Robert THOMAS

 

«HUIT FEMMES»

Comédie policière en trois actes

 

PERSONNAGES

 

LA FAMILLE

 

GABY, la mère. Une belle femme de 45 ans, élégante, racée, la parfaite bourgeoise. Aime beaucoup son confort, un peu ses filles… et très peu: son mari…

SUZON, sa fille aînée, 20 ans, jolie, fraîche, charmante. Fait ses études en Angleterre, ce qui fait très chic…

CATHERINE, sa fille cadette, 17 ans, espiègle, très « nouvelle vague », adore les romans policiers qu’elle lit la nuit… Le clown de la famille ! A ne pas présenter aux relations mondaines !

MAMY, la grand-mère, provinciale dépassée par les événements, songe à ses rentes, à son confort, s’est fait héberger dans la maison, adore sa famille (Dit-elle !)

AUGUSTINE, sœur de Gaby, physique acide. Se plaint de tout, toujours à tout le monde. A cherché en vain un mari qu’elle n’a pas trouvé. Elle fait payer cet échec à sa famille. Passe les fêtes de Noël avec plaisir, car elle est gourmande.

 

LA DOMESTICITÉ

 

Madame CHANEL, charmante dame de 50 ans. Elle a élevé les enfants. Fait presque partie de la famille. Doit savoir pas mal de petits secrets qu’elle ne dira jamais. Une brave femme… (Sans doute ?)

LOUISE, la nouvelle femme de chambre, 25 ans, belle fille, assez insolente et perverse… Ne se laisse pas monter sur les pieds… De la dynamite.

 

EL… CELLE QU’ON N’ATTENDAIT PAS…

 

PIERRETTE, une belle femme de 35 ans. De la croupe, de la mâchoire, du réflexe. « Ancienne danseuse nue », disent ces dames… «Pure comme un lys et victime des hommes», dit Madame Chanel.

 

DECOR UNIQUE

 

Le salon-bibliothèque dans une belle, élégante et charmante demeure provinciale. On doit sentir un certain, bon goût (un peu provincial peut-être), mais riche…

Grand canapé devant le feu de bois d’une belle cheminée. Une bergère de repos, des tables, des fauteuils, un bureau, des tableaux de famille, une grande bibliothèque…

Au fond, une très large baie nous découvre une terrasse et la campagne. C’est l’hiver. Les arbres du grand parc sont couverts de neige. Au centre de la baie, une porte avec des vitraux de couleurs, C’est la porte d’entrée principale.

Face à cette porte, après un petit espace qui représente un « hall », un escalier monte aux chambres du premier étagje. Cet escalier en beau bois, ciré large et confortable occupe tout le fond de la scène, car il fait un coude vers nous, puis il arrive à un couloir. Une porte est disposée face à nous, à mi-hauteur. (C’est la porte du père.)

On peut sortir de cette pièce et aller dans les différentes parties de la maison par trois issues (qui sont de belles portes avec tentures) : A gauche vers la salle à manger ; au fond vers un fumoir ; enfin à droite, vers l’office.

ACTE PREMIER

Matinée d’hiver, un rayon de soleil un peu pâle fait jouer les vitraux. Atmosphère chaude et provinciale. Le feu pétille. Une pendule sonne dix coups, quelque part dans la maison.

On voit la grand-mère se glisser dans le salon et atteindre la bibliothèque. Elle se déplace dans un fauteuil à roulettes… (Note de l’auteur : ce fauteuil est facultatif). Elle regarde à gauche et à droite, puis fait jouer un déclic dans les livres, déclenchant la porte d’une cachette. Mais elle entend du bruit, elle referme tout et se sauve. Madame Chanel descend l’escalier, écoute à la porte du père.

Soudain, on entend à l’extérieur un klaxon de voiture. Madame Chanel descend et court à la baie en s’essuyant les mains à son tablier.

Scène I

Madame Chanel, Louise

 

Madame CHANEL, folle de joie. La voilà ! La voilà ! Elle fait de grands signes vers le parc, puis revient crier au bas de l’escalier. Voilà Suzanne qui arrive ! Voilà Suzon ! Le mauvais temps n’a pas retardé le train !

 

En haut des marches apparaît Louise, la bonne, un plateau à la main.

 

Voilà, Mademoiselle !

LOUISE. Oui ! Oui ! J’ai entendu !

Madame CHANEL. Ah ! si vous saviez comme ça me fait plaisir de retrouver ma Suzon… Cest moi qui l’ai élevée… Il y a dix ans, nous étions deux amies inséparables…

LOUISE. Je sais…

Madame CHANEL. Mais les années vous poussent et voilà que ma Suzon a dépassé vingt ans ! Depuis qu’elle est partie dans ce collège anglais, je ne la vois plus que deux fois l’an. Quel beau Noël nous allons avoir !

LOUISE, sans conviction. ui… Ça va !

Madame CHANEL. C’est un peu ma petite fille… Ah ! l’arbre ! Elle va à son gros paquet dont elle essaie de défaire la ficelle.

LOUISE. Vous rabâchez la même histoire depuis deux mois que je suis ici. Elle va débarrasser mollement la table encombrée de tasses.

Madame CHANEL. Quand on travaille dans une maison depuis quinze ans, on finit par croire qu’on est chez soi et que les enfants sont à vous !.. Vous verrez !..

LOUISE. Si vous croyez que je vais passer ma vie à faire la boniche !

Madame CHANEL. C’est un métier qui ne vous plaît pas ?

LOUISE. Pas beaucoup.

Madame CHANEL. Alors, pourquoi le faites-vous ?

LOUISE, interdite, puis. Faut bien vivre…

Madame CHANEL. Vous êtes tombée dans une bonne, maison, ici…

LOUISE. Vous trouvez ?

Madame CHANEL. Ah ! de mon temps !.. Je veux dire du temps où Mademoiselle Suzon était là, c’était plais gai !

LOUISE. Evidemment ! C’est bien ma chance.

Madame CHANEL. Nous allons passer de merveilleuses fêtes de Noël ! Elle fouille dans le bureau à la recherche de ciseaux.

LOUISE, qui croque le sucre qui reste. C’est ça ! La veillée aux chandelles ! Que voulez-vous qu’on fasse d’autre ? On est à cinq kilomètres du village et avec toute la neige qui est tombée cette nuit, je ne pourrai même pas aller au bal. Quel dimanche ! Et même pas la télévision !

Madame CHANEL. La télévision ? Bah ! vous ne perdez rien, ça fait mal aux yeux !..

 

Louise hausse les épaules.

 

C’est le déjeuner de Monsieur que vous avez monté ?

LOUISE. Non, c’est celui de la petite.

Madame CHANEL. Vous avez averti Monsieur que la voiture vient d’arriver ? Madame est allée chercher Suzon à la gare…

LOUISE. Monsieur m’a dit hier de ne pas le réveiller.

Madame CHANEL. Ne pas le réveiller quand sa fille arrive pour les vacances de Noël ! Allez lui porter son déjeuner… Elle a trouvé ses ciseaux et s’attaque aux ficelles du paquet. Avertissez aussi Mamy et Mademoiselle Augustine.

LOUISE, qui ricane. Oh ! Rassurez-vous, mademoiselle Augustine est certainement déjà au courant ! Ce ne serait pas la peine qu’elle écoute aux portes !

Madame CHANEL. Ne soyez pas aussi insolente. Je n’aime pas vos réflexions.

LOUISE. Et moi, je n’aime pas qu’on me donne des leçons de morale ! Parce que la morale !..

 

Elle disparaît vers l’office.

 

Madame CHANEL, seule. Cette fille-là, on n’en fera jamais rien ! J’aimais mieux. Gisèle ! Enfin !

 

Elle a coupé les ficelles du paquet. Apparaît un arbre de Noël. Elle l’installe sur un meuble.

Scène II

Madame Chanel, Mamy

 

MAMY, entre dans sa voiture. Elle est déjà là, ma bonne Chanel ?

Madame CHANEL. Oui, Madame, votre petite-fille arrive… Regardez le beau sapin. On va le décorer !

MAMY. Ça vous fait plaisir, n’est-ce pas?

Madame CHANEL. Oh oui !..

MAMY. Ah ! vous êtes gentille, vous !

Madame CHANEL. Pourquoi moi ? Mais tout le monde est gentil avec vous ici !

MAMY. Oui, bien sûr ! Je suis heureuse que Marcel m’ai accueillie avec ma fille Augustine… Mais, vous savez, nous ne sommes quand même pas chez nous…

 

On entend une voix de jeune fille qui appelle, dehors.

 

La voilà ! Les chiens l’ont reconnue, ils n’ont pas aboyé…

Madame CHANEL. C’est un record pour ces gueulards…

Scène III

Madame Chanel, Mamy, Suzon

Par la baie, on voit arriver Suzon. Elle entre, dépose sa valise et elle se jette dans les bras de Mamy qui l’embrasse.

 

SUZON. Mamy !

MAMY. Ma Suzon ! Ma petite-fille !

SUZON, qui voit Madame Chanel. Chanel ! Ma grosse Chanel !

Madame CHANEL, riant. Toujours aussi grosse !

SUZON. Tu permets que je t’embrasse ?

Madame CHANEL. Ma Suzon, bien sûr !.. Avec la permission de Madame !

MAMY. Je vous en prie !

 

Madame Chanel et Suzon s’embrassent.

Scène IV

Madame Chanel, Mamy, Suzon, Gaby

Gaby entre. Belle femme dans un grand manteau de fourrure.

 

GABY. Elle est magnifique, n’est-ce pas ?

MAMY. C’est une vraie jeune fille à marier !

SUZON, riant. Tout à fait de ton avis… A marier très vite, Mamy…

MAMY. Ton père va être heureux de te voir. Lui qui se fait tant de soucis pour toi. Il est averti, madame Chanel ?

Madame CHANEL. Il aurait donné ordre qu’on ne le réveille pas !

SUZON. Comment ? Il n’est pas encore descendu, à onze heures ?

MAMY. Il a dû travailler dans sa chambre, hier, très tard.

Madame CHANEL. Oui, il doit être fatigué. Il se tue à la tâche !

GABY. Il se tue à la tâche ! Il a dû lire toute la nuit sans doute.

 

Gaby sort, déposer son manteau. Un silence. Mamy et Madame Chanel ont échangé un coup d’œil.

Scène V

Madame Chanel, Mamy, Suzon

 

SUZON. Comment « sans doute ». Ils font chambre à part ?

Madame CHANEL, pour dire quelque chose. Et cette Angleterre, comment est-ce?

SUZON. Very interesting with many people.

Madame CHANEL. Quoi ?

SUZON. C’est de l’anglais !

Madame CHANEL. Oh ! moi, l’anglais ! Tout ce que je sais dire, c’est : “Good bye”, “God save the queen” et “Kiss me”.

