vous savez qu’une
fille ↔ aussi de sa façon→
Donne avec
un jeune homme ↔ un étrange
soupçon.→
Et comme c’est
à vous, sûr de votre prudence→
Que j’ai fait de
mes feux ↔ entière confidence ;→
C’est à
vous seul aussi ↔ comme ami généreux
↑ Que je puis
confier ↔ ce dépôt amoureux.→
ARNOLPHE
Je suis, n’en doutez
point, ↔ tout à votre service.→
HORACE
Vous voulez bien
me rendre ↔ un si charmant office ?→
ARNOLPHE
Très volontiers,
vous dis-je, ↔ et je me sens ravir→
De cette occasion
↔ que j’ai de vous servir.
Je rends
grâces au Ciel ↔ de ce qu’il me l’envoie,→
Et n’ai jamais
rien fait ↔ avec si grande joie.→
HORACE
Que je suis redevable
↔ à toutes vos bontés !→
J’avais de votre
part ↔ craint des difficultés :→
Mais vous êtes
du monde, ↔ et dans votre sagesse
Vous savez excuser
↔ le feu de la jeunesse,→
Un de mes gens
la garde ↔ au coin de ce détour [178] .→
ARNOLPHE
Mais comment ferons-nous ?
↔ car il fait un peu jour ;→
Si je la prends
ici, ↔ l’on me verra, peut-être,→
Et s’il faut que
chez moi ↔ vous veniez à paraître,
Des valets causeront.
↔ ↑ Pour jouer au plus sûr,→
Il faut me l’amener
↔ dans un lieu plus obscur,→
Mon allée [179] est
commode, ↔ et je l’y vais attendre.→
HORACE
Ce sont ↑ précautions
↔ qu’il est fort bon de prendre.→
Pour moi je ne
ferai ↔ que vous la mettre en main,
Et chez moi sans
éclat ↔ je retourne soudain.→
ARNOLPHE, seul.
Ah fortune !
ce trait ↔ d’aventure propice,→
Répare tous
les maux ↔ que m’a faits ton caprice.
SCÈNE III
AGNÈS, ARNOLPHE, HORACE.
HORACE [180]
Ne so[i](y)[j]ez point en peine, ↔
où je vais vous mener, →
C’est un logement sûr
↔ que je vous fais donner. →
Vous loger avec moi,
↔ ce serait tout détruire, →
Entrez dans cette porte,
↔ et laissez-vous conduire. →
Arnolphe lui prend la main sans qu’elle le connaisse [181] .→
AGNÈS
Pourquoi me quittez-vous ?
↔
HORACE
Chère Agnès, il le
faut.→
AGNÈS
Songez donc, je vous prie,
↔ à revenir bientôt.→
HORACE
J’en suis assez pressé
↔ par ma flamme amoureuse.→
AGNÈS
Quand je ne vous vois point,
↔ je ne suis point jo[i](y)[j]euse.→
HORACE
Hors de votre présence
↔ on me voit triste aussi.→
AGNÈS
Hélas ! s’il était
vrai, ↔ vous resteriez ici.→
HORACE
Quoi ! vous pourriez
douter ↔ de mon amour extrême ?→
AGNÈS
Non, vous ne m’aimez pas
↔ autant que je vous aime. →
(Arnolphe la tire.)
Ah l’on me tire trop ! ↔
HORACE
C’est qu’il est dangereux,
→
Chère Agnès,
qu’en ce lieu ↔ nous so[i](y)[j]ons vus tous deux,→
Et ce parfait ami ↔
de qui la main vous presse [182] ,
→
Suit le zèle prudent
↔ qui pour nous l’intéresse.→
AGNÈS
Mais suivre un
inconnu ↔ que...
HORACE
N’appréhendez rien, →
Entre de telles mains ↔ vous ne serez que bien. →
AGNÈS
Je me trouverais mieux
↔ entre celles d’Horace.→
HORACE
Et j’aurais...
AGNÈS à celui qui la tient.
Attendez. ↔
HORACE
Adieu, le jour me chasse.→
AGNÈS
Quand vous verrai-je donc ?
↔
HORACE
Bientôt, assurément.→
AGNÈS
Que je vais m’ennu[i](y)[j]er
↔ jusques à ce moment !→
HORACE
Grâce au
Ciel, mon bonheur ↔ n’est plus en concurrence [183] ,
→
Et je puis maintenant
↔ dormir en assurance.
SCÈNE IV
ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPHE, le
nez dans son manteau.
Venez, ce n’est pas là
↔ que je vous logerai,→
Et votre gîte
ailleurs ↔ est par moi préparé,→
Je prétends en
lieu sûr ↔ mettre votre personne.→
Me connaissez-vous ?→
AGNÈS, le
reconnaissant.
Hay.
↔
ARNOLPHE
Mon visage, friponne,→
Dans cette occasion
↔ rend vos sens effra[i](y)[i]és ;→
Et c’est à contre-cœur ↔ qu’ici vous me vo[i](y)[i]ez ;→
Je trouble en ses
projets ↔l’amour qui vous possède,→
(Agnès regarde si elle ne verra point Horace.)
N’appelez point des yeux ↔le galant à votre
aide,
Il est
trop éloigné ↔pour vous donner secours ;→
Ah, ah, si jeune
encor, ↑ vous jouez de ces tours,→
Votre simplicité, ↔qui semble sans pareille,→
Demande
si l’on fait ↔les enfants par l’oreille,→
Et vous savez donner ↔des rendez-vous la nuit,
Et pour suivre un
galant ↔vous évader sans bruit.→
Tudieu ?
comme avec lui ↔ votre langue cajole [184] ;→
Il faut qu’on vous ait mise ↔à quelque bonne école.→
Qui diantre tout d’un coup ↔vous en a tant appris ?→
Vous ne craignez donc plus ↔de trouver des esprits ?
Et ce galant la nuit ↔vous a donc enhardie.→
Ah, coquine, en
venir ↔à cette perfidie ;→
Malgré tous mes bienfaits ↔former un tel dessein,→
Petit
serpent que j’ai ↔réchauffé
dans mon sein,→
Et qui dès qu’il se sent, ↔par une humeur
ingrate,
Cherche à faire du mal ↔à
celui qui le flatte.→
AGNÈS
Pourquoi me criez-vous ?→
ARNOLPHE
J’ai grand tort en effet.↔
AGNÈS
Je n’entends point de mal ↔dans tout ce que j’ai fait.→
ARNOLPHE
Suivre un galant n’est pas ↔une action infâme ?→
AGNÈS
C’est un homme qui dit ↔qu’il me veut pour sa femme ;
J’ai suivi vos leçons, ↔et vous m’avez prêché→
↑ Qu’il se faut marier ↔pour ôter le
péché.→
ARNOLPHE
Oui, mais pour femme moi ↔je prétendais vous prendre,→
Et je vous l’avais fait, ↔me semble, assez
entendre.→
AGNÈS
Oui, mais à vous parler ↔franchement entre nous,
Il est
plus pour cela, ↔selon mon goût, que vous ;→
Chez vous ↑ le mariage ↔est fâcheux et
pénible,→
Et vos discours en font ↔une image terrible :→
Mais las ! il le fait lui ↔si rempli de plaisirs,→
↑ Que de se marier ↔il donne des désirs.→
ARNOLPHE
Ah, c’est que vous l’aimez, ↔traîtresse.
AGNÈS
Oui je l’aime.→
ARNOLPHE
Et vous avez le front ↔de le dire à
moi-même ?→
AGNÈS
Et pourquoi s’il est vrai, ↔ne le dirais-je pas ?→
ARNOLPHE
Le deviez-vous aimer [185] ?
↔impertinente.
AGNÈS
Hélas !
→
Est-ce que j’en puis mais ? ↔Lui seul en est la cause,
Et je n’y songeais pas ↔lorsque se fit la chose.→
ARNOLPHE
Mais il fallait chasser ↔cet amoureux désir.→
AGNÈS
Le mo[i](y)[i]en
de chasser ↔ce qui fait du plaisir ?→
ARNOLPHE
Et ne saviez-vous pas ↔que c’était me
déplaire ?→
AGNÈS
Moi, point du tout, quel mal ↔cela vous peut-il faire ?→
ARNOLPHE
Il est
vrai, j’ai sujet ↔↑ d’en
être réjoui,→
Vous ne m’aimez donc pas ↔à ce compte ?→
AGNÈS
Vous ?→
ARNOLPHE
Oui.
