Philaminte,
Armande, Bélise, Trissotin.
PHILAMINTE
Ah ! Mettons-nous ici, pour écouter à l’aise
ces vers que mot
à mot il est besoin qu’on pèse.
ARMANDE
Je brûle de
les voir.
BÉLISE
Et l’on s’en meurt chez nous.
PHILAMINTE
Ce sont charmes
pour moi que ce qui part de vous.
ARMANDE
Ce m’est une
douceur à nulle autre pareille.
BÉLISE
Ce sont repas
friands qu’on donne à mon oreille.
PHILAMINTE
Ne faites point
languir de si pressants désirs.
ARMANDE
Dépêchez.
BÉLISE
Faites tôt, et hâtez nos plaisirs.
PHILAMINTE
A notre
impatience offrez votre épigramme.
TRISSOTIN
Hélas !
C’est un enfant tout nouveau né, madame.
Son sort
assurément a lieu de vous toucher,
et c’est dans
votre cour que j’en viens d’accoucher.
Henriette
entre dans le fond.
PHILAMINTE
Pour me le rendre
cher, il suffit de son père.
TRISSOTIN
Votre approbation
lui peut servir de mère.
BÉLISE
Qu’il a d’esprit !
PHILAMINTE
(à Henriette qui
s’en va)
Holà ! Pourquoi donc fuyez-vous ?
HENRIETTE
C’est de peur de
troubler un entretien si doux.
PHILAMINTE
Approchez, et
venez, de toutes vos oreilles,
Prendre part au
plaisir d’entendre des merveilles.
HENRIETTE
Je sais peu les
beautés de tout ce qu’on écrit
et ce n’est pas
mon fait que les choses d’esprit.
PHILAMINTE
Il n’importe :
aussi bien ai-je à vous dire ensuite.
Un secret dont il
faut que vous soyez instruite.
TRISSOTIN
Les sciences n’ont
rien qui vous puisse enflammer,
Et vous ne vous
piquez que de savoir charmer.
HENRIETTE
Aussi peu l’un
que l’autre, et je n’ai nulle envie…
BÉLISE
Ah !
Songeons à l’enfant nouveau né, je vous prie.
PHILAMINTE
Allons, petit
garçon, vite de quoi s’asseoir.
Le laquais t
Voyez l’impertinent !
Est-ce que l’on doit choir,
Après
avoir appris l’équilibre des choses ?
BÉLISE
De ta chute,
ignorant, ne vois-tu pas les causes,
Et qu’elle vient
d’avoir du point fixe écarté
Ce que nous
appelons centre de gravité ?
L’ÉPINE
Je m’en suis
aperçu, Madame, étant par terre.
PHILAMINTE
Le lourdaud !
TRISSOTIN
Bien lui prend de n’être pas de verre.
ARMANDE
Ah ! De l’esprit
partout !
BÉLISE
Cela ne tarit pas.
PHILAMINTE
Servez-nous pr
TRISSOTIN
Pour cette grande
faim qu’à mes yeux on expose
Un plat seul de
huit vers me semble peu de chose,
Et je pense qu’ici
je ne ferai pas mal
De joindre
à l’ épigramme, ou bien au madrigal,
Le ragoût d’un
sonnet, qui chez une princesse
A passé pour
avoir quelque délicatesse.
Il est de sel
attique assaisonné partout,
Et vous le
trouverez, je crois, d’assez bon goût.
ARMANDE
Ah ! Je n’en
doute point.
PHILAMINTE
Donnons vite audience.
BÉLISE
(à chaque fois qu’il
veut lire, elle l’interr
Je sens d’aise
mon cœur tressaillir par avance.
J’aime la
poésie avec entêtement,
Et surtout quand
les vers sont tournés galamment.
PHILAMINTE
Si nous parlons
toujours, il ne pourra rien dire.
TRISSOTIN
So…
BÉLISE
Silence ! Ma nièce.
ARMANDE
Ah ! Laissez-le donc lire !
TRISSOTIN
Sonnet
à la princesse Uranie sur sa fièvre.
Votre prudence est endormie,
de traiter magnifiquement,
et de loger superbement
votre plus cruelle ennemie.
BÉLISE
Ah ! Le joli
début !
ARMANDE
Qu’il a le tour galant !
PHILAMINTE
Lui seul des vers
aisés possède le talent !
ARMANDE
A prudence
endormie il faut rendre les armes.
BÉLISE
Loger son ennemie
est pour moi plein de charmes.
PHILAMINTE
J’aime
superbement et magnifiquement :
Ces deux adverbes
joints font admirablement.
BÉLISE
Prêtons l’oreille
au reste.
TRISSOTIN
Votre prudence est endormie,
De traiter magnifiquement,
Et de loger superbement
Votre plus cruelle ennemie.