SUZON. Comment kiss me? Tu as déjà dit Kiss me à un Anglais?

Madame CHANEL. Bien sûr. Comme tout le monde, à la Libération, au premier que j’ai vu, pour avoir du chewing-gum.

 

Elles rient. Mais Gaby revient et Mme Chanel se ressaisit.

 

Mais je raconte ma vie et j’oublie le petit déjeuner !..

 

Elle sort très vite vers l’office.

Scène VI

Mamy, Suzon, Gaby, puis Louise

 

SUZON. Ah ! que c’est bon de se retrouver chez soi ! Ma chère vieille maison !

GABY. Oh ! ta chère vieille maison ! Un grand coup de peinture ne lui ferait pas de mal ! Mais elle plait à ton père ainsi, alors !

 

Entre Louise qui vient chercher les bagages de Suzon.

 

Voici Louise, notre nouvelle femme de chambre.

SUZON. Bonjour, Louise.

LOUISE. Bonjour, Mademoiselle. J’espère que Mademoiselle a fait un bon voyage…

SUZON. Très bon. Malgré un temps épouvantable. En traversant la forêt, tout à l’heure, le vent faisait tomber la neige des arbres. Quelle solitude, on se serait cru en plein ciel !

GABY. En plein ciel ? En plein désert, tu veux dire ! Il faut faire des kilomètres pour voir un visage ! Sans le téléphone et la voiture, avec ce mur qui entoure la propriété, que ferions-nous ? Des Chartreux ! Enfin, ton père tient plus à cette maison qu’à notre avis… Ça le repose de l’usine, paraît-il ! Il oublie qu’il est parti toute la journée et que nous, ici, nous mourons d’ennui ! Enfin, c’est comme ça !

 

Elle s’installe, fumant une cigarette blonde, feuilletant des journaux, dépouillant des lettres.

 

LOUISE. Puis-je vous débarrasser, Mademoiselle ? Quand devrai-je réveiller Monsieur?

GABY. Dans quelques minutes.

SUZON. Et si j’y allais, moi, tout de suite ?

GABY. Non, laisse-le se reposer encore un peu. Il a demandé qu’on ne le réveille pas… Merci, Louise !

 

Louise sort, emportant manteau et sac de Suzon.

Scène VII

Mamy, Suzon, Gaby

 

SUZON. Elle est bien, cette fille.

GABY. Oui, très bien… J’en suis ravie !

MAMY, comme à contre-cœur. Oui, très bien…

GABY. Et accepter de s’enfermer ici ! C’est une chance pour nous !

MAMY. Une chance… oui !

SUZON, s’allongeant sur le canapé. Toujours aussi confortable !

MAMY. Ne fais pas de gymnastique dessus comme ta sœur ! Si tu savais comme Catherine est devenue turbulente !..

GABY. C’est de son âge, maman ! Elle appelle vers l’escalier. Catherine, lève-toi !

Scène VIII

Mamy, Suzon, Gaby, Augustine

Augusiine apparaît en haut des marches : style vieille fille sans âge, cheveux tirés, robe ordinaire.

 

GABY. Ah ! c’est toi ? Est-ce que Catherine se 1ève ?

AUGUSINE. Est-ce que je sais?

SUZON, allant vers elle. Bonjour, tante Augustine. Comment vas-tu ?

AUGUSTINE. Toujours pareil… Comme je peux… Mes reins, mon cœur… et puis la neige réveille mes rhumatismes. Enfin ! Elle embrasse Suzon. Alors, déjà de retour ?

SUZON. Pourquoi dis-tu déjà ?

AUGUSTINE. On t’a renvoyée du collège ?

SUZON. Mais non, au contraire, j’ai de très bonnes notes !

AUGUSTINE. Je sais… Ta mère nous a montré ton carnet scolaire… Seulement, un carnet, ça se maquille !

MAMY. Pourquoi dis-tu ça ? Ça n’est pas gentil…

AUGUSTINE. Ma nièce arrive et je ne peux pas lui demander si elle s’est bien conduite ?

SUZON. C’est pour cela que je te dis : tout va bien !

GABY, moqueuse. En voilà une, au moins, contente de son sort !

AUGUSTINE. C’est pour moi que tu dis ça ?

GABY. Je dis que ma fille est heureuse, voilà tout… C’est l’essentiel !

AUGUSTINE, vexée. Alors ! Puisque c’est l’essentiel !

SUZON, gentiment. Tante Augustine, tu as des ennuis ?

GABY, incisive. Non, mais elle s’en crée…

AUGUSTINE. Quoi ? Je m’en crée ? Quoi, je m’en crée ?

MAMY, s’interposant. Mes petites… je vous en prie… Ne recommencez pas !

AUGUSTINE. Je suis heureuse, moi ? Voilà du nouveau !

MAMY. Augustine… nous ne sommes pas à plaindre. Sois calme… Gaby nous a recueillies ici, gentiment… Grâce à elle…

AUGUSTINE. Pas grâce à elle ! Grâce à ton père, Suzon, qui nous estime à notre juste valeur, qui sait respecter une dame âgée et infirme comme ta grand-mère, une femme vertueuse et droite, comme moi ! Grâce à Marcel…

MAMY. Grâce à eux, deux, bien sûr…

SUZON, prend gentiment Augustine par le bras. Tante Augustine, ne sois pas triste. Nous t’aimons toutes ici, sans exception. Ne nous fais pas de peine.

AUGUSTINE, touchée. Pardonne-moi… Je n’ai pas pu dormir de la nuit… Pardon, Gaby, ma chérie, grâce à toi, je suis heureuse et je mange à ma faim…

Scène IX

Mamy, Suzon, Gaby, Augustine, Madame Chanel

Un affreux moment de gêne… Madame Chanel entre avec le plateau du café.

 

Madame CHANEL. Voilà le déjeuner !..

SUZON. Le café de Chanel se sent de loin…

 

Elle s’installe pour manger. Augustine s’approche.

 

AUGUSTINE, Oh ! des brioches toutes chaudes !.. Je n’ai eu droit qu’à du pain grillé, moi !

Madame CHANEL. Comme tout le monde, mademoiselle Augustine… Ces brioches sont mon cadeau personnel à ma Suzon retrouvée. Elle sort, toute ravie.

SUZON, lui tend l’assiette. Tante, si ça te fait plaisir…

AUGUSTINE. Oh oui !.. Elle se jette sur les brioches. J’aime les brioches. Merci. J’ai du chocolat dans ma chambre… Je vais le chercher, Les gâteaux, c’est toujours meilleur avec du chocolat… Elle disparaît toute joyeuse.

Scène X

Mamy, Suzon, Gaby

 

MAMY, très émue. Il faut être indulgente, c’est une vraie gamine ! Ta mère est très gentille de tolérer ses petites manies sans se fâcher…

GABY. Tu appelles ça des manies ?.. Ce sont presque des insolences. Elle me provoque tout le temps, maman ! A Suzon. Mais puisque ton père la tolère…

SUZON. Papa est un homme adorable…

MAMY, qui tricote. Oui, toujours gai, toujours de bonne humeur ! Pourtant ses affaires ne vont pas comme il voudrait !

SUZON. Ah !

GABY. Tu sembles mieux renseignée que moi sur les soucis de Marcel, maman ! J’ignore même s’il en a !

MAMY, bafouille. C’est-à-dire… par hasard…

GABY. Et c’est très bien comme ça ! J’ai mes problèmes, il a les siens et on ne s’en parle jamais ! Tout est pour le mieux !

MAMY. Je l’ai consulté dernièrement pour la vente de mes titres… et incidemment, il m’a dit quelques mots…

GABY. Et tu les as vendus, tes titres ?

MAMY, hésite, puis. Non… Marcel m’a conseillé d’attendre…

GABY, moqueuse. Garde-les, tu as raison ! On ne sait jamais ! Elle va à l’escalier. Catherine !

VOIX DE CATHERINE. Voui ?

GABY. Voyons ! lève-toi ! Ta sœur est arrivée !..

SUZON. Elle est sage, Catherine ?

GABY. Oui, très.

SUZON. Elle travaille bien à l’école ?

GABY. Oui, ça peut aller. Elle a beaucoup grandi, elle va bien, et c’est le principal.

MAMY. Très exubérante, comme la nouvelle génération…

GABY. Tu la voudrais neurasthenique, comme Augustine ? Elle a seize ans !

Scène XI

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine

 

Apparaît Catherine, en pyjama, physique de petit chat sauvage. Nattes.

 

CATHERINE. Salut les mères ! Salut sister !

 

Elle enjambe la rampe d’escalier, se lance sur Suzon et la chahute.

 

MAMY. Attention aux tasses…

GABY, riant. Mais laisse les donc tranquilles !

CATHERINE. Tu m’apportes un cadeau pour Noël ?

SUZON. Oui, des chocolats !

CATHERINE. Et bien, vrai ! Tu ne t’es pas creuse la cervelle !

SUZON. Je croyais qu’a quinze ans, on aimait les chocolats.

CATHERINE. Quinze ans ! Et le pouce ! J’en aurai seize en février.

SUZON. Tu m’as l’air en pleine forme !

CATHERINE. « Ça gaze, ça carbure, ça fonctionne… »

SUZON. En un mot, ça « boume » !

CATHERINE. Dis donc, l’Angleterre t’a drôlement dessalée !

SUZON. Tu devrais frapper à la porte de papa…

CATHERINE. Il n’est pas encore réveillé ? Quel flemmard ! On va le virer ?

GABY, se tordant. « Le virer ! »

MAMY, choquée. Catherine ! Voyant Gaby rire dans ses mains. Enfin, du moment que ça fait rire ta mère ! Dans cette maison, le respect n’étouffe personne.

CATHERINE. Oh ! Mais je le respecte, mon père ! A ma manière, voilà tout ! Et surtout, je l’admire. Il s’habille comme à Londres, il est gai, il conduit comme un champion, il brasse des fortunes comme un chercheur d’or… Nous avons de la chance, Suzon… Notre père, c’est un héros de roman… Tu sais qu’il m’a promis de m’apprendre à conduire ?.. On s’entend bien tous les deux… On est deux complices… Et puis, c’est le seul homme de la maison ! Rire général.

 

Augustine paraît.

 

Tiens, voilà la plus belle !

Scène XII

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine

 

AUGUSTINE. Ah ! je t’en prie, je suis très mécontente…

CATHERINE, plaisantant. A quel sujet, « baronne » ?

AUGUSTINE. Tu as laissé ta lumière allumée jusqu’à je ne sais quelle heure et à travers la porte vitrée, ça m’a empêchée de dormir ! Tu lisais encore, sans doute, tes livres abominables !

SUZON. Quels livres abominables ?

CATHERINE, riant. Tante Augustine appelle livres abominables des romans policiers, d’espionnage, d’aventures…

AUGUSTINE Ce n’est guère de ton âge !

CATHERINE. Ah ! Mon âge !