↔
AGNÈS
Hélas, non.→
ARNOLPHE
Comment, non ?→
AGNÈS
Voulez-vous que je mente ?→
ARNOLPHE
Pourquoi ne m’aimer pas, ↔Madame l’impudente ?→
AGNÈS
Mon Dieu, ce n’est pas moi ↔que vous devez blâmer ;
Que ne vous êtes-vous ↔comme lui fait aimer ?→
Je ne vous en ai pas empêché, que
je pense.→
ARNOLPHE
Je m’y suis efforcé ↔de toute ma puissance ;→
Mais les soins que j’ai pris, ↔je les ai perdus tous.→
AGNÈS
Vraiment il en sait donc ↔là-dessus plus que vous ;
Car à se faire
aimer ↔il n’a point eu de peine.→
ARNOLPHE
Vo[i](y)[i]ez comme raisonne ↔et répond la vilaine.→
Peste, une précieuse ↔en dirait-elle plus ?→
Ah ! je l’ai mal connue, ↔ou ma foi là-dessus→
Une
sotte en sait plus ↔que le plus habile
homme ;
Puisque en raisonnement ↔votre
esprit se consomme [186] ,→
La belle raisonneuse, ↔est-ce qu’un si long temps→
Je vous aurai pour lui ↔nourrie à mes
dépens ?→
AGNÈS
Non, il vous rendra tout ↔jusques au dernier double [187] .→
ARNOLPHE
Elle a de certains mots ↔où
mon dépit redouble,
Me rendra-t-il, coquine, ↔avec tout son pouvoir→
↑ Les obligations
↔ que vous pouvez m’avoir ?→
AGNÈS
Je ne vous en ai pas
de ↔ si grandes ↓ qu’on pense.→
ARNOLPHE
N’est-ce rien que les soins
↔ d’élever votre enfance ?→
AGNÈS
Vous avez là dedans
↔ bien opéré vraiment,
Et m’avez fait en tout
↔ instruire joliment ;→
Croit-on que je me flatte,
↔ et qu’enfin dans ma tête→
Je ne juge pas bien
↔ que je suis une bête ?→
Moi-même j’en ai honte,
↔ et dans l’âge où je suis→
Je ne veux plus passer
↔ pour sotte, si je puis.→
ARNOLPHE
Vous fu[i](y)[j]ez l’ignorance, ↔
et voulez, quoi qu’il coûte,→
Apprendre du blondin
↔ quelque chose.
AGNÈS
Sans doute, →
C’est de lui que je sais
↔ ce que je puis savoir [188] ,→
Et beaucoup plus
qu’à vous ↔ je pense lui devoir.→
ARNOLPHE
Je ne sais qui [189] me
tient ↔ qu’avec une gourmade
Ma main de ce discours
↔ ne venge la bravade.→
J’enrage quand je vois
↔ sa piquante froideur,→
Et quelques coups de poing
↔ satisferaient mon cœur.→
AGNÈS
Hélas, vous le
pouvez, ↔ si cela vous peut plaire.→
ARNOLPHE
Ce mot, et ce regard
↔ désarme [190] ma
colère,
Et produit un retour
↔ de tendresse et de cœur,→
↑ Qui de son action
↔ m’efface la noirceur [191] .→
Chose étrange !
d’aimer, ↔ et que pour ces traîtresses→
Les hommes soient
sujets ↔ à de telles faiblesses,→
Tout le monde connaît
↔ ↑ leur imperfection.
Ce n’est qu’extravagance,
↔ ↑ et qu’indiscrétion ;→
Leur esprit est
méchant, ↔ et leur âme fragile,→
Il n’est rien de plus faible
↔ et de plus imbécile,→
Rien de plus infidèle,
↔ et malgré tout cela→
Dans le monde on
fait tout ↔ pour ces animaux-là.
Hé bien, faisons
la paix, ↔ va petite traîtresse,→
Je te pardonne tout,
↔ et te rends ma tendresse ;→
Considère par là
↔ l’amour que j’ai pour toi,→
Et me vo[i](y)[j]ant si bon, ↔ en revanche
aime-moi.→
AGNÈS
Du meilleur de mon cœur,
↔ je voudrais vous complaire,
Que me coûterait-il,
↔ si je le pouvais faire ?→
ARNOLPHE
Mon pauvre petit bec,
↔ tu le peux si tu veux [192] .→
(Il fait un soupir.) Écoute seulement
↔ ce soupir amoureux,→
Vois ce regard mourant,
↔ contemple ma personne,→
Et quitte ce morveux, ↔
et l’amour qu’il te donne ;
C’est quelque sort qu’il
faut ↔ qu’il ait jeté sur toi,→
Et tu seras cent fois
↔ plus heureuse avec moi.→
Ta forte passion est
↔ d’être brave [193] et
leste,→
Tu le seras toujours,
↔ va, je te le proteste ;→
Sans cesse nuit et jour
↔ je te caresserai,
Je te bouchonnerai [194] , ↔ baiserai, mangerai ;→
Tout comme tu voudras,
↔ tu pourras te conduire,→
Je ne m’explique point,
↔ et cela c’est tout dire.→
(À part.) ↑ Jusqu’où
la passion ↔ peut-elle faire
aller ?→
Enfin à mon amour
↔ rien ne peut s’égaler ;
Quelle preuve veux-tu
↔ que je t’en donne, ingrate ?→
Me veux-tu voir pleurer ?
↔ Veux-tu que je me batte ?→
Veux-tu que je m’arrache
↔ un côté de cheveux ?→
Veux-tu que je me tue ?
↔ Oui, dis si tu le veux,→
↑ Je suis tout
prêt, cruelle, ↔ à te prouver ma flamme.→
AGNÈS
Tenez, tous vos discours
↔ ne me touchent point l’âme.→
Horace avec
deux mots ↔ en ferait plus que vous.→
ARNOLPHE
Ah ! c’est trop me
braver, ↔ trop pousser mon courroux ;→
Je suivrai mon dessein,
↔ bête trop indocile,→
Et vous dénicherez
↔ à l’instant de la ville ;
Vous rebutez mes vœux,
↔ et me mettez à bout ;→
Mais un cul de couvent [195] ↔
me vengera de tout.
SCÈNE V
ARNOLPHE, AGNÈS,
ALAIN [196] .
ALAIN
Je ne sais ce
que c’est, ↔ Monsieur, mais il me semble→
Qu’Agnès et
le corps mort ↔ s’en sont allés ensemble.→
ARNOLPHE
La voici ; dans
ma chambre ↔ allez me la nicher,
Ce ne sera
pas là ↔ qu’il la viendra chercher,→
Et puis c’est seulement
↔ pour une demie-heure,→
Je vais pour lui
donner ↔ une sûre demeure→
Trouver une
voiture ; ↔ enfermez-vous des mieux,→
Et surtout gardez-vous
↔ de la quitter des yeux :
Peut-être que
son âme ↔ étant dépa[i](y)[i]sée→
Pourra de cet
amour ↔ être désabusée.→
SCÈNE VI
ARNOLPHE, HORACE.
HORACE
Ah ! je viens
vous trouver ↔ accablé de douleur,→
Le Ciel, Seigneur
Arnolphe, ↔ a conclu [197] mon
malheur,→
Et par un trait
fatal ↔ d’une injustice extrême
On me veut arracher ↔de la beauté que j’aime.→
Pour arriver ici ↔mon père a pris le frais [198] ,→
J’ai trouvé qu’il mettait ↔pied à terre ici près,→
Et la cause en
un mot ↔d’une telle venue,→
Qui, comme je disais, ↔ne m’était pas connue,
↑ C’est qu’il m’a marié ↔sans
m’en récrire rien [199] ,→
Et qu’il vient en ces lieux ↔ ↑
célébrer ce lien.→
Jugez, en prenant part ↔ ↑ à mon inquiétude,→
S’il pouvait m’arriver ↔ un contre-temps plus rude ;→
Cet Enrique, dont hier ↔je m’informais à vous,
Cause tout le malheur ↔ dont je ressens les coups ;→
Il vient avec mon père ↔↑ achever ma ruine,→
Et c’est sa fille
unique ↔à qui l’on me destine.→
J’ai dès leurs premiers mots ↔ pensé ↑ m’évanouir,→
Et d’abord sans vouloir ↔ plus longtemps les ouïr ;
Mon père a[i](y)[i]ant parlé ↔de vous rendre visite→
L’esprit plein de fra[i](y)[i]eur ↔ je l’ai devancé vite :→
De grâce, gardez-vous ↔ de lui rien découvrir→
De mon engagement, ↔ qui le pourrait aigrir,→
Et tâchez, comme
en vous ↔ il prend grande créance,
↑ De le dissuader ↔ de cette autre alliance[200].→
ARNOLPHE
Oui-da.