ARMANDE
Prudence endormie !
BÉLISE
Loger son ennemie !
PHILAMINTE
Superbement et
magnifiquement !
TRISSOTIN
Faites-la sortir, quoi qu’on die,
De votre riche appartement,
Où cette ingrate insolemment
Attaque votre belle vie.
BÉLISE
Ah ! Tout
doux, laissez-moi, de grâce, respirer.
ARMANDE
Donnez-nous, s’il
vous plaît, le loisir d’admirer.
PHILAMINTE
On se sent
à ces vers, jusques au fond de l’âme,
Couler je ne sais
quoi qui fait que l’on se pâme.
ARMANDE
Faites-la sortir,
quoi qu’on die,
De votre riche
appartement.
Que riche appartement est là joliment dit !
Et que la métaphore est mise avec esprit !
PHILAMINTE.
Faites-la sortir,
quoi qu’on die.
Ah ! Que ce
quoi qu’on die est d’un goût admirable !
C’ est, à
mon sentiment, un endroit impayable.
ARMANDE
De quoi qu’on die
aussi mon cœur est amoureux.
BÉLISE
Je suis de votre
avis, quoi qu’on die est heureux.
ARMANDE
Je voudrois l’avoir
fait.
BÉLISE
Il vaut toute une pièce.
PHILAMINTE
Mais en c
ARMANDE ET BÉLISE
Oh, oh !
PHILAMINTE
Faites-la sortir,
quoi qu’on die :
Que de la
fièvre on prenne ici les intérêts :
N’ayez aucun
égard, moquez-vous des caquets,
Faites-la sortir,
quoi qu’on die.
Quoi qu’on die,
quoi qu’on die.
Ce quoi qu’on die
en dit beaucoup plus qu’il ne semble.
Je ne sais pas,
pour moi, si chacun me ressemble ;
Mais j’entends
là-dessous un million de mots.
BÉLISE
Il est vrai qu’il
dit plus de choses qu’il n’est gros.
PHILAMINTE
Mais quand vous
avez fait ce charmant quoi qu’on die,
Avez-vous c
Songiez-vous bien
vous-même à tout ce qu’il nous dit,
Et pensiez-vous
alors y mettre tant d’esprit ?
TRISSOTIN
Hay, hay.
ARMANDE
J’ai fort aussi l’ingrate
dans la tête :
Cette ingrate de
fièvre, injuste, malhonnête,
Qui traite mal
les gens qui la logent chez eux.
PHILAMINTE
Enfin les
quatrains sont admirables tous deux.
Venons-en pr
ARMANDE
Ah ! S’il
vous plaît, encore une fois quoi qu’on die.
TRISSOTIN
Faites-la sortir,
quoi qu’on die…
PHILAMINTE, ARMANDE ET
BÉLISE.
Quoi qu’on die !
TRISSOTIN
De votre riche
appartement…
PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE
Riche appartement !
TRISSOTIN.
Où cette
ingrate insolemment…
PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE.
Cette ingrate de
fièvre !
TRISSOTIN
Attaque votre
belle vie.
PHILAMINTE
Votre belle vie !
ARMANDE ET BÉLISE
Ah !
TRISSOTIN
Quoi ? Sans
respecter votre rang,
Elle se prend
à votre sang…
PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE
Ah !
TRISSOTIN
Et nuit et jour
vous fait outrage !
Si vous la
conduisez aux bains,
Sans la
marchander davantage,
Noyez-la de vos
propres mains.
PHILAMINTE
On n’en peut
plus.
BÉLISE
On pâme.
ARMANDE
On se meurt de plaisir.
PHILAMINTE
De mille doux
frissons vous vous sentez saisir.
ARMANDE
Si vous la
conduisez aux bains…
BÉLISE
Sans la
marchander davantage…
PHILAMINTE
Noyez-la de vos
propres mains :
De vos propres
mains, là, noyez-la dans les bains.
ARMANDE
Chaque pas dans
vos vers rencontre un trait charmant.
BÉLISE
Partout on s’y pr
PHILAMINTE
On n’y sauroit
marcher que sur de belles choses.
ARMANDE
Ce sont petits
chemins tout parsemés de roses.
TRISSOTIN
Le sonnet donc
vous semble…
PHILAMINTE
Admirable, nouveau,
Et personne
jamais n’a rien fait de si beau.
BÉLISE
Quoi ? Sans
émotion pendant cette lecture ?
Vous faites
là, ma nièce, une étrange figure !
HENRIETTE
Chacun fait
ici-bas la figure qu’il peut,
Ma tante ;
et bel esprit, il ne l’est pas qui veut.
TRISSOTIN
Peut-être
que mes vers importunent madame.
HENRIETTE
Point : je n’écoute
pas.