GABY, claironne, cachée derrière son journal. Lire ne fait de tort à personne… Mais aller cinq fois dans la salle de bains, la nuit, ça réveille les voisins.

 

Augustine, vient à elle, baisse le journal. On voit Gaby le sourire sur les lèvres.

 

AUGUSTINE. C’est moi qui y suis allée, parfaitement.

GABY. Tu étais malade ?

AUGUSTINE. Je ne pouvais pas dormir… Je suis allée boire. Excuse-moi.

GABY. Ça n’est pas grave !

Scène XIII

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine,Louise, puis Mme Chanel

 

Elles se fixent. Louise traverse le salon avec le déjeuner de Monsieur.

 

LOUISE. Puis-je aller réveiller Monsieur ?

GABY. Je vous en prie…

 

Louise gravit l’escalier et frappe à la porte du père.

 

AUGUSTINE. Je t’offrirai un abat-jour pour ta lampe, Catherine ! Comme ça, je pourrai dormir !

CATHERINE. Merci, tu me choisirais le Petit Chaperon Rouge ou la Belle au Bois dormant… Tu me donneras l’argent et j’irai l’acheter moi-même.

AUGUSTINE. Comme tu voudras…

LOUISE, qui frappe en vain. Madame… Monsieur ne répond pas…

GABY. Entrez, Louise.

LOUISE. Bien, Madame…

 

Louise frappe à nouveau et entre, laissant la porte entrebâillée.

 

AUGUSTINE. Il a de la chance de pouvoir dormir… avec tout le bruit que nous faisons. Moi, dès que j’entends une pendule sonner à l’autre bout de la maison, je sursaute… Ah ! les hommes… ils ont d’autres nerfs que nous !..

 

Dans la chambre, là-haut, on entend un cri et le bruit du plateau qui tombe.

 

Oh ! quelle maladroite ! Bonne idée que vous avez eu d’engager cette fille ! On se demande où elle a appris son métier !

 

Louise apparaît, défigurée, tremblante… Le plateau vide au bout du bras. Puis elle crie soudain comme une folle.

 

LOUISE. Madame!.. Madame!..

GABY. Qu’y a-t-il !

LOUISE, dans un délire. Monsieur… Monsieur… c’est affreux…

 

On se regarde. Louise descend les marches.

 

Monsieur est mort, sur son lit… Un couteau dans le dos… Le sang…

 

On la soutient.

 

GABY. Vous êtes folle… Qu’est-ce que vous dites ?

LOUISE. Monsieur est mort… et le sang partout…

 

Catherine s’élance et disparaît dans la chambre, tandis qu’on fait asseoir Louise. Toutes les femmes font un groupe autour d’elle. Gaby fait un pas vers l’escalier quand Catherine sort de la chambre, hurlante comme folle, claquant la porte. Elle se précipite dans les bras de sa mère.

 

GABY. Comment ? Tu étais montée ?.. Ma petite fille… Ma chérie…

MAMY. Quel horrible spectacle pour cette enfant !..

AUGUSTINE. Nerveuse comme elle est !..

GABY. Occupez-vous d’elle…

 

Gaby gravit l’escalier lentement. Toutes, immobiles, suivent des yeux Gaby qui tremble. Elle s’adosse à la rampe, soudain pétrifiée par la peur… Suzon va vers elle, la retient par le bras.

 

SUZON. Maman, n’entre pas… Attends une seconde.

 

Gaby fait un effort sur elle-même et parvient à la porte.

 

CATHERINE, soudain. Maman !.. Personne ne doit entrer dans la chambre !

GABY. Qu’est-ce que tu dis ?

CATHERINE. Je dis ce que tout le monde ici oublie de dire… Personne ne doit toucher à quoi que ce soit dans cette chambre avant l’arrivée de la police…

GABY. Mais, ma petite fille…

SUZON. Elle a raison, maman ! C’est trop grave… Ne rentre pas dans la chambre…

AUGUSTINE. La police ?

GABY. Tu ne veux tout de même pas dire que je ne dois pas entrer… voir Marcel ?..

 

Un silence.

 

Mais enfin… Dites quelque chose…

 

On se regarde.

 

MAMY. Gaby, je ne sais pas… Catherine a peut-être raison…

AUGUSTINE. Les journaux disent toujours ça… De ne toucher à rien… pour les empreintes…

SUZON, rejoignant sa mère. Maman… Viens !.. Elle veut l’entraîner vers le bas.

GABY. Non… non… Je dois entrer. Elle va avec résolution vers la porte, mais elle ne peut pas l’ouvrir. Comment ? La porte est fermée ? Catherine, qu’as-tu fait ? Tu as fermé ? Tu as pris la clef ?

 

Toutes se tournent vers Catherine.

 

CATHERINE, brandissant la clef. Je la donnerai au commissaire. Aucune de vous ne rentrera dans cette chambre. Voilà ! Et brisée par cette résolution, elle s’écroule en pleurant.

 

Un silence.

 

SUZON, qui s’inquiète et va à elle. Catherine… as-tu vu quelque chose… que quelqu’un pourrait faire disparaître ?

 

Catherine ne répond pas. On se regarde un peu inquiets.

 

Catherine, donne-moi la clef, à moi. Tu es trop impulsive !

CATHERINE. Tiens !.. Fais-en ce que tu veux…

 

Elle donne la clef à Suzon et va pleurer comme une petite bête blessée dans les bras de Chanel. Suzon gravis l’escalier.

 

GABY. As-tu le courage, Suzon, de?..

SUZON. Oui, maman. Nous devons voir.

 

Suzon monte l’escalier suivie de Gaby et d’Augustine. Suzon ouvre et elles voient le spectacle. Elles sont pétrifiées sur le palier. Soudain Catherine, comme hystérique, bondit en s’accrochant à elles, hurlant.

 

CATHERINE. C’est de la dernière imprudence ! L’assassin est peut-être encore dans la chambre !

AUGUSTINE. Elle a raison ! Oui ! Fermons ! Fermons vite !

 

Les trois femmes se jettent sur la porte et la ferment, mais alors Gaby glisse.

 

Oh ! elle se trouve mal ! Gaby ! Gaby !

Madame CHANEL. Pauvre Madame !

SUZON. Vite ! Portons-la sur le divan.

AUGUSTINE. Doucement ! doucement !

 

Elles descendent Gaby, tandis que Catherine a couru vers l’office.

 

MADAME CHANEL. Louise ! Faites quelque chose ! Venez avec moi ! Allez chercher les sels dans la salle de bains !

Elles disparaissent an premier étage.

Scène XIV

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine

 

AUGUSTINE. Doucement ! Là Allongez ses jambes ! Gaby ! Gaby !

CATHERINE, revient avec une serviette mouillée. Voilà pour sa tête !

AUGUSTINE. Non ! Sur les tempes !

MAMY, après un silence. Ses affaires allaient trop mal. Il s’est suicidé !

SUZON. Pas suicidé ! J’ai bien vu. Le couteau est enfoncé dans le dos.

MAMY. Oh !

Scène XV

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine, Louise, Mme Chanel

Madame Chanel redescend avec un coussin et Louise avec des sels.

 

Madame CHANEL. Mais… un couteau comment ?

LOUISE. Un genre de poignard.

Madame CHANEL. Le poignard avec le manche en corne ?

LOUISE. Oui.

Madame CHANEL. Monsieur me l’avait demandé pour découper du carton.

AUGUSTINE. Du carton ? Qu’est-ce qu’il faisait avec du carton ?

 

Sous l’effet des sels et relevée par les coussins, Gaby reprend alors connaissance.

 

GABY. II faut téléphoner à la police.

SUZON. Tout de suite ?

Madame CHANEL. Nous n’avons que trop tardé…

 

Catherine prend l’appareil de téléphone et le passe à Suzon qui actionne le déclic plusieurs fois.

 

SUZON. Il n’y a pas de tonalité. Ça ne répond pas !

 

Soudain le regard de Catherine devient fixe. Elle regarde le fil, le tire à elle. Il vient, coupé net. Sensation.

 

CATHERINE. On a coupé les fils du téléphone !

GABY. Qui ?

SUZON. …Quelqu’un !

 

Un silence. Le vent fait battre un volet. Le store en bois de la fenêtre bouge.

 

AUGUSTINE, dans un souffle. Vous croyez que… « quelqu’un »… est encore dans la maison ?

MAMY. Ecoutez ! J’entends du bruit par là…

 

Suspense. Louise ouvre soudain la porte derrière elle, pousse un cri, mais conclut.

 

LOUISE. Non ! Rien !

Madame CHANEL. Oh ! oh ! c’est le vent ! Et votre imagination !

CATHERINE. Qu’est-ce qu’on va faire, si le commissaire n’arrive pas ?

GABY, se lève. Il viendra ! Je vais le chercher en voiture…

SUZON. Oui, maman…

GABY. Louise, mon manteau !

LOUISE, fait un pas, se’arrête soudain. Madame !.. les chiens !

SUZON. Quoi, les chiens…

LOUISE. Ils n’ont pas aboyé de la nuit!

AUGUSTINE. Alors ?

LOUISE. Méchants comme ils sont, ils auraient aboyé si…

 

Un silence.

 

GABY. Si quoi !

SUZON. Vous voulez dire : si un étranger était entré dans la propriété ?

LOUISE. Oui. C’est ça !

AUGUSTINE. Mais, si personne n’est venu de l’extérieur… ça veut dire… quoi ?

 

Un silence… Le vent fait soudain tomber le store avec un bruit sec. Cris. Affolement général. Puis on fait ouf… La grand-mère prend le bras de Chanel… qui hurle de peur. Puis.

 

MAMY. Ce n’est plus tenable ! Il faut que vous alliez voir !

Madame CHANEL. Eh ?.. Oui, il faut… que… Madame… aille voir.

GABY, pas fière, se retourne vers Suzon. Oui, il faut que quelqu’un prenne cette initiative…

SUZON. Oui… il faut…

 

Elle fixe Augustine.

 

AUGUSTINE, glapit. Je suis cardiaque.

MAMY. Je ne peux pas marcher, moi !

 

On se tourne vers Louise qui se met à sangloter.

 

GABY. Si je comprends bien, personne n’ose bouger !!!

 

Madame Chanel a un petit geste de frayeur qui se répercute sur les autres.

 

SUZON, nette. Que s’est-il passé hier soir ?

GABY. Rien de spécial. Ton père est rentré vers les huit heures. Nous avons diné… Puis il s’est retiré dans sa chambre pour travailler…

SUZON. Il n’a pas reçu de visites ?

GABY. Non.

 

Approbation générale.

 

Avec le temps qu’il a fait ! Il faudrait du courage pour gravir la colline !

SUZON. Pas de coup de téléphone ?

GABY. Pas que je sache !