HORACE
Conseillez-lui ↔de différer un peu,
Et rendez en ami ↔ce service à
mon feu.→
ARNOLPHE
Je n’y manquerai pas. ↔
HORACE
C’est en vous que j’espère.
ARNOLPHE
Fort bien
HORACE
Et je vous tiens ↔mon véritable père ;→
Dites-lui que mon âge... ↔ ah ! je le vois venir,→
Écoutez les raisons ↔que je vous puis fournir.→
Ils demeurent en un coin du théâtre.
SCÈNE
VII
ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE, ARNOLPHE.
ENRIQUE, à Chrysalde.
Aussitôt qu’à
mes yeux ↔je vous ai vu paraître,→
Quand on ne m’eût rien dit ↔j’aurais
su vous connaître ;→
Je vous vois tous
les traits ↔ de cette aimable sœur [201] ,
Dont l’hymen [202] autrefois
↔ m’avait fait possesseur ;→
Et je serais
heureux, ↔ si la Parque cruelle→
M’eût laissé
ramener ↔ cette épouse
fidèle[203],→
Pour jouir avec
↑ moi ↔ des sensibles douceurs→
De revoir tous
les siens ↔ après nos longs malheurs :
Mais puisque du
destin ↔ la fatale puissance[204]→
Nous prive pour
jamais ↔ de sa chère présence,→
Tâchons de nous
résoudre, ↔ et de nous contenter→
Du seul fruit amoureux
↔ qui m’en est pu rester,→
Il vous touche
de près. ↔ Et sans votre suffrage
J’aurais tort de
vouloir ↔ disposer de ce gage ;→
Le choix du fils
d’Oronte ↔ est ↓ glorieux de soi,→
Mais il faut que
ce choix ↔ vous plaise comme
à moi [205] .→
CHRYSALDE
C’est de mon jugement
↔ avoir mauvaise estime,→
Que douter si
j’approuve ↔ un choix si légitime.→
ARNOLPHE, à Horace.
Oui, je vais vous
servir ↔ de la bonne façon [206] .→
HORACE
Gardez encore
un coup... ↔
ARNOLPHE
N’a[i](y)[i]ez aucun soupçon.→
ORONTE, à Arnolphe.
Ah ! que cette
embrassade ↔ est pleine de tendresse.→
ARNOLPHE
Que je sens à
vous voir, ↔ une grande allégresse.→
ORONTE
Je suis ici
venu... ↔
ARNOLPHE
Sans m’en faire récit, ↔
Je sais ce qui
vous mène.→
ORONTE
On vous l’a déjà
dit ? ↔
ARNOLPHE
Oui.
ORONTE
Tant mieux.
ARNOLPHE
Votre fils ↔ à cet hymen [207] résiste,
Et son cœur
prévenu ↔ n’y voit rien que de triste,→
Il m’a même
pri[j]é ↔ de vous
en détourner ;→
Et moi tout le
conseil ↔ que je vous puis donner,
C’est de ne pas
souffrir ↔ que ce nœud se diffère,→
Et de faire
valoir ↔ l’autorité de père ;→
Il faut avec
vigueur ↔ ranger [208] les
jeunes gens,→
Et nous faisons [209] contre
eux ↔ à leur être indulgents.→
HORACE
Ah traître !
CHRYSALDE
Si son cœur ↔ a quelque répugnance,
Je tiens qu’on ne
doit pas ↔ ↑ lui faire violence [210] ;→
Mon frère,
que je crois, ↔ sera de mon avis.→
ARNOLPHE
Quoi ? se
laissera-t-il ↔ gouverner par son fils ?→
Est-ce que vous
voulez ↔ qu’un père ait la
mollesse→
De ne savoir
pas faire ↔ obéir la jeunesse ?
Il serait beau
vraiment, ↔ qu’on le vît aujourd’hui→
Prendre loi de
qui doit ↔ la recevoir de lui.→
Non, non, c’est mon
intime, ↔ et sa gloire est la mienne,→
Sa parole
est donnée, ↔ il faut qu’il la maintienne,→
Qu’il fasse voir
ici ↔ de fermes sentiments,
Et force de
son fils ↔ tous les attachements.→
ORONTE
C’est parler comme
il faut, ↔ et dans cette alliance,→
C’est moi qui vous
réponds ↔ de son obéissance.→
CHRYSALDE, à Arnolphe.
Je suis surpris,
pour moi, ↔ du grand empressement→
Que vous me faites
voir ↔ pour cet engagement,→
Et ne puis deviner
↔ quel motif vous inspire...→
ARNOLPHE
Je sais ce que
je fais, ↔ et dis ce qu’il faut dire.→
ORONTE
Oui, oui, Seigneur
Arnolphe, ↔ il est...
CHRYSALDE
Ce nom l’aigrit,
C’est Monsieur de
la Souche, ↔ on vous l’a déjà dit.→
ARNOLPHE
Il n’importe.
HORACE
Qu’entends-je ? ↔
ARNOLPHE, se retournant vers Horace.
Oui c’est là le mystère,
Et vous pouvez
juger ↔ ce que je devais faire.
HORACE
En quel trouble...
SCÈNE VIII
GEORGETTE, HENRIQUE,
ORONTE, CHRYSALDE, HORACE, ARNOLPHE.
GEORGETTE
Monsieur, ↔ si vous n’êtes auprès,
Nous aurons de
la peine ↔ à retenir Agnès,→
Elle veut à
tous coups ↔ s’échapper, et peut-être→
Qu’elle se pourrait
bien ↔ jeter par la fenêtre.→
ARNOLPHE
Faites-la-moi venir, ↔ aussi bien de ce pas→
Prétends-je l’emmener, ↔ ne vous en fâchez pas,→
Un bonheur continu ↔rendrait l’homme superbe,→
Et chacun a son tour, ↔comme dit le proverbe.→
HORACE
Quels maux peuvent, ô Ciel ↔
égaler mes ennuis ?
Et s’est-on jamais vu ↔dans l’abîme où
je suis ?→
ARNOLPHE, à Oronte.
Pressez vite le jour ↔de la cérémonie,→
J’y prends part, et déjà ↔moi-même je m’en prie.→
ORONTE
C’est bien là notre dessein [211] .↔
SCÈNE IX
AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE, HENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE,
ARNOLPHE.
ARNOLPHE
Venez, belle, venez,→
Qu’on ne saurait tenir, ↔ et qui vous mutinez,→
Voici votre galant, ↔à qui pour récompense→
Vous pouvez faire une ↔humble et douce révérence [212] .→
(À Horace) Adieu, l’événement ↔trompe un peu vos souhaits ;→
Mais tous les amoureux ↔ne sont pas satisfaits.→
AGNÈS
Me laissez-vous, Horace, ↔ emmener de la sorte ?[213]→
HORACE
Je ne sais où j’en suis, ↔tant ma douleur est forte.→
ARNOLPHE
Allons, causeuse, allons. ↔
AGNÈS
Je veux rester ici.→
ORONTE
Dites-nous ce que c’est ↔que ce mystère-ci,→
Nous nous regardons tous ↔sans le pouvoir comprendre.→
ARNOLPHE
Avec plus de loisir ↔je pourrai vous l’apprendre,→
Jusqu’au revoir.