Madame CHANEL. On aurait entendu la sonnerie…

MAMY. C’est un vagabond, un voleur qui s’est introduit… et qui…

AUGUSTINE. Ecoute ce qu’on dit, maman ! Louise qui dort au-dessus du garage aurait entendu les chiens aboyer, dans ce cas-là !

LOUISE. Ils n’ont pas bougé, j’en suis sûre.

MAMY. Mais alors ? Ce serait quelqu’un que nous connaissons ? Un familier de la maison ?

 

Un silence.

 

SUZON. Qui a téléphoné la dernière ?

 

Silence.

 

Qui a téléphoné la dernière ?

Madame CHANEL. Moi !

SUZON. Eh bien ! dites-le !

Madame CHANEL. Eh bien ! je le dis ! Ce matin, vers les sept heures et demie, j’ai commandé de la viande chez le boucher !

 

Devant les yeux accusateurs de Mamy.

 

…Du gigot, là !

SUZON. Donc, ce matin à sept heures et demie, l’assassin était encore ici. Il a coupé les fils du téléphone après.

 

Affreux silence.

 

Il faut se rendre à l’évidence… Les affaires de papa marchaient-elles ?

GABY. Oui !.. Tu sais comme était ton père ! Un brasseur d’argent, un homme d’action ! Très intelligent ! Il avait mille et un tours dans son sac pour réussir ! Personnellement, il ne m’a jamais dit que ça n’allait pas bien. Et puis, il est admirablement secondé par M. Farnoux.

SUZON. Monsieur Farnoux ?

GABY. Oui, son nouvel associé à l’usine.

SUZON. Ah oui !.. Ce monsieur est-il déjà venu ici ?

GABY. Non ! (Elle se reprend.) Si ! une fois ou deux peut-être… Nous ne le fréquentons absolument pas… Enfin, très peu !

Madame CHANEL. Je me souviens que les chiens, le jour où il est venu chercher Monsieur, l’ont à moitié renversé… parce que monsieur Farnoux a un chien chez lui et que les nôtres l’avaient senti…

SUZON. Donc, il faut abandonner l’idée de penser que ce monsieur… aurait ?..

GABY. Bien sûr ! C’est invraisemblable !

SUZON. Connaissez-vous quelqu’un qui aurait voulu du mal à papa ?

Madame CHANEL. Personne !

AUGUSTINE. C’est vite dit ! Quand il allait à Paris, on ne sait pas au juste qui il fréquentait…

GABY. Que vas-tu imaginer ? Un étranger à huit heures ici, dans notre salon, coupant le téléphone?.. et personne ne le voit !

MAMY. Te rends-tu compte de ce que ça signifie, Gaby, pour nous toutes ici ?

SUZON, après un temps. Qui hérite des biens de papa ?

GABY. Moi !.. Je veux dire, nous… Enfin, dans ce cas on vend l’usine, et on partage entre les enfants et la femme… La femme a la moitié et… Les notaires savent tout ça… Je n’y comprends rien. On nous donne à chacun de l’argent liquide… Enfin ! Elle s’embrouille et, finalement, elle pleure. Catherine, va me chercher un mouchoir !

CATHERINE. Il faudra prévenir la sœur de papa ! Et elle disparaît dans les étages.

 

Scène XVI

Mamy, Suzon, Gaby, Augustine, Louise, Mme Chanel

 

GABY, sursautant. La sœur de ton père ? En voilà une idée ! Une femme pareille !

SUZON. Oui, tu m’as écrit qu’elle était venue s’installer dernièrement dans la maison près du village. Pourquoi ?

GABY. Dans l’espoir sans doute de renouer avec Marcel… Après la vie de débauche qu’elle a menée à Paris, elle a essayé, de trouver refuge auprès de son frère riche… Je n’ai pas voulu influencer ton père, le laissant libre de recevoir cette… Pierrette qui, après tout, est sa sœur… Mais il a très bien compris que ce ne serait pas convenable et il ne nous l’a jamais présentée ! Cette fille n’a jamais, Dieu merci, mis les pieds dans notre maison !

 

Madame Chanel et Louise se regardent comme gênées. Catherine redescend et donne le mouchoir à Gaby.

Scène XVII

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine, Louise, Mme Chanel

 

SUZON. Papa a-t-il revu sa sœur en ville ?

GABY. Sûrement pas !

SUZON. Comment est-elle ?

GABY. Est-ce que je sais ? Je ne l’ai jamais vue.

MAMY. Moi, on me l’a montrée de loin… C’est une belle femme… assez étrange !

SUZON. De quoi vit-elle ? J’aimerais bien lui parler…

GABY. Tu lui parleras où tu voudras, mais pas dans cette maison.

SUZON. J’irai la voir.

GABY. Laisse faire la police, c’est son rôle de poser des questions. Pas le tien… Louise, mon manteau !

SUZON, assez bouleversée. Je suis absente depuis un an. Je vois tout avec des yeux neufs. C’est incroyable comme en un an les visages changent !

GABY. Tu trouves que j’ai vieilli ?.. Elle se mord les lèvres. Mais cette catastrophe va bien se charger de me donner mon âge ! Marcel… nous nous comprenions, nous étions tendrement unis…

AUGUSTINE, sourdement, mais durement. …Au point de faire chambre à part !

GABY, fait face à Augustine. Marcel rentrait tard parfois, il travaillait souvent la nuit, il m’avait demandé d’occuper provisoirement la chambre du second. As-tu quelque chose à ajouter ?

AUGUSTINE, soutenant le regard de Gaby. Pas pour l’instant.

MAMY. Mes petites… calmez-vous. Il ne faut pas rester sans aide… Pars avec la voiture, Gaby… Dépêche-toi !

Madame CHANEL, s’avançant. Madame, on ne peut pas laisser ce pauvre Monsieur tout seul. Si Madame le permet, je vais monter…

CATHERINE, terrorisée. Et si l’assassin est encore là ?

Madame CHANEL. Non, ne fais pas de roman, ma petite fille. Il ne nous a pas attendues. Il s’est sauvé !

LOUISE. Par la fenêtre de la chambre, on peut sauter sur le toit du garage…

Madame CHANEL, accablée. Mais non ! II a dû partir par la porte, comme il est venu… L’assassin est plus fort que l’on croit… Plus proche… plus…

 

Un silence.

 

GABY. Que voulez-vous dire ?

Madame CHANEL. …Je me comprends ! Elle arrive à la porte du père. La clef n’est pas à la serrure… Qui a pris la clef ? C’est vous, Madame ?

GABY. Non ! Qui a la clef ? Augustine, tu as la clef ?

AUGUSTINE. Non !.. J’ai pas la clef. C’est Suzon.

Suzon. Non !..

GABY. Mais enfin qui a la clef ? C’est invraisemblable ! Qui a pu la prendre ?

 

On commence à s’affoler.

 

Madame CHANEL. C’est vous, Madame !

GABY. Moi ?.. Je me suis évanouie !

AUGUSTINE, traquée. Je tenais Gaby !

SUZON. Moi aussi… D’ailleurs, nous sommes toutes passées devant cette porte : Louise est allée chercher les sels, Madame Chanel un coussin, Catherine une mouchoir…

MAMY. Moi, je n’ai pas bougé ! Aaah ! Elle ouvre ses mains et constate. On l’a mise dans mon tricot ! Elle tend la clef.

GABY. N’approfondissons pas ! Madame Chanel, j’ai une parfaite confiance en vous. Vous êtes peut-être la seule, dans cette maison, à qui je vais donner la clef sans arrière-pensée…

AUGUSTINE. C’est agréable pour les autres !

GABY. Madame Chanel, puisque vous êtes la plus courageuse, voici la clef.

 

Elle la lui donne.

 

Madame CHANEL. Merci, Madame ! Elle gravit les marches.

AUGUSTINE, à Gaby. Tu aurais pu consulter les autres, non ?

GABY. Je fais ce que je crois être mon devoir.

AUGUSTINE. Ton devoir !

GABY. Ne laissez entrer personne, madame Chanel.

AUGUSTINE, dressée. Ah ! non alors ! Si madame Chanel entre, nous devons toutes entrer.

LOUISE. C’est évident. Ou personne ou tout le monde.

MAMY. Il ne faut toucher à rien !

LOUISE. A cause des empreintes…

Madame CHANEL, clouée sur place, devant la porte. Voulez-vous insinuer, Mesdames, que j’ai demandé la clef dans ce but ?

 

Affreux silence.

 

Très bien. Dans ce cas-là… Elle redescend.

MAMY. Oh ! Madame Chanel, ne soyez pas susceptible…

Madame CHANEL, l’œil mauvais. Je n’ai jamais été susceptible. C’est pour ça que je sers depuis quinze ans dans cette maison… On peut me dire ce qu’on veut. Tout m’est égal. Je suis ici pour gagner mon pain. C’est tout… D’ailleurs, je préfère ne pas être montée… Je peux bien vous le dire… J’avais peur, comme vous… Elle brandit la clef. Alors, cette clef, qui la garde ? Personne ? Bon ! je la pose là ! Elle la met sur la tablette et furieuse, va s’asseoir.

 

Silence… On s’èloigne de cette clef maudite.

 

LOUISE, soudain. Cet homme qui rode peut-être, autour de nous…

Madame CHANEL. Un homme ? Pourquoi un homme ?

MAMY. Qu’est-ce que ça peut-être d’autre ?

Madame CHANEL. Mais… une femme !

 

Sensation muette… On se regarde.

 

AUGUSTINE, grince. C’est honteux. Vous avez l’air de nous accuser !

GABY, ironique. Quand on a la conscience tranquille…

AUGUSTINE, froidement. Tu me détestes, n’est-ce pas ?

GABY. Non. Tu m’es indifferente !

AUGUSTINE. Vous l’entendrez ?

MAMY. Augustine, ma chérie, tais-toi !.. Gaby, excuse-la…

GABY. Evidemment, ta petite chouchoute, tu la couves !

AUGUSTINE, explosant. Mais oui, maman, donne raison à Gaby… Elle est riche à present… très riche et elle va nous mettre dehors… Alors, fait ta cour, maman, sauve ton bifteck… Vous n’osez rien lui dire parce que vous êtes toutes des lâches… Mais, moi, je dirai des choses à la police… Des choses que je sais…

GABY. Quelles choses ?

AUGUSTINE. C’est mon affaire.

SUZON. On ne calomnie pas quelqu’un sans preuves. Mefie-toi…

 

Brouhaha général d’approbation et de fureur.

 

AUGUSTINE. C’est une coalition contre moi ! Ta mère m’attaque de front…

GABY. Tu préfères, toi, attaquer de dos ?

 

Affreux silence.

 

AUGUSTINE, qui fond eu larmes. Que je suis malheureuse… Tout le monde dit que je suis une idiote, une laissée pour compte, un fruit sec… Mais qu’est-ce que j’ai au monde comme consolation, dites-moi ? Dites-moi… Je n’ai ni l’âge ni le physique pour faire la vie.

LOUISE. Oh çà !

 

Augusttne s’est tournée vers Louise qu’elle voit ricaner.

 

AUGUSTTNE. Ni la mentalité !..

LOUISE, du tac au tac. Pleurez pas ! Vous avez la poésie !

AUGUSTINE La poésie ?

LOUISE. Oui, souvent, de la fenêtre de ma chambre, je vous vois, la nuit, arpenter le parc en recitant des vers… Aux autres. Parole !..

MAMY. Il ne fallait pas y prendre garde, Louise.

LOUISE. On n’a pas tant de distractions dans ce coin perdu ! Mademoiselle Augustine, le soir, dans le parc… en train de déclamer… C’est ma télévision à moi !

 

Augustine pique sa crise.

 

MAMY. Calme-toi… Veux-tu boire quelque chose pour te détendre ?

AUUGUSTINE. J’ai horreur de boire quoi que ce soit quand je ne suis pas à table…

GABY. Tiens ? Je croyais que tu, t’étais levée cinq fois cette nuit pour boire?..

AUGUSTINE. …Au lit, c’est defférent… Je suis une grande malade… Je suis cardiaque.

MAMY. Va prendre des cachets pour te calmer !

AUGUSTINE, se levant. C’est ça, mes cachets ! Eh bien, je vais prendre toute la boîte d’un seul coup, comme ça vous serez débarrassées de moi… Elle sort en hurlant.

MAMY. Excusez-la !.. Ma pauvre petite…

 

La grand-mère, soudain, se dresse et sort de sa voiture. Les autres femmes son effarées… Mamy fait trois pas.

 

TOUTES. Elle marche ! Ça alors ! Elle marche !

GABY. Maman ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Tes jambes ?

MAMY, glapit, hautaine. Ça va !

 

Et elle disparaît rejoindre Augustine. Consternation et inquiétude… L’horloge sonne la demie.

 

SUZON. Mais, elle marche donc ?

GABY. Il faut croire ! C’était bien la peine de nous faire acheter cette chaise roulante ! Tout est organisé entre elle et son Augustine ! Je suis écœurée !

 

Un silence.

 

Madame CHANEL. Que faire, Madame ?

GABY. Je pars… Louise, mon manteau, je vous prie… Ça fait trois fois que je vous le démande…

 

Louise sort.

 

Madame CHANEL. …Je vais mettre une bûche… Elle sort.

Scène XVIII

Suzon, Gaby, Catherine

 

GABY, s’assoit. C’est épouvantable…

SUZON, vient à elle, tendrement. Maman, parle-moi de papa, de ce qu’il a fait depuis mon départ, depuis que vous avez reçu Mamy et tante Augustine…

GABY. Ton père, c’était la bonté même… Tu le connaissant aussi bien que moi… mieux sans doute, car tu lui racontais tout avant que je le sache !

SUZON. Mamy et tante Augustine s’entendaient bien avec lui ?

CABY. Je l’espère ! Avec ce qu’elles mangent, qu’elles aient au moins la reconnaissance du ventre!.. Avec une certaine perfidie. Elles se sont parfois disputées avec lui, mais ce n’était pas grave.

SUZON Disputées ? A propos de quoi ?

GABY. Des bêtises… Augustine fait un drame de rien et Mamy dort avec des titres sous son oreiller…

SUZON. Grand-mère a des titres cachés sous son oreiller ?

GABY. Oui, qu’elle garde comme un chien son os. Je lui ai dit mille fois de les donner à Marcel pour les mettre dans ses affaires. C’est bien normal ! Mais elle les couve !

SUZON Ces titres auraient été utiles à papa ?

GABY. Oui, il y a quinze jours pour une écheance à laquelle il devait faire face.

CATHERINE, inquiète. Ses affaires allaient mal ?

GABY, désinvolte. Ma chérie, une écheance est une écheance !

SUZON. Ça ne t’aurait rien fait que mamy dispose de cet argent ? Car tu as ta part dessus.

GABY. Justement, j’ai donné ma part à Marcel, après, l’avoir littéralement arrachée des mains de grand-mère ! Augustine s’en est mélée, naturellement ! La bataille à repris quand…

SUZON. Pourquoi me donnes tu tant de détails, c’est grave ?

GABY. Non, mais tu sais qu’elles sont fachées…

SUZON, avec une logique mordante. Je ne le sais pas. Tu viens de me le dire…

GABY. Bref, ce n’est rien du tout ! Mamy et Augustine sont écartelées entre la reconnaissance qu’elles nous doivent… et leur avarice.

SUZON. Que veux-tu, elles n’ont pas rencontré, elles, un mari riche…

GABY. Est-ce ma faute ?.. Et dire que j’ai tout fait pour que Marcel les accepte ici ! Ton père ne pouvait pas les voir… Ton père a toujours aimé… la jeunesse !

Scène XIX

Suzon, Gaby, Catherine, Louise

Entre Louise, avec le manteau de Gaby, qu’elle l’aide à passer, tandis que.

 

SUZON. Louise, depuis quand servez-vous dans la maison exactement ?

LOUISE. Pourquoi vous me demandez ça ?

GABY. Louise est là depuis octobre…

LOUISE. J’ai de bons certificats… J’ai travaillé deux ans chez un notaire qui s’est retiré… Vous pouvez vérifier…

SUZON. Ce n’est pas mon rôle…

 

Louise fait un pas vers la sortie. Suzon la rattrape.

 

Louise, vous êtes certaine du silence des chiens.

LOUISE. Certaine ! J’ai mal dormi cette nuit ! J’avais un pressentiment, hier… Monsieur avait mauvaise mine quand je lui ai porté sa tisane.

GABY, intriguée. Il vous a demandé une tisane ?

LOUISE. Oui. Vers minuit.

GABY. A quelle heure ?

LOUISE. Minuit.

SUZON. C’était son habitude ?

GABY. Non ! Pourquoi de la tisane ?

LOUISE. Il travaillait, il a dû avoir soif ou mal à l’estomac. Il a vu la lumière encore allumée dans la cuisine, il m’a sonnée. Je suis montée, il m’a demandé un tilleul, je suis descendue le faire et lui ai remonté…

SUZON. Etes-vous restée longtemps dans la chambre de mon père ?

LOUISE. Non, je suis repartie aussitôt.

CATHERINE. Dites donc, comment se fait-il que je n’ai pas vu le plateau de la tisane dans la chambre, tout à l’heure ?

LOUISE. Je l’ai remporté, hier soir…

SUZON. Pourquoi venez-vous de dire que vous étiez repartie aussitôt ?

LOUTSE. Parce que c’est vrai ! Il a bu très vite, voilà tout.

 

On entend hurler Augustine.

Scène XX

Suzon, Gaby, Catherine, Louise,Mamy

 

MAMY, apparaissant et allant à Gaby qu’elle entraîne. Gaby, viens une seconde ! Je n’arrive pas à calmer Augustine. Elle veut avaler toute sa boîte de cachets !

GABY. C’est du chantage, c’est sûr ! ta chouchoute !

 

Mamy disparaît, suivi de Gaby. On entend des éclats de voix d’Augustine.

Scène XXI

Suzon, Catherine, Louise

 

LOUISE. Je peux disposer ?

SUZON. Dites-moi, quand vous avez fait le tilleul, Madame Chanel était encore dans la maison ?

LOUISE. Elle venait de partir… Elle habite le pavillon de chasse au fond du parc… Pour sa liberté, dit-elle.

SUZON. Je sais, c’est une bonne nounou pleine de vieilles habitudes.

LOUISE. C’est son droit. Après la journée de travail, on est libre de faire ce qu’on veut… Perfide. Et ça n’a jamais fait de mal à personne de jouer aux cartes ! Elle attend la réaction des filles du coin de l’œil.

SUZON, sidérée. Ah ? Madame Chanel joue aux cartes, maintenant ?

LOUISE. Mademoiselle ne savait pas ? Oh ! zut, j’ai fait une gaffe.

SUZON, qui ne sait plus que dire. Pas du tout… Je sais que madame Chanel aime jouer aux cartes… Mais avec qui joue-t-elle ?..

 

Louise se tait.

 

CATHERINE. Avec quelqu’un de la maison ?

 

Silence.

 

LOUISE. C’est pas mon genre de moucharder…

CATHERINE. Dites-nous avec qui elle joue et nous ne le dirons à personne.

LOUISE, qui ménage son effet. Elle joue avec. Et puis, flûte… je m’en fiche… Elle joue, avec mademoiselle Pierrette, la sœur de votre père !

CATHERINE. Çà alors !

SUZON. Comment l’avez-vous su ?

LOUISE. C’est Mamy qui les a vues ! Et elle me l’a dit, un jour de confidence où elle avait un verre dans le nez !.. Il y a toujours une bonne petite bouteille dans la chambre de Mamy…

 

Louise et Catherine échangent un petit rire complice. Suzon est de plus en plus stupéfaite.

 

SUZON. Et comment est-elle, ma tante Pierrette ?

LOUISE. Je ne sais pas, elle n’a jamais mi les pieds ici. « Ancienne danseuse nue », disent ces dames… « Artiste de talent et pure comme un lys », dit madame Chanel !.. Moi, je veux bien ! Elle profite de sa jeunesse pour en faire marcher quelques-uns ! Elle n’a pas tort, après tout…

SUZON. Mais comment Pierrette arrive-t-elle jusqu’au pavillon de chasse de madame Chanel ?

LOUISE. Elle fait du stop jusqu’au carrefour de la route nationale !

SUZON. Mais, de la route ici, il y a encore deux kilomètres !

LOUISE. Elle les fait à pied… Le bitume à arpenter, c’est son rayon.

Scène XXII

Suzon, Catherine, Mme Chanel, puis Louise sort.

 

Madame CHANEL, entrant avec une théière et une tasse sur un plateau. Où est mademoiselle Augustine ?

SUZON. Par là…

Madame CHANEL, à Louise. Portez-lui ça ! Elle donne son plateau à Louise et la pousse vers la sortie, puis. Quelle comédienne, votre tante Augustine ! On l’entend hurler de ma cuisine. Je lui ai tout de même fait du tilleul !

SUZON. Pourquoi dis-tu comédienne ?

Madame CHANEL. Elle n’a jamais été malade ! C’est son numéro…

SUZON. Mamy et Augustine que tu connaissais peu, que penses-tu d’elles ?

Madame CHANEL. Gentilles toutes les deux, mais encombrantes ! Ta pauvre mère n’est plus chez elle. Elles lui font constamment des réflexions, de la morale… Il n’y a qu’une chose sur laquelle elles ont raison, c’est l’éducation de Catherine…

CATHERINE. Qu’est-ce qu’elle a, mon éducation ?