ORONTE
Où donc ↔prétendez-vous aller ?→
Vous ne nous parlez point, ↔comme il nous faut parler.→
ARNOLPHE
Je vous ai conseillé ↔malgré tout son murmure,→
D’achever l’hyménée [214] . ↔
ORONTE
Oui, mais pour le conclure→
Si l’on vous a dit tout, ↔ ne vous a-t-on pas dit→
Que vous avez chez vous ↔ celle dont il s’agit ?→
La fille qu’autrefois ↔ de l’aimable Angélique→
Sous des liens secrets ↔ eut le seigneur Enrique.→
Sur quoi votre discours ↔ était-il donc fondé ?→
CHRYSALDE
Je m’étonnais aussi ↔ de voir son procédé.→
ARNOLPHE
Quoi...
CHRYSALDE
D’un hymen [215] secret ↔ ma sœur eut une fille,→
Dont on cacha le sort ↔ à toute la famille.→
ORONTE→
Et qui sous de feints noms ↔pour ne rien découvrir,→
Par son époux aux champs ↔fut donnée à
nourrir.→
CHRYSALDE→
Et dans ce temps le sort ↔lui déclarant la guerre,→
L’obligea de sortir ↔de sa natale terre.→
ORONTE
Et d’aller essuyer ↔ mille périls divers→
Dans ces lieux séparés ↔de nous par tant de mers.→
CHRYSALDE
Où ses soins ont gagné ↔ ce que dans sa patrie→
Avaient pu lui
ravir ↔l’imposture et l’envie [216] .→
ORONTE
Et de retour en France, ↔ il a cherché d’abord→
Celle à qui de sa fille ↔ ↑
il confia le sort.→
CHRYSALDE
Et cette pa[i](y)[i]sanne ↔ a dit avec franchise,→
Qu’en vos mains à quatre
ans ↔ elle l’avait remise.→
ORONTE
Et qu’elle l’avait fait ↔ sur votre charité [217] ,→
Par un accablement ↔ d’extrême pauvreté.→
CHRYSALDE
Et lui plein de transport, ↔ et l’allégresse
en l’âme [218] →
A fait jusqu’en ces lieux ↔ conduire cette femme.→
ORONTE
Et vous allez, enfin, ↔ la voir venir ici→
Pour rendre aux yeux
de tous ↔ce mystère éclairci.→
CHRYSALDE
Je devine à
peu près ↔ quel est votre supplice,→
Mais le sort en cela ↔ ne vous est que propice ;→
Si n’être point cocu ↔ vous semble un si
grand bien,→
Ne vous ↑ point marier ↔ en est le vrai mo[i](y)[i]en.→
ARNOLPHE, s’en allant tout transporté et ne pouvant parler.
Oh !
ORONTE
D’où vient qu’il s’enfuit ↔ sans rien dire ?
HORACE
Ah mon père→
Vous saurez pleinement ↔ ce surprenant mystère.→
Le hasard en ces lieux ↔avait exécuté→
Ce que votre sagesse ↔ avait prémédité.→
J’étais par les doux nœuds ↔d’une
ardeur mutuelle [219] ,→
Engagé de parole ↔avecque cette belle ;→
Et c’est elle en
un mot ↔que vous venez chercher,→
Et pour qui mon refus ↔a pensé vous fâcher.→
ENRIQUE
Je n’en ai point douté ↔ d’abord que je l’ai vue,→
Et mon âme depuis ↔n’a cessé d’être
émue.→
Ah ! ma fille, je cède ↔à des transports si doux.→
CHRYSALDE
J’en ferais de bon cœur, ↔mon frère, autant que vous.→
Mais ces lieux et cela ↔ne s’accommodent guères ;→
Allons dans la maison ↔débrouiller ces mystères,→
Pa[i](y)[i]er à notre ami ↔ ↑ ses soins officieux,→
Et rendre grâce
au Ciel ↔ qui fait tout pour le mieux.
[1] - áåçóäàðíûé ñëîã; ‘ óäàðíûé ñëîã.
[2] Öåçóðà.
[3] Ñòðîêîâàÿ ïàóçà.
[4] Cette « dissertation » deviendra La Critique de l’École des femmes.
[5] Chagrin : mauvaise humeur.
[6] Pour se purger de sa magnificence : pour justifier ses dépenses fastueuses.
[7] Le
mépris qui frappe la comédie tient à l’importante question
du rire, phénomène qui suscite une grande méfiance chez
les moralistes et les prédicateurs du grand siècle, car l’idée
qu’ils s’en font condamne a priori tout effort de la comédie tendant
à la reconnaissance des honnêtes gens. Non seulement le rire est
une manifestation purement mécanique que la rationalité classique
ne parvient pas à maîtriser et qui traduit une attitude de
contestation pouvant à terme menacer l’équilibre social, mais
c’est une attitude que l’Église ne peut que réprouver chez
l’homme, sous le coup du péché originel, qui est censé
faire ici bas le salut de son âme et non se divertir. Durant les
années où s’élabore la doctrine classique, la
société et les théoriciens adoptent le point de vue
aristotélicien selon lequel « le risible est une partie du
laid » (Poétique, 49a32), et nourrissent une méfiance
profonde pour le rire, comme l’a montré Dominique Bertrand (Dire le rire
à l’Age Classique). Cela explique que le rire ne constitue pas, avant
Molière, un critère constitutif du genre comique. Corneille
écrit, dans une épître à M. de Zuylichem
précédant Dom Sanche d’Aragon :
Cet argument [la présence du rire] a été jusqu’ici tellement de la pratique de la comédie, que beaucoup ont cru qu’il était aussi de son essence, et je serais encore dans ce scrupule, si je n’en avais été guéri par votre M. Heinsius, de qui je viens d’apprendre heureusement que movere risum non constituit comoediam, sed plebis aucupium est, et abusus. (La comédie ne se définit pas par le rire qu’elle suscite ; ce n’est qu’un leurre pour le public, et un abus).
De même l’abbé D’Aubignac, dans sa Pratique du théâtre, ouvrage de référence publié en 7, mais médité quelque vingt ans plus tôt, qualifie avec mépris les farces d’« ouvrages indignes d’être mis au rang des poèmes dramatiques, sans art, sans parties, sans raison, et qui n’étaient recommandables qu’aux marauds et aux infâmes ». Et Boileau témoignera encore en 4 d’un même mépris dans son Art poétique :
Le comique ennemi des soupirs et des pleurs, N’admet point en ses vers de tragiques douleurs, Mais son emploi n’est pas d’aller, dans une place, De mots sales et bas charmer la populace. (v. –)
Le rire ne conquiert qu’avec Molière un droit de cité limité en revendiquant un sens et une utilité morale qu’on ne reconnaît pas auparavant ; la comédie, heureusement servie en cela par l’émergence de la notion de ridicule, prétend alors plaire et instruire en corrigeant les mœurs, ce que Boileau souligne dans ses Stances sur l’École des femmes que plusieurs gens frondaient :
En vain mille jaloux esprits, Molière, osent avec mépris Censurer ton plus bel ouvrage : Sa charmante naïveté S’en va pour jamais d’âge en âge Enjouer la postérité. Ta Muse avec utilité Dit plaisamment la vérité ; Chacun profite à ton École, Tout en est beau, tout en est bon, Et ta plus burlesque parole Est souvent un docte sermon.
La mutation est d’autant plus importante que Molière fait du rire un élément essentiel à sa poétique comique ; alors que, chez ses prédécesseurs, le rire était sporadique et souvent ornemental, il devient ici la clef de voûte du système théâtral. (Voir Dominique Bertrand, Dire le rire à l’Age Classique, Aix-en-Provence, PUP, 5).
[8] Sot est au XVIIe siècle synonyme de cocu.
[9] Triompher : " se réjouir, être fort aise " (Dictionnaire de Richelet, 9).
[10] Ñì. âûøå [10].
[11] De souffrance : de tolérance, de complaisance.
[12] Et... Mon Dieu, notre ami,↔
[13] VAR. Bien rusé qui pourra↔m’attraper sur ce point (2). Huppé : habile, malin.
[14] Réclamer : invoquer.
[15] Le corbillon est « ‘un petit jeu d’enfants où l’on s’exerce à rimer en on » (Dictionnaire de Furetière, 0).
[16] Nous ajoutons les guillemets, ainsi que dans la suite de la scène.
[17] La marotte est le bâton des fous ; au figuré, c’est une passion violente, une passion qui rend fou.
[18] Issu des cours italienne de la Renaissance (Baltazar de Castiglione,
Il Cortegiano, 8), cet idéal moral et social est théorisé
par Nicolas Faret (L’Honnête Homme ou l’art de plaire à la Cour,
0), Guez de Balzac, puis par le chevalier de Méré (Conversations,
8, Discours, 7). L’honnête homme se montre agréable et
sociable ; tout entier tourné vers autrui, il fait preuve
d’urbanité, et il doit laisser soupçonner ses qualités
sans attirer l’attention sur sa personne, bien qu’il ait divers talents
intellectuels et artistiques, car il ne se pique de rien. Et dans ses
pièces, Molière brosse le portrait de quelques personnages qui,
tels Philinte et surtout Éliante dans Le Misanthrope, sont capables de
vaincre leur amour-propre, de s’effacer devant les autres et de faire preuve de
bienveillance à leur égard. Molière lui-même est
présenté en ces termes par Jean Vivot, dans la préface de
l’édition de 2 :
Ainsi il se fit remarquer à la Cour pour un homme civil et honnête, ne se prévalant point de son mérite et de son crédit, s’accommodant à l’humeur de ceux avec qui il était obligé de vivre, ayant l’âme belle, libérale : en un mot, possédant et exerçant toutes les qualités d’un parfaitement honnête homme.
Quand, dans La Critique de l École des femmes, Dorante, porte-parole de Molière, affirme que « c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens », on peut se demander de qui il parle : s’agit-il, comme on le pense d’ordinaire, de ceux qu’on pourrait appeler les braves gens du public, ou, dans ce contexte polémique, de ces esprits raffinés, adeptes de l’art de plaire selon Faret ou Méré ? Si l’on n’oublie pas que l’honnête homme est celui qui se maîtrise parfaitement en toute situation et qui, dans cette perspective, réprime les éclats de rire, qui sont le propre du peuple, on est en droit de penser que Molière vise ici cette partie du public, si rétive à une poétique dont le comique est la pierre angulaire.
[19] une
bête ↑ avec soi
[20] Il faut sous-entendre : « Je réponds... ».
[21] Rabelais, Tiers Livre, ch. V, où Pantagruel répond à Panurge : « Prêchez et patrocinez [plaidez] d’ici à la Pentecôte, enfin vous serez ébahi comment rien ne m’aurez persuadé. »
[22] VAR. De la lui demander↔il me vint en pensée. (2).
[23] Loin de toute pratique : de toute fréquentation.
[24] Idiote : simple et ignorante.
[25] Ññûëêà íà
ñòàòüþ « Ïðèðîäà» íà ðåñóðñå http://www.toutmoliere.net/.
[26] VAR. On doit me condamner. (2).
[27] J’y consens. Vous pourrez↔
[28] Ne peut... La vérité↔
[29] Du mariage de Molière et d’Armande Béjart naît d’abord un fils, Louis, en janvier 4, dont Louis XIV représenté par le Duc de Créqui est le parrain, et Madame Henriette d’Angleterre représentée par la maréchale du Plessy la marraine, mais ce fils ne vit que dix mois. Il naît également une fille, Esprit-Madeleine, baptisée le 4 août 5, qui survivra à son père mais n’aura pas d’enfant elle-même. Plus tard, en 2, le couple a un troisième enfant, Pierre-Jean-Baptiste-Armand, qui ne vit que quelques jours, de sorte que Molière n’a pas de postérité.
[30] L’innocente Agnès pense que les femmes conçoivent par l’oreille, tout comme la Vierge Marie a conçu par l’oreille, puisque c’est par l’oreille qu’elle a appris le dessein de Dieu de faire d’elle la mère du Sauveur.
[31] Seigneur Arnolphe... Bon ;
[32] VAR. À quarante-deux ans↔de vous débaptiser. (2).
[33] Arnolphe n’aime pas son nom, parce que Saint Arnoul est considéré depuis le Moyen Age comme le patron des maris trompés.
[34] Thomas Corneille se faisait appeler Corneille de l’Isle, et Molière ne pouvait pas l’ignorer ; il est très probable qu’il n’était pas en bons termes avec le cadet des Corneille, avant la « Querelle de l’École des femmes ».
[35] Holà ! Qui heurte ? Ouvrez. ↔ On aura, que je pense,→
[36] Qui va là ? Moi. Georgette ?↔
[37] Hé bien ? Ouvre là-bas.→
[38] Vas-y, toi. Vas-y, toi.↔
[39] Qui frappe ? Votre maître.↔
[40] Alain ? Quoi ? C’est Monsieur,→
[41] Ouvre vite. Ouvre,
toi.→
[42] Ha. Par quelle raison ↔
[43] Dans les années 0, certains spécialistes de la littérature, comme Chapelain ou le grammairien Vaugelas, prennent conscience du rôle de plus en plus important que commence à jouer la cour ; ils sont loin de la mépriser, bien qu’elle soit alors en grande partie peuplée d’ignorants, car le bon usage qu’elle fait d’un langage clair, débarrassé des figures et des tours de langue surannés, intéresse ces doctes, et ils comprennent qu’elle constitue un public à séduire. Trente ans plus tard, elle est le lieu où il faut plaire si l’on veut faire connaître ses œuvres. Molière connaît bien le milieu de la Cour tout d’abord pour être lui-même détenteur d’une charge de Tapissier ordinaire du roi, ce qui lui vaut de se faire connaître du souverain et des courtisans, ainsi que la rapporte Jean Vivot dans la préface de l’édition de 2 : L’estime dont Sa Majesté l’honorait augmentait de jour en jour, aussi bien que celle des courtisans les plus éclairés, le mérite et les bonnes qualités de Monsieur de Molière faisant de très grands progrès dans tous les esprits. Son exercice de la comédie ne l’empêchait pas de servir le Roi dans sa charge de valet de chambre, où il se rendait très assidu. Ainsi il se fit remarquer à la Cour pour un homme civil et honnête, ne se prévalant point de son mérite et de son crédit, s’accommodant à l’humeur de ceux avec qui il était obligé de vivre, ayant l’âme belle, libérale : en un mot, possédant et exerçant toutes les qualités d’un parfaitement honnête homme. Ensuite, bien entendu, Molière connaît ce milieu puisque la troupe est régulièrement invitée à y donner des représentations ; elle y fait en mai 2, son premier séjour, ce qui constitue une consécration, car le goût de la Cour, différent de celui de la ville, influence au premier chef la production artistique de l’époque. Nombre de comédies y sont représentées pour la première fois, et il est certain que le genre de la comédie-ballet, par exemple, n’aurait pas vu le jour sans l’influence déterminante de Louis XIV. Les représentations qui y sont données contribuent d’autre part à l’enrichissement des troupes, comme le rapporte Chappuzeau, d’autant que ces séjours peuvent durer plusieurs semaines : Quand ils marchent à Saint-Germain, à Chambord, à Versailles ou en d’autres lieux, outre leur pension qui court toujours, outre les carrosses, chariots et chevaux qui leurs sont fournis de l’Écurie, ils ont de gratification en commun, mille écus par mois, chacun deux écus par jour pour leur dépense, leurs gens à proportion, et leurs logements par fourriers. Tout naturellement, Molière sait, en bon courtisan, souligner les qualités de la Cour, et il n’hésite pas à confier à Dorante, dans La Critique de l’Ecole des femmes, le soin de prendre sa défense contre les attaques abusives dont elle peut être l’objet de la part des envieux : […] Sachez, s’il vous plaît, Monsieur Lysidas, que les courtisans ont d’aussi bons yeux que d’autres, qu’on peut être habile avec un point de Venise et des plumes, aussi bien qu’avec une perruque courte et un petit rabat uni […] on s’y fait une manière d’esprit, qui sans comparaison, juge plus finement des choses, que tout le savoir enrouillé des pédants. (sc. 6) Il recommencera de manière encore plus vigoureuse dans Les Femmes savantes, par l’entremise de Clitandre : Vous en voulez beaucoup à cette pauvre cour,/Et son malheur est grand, de voir que chaque jour/Vous autres beaux esprits, vous déclamiez contre elle,/Que de tous vos chagrins vous lui fassiez querelle,/Et sur son méchant goût lui faisant son procès,/N’accusiez que lui seul de vos méchants succès./Permettez-moi, Monsieur Trissotin, de vous dire,/Avec tout le respect que votre nom m’inspire,/Que vous feriez fort bien, vos confrères, et vous,/De parler de la cour d’un ton un peu plus doux ;/Qu’à le bien prendre au fond, elle n’est pas si bête/Que vous autres Messieurs vous vous mettez en tête ;/Qu’elle a du sens commun pour se connaître à tout ;/Que chez elle on se peut former quelque bon goût ;/Et que l’esprit du monde y vaut, sans flatterie,/Tout le savoir obscur de la pédanterie. (III, 3) En fait, contrairement à une idée héritée de la IIIe République qui a voulu faire de Molière l’ami du peuple contraint de se faire l’amuseur de la Cour, il se trouve que notre poète y a joui d’un statut privilégié, étant choyé par Louis XIV qui lui confiait l’organisation de fêtes aussi somptueuses que Les Plaisirs de L’Île enchantée. Molière y possède une sorte de monopole, car sa troupe est souvent la seule invitée à la Cour, ce qui n’est pas sans susciter des jalousies. Toutes les premières, sauf L’Impromptu de Versailles et Psyché sont destinées au roi, qui danse lui-même dans de nombreux ballets. L’étoile de notre poète décline au moment où il souhaite entreprendre lui-même l’édition de ses œuvres complètes, en 1, comme s’il était sensible à la survie de son œuvre. Bien que cette démarche n’ait pas été dictée par l’appât du gain matériel, il est probable que la Cour n’en ait pas compris le sens, habituelle pour nos auteurs contemporains. Il semble qu’elle l’ait interprétée comme une manifestation d’indépendance, choquante de la part d’un courtisan comblé d’honneurs, pour lequel l’approbation du roi doit constituer la récompense suprême. (Voir sur cette question C.E.J. Caldicott, La Carrière de Molière entre protecteurs et éditeurs, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 8).