Madame CHANEL. Tu parles mal, tu manges du chewing-gum à table, tu fumes en cachette, tu lis des romans abracadabrants avec des couvertures macabres…

CATHERINE. Oh ! là ! là ! Ce que tu es vieille vague ! Et elle lit un roman dont la couverture est monstrueuse.

Madame CHANEL. Suzon, tu étais plus sage, toi…

SUZON. Nous avons deux caractères différents, voilà tout !

Madame CHANEL. Mes pauvres petites…

 

Un silence accablé.

 

CATHERINE, perfidement. Chanel ! A quelle heure es-tu partie, hier soir ?

Madame CHANEL. Vers minuit.

CATHERINE. Tu es allée te promener ?..

Madame CHANEL. Tu te moques ! Avec un temps pareil !

CATHERINE. Tu as reçu des visites ?

Madame CHANEL, après un temps de gêne. Des visites ?.. Il y a dix ans que je n’en ai pas reçu !

 

Catherine et Suzon se regardent. Madame Chanel, soudain éclate.

 

Catherine, je t’ai repassé un pantalon dans la lingerie. Va t’habiller correctement !

CATHERINE. Oui ! J’y vais !

 

Elle sort vers l’office en ricanant.

Scène XXIII

Suzon, Mme Chanel, puis Mamy entre.

 

SUZON. Chanel, est-ce que Louise travaille bien ?

Madame CHANEL. Oh ! sur ce chapitre-là, je vais te dire ce que je pense : Louise est une coquine qui va de place en place, avec l’espoir de coucher avec le patron !.. Quant aux autres !..

 

Mamy est entrée sans faire de bruit. Elle a entendu les dernières phrases de Chanel.

 

MAMY. Quant aux autres, je m’en charge !

 

Alors Chanel sort avec une dignité composée. La grand-mère met son doigt à ses lèvres : « Chut ! » Et, avec des airs de conspirateur, entraîne Suzon dans un coin.

 

MAMY. Il faut absolument que je te fasse une confidence. Il n’y a que toi en qui j’aie confiance… Voilà… Ton père n’avait plus d’argent ! Personne ne le sait, que moi !

SUZON. Mais c’est très important. Explique-toi…

MAMY, tout bas, très vite. J’ai voulu donner à Marcel, en reconnaissance pour notre hébergement, des actions que je tenais de ton grand-père, le colonel. Il les a refusées et il m’a dit : « Gardez votre argent ! Il serait impuissant à me sauver de la faillite… » Alors pour ne pas le trahir, j ai joué, pour la famille, celle qui refuse de donner ses titres…

SUZON. Ensuite, qu’as-tu fait ?

MAMY. Rien. J’ai gardé mes actions. Pas pour longtemps, parce que…

SUZON. Parce que ?..

MAMY, tremblante. Parce que on me les a volées, il y a deux jours…

SUZON. Volées ?

MAMY. On a drogué mon porto !.. Oui, un petit verre de porto après le dîner fait du bien… à mes douleurs ! On m a droguée, on est entrée dans ma chambre et on m a volée ! C’est quelqu’un qui savait la cachette !

SUZON. Sous ton oreiller !

MAMY, soufflée. Sous mon ?.. Comment le sais-tu ?

SUZON. Tout le monde semble le savoir…

MAMY, s’exaltant. Tout le monde ! Ah ! bande de voleurs ! Au voleur ! (Elle hurle.) A l’assassin ! Au voleur !

Scène XXIV

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine, Louise, Mme Chanel

 

Toutes les femmes réapparaîtront, l’une après l’autre, attirées par les cris.

 

GABY. Qu’est-ce qu’il y a, maman ? Tu as perdu la tête !

MAMY. Pas la tête, non !

SUZON. Grand-mère vient de m’apprendre qu’on lui a volé ses titres, la nuit, il y a deux jours…

AUGUSTINE, fonçant. Les titres ! Ah ! menteuse ! Tu les as vendus en cachette et tu ne veux pas me donner ma part ! Ma part ! Ma part !

 

Gaby la retient.

 

MAMY. On me les a volés !

GABY. Voyons, qui le les aurait pris ?

MAMY. Je ne sors jamais de ma chambre !

AUGUSTINE. Oh ! je t’entends bouger, toutes les nuits ! J’entends craquer ton parquet !

MAMY. Tu ne dors donc jamais ?

AUGUSTINE. Jamais !.. J’écoute ! Je passe la nuit à écouter ! Et si les petites n’étaient pas là, je vous dirais bien ce qu’il m’est arrivé d’entendre !

GABY, méprisante. Ma pauvre Augustine !

AUGUSTINE. J’y suis ! C’est toi qui as volé titres de maman, rends-les !

 

Elle lui saute dessus. Bataille.

 

TOUTES, ensemble. Augustine ! Sois calme. Tu ne sais pas ce que tu dis ! Etc

 

On les sépare. Dans le silence qui suit, on entend le rire de Louise qui observait la bataille.

 

GABY. Quoi ?

LOUISE. Oh ! Pardon !

GABY. Que personne ne bouge. Je prends la voiture…

 

Elle sort très vite par la terrasse.

 

LOUISE. Madame ! Votre sac ! Les clefs de la voiture !

 

Elle s’élance avec le sac de Gaby et disparaît à son tour dans le jardin.

Scène XXV

Mamy, Suzon, Catherine, Augustine, Mme Chanel

 

SUZON, avec reproche. Tante Augustine ! Quelle honte !

AUGUSTINE, agressive. J’ai été trop malheureuse avant de venir ici, avec maman !.. Trop pauvre !..

MAMY. Trop pauvre ! Quand je me suis retrouvée seule à la mort de ton père, avec ta sœur et toi à élever… il a bien fallu que je travaille !.. Une femme seule, c’est affreux… Gaby va connaître ça, maintenant… La vie recommence toujours, elle n’invente rien.

AUGUSTINE. J’espère que Gaby, elle, ne fera pas de différence entre ses filles ! Entre celle qui est déjà une dame et l’autre qui passe pour la bonne à rien.

CATHERINE, qui se promène dans la voiture de Mamy. T’en fais pas pour moi. Les complexes, c’est pas mon rayon !

AUGUSTINE. Attends ! Ça viendra ! Moi ça a commencé au bal. On ne m’invitait jamais !

CATHERINE. Moi, j’ai horreur du bal !

AUGUSTINE. Moi aussi ! Mais j’y allais quand même. Pour faire comme les autres. Pour me faire des « relations » ! Mais je m’en suis jamais fait… Alors, un jour j’ai décidé de ne plus y aller. C’était fini. Je suis restée avec Maman. On a essayé de ne pas trop se disputer…

MAMY. Augustine…

AUGUSTINE. Je t’aime bien, maman, quoi que tu en penses ! J’aime tout le monde ; Mais personne ne comprend ma façon d’aimer. On croit que c’est de la haine…

CATHERINE. Gomme le bon vin qu’on ne boit pas… ça fait du vinaigre !

SUZON. Catherine… Tais-toi ! Nous avons toutes nos peines et nos excuses… A Augustine. A présent, il faut oublier les petites choses et faire face aux grandes… Et les grandes…

AUGUSTINE, qui s’exalte. Ah ! le jour de ton arrivée ! Assassiné ! Un couteau dans le dos !

SUZON. Tais-toi !

AUGUSTINE. Je dis les choses telles qu’elles sont… Tu as dit vrai, l’assassin est dans la maison…

 

Catherine se met à gémir dans les bras de Chanel.

 

Madame CHANEL. Vous faites peur à la petite !

AUGUSTINE, bas à Suzon, vite. Cette gosse est nue détraquée et c’est la faute de ta mère. Elle lui laisse lire n’importe quel livre jusqu’à l’aube, avec la lumière qui m’empêche de dormir ! Enfin !.. je ne veux pas accabler à présent ma pauvre sœur, parce que…

SUZON. Parce que ?

AUGUSTINE. Parce que ça ne me regarde pas ! Et que je ne le dirai pas ! Non… je ne dirai pas que… Très vite. Gaby réclamait toujours à cor et à cri, surtout à cri, de l’argent à Marcel… Et si elle le dépensait à tort et à travers et Dieu sait avec qui, ça ne me regarde pas et… je ne le dirai pas non plus ! Ton père, un homme si bon ! Quand il lui faisait une remarque, pan ! elle le mouchait ! Un homme pareil ! Tout ce qu’il a fait pour moi… Pour nous ! Il ne manquait jamais de m’acheter des chocolats, des bonbons… Nous avoir hébergés malgré la mauvaise volonté de ta mère, c’est…

Scène XXVI

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine, Louise, Mme Chanel

Augustine va pleurer. Soudain Gaby revient, suivie de Louise.

 

LOUISE. Non ! Non ! Et non ! Ce coup-là, inutile de dire à Madame que je lui donne mes huit jours !

GABY. Croyez-vous que ce soit le moment ?

LOUISE. J’en avais déjà assez de tout le monde avant !

SUZON. Mais qu’est-ce qui se passe ?

GABY. La voiture ne part pas ! On a arraché tous les fils du moteur !

 

Sensation.

 

LOUISE, ricanant. « On » a arraché !.. Qui « on » ?

GABY, à Louise. Gardez vos insolences !

LOUISE. Ce ne sont pas des insolences, ce sont des constatations.

GABY. Au premier interrogatoire de la police, je serai obligée de dire que vous sortez très souvent le soir, ma fille, et que tout le monde le sait !

LOUISE. Au premier interrogatoire de la police, je serai obligée de dire que vous sortez très souvent, le soir, Madame… et que tout le monde l’ignore !!!

GABY. Il y a des lois contre les faux témoignages.

LOUISE. Il y a aussi des lois pour hériter !

GABY. Ça signifie ?

LOUISE. Qu’il faut prévenir le notaire.

GABY. Le notaire, pourquoi ?

LOUISE. Pour l’héritage. Vous savez bien : « A qui profite le crime? »

GABY. Je ne comprends pas.

CATHERINE. Ben oui, la personne qui hérite de l’assassiné est forcément l’assassin. Tous les bouquins policiers le disent !

GABY. Tu ferais mieux d’apprendre la géographie ! Et elle gifle Catherine.

AUGUSTINE. C’est bien la premiére fois que tu t’occupes de ses etudes !

SUZON. Maman… il n’y a plus qu’une solution : partir à pied… J’y vais.

GABY. Je vais avec toi…

SUZON. Non, maman, je vais courir jusqu’à la route…

GABY. Alors, fais vite, cet insolement n’est plus tolérable !

 

Suzon s’élance, mais on entend soudain du bruit.

 

LOUISE. Ecoutez !.. Regardez ! On marche… Dans le jardin…

GABY. Chut !

 

On écoute dans la terreur. Bruit de pas. Tout le monde bat en retraite vers le fond de la pièce.

 

LOUISE. C’est l’assassin qui revient…

MADAME CHANE Taisez-vous !

AUGUSTINE. Je me sens mal… Je me sens mal !