[44] VAR. Le plaisant sratagème ! (2).
[45] Ni toi non plus. Ni toi.→
[46] C’est moi. Sans le respect ↔
[47] Je te... Peste. Pardon. ↔
[48] Nous nous... Qui vous apprend, ↔
[49] Triste ! Non. Non ! Si fait.→
[50] Hor... Seigneur Ar... Horace.→
[51] Vous vo[i](y)[i]ez. Mais, de grâce, ↔
[52] VAR. Que fait-il à présent ? est-il toujours gaillard ? (2).
[53] Ce vers est mis dans la bouche d’Horace dans l’édition de 3. Nous corrigeons cette erreur d’après l’édition de 2.
[54] VAR. Non ; mais vous a-t-on dit comme on le nomme ?
[55] VAR. Pour un fait important que ne dit pas sa lettre.
[56] Ññûëêà íà ñòàòüþ « Amis » íà ïîðòàëå «http://www.toutmoliere.net.
[57] VAR. Il faut pour les amis des lettres moins civiles.
[58] Cent pistoles font mille livres, ce qui est une grosse somme au XVIIe siècle.
[59] Horace voudrait donner à Arnolphe un reçu, mais Arnolphe refuse ces façons d’agir de banquier ou de notaire (« Laissons ce style »).
[60] Coqueter : "se plaire à cojoler, ou à être cajolée (Dictionnaire de Furetière, 0).
[61] Ññûëêà íà ñòàòüþ « comédie» íà ïîðòàëå «http://www.toutmoliere.net.
[62] Féru : blessé d’amour.
[63] Objet, qui désigne aussi bien un homme qu’une femme, n’est pas péjoratif au XVIIe siècle.
[64] Ññûëêà íà ñòàòüþ « ridicule » íà ïîðòàëå «http://www.toutmoliere.net.
[65] Ññûëêà íà ñòàòüþ « rire » íà ïîðòàëå «http://www.toutmoliere.net.
[66] Je devais me contraindre : j’aurais dû me contraindre.
[67] VAR. Tâchons de le rejoindre. (2).
[68] Sans doute : sans aucun doute, assurément.
[69] VAR. Et laisser un champ libre aux yeux d’un damoiseau. (2).
[70] VAR. Et tout ce qu’elle fait, enfin est sur mon compte. (2). L’édition de 2 indique que les vers à étaient sautés à la représentation.
[71] Prévenu : obsédé, obnubilé par les soupçons.
[72] D’après 4, Arnolphe dit les vers et à part ; il arrête Alain qui veut s’enfuir (« Tu veux prendre la fuite ! »), puis il saisit le bras de Georgette qui veut faire de même (« Si tu bouges… ») ; il se retourne alors contre Alain (« Euh !… ») ; enfin, au moment où il reprend son discours (« Oui, je veux que tous deux… »), les deux serviteurs font encore une tentative de fuite.
[73] Ññûëêà íà ñòàòüþ « mort » íà ïîðòàëå «http://www.toutmoliere.net.
[74] Le cœur me faut : le cœur me manque.
[75] Ah, Ah. Le cœur me faut.→
[76] Je meurs. Je suis en eau, ↔
[77] VAR. Lorsque leurs femmes sont avec les beaux monsieurs ? (2).
[78] Comme
une instruction↔
[79] VAR. (À Alain et Georgette) (2).
[80] Fort belle. Le beau jour ! ↔
[81] Fort beau ! Quelle nouvelle ?→
[82] qu’un homme... Chose sûre.→
[83] VAR. Oui ; mais quand je l’ai vu, vous ignoriez pourquoi. (2).
[84] VAR. Ne voulant point céder ni recevoir l’ennui. (2).
[85] Fort bien. Le lendemain ↔
[86] Nous ajoutons les guillemets.
[87] Avoir la conscience : avoir la liberté, en toute conscience, de…
[88] Molière, qui a l’intelligence de la situation sociale de son temps, vise la conquête simultanée de deux publics différents et sa troupe donne pour cela deux types de représentations ; les unes ont lieu bien entendu dans son Théâtre du Petit-Bourbon, puis dans celui du Palais-Royal, les autres en privé, dans les hôtels particuliers des Grands du royaume. Le poète sait, en courtisan avisé, entretenir des relations privilégiées avec les aristocrates qu’il a connu dès son séjour en province, de sorte que de retour à Paris, la troupe joue fréquemment en visites, jusqu’à son adoption par le roi en 5 qui y met un terme. Elle donne ainsi représentations au cours de 75 visites chez 42 hôtes, et autant de représentations chez le roi pour une quarantaine de visites, selon C.E.J. Caldicott d’après le registre de La Grange. Ce sont même ces visites qui sauvent la troupe d’une faillite financière en 0, quand le Théâtre du Petit-Bourbon est détruit sans préavis par le surintendant des bâtiments du roi, M. de Ratabon, et que Molière se trouve sans salle durant trois mois, jusqu’à ce que le souverain ne fasse remettre en état la vieille salle du Palais Royal. (Voir C.E.J. Caldicott, La Carrière de Molière entre protecteurs et éditeurs, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 8).
[89] VAR. Il disait qu’il m’aimait d’une amour sans seconde. (2).
[90] Ouf. Hé, il m’a... Quoi ? Pris...↔
[91] Euh ! Le... Plaît-il ? Je n’ose,→
[92] Non. Si fait. Mon Dieu ! non. ↔
[93] VAR. N’a-t-il pas exigé de vous d’autre remède ? (2).
[94] Affronter quelqu’un : lui faire un affront.
[95] Ññûëêà íà ñòàòüþ « rire » íà ïîðòàëå «http://www.toutmoliere.net.
[96] Hélas : il arrive que cette interjection ne marque ni le regret ni la douleur, mais l’attendrissement (Cf. Les Femmes savantes, IV, 5, v. 7 : « Hélas ! dans cette humeur conservez-le toujours ! »).
[97] Issu des cours italienne de la Renaissance (Baltazar de Castiglione, Il Cortegiano, 8), cet idéal moral et social est théorisé par Nicolas Faret (L’Honnête Homme ou l’art de plaire à la Cour, 0), Guez de Balzac, puis par le chevalier de Méré (Conversations, 8, Discours, 7). L’honnête homme se montre agréable et sociable ; tout entier tourné vers autrui, il fait preuve d’urbanité, et il doit laisser soupçonner ses qualités sans attirer l’attention sur sa personne, bien qu’il ait divers talents intellectuels et artistiques, car il ne se pique de rien. Et dans ses pièces, Molière brosse le portrait de quelques personnages qui, tels Philinte et surtout Éliante dans Le Misanthrope, sont capables de vaincre leur amour-propre, de s’effacer devant les autres et de faire preuve de bienveillance à leur égard. Molière lui-même est présenté en ces termes par Jean Vivot, dans la préface de l’édition de 2 :
Ainsi il se fit remarquer à la Cour pour un homme civil et honnête, ne se prévalant point de son mérite et de son crédit, s’accommodant à l’humeur de ceux avec qui il était obligé de vivre, ayant l’âme belle, libérale : en un mot, possédant et exerçant toutes les qualités d’un parfaitement honnête homme.
Quand, dans La Critique de l École des femmes, Dorante, porte-parole de Molière, affirme que « c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens », on peut se demander de qui il parle : s’agit-il, comme on le pense d’ordinaire, de ceux qu’on pourrait appeler les braves gens du public, ou, dans ce contexte polémique, de ces esprits raffinés, adeptes de l’art de plaire selon Faret ou Méré ? Si l’on n’oublie pas que l’honnête homme est celui qui se maîtrise parfaitement en toute situation et qui, dans cette perspective, réprime les éclats de rire, qui sont le propre du peuple, on est en droit de penser que Molière vise ici cette partie du public, si rétive à une poétique dont le comique est la pierre angulaire.
[98] en toute honnêteté
[99] Est-il possible ? Oui. ↔
[100] L’hymen : le mariage.
[101] Nous serons mariés ? Oui. ↔
[102] Mais quand ? ↑ Dès ce soir.→
[104] ↑
grande
obligation !
[105] Avec qui ? Avec... là. ↔
[106] AGNÈS, faute de savoir le nom d’Horace, ne peut que dire là, adverbe qui marque l’embarras dans la conversation courante. Arnolphe reprend ce là en lui donnant en revanche un sens très précis, car il sait bien, lui, comment se nomme le jeune homme.
[107] Las ! il est si bien fait. ↔ C’est... Ah que de langage !→
[108] Montez là-haut. Mais quoi, ↔
[109] voulez-vous... C’est assez.→
[110] Reprise parodique et burlesque d’un des vers essentiels du Ve acte de Sertorius de Corneille, représenté pour la première fois le 25 février 2. À l’acte V, scène 6, Pompée interrompt le criminel Perpenna et l’envoie à la mort en lui disant précisément ce qu’Arnolphe dit ici à Agnès.
[111] Un sage directeur : un directeur de conscience (rappelons que ce rôle pouvait, au XVIIe siècle être tenu par un laïc).
[112] VAR. Et laisser un champ libre aux yeux
d’un damoiseau. (2).
[113] Ññûëêà íà ñòàòüþ « honnêteté » íà ïîðòàëå «http://www.toutmoliere.net.
[114] VAR. Et tout ce qu’elle fait, enfin est sur mon compte. (2). L’édition de 2 indique que les vers à étaient sautés à la représentation.
[115] Prévenu : obsédé, obnubilé par les soupçons.
[116] D’après 4, Arnolphe dit les vers et à part ; il arrête Alain qui veut s’enfuir ("Tu veux prendre la fuite !"), puis il saisit le bras de Georgette qui veut faire de même ("Si tu bouges...") ; il se retourne alors contre Alain ("Euh !...") ; enfin, au moment où il reprend son discours ("Oui, je veux que tous deux..."), les deux serviteurs font encore une tentative de fuite.
[117] Le c ?ur me faut : le c ?ur me manque.
[118] Si
votre âme les suit
[119] elle
fasse un faux bond
[120] VAR. Lorsque leurs femmes sont avec les beaux monsieurs ? (2).
[121] L’édition de 2 indique qu’un certain nombre de vers de ces Maximes étaient sautés à la représentation : à , à et à .
[122] elle
étouffe les coups
[123] Elle
ne doit plaire à personne
[124] Qu’elle
se défende bien
[125] On
ne donne rien pour rien
[126] Un cadeau est un "repas qu’on donne hors de chez soi, particulièrement à la campagne" (Dictionnaire de Furetière, 0).
[127] « Blanchir se dit des coups de canon qui ne font qu’effleurer une muraille et y laissent une marque blanche » (Dictionnaire de Furetière, 0). Au figuré, se dit d’un argument ou d’une idée sans force convaincante, sans valeur démonstrative.
[128] L’édition de 2 indique que les vers à et à étaient sautés à la représentation.
[129] En pourraient bien que dire : auraient beaucoup à dire.
[130] Mettons donc sans façons : couvrons-nous sans cérémonie.
[131] L’événement : l’issue, le résultat.
[132] Le patron : le maître du logis. Le mot a une nuance familière et un peu méprisante.
[133] Nous ajoutons les guillemets, ainsi que dans la suite de la scène.
[134] Quelque intelligence : quelque complicité dans la maison.
[135] Comédie en cinq actes et en prose, représentée le
9 septembre 8 au théâtre du Palais-Royal, dont le thème est
inspiré de L’Aulularia de Plaute.
Élise, fille du riche bourgeois Harpagon, s’est fiancée en secret à Valère, qui s’est introduit dans la maison comme intendant. Cléante, le frère d’Élise, aime de son côté la jeune Mariane, hélas sans fortune. Mais Harpagon forme le projet d’épouser lui-même Mariane et de marier Élise au vieil Anselme, car celui-ci l’accepte « sans dot ». Cléante, qui cherche à se procurer de l’argent, s’aperçoit que l’usurier qui le saigne n’est autre que son propre père. Harpagon, quant à lui, se laisse convaincre par l’entremetteuse, Frosine, du fait que Mariane n’aime que les vieillards et qu’elle vit de peu. Pour recevoir Mariane, Harpagon veille à ce que le souper soit peu coûteux, mais celle-ci profite de l’occasion pour s’entretenir avec Cléante de leur amour, et le jeune homme retire de la main de son père, furieux, une bague qu’il offre à sa bien-aimée. Les soupçons d’Harpagon le poussent à tendre un piège à son fils : il feint de lui abandonner Mariane pour lui faire avouer son amour, puis le déshérite et le chasse. Mais le vol de sa cassette le jette dans la colère et l’affliction. Accusé faussement de ce crime, Valère avoue, à la faveur d’un quiproquo, son amour pour Élise, ce qui accroît la fureur d’Harpagon. L’heureuse arrivée du seigneur Anselme dénoue la situation, car il reconnaît, en Mariane et Valère, les enfants qu’un naufrage lui a jadis enlevés. Les jeunes gens peuvent se marier et Harpagon retrouve sa « chère cassette. »
Contrairement à ce que nous pourrions penser, la pièce obtient un succès très médiocre, préfigurant la longue éclipse qu’elle connaîtra ensuite jusqu’au XXe siècle.
[136] Molière, qui a l’intelligence de la situation sociale de son temps, vise la conquête simultanée de deux publics différents et sa troupe donne pour cela deux types de représentations ; les unes ont lieu bien entendu dans son Théâtre du Petit-Bourbon, puis dans celui du Palais-Royal, les autres en privé, dans les hôtels particuliers des Grands du royaume. Le poète sait, en courtisan avisé, entretenir des relations privilégiées avec les aristocrates qu’il a connu dès son séjour en province, de sorte que de retour à Paris, la troupe joue fréquemment en visites, jusqu’à son adoption par le roi en 5 qui y met un terme. Elle donne ainsi représentations au cours de 75 visites chez 42 hôtes, et autant de représentations chez le roi pour une quarantaine de visites, selon C. E. J. Caldicott d’après le registre de La Grange. Ce sont même ces visites qui sauvent la troupe d’une faillite financière en 0, quand le Théâtre du Petit-Bourbon est détruit sans préavis par le surintendant des bâtiments du roi, M. de Ratabon, et que Molière se trouve sans salle durant trois mois, jusqu’à ce que le souverain ne fasse remettre en état la vieille salle du Palais Royal. (Voir C.E.J. Caldicott, La Carrière de Molière entre protecteurs et éditeurs, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 8).
[137] Ññûëêà íà ñòàòüþ « personnage » íà ïîðòàëå «http://www.toutmoliere.net.
[138] VAR. Arnolphe rit d’un air forcé. (2).