GABY. Regardez…

Scène XXVII

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine, Louise, Mme Chanel, Pierrette

Une ombre est apparue derrière le store baissé de la baie. C’est une femme, vêtue d’un grand manteau. Elle regarde à travers la baie. Le groupe dés femmes s’est tassé et ne bouge pas. Pierrette pousse alors la porte et entre. C’est une belle femme de 35 ans environ. Elle regarde autour d’elle, s’avance avec prudence et aperçoit soudain le groupe des femmes. Surprise elle pousse un petit cri de frayeur.

 

PIERRETTE, très émue. Je m’excuse, mesdames… Je ne me serais jamais permis de venir ici, chez mon frère, sans être invitée… et surtout par un temps pareil ! Mais… les circonstances… je sais bien que je semble ridicule, mais… j’ai reçu, il y a une heure, un coup de téléphone… sans doute une affreuse plaisanterie… On m’a dit : « Venez vite, votre frère a été assassiné !.. » On a raccroché. Alors j’ai appelé ici… Mais votre appareil doit être en dérangement. Tout d’un coup, bêtement, j’ai eu peur… Le boulanger m’a déposée, en bas, sur la route et…

 

Les femmes l’encerclent.

 

Pourquoi me regardez-vous toutes comme ça ? C’est une plaisanterie, n’est-ce pas ? Répondez !

 

Elle réalise que ce doit être vrai et pousse un cri de terreur, puis grimpe l’escalier et essaye d’ouvrir la porte de la chambre de Marcel. Elle se retourne, livide.

 

Pourquoi la chambre de mon frère est-elle fermée ?

GABY. Comment savez-vous que c’est sa chambre, vous qui n’êtesjamais venue ici ?

PIERRETE. Vous fixez toutes cette porte… Elle secoue la poignée, puis frappe. Marcel ! Marcel ! Ouvre-moi ! C’est Pierrette ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Marcel !

GABY. Ne criez pas, je vous en prie… Marcel est mort.

PIERRETTE. Mort ! C’est vrai… vrai ?..

LOUISE. Un couteau dans la dos…

 

Pierrette livide, défigurée, descend quelques marches et se laisse aller sur la rampe en sanglotant.

 

GABY, qui est venue se poster devant elle. Vous admettrez que, devant votre irruption, je me trouve l’obligée de vous poser quelques questions…

PIERRETTE. Laissez-moi, je vous en prie…

GABY. Avez-vous reconnu la voix qui vous téléphonait ?

PIERRETTE. Non, elle a si peu parlé…

GABY. Une voix d’homme ?

PIERRETTE. Non. De femme !

 

Un temps.

 

GABY. Je ne crois guère à votre coup de téléphone.

PIERRETTE. Dans quel but aurais-je inventé cela ?

GABY. Pour avoir un prétexte pour venir ici, ce matin. Que dis-je, pour y revenir ! Car vous êtes déjà venue ici, n’est-ce pas ?

PIERRETTE. Jamais !

GABY. Pourquoi les chiens n’ont-ils pas aboyé ? Ils semblent habitués à vous.

PIERRETTE. Est-ce que je sais ?

 

Un temps.

 

Pourquoi la porte est-elle fermée ?

GABY. Pour empêcher quiconque de toucher quoi que ce soit.

PIERRETTE. …Qui a la clef ?

GABY. Nous toutes.

PIERRETTE. Je veux voir Marcel. Donnez-moi la clef. Je veux entrer.

GABY. Pour faire disparaître quelque chose que vous auriez laissé derrière vous, sans doute ?

PIERRETTE, dans un cri. Donnez-moi cette clef ou j’enfonce la porte !

GABY. Prenez la clef vous-même…

 

Elle lui montre la clef au coin du meuble. Pierrette hésite, puis traverse la pièce pour prendre la clef, les autres femmes s’écartant d’elle à son passage. Pierrette s’empare de la clef et fonce sur la porte qu’elle essaie d’ouvrir… en vain.

 

PIERRETTE. Mais… cette clef n’ouvre pas !

GABY. Comment ?

PIERRETTE. Regardez vous-même !

 

Gaby monte et essaie à son tour, puis.

 

GABY. Ce n’est plus la clef… On l’a changée !

 

On se regarde interdit.

 

CATHERINE. Pas de téléphone, pas de voiture et plus de clef…

AUGUSTINE. Une, ici, travaille contre nous. Le doute n’est plus possible.

MAMY. Ah ! Par pitié ! Je vous supplie de réfléchir à ce que vous dites… C’est très grave… Nos nerfs ne vont pas résister !

SUZON. Que veux-tu qu’elles disent, grand-mère ? Moi aussi, je suppose le pire… Nous avons toutes tourné autour de cette clef. Chacune a pu l’échanger contre une autre. Pour nous empêcher d’entrer chez papa. Y compris tante Pierrette qui, en montant, de dos, a pu faire la substitution.

 

C’en est trop! Pierrette fonce vers l’extérieur. Trois femmes lui barrent la porte.

 

PIERRETTE. Non mais ! Dites donc ! Vous me gardez prisonnière ?

GABY. Appelez ça comme vous voulez.

 

Alors Pierrette se résigne et redescend au centre de la pièce, balançant son manteau n’importe où !

 

PIERRETTE. Bon… Qui êtes-vous, d’abord, toutes ?

SUZON. Je suis votre nièce, Suzon.

CATHERINE. Moi, Catherine…

MAMY. Je suis Mamy et…

GABY, attaque. Quand avez-vous vu mon mari pour la dernière fois ?

PIERRETTE. Nous sommes fâchés, vous le savez bien…

GABY. Ne me dites pas que vous ne le rencontriez jamais, je ne vous croirais pas…

PIERRETTE. Oui !.. J’ai rencontré Marcel une ou deux fois, par hasard, en ville !.. Il m’aimait beaucoup et souffrait que vous me refusiez l’accès de la maison…

GABY. C’est un monde !

SUZON. En tout cas, maintenant, vous y êtes dans la maison !

PIERRETTE. Oui… ce coup de téléphone semble avoir voulu me joindre à vous. C’est clair !

SUZON. Pourquoi le criminel vous aurait-il avertie ?

GABY. C’est invraisemblable…

PIERRETTE, glapit, haineuse. En tout cas mon frère est mort et je suis décidée à vous soupçonner toutes, d’avance et par principe !

GABY. Vous êtes beaucoup plus soupçonnante que nous !

PIERRETTE. Ah ! Vous trouvez ?

GABY. Oui. Le fait que vous ayez voulu fuir prouve que vous êtes coupable !

PIERRETTE. J’allais prévenir la police. La mort de Marcel me prive de tout ce qui me restait au monde. En le perdant, je suis plus seule que jamais… Tandis que vous… c’est la liberté, la richesse !

GABY. Accusez-moi de ce meurtre !

PIERRETTE. Pourquoi pas ?

 

Elles sont dressées face à face.

 

MAMY, s’interpose. Nous perdons la tête… Je suis la belle-mère de Marcel et voici mon autre fille, Augustine. Nous étions hébergées par mon gendre, votre frère. J’avais de l’argent, Mademoiselle, et, figurez-vous, on me l’a volé, l’autre nuit…

AUGUSTINE. Maman ! Ah !

MAMY. Autant mettre Mademoiselle au courant tout de suite.

PIERRETTE, qui fixe Augustine. Alors, c’est vous, Augustine ? J’étais curieuse de vous connaître.

AUGUSTINE, outrée. Pour quelles raisons, s’il vous plaît ?

PIERRETTE. Parce que nous sommes abonnées au même club de lecture.

MAMY. Tu es abonnée à un club de lecture ? Tu ne me l’avais jamais dit.

PIERRETTE. Excusez-moi, j’ai gaffé.

AUGUSTINE, pâle. Pas du tout. J’y suis inscrite, mais n’y prends jamais rien.

MAMY. Ma fille n’aime pas lire.

PIERRETTE. Ah ! vraiment ? J’y suis abonnée moi aussi et la secrétaire, qui est bavarde, m’a dit que vous preniez au moins cinq romans par semaine. Et tous, des romans d’amour !!!

AUGUSTINE. Vous vous trompez.

PIERRETTE. C’est possible ! En tout cas, vous avez lu, il y a huit jours « La Gondole des Amants ! » Non ?

AUGUSTINE, perd pied. « La Gondole des Amants ?.. » Je ne sais plus…

PIERRETTE. J’ai pris ce roman juste après vous… Le hasard, ou presque ! Et j’ai été comblée ! Entre les pages du livre, j’ai trouvé quelque chose vous appartenant. C’est ainsi que j’ai commencé à m’intéresser à vous.

SUZON. Qu’avez-vous trouvé dans ce livre ?

MAMY. Si ma fille y a laissé quelque chose, rendez-le-lui et c’est tout.

PIERRETTE. Vous avez oublié le brouillon d’une lettre que vous avez adressée à mon frère.

GABY. A Marcel ? Tu écrivais à Marcel que tu voyais tous les jours ?

AUGUSTINE. C’est une invention de cette femme.

PIERRETTE. Une invention ? Vous n’avez pas de chance ! Je conserve tout, c’est une très, très, très vieille habitude ! Elle sort de son sac une feuille de papier qu’elle va passer sous le nez des autres en la lisant à haute voix. « Cher Marcel, il ne faut pas m’en vouloir d’avoir fait une scène à maman devant toi à propos des titres ! J’étais obligée de réclamer ma part pour ne pas qu’elle soupçonne le trop grand intérêt que je te porte. S’il n’avait tenu qu’à moi, je te les aurais donnés… », etc., etc., etc… presque illisible… Ah ! « Sache que je suis capable de tout pour t’éviter des ennuis, mais cesse de me narguer avec Gaby. Je glisse ce mot sous ta porte et t’embrasse affectueusement. Signé : Augustine. »

AUGUSTINE, lui arrachant la lettre des mains et la déchirant en petits morceaux. Ce n’est pas vrai ! Je n’ai jamais aimé Marcel ! Je le détestais. C’était un noceur ; il avait des liaisons un peu partout !.. Et je lui aurais donné mes titres pour qu’il les porte à ses maîtresses ? Regardez sa sœur, avec son sourire, et dites-vous bien que c’est la même famille.

MAMY. Ma fille ne sait plus ce qu’elle dit.

AUGUSTINE, à Pierrette. Vous me le paierez.

PIERRETTE. Des menaces ? Un mobile de meurtre et des menaces, c’est beaucoup pour une seule personne.

AUGUSTINE. Ce n’est pas vrai, je n’ai pas pu tuer ! Je n’ai pas bougé de ma chambre de la nuit.

GABY. Pardon ! Tu as été cinq fois dans la salle de bains.

AUGUSTINE. La salle de bains ? Quelle salle de bains ? Comme elle ne sait plus que dire, elle sanglote.

SUZON, reprend la situation en main. Bravo ! tante Pierrette, pour cette diversion sur Augustine. Vous êtes très forte. Seulement, nous avons quelques questions à vous poser.

PIERRETTE, va s’asseoir, allumant une cigarette pour calmer sa nervosité. Je vous écoute.

SUZON. Etes-vous déjà venue ici ?

PIERRETTE. Jamais.

SUZON. Vous mentez : nous en avons la preuve.

PIERRETTE, se retournant brusquement vers Madame Chanel. Chanel… Merci !

Madame CHANEL, affolée. Je n’ai rien dit, Pierrette !

 

Pierrette se mord les lèvres.

 

GABY. Qu’est-ce que ça signifié ?

SUZON. Oui, elles se connaissent, se rencontrent, je le sais. Elles adorent toutes deux jouer aux cartes.

GABY. Où vous rencontrez-vous ?

PIERRETTE, après un temps. Chez moi. En ville ! Le soir ! C’est notre droit… Non ?

GABY. A qui ferez-vous croire que Madame Chanel fait neuf kilomètres dans la nuit pour faire une partie de carte?

SUZON. Oui, vous mentez encore ! Je vous ai demandé si vous veniez ici en cachette et vous vous êtes tournée vers Chanel ! Donc vous veniez ici et Chanel le savait ! Mieux, elle vous accompagnait, et les chiens se sont habitués à vous. Repondez.

 

Un silence.

 

MADAME CHANEL. Oh ! Autant le dire, Pierrette. Aux autres. Je la recevais dans mon pavillon ou souvent, elle passait la nuit…

GABY. Voilà ! Et du pavillon à la maison, la distance n’a pas du être longue à franchir !

PIERRETTE. Oui, je suis venu ici un jour voir mon frère. Bon ! J’avais quelque chose d’important, à lui dire.

SUZON. C’était si important ? Madame Chanel ne pouvait pas faire la commission

 

Silence de Pierrette et de Madame Chanel.

 

Ecoutez, les circonstances sont graves, la police va arriver !

AUGUSTINE. Si elle arrive ! Car personne ne semble se decider à aller la chercher !

SUZON. Oui… La police met beaucoup moins de gants que nous pour découvrir toutes la vérités qui se cachent dans cette maison. Alors, faites un effort pour parler…

GABY, acide. Elle venait sans doute lui demander de l’argent.

PIERRETTE, se dresse. Je n’ai jamais demandé de l’argent à Marcel.

GABY. Mais il vous en a donné de lui-même, n’est-ce pas ?

PIERRETTE. Parfaitement. Il a compris que j’étais gênée, et une ou deux fois, il m’a aidée.

GABY, se dresse aussi. C’est inconcevable !

SUZON. Maman, tais-toi ! Papa était libre… Là n’est pas la question !

GABY, s’enflammant. Comment ! Cette fille soutire de l’argent à mon mari et je ne dois pas dire un mot ? Mais cet argent était à moi, il me revenait de droit…

PIERRETTE, brusquement. Maintenant il est à vous tout à fait !

GABY. Oui. Parfaitement !

PIERRETTE. Votre amour de l’argent vous étouffera, ma chère belle-sœur…

GABY. Vous entendez ? Elle ose me dire que…

SUZON, logique et nette. Il fallait te taire, maman !

GABY. Cette femme est épouvantable ! Elle s’effondre. Je suis à bout. Elle pleure dans son mouchoir.

CATHERINE, à Suzon. Alors, inspecteur, cette enquête ? Ça avance ? Elle est rabrouée par Mamy.

SUZON. Ecoutez !.. Il s’agit de savoir ce que toutes nous avons fait exactement cette nuit. Maman, où étais-tu ?

GABY. Dans ma chambre. Quelle question !

SUZON. En es-tu sortie ?

GABY, troublée, dirait-on. Non… Si ! une fois. J’ai été voir si Catherine n’était pas malade, il m’avait semblé entendre claquer la porte… Elle lisait tranquillement et je suis rentrée me coucher.

SUZON. Tu n’as rencontré personne dans le couloir ?

GABY. Si… Non… Je ne sais plus !

SUZON. Catherine, tu t’es, levée !

CATHERINE. Oui, pour aller au petit coin, quand maman a dû m’entendre. Je n’ai vu personne.

SUZON. Tu n’as rien entendu ?

CATHERINE. Tu sais, j’étais en plein dans mon bouquin, et je n’ai pas fait attention. Tante Augustine, un moment, m’a dit d’éteindre.

SUZON. Tu lui as répondu ?

CATHERINE. Oui.

AUGUSTINE. Oui. Un gros mot… Petite peste ! A ce souvenir, elle griffe Catherine.

CATHERINE, hurlant. Tu vas me payer ça ! Je ne voulais pas le dire, mais… tant pis pour toi. Aux autres. Voilà : au moment où je me suis recouchée, j’ai entendu un drôle de bruit… J’ai regardé chez Augustine par le trou de la serrure… et, je l’ai vue, devant sa glace, avec quelque chose dans les mains qui brillait. Sur le moment, je n’ai pas réagi.. A présent, j’en suis sûre : c’était un couteau ! Elle l’aiguisait !

 

Cri général.

 

AUGUSTINE. Petite folle, toutes tes lectures t’ont tourné la tête.

CATHERINE. Tu lis davantage que moi, alors ? « Gondole des Amants ! »

AUGUSTINE Ce que je tenais à la main était mon peigne blanc, en nacre, que je nettoyais…

GABY. A trois heures du matin ?

AUGUSTINE, glapit. Il n’y a pas d’heure pour les peignes !

SUZON. Tante Augustine, nous te croyons. Elle fait signe aux autres de se taire. Tu nous as dit que tu étais allée cinq fois dans la salle de bains, n’est-ce pas ?

AUGUSTINE. Oui.

SUZON. As-tu rencontré, quelqu’un?

AUGUSTINE. Personne.

SUZON. As-tu entendu des pas, des portes claquer ?

AUGUSTINE. Je n’ai pas fait attention.

GABY. Pardon ! Tu ne pouvais pas dormir ! Quelqu’un qui ne peut pas dormir est nerveux et le moindre bruit le fait sursauter. Tu as dit, tout à l’heure, avoir entendu Mamy se lever…

AUGUSTINE. Oui. C’est exact.

GABY. Mamy ? Tu t’es levée ?

MAMY. Non !

AUGUSTINE. Ooooh !

MAMY, nerveuse. Oui ! Je me suis levée vers une heure. J’ai fait du tricot dans mon lit très tard et j’ai soudain pensé que la laine qui me restait était dans le salon. Je suis descendue la chercher pour pouvoir travailler de bonne heure dans mon lit.

GABY. As-tu croisé quelqu’un ?

MAMY. Non. La lumière brûlait chez Catherine et chez Augustine… Il m’a semblé entendre des éclats de voix, venant de chez Marcel… Mais je n’ai pas distingué qui criait et je ne m’en suis pas inquiétée. J’ai pensé que c’était toi…

GABY. Tu as entendu crier et tu as pensé que c’était moi ? Merci !

MAMY. Gaby, excuse-moi, je ne voulais pas…

GABY. Peut-être ! Mais ça fait plaisir d’entendre dire par sa mère que l’on vit avec son mari à couteaux tirés…

 

Le mot porte. Silence.

 

Enfin, je veux dire.

 

Silence.

 

SUZON. Louise, avez-vous quelque chose à dire sur ces éclats de voix venant de chez mon père ?

LOUISE. Non, quand j’ai monté le tilleul, à minuit, Monsieur était seul.

SUZON. Avez-vous rencontré quelqu’un ?

LOUISE. Oui. Mademoiselle Augustine. Tête d’Augustine.

SUZON. Tiens ? Tu nous a dit, tante Augustine, n’avoir rencontré personne.

AUGUSTINE. J’avais oublié… J’étais allée boire…

GABY. Elle a passé sa nuit à boire !!!

SUZON. Louise, où avez-vous croisé ma tante ?

LOUISE. Euh !.. Vers là pendule ancienne.

SUZON. La pendule ancienne ! Mais, tante Augustine, si ma mémoire est bonne, la pendule ancienne n’est pas entre ta chambre et la salle de bains.

AUGUSINE. Ah ? Tiens ! Ce devait être au moment où je suis allée demander à Catherine d’éteindre.

GABY, s’avance. Tu rôdais du côté de la chambre de Marcel !.. Que s’est-il passé ?

SUZON. Tu l’aurais su, maman, si tu ne faisais pas chambre à part !

 

La réplique a claqué comme un coup de fouet.

 

GABY, soufflée. Se faire juger par ses enfants, c’est affreux !

PIERRETTE, goguenarde. C’est pour cette raison, ma belle, que je n’en ai jamais fait !

GABY, contre-attaque vers Madame Chanel qu’elle voit sourire. A quelle heure, madame Chanel, êtes-vous partie ?

Madame CHANEL, s’affole. Je n’ai pas regardé, mais c’était autour de minuit.

GABY. Avant ou après le tilleul ?

Madame CHANEL. Vers ce moment-là. J’ai entendu Monsieur le commander et je suis partie peu après.

GABY. Combien de temps après ? Cinq minutes ?

Madame CHANEL. Un peu plus, car lorsque Louise occupe ma cuisine, j’en ai pour un bon moment à mettre de l’ordre. Surtout… qu’elle a voulu faire ce tilleul elle-même !

GABY. Pourquoi avez-vous tenu à le faire vous-même, Louise, ce tilleul ?

LOUISE. Monsieur me l’avait commandé à moi, c’était normal.

GABY. Vous vouliez le lui monter vous-même ?

LOUISE. Pourquoi dites-vous ça, Madame ?

GABY. Il y a longtemps que j’ai vu clair dans votre jeu, ma fille.

LOUISE. Comme Madame voudra. Je préfère être accusée de vice que de meurtre.

GABY, vexée. Ah ? Bon ! Gaby cherche qui attaquer, va alors vers Pierrette. Il ne me reste plus qu’à vous demander où vous étiez, vous, Pierrette. Où étiez-vous hier soir ?

PIERRETTE. Je suis allée faire une visite personnelle qui ne regarde que moi et qui n’a aucun rapport avec ce qui nous bouleverse.

GABY. Vous n’avez pas vu mon mari hier soir ? C’est certain ?

PIERRETTE. Oui. C’est certain.

GABY. Donc, jusqu’à preuve du contraire, la dernière personne à avoir vu Marcel vivant, c’est vous, Louise !

 

Louise semble frappée de frayeur.

 

LOUISE. C’est grave ! On peut m’accuser du meurtre ?

GABY. Sans aucun doute.

 

Louise bredouille quelque chose.

 

Quoi ?

LOUISE. Je n’aime pas les ennuis… Elle hésite puis se jette à l’eau. Je vais tout dire… Je m’excuse, mademoiselle Pierrette, mais il