[139] Et de grès fait parade : et cherche à parer le danger que je représente à ses yeux en me faisant jeter un grès.
[140] Et qu’abuse à ses yeux, par sa machine même : et que trompe, à son nez et à sa barbe, en utilisant la machine de guerre qu’il a imaginée, celle qu’il veut tenir...
[141] VAR. Mais il faut qu’en ami je vous
montre sa lettre. (2).
[142] Ññûëêà íà ñòàòüþ « nature » íà ïîðòàëå «http://www.toutmoliere.net.
[143] VAR. Un plus beau naturel se peut-il faire voir. (2).
[144] Sans doute : assurément.
[145] Qu’on se puisse... servir à la pareille : qu’on puisse se rendre service à charge de revanche.
[146] L’édition de 1682 indique que les vers 982 à 993 étaient sautés à la représentation.
[147] Ni support : ni appui, ni protection.
[148] Vers 1046-1047 : « De peur d’être trompé, il vous faudra ne pas donner quittance de la dot au dos du contrat sans avoir reçu les sommes en question. »
[149] Vers 1057-1058 : « La règle est que le futur doit assigner à la future un douaire égal au tiers de sa dot. »
[150] Le préciput est "un avantage que l’on stipule dans les contrats de mariage en faveur du survivant, qu’il doit prendre sur les biens du prédécédé, avant le partage de la succession" (Dictionnaire de Furetière, 1690).
[151] Le douaire préfix est perdu par les héritiers de la femme ; le douaire sans retour passe à sa mort à ses hoirs (héritiers) ; le douaire coutumier donne à la femme la moitié des biens du mari ; enfin, les époux peuvent se faire une donation entre vifs, simple (au profit d’un seul époux) ou mutuelle (au profit de l’un ou de l’autre).
[152] Conquêts : ce que les époux acquièrent durant leur mariage (nous dirions acquets).
[153] La peste soit fait l’homme : l’absence d’accord de fait avec peste n’est pas surprenant au XVIIe siècle (cf. Les Fâcheux, vers 361).
[154] Il en tient : il est ivre. L’expression signifie aussi, suivant le contexte : il est amoureux.
[155] À la différence de 1663, 1682 ne compte pas Arnolphe parmi les personnages de cette scène : il a en effet laissé seul le Notaire (voir plus haut le vers 1082).
[156] Le douaire préfix est perdu par les héritiers de la femme ; le douaire sans retour passe à sa mort à ses hoirs (héritiers) ; le douaire coutumier donne à la femme la moitié des biens du mari ; enfin, les époux peuvent se faire une donation entre vifs, simple (au profit d’un seul époux) ou mutuelle (au profit de l’un ou de l’autre).
[157] Un tel accessoire : un si grand danger.
[158] Becque cornu : de l’italien becco cornuto, bouc cornu.
[159] VAR. Enfin, après vingt tours...
(1682).
[160] Ññûëêà íà ñòàòüþ « personnage» íà ïîðòàëå «http://www.toutmoliere.net.
[161] VAR. Et, goûtât-on cent fois un bonheur tout parfait. (1682).
[162] Tirer du pair (ou de pair) : distinguer.
[163] L’édition de 1682 indique que les vers 1186 à 1205 étaient sautés à la représentation.
[164] L’hymen : le mariage.
[165] VAR. Et pour se bien conduire en ces difficultés. (1682).
[166] Un cadeau est un "repas qu’on donne hors de chez soi, particulièrement à la campagne" (Dictionnaire de Furetière, 1690).
[167] D’une âme réduite : d’une âme résignée.
[168] Traiter les gens de haut en bas : les traiter avec mépris.
[169] Sur le pied de nous être fidèles : fortes du fait qu’elles nous sont fidèles.
[170] Cet éloge burlesque du cocuage (Voir Patrick Dandrey, L’éloge paradoxal de Gorgias à Molière, Paris, PUF, 1997) ne doit évidemment pas être pris au sérieux, et il faut être Bossuet pour voir que Molière y « étale au grand jour les avantages d’une infâme tolérance dans les maris » (Maximes et réflexions sur la Comédie, § 5).
[171] VAR. Auriez-vous bien l’esprit de servir mon courroux ? (1682).
[172] VAR. S’il ne tient qu’à frapper, mon Dieu, tout est à nous (1682).
[173] VAR. La mienne, quoique aux yeux elle semble moins forte (1682).
[174] Devait : aurait dû.
[175] VAR. J’entendis tout le bruit dans le profond silence. (1682).
[176] D’abord : immédiatement.
[177] VAR. Et qu’on en pourrait faire une exacte poursuite. (1682). Poursuite : action de suivre à la trace, de rechercher.
[178] Ce détour : ce tournant de rue.
[179] Mon allée : une allée peut être "un corridor entre des bâtiments où l’on va d’un lieu à un autre" (Dictionnaire de Furetière, 1690). Mais pourquoi Arnolphe dit-il mon allée, alors qu’Horace le croit domicilié à l’autre bout de la ville ? Il y a là une difficulté.
[180] VAR. à Agnès. (1682).
[181] Qu’elle le connaisse : qu’elle le reconnaisse.
[182] VAR. Et le parfait ami de qui la main vous presse. (1682).
[183] N’est plus en concurrence : n’est plus menacé par l’amour du jaloux.
[184] Cajoler : parler, jaser (sens vieilli).
[185] Le deviez-vous aimer : auriez-vous dû l’aimer ?
[186] Se consommer : se parfaire, atteindre la perfection.
[187] Le double était une pièce de deux deniers (il fallait six deniers pour faire un sou).
[188] VAR. C’est de lui que je sais ce que je peux savoir (1682).
[189] Qui : ce qui.
[190] Les deux verbes désarme et produit sont au singulier malgré les deux sujets. Il s’agit soit d’un latinisme (accord avec le sujet le plus rapproché), soit d’une licence poétique.
[191] VAR. Qui de son action efface la noirceur. (1682).
[192] VAR. Mon pauvre petit cœur, tu le peux, si tu veux. (1682). « Faire le petit bec », c’est faire la petite bouche, faire la mignonne, comme l’indique le dictionnaire de l’Académie (1694).
[193] Brave : élégante ; leste : habillée de vêtements légers et pimpants.
[194] Bouchonner, c’est frictionner le dos et les flancs d’un cheval avec un bouchon de paille. Employer le mot à propos d’une femme relève du burlesque.
[195] Un cul de couvent : l’endroit le plus resserré, le mieux gardé d’un couvent.
[196] Les éditions de 1663 et de 1682 indiquent : ALAIN, ARNOLPHE. Nous corrigeons d’après celle de 1734.
[197] A conclu : a décidé.
[198] Le père d’Horace a choisi la fraîcheur de la nuit pour voyager : il est parti au milieu de la nuit et il est arrivé au petit matin.
[199] VAR. C’est qu’il m’a marié sans m’en écrire rien. (1682).
[200] de
cette autre alliance.
[201] VAR. J’ai reconnu les traits de cette aimable s ?ur. (1682).
[202] L’hymen : le mariage.
[203] cette
épouse fidèle
[204] [la fa]tale ↓ puissance
[205] L’édition de 1682 indique que les vers 1164 à 1667 étaient sautés à la représentation.
[206] VAR. Oui, je veux vous servir de la bonne façon. (1682)
[207] L’hymen : le mariage.
[208] Ranger : faire obéir.
[209] Nous faisons : nous agissons.
[210] VAR. Je tiens qu’on ne doit pas lui faire résistance. (1682).
[211] VAR. C’est bien mon dessein. (1682).
[212] Allusion railleuse aux révérences qu’Agnès a faites à Horace (ci-dessus vers 485-502) : ce sera là une dérisoire compensation (c’est le sens du mot récompense) pour Horace.
[213] de la sorte — òàê; òàêèì îáðàçîì
[214] L’hyménée : le mariage.
[215] L’hymen : le mariage.
[216] L’édition de 1682 indique que les vers 1746 à 1749, et 1754 à 1757 étaient sautés à la représentation.
[217] Sur votre charité : à cause de votre charité.
[218] VAR. Et lui plein de transport et d’allégresse en l’âme. (1682).
[219] VAR. J’étais par les doux
n ?uds d’une amour mutuelle. (1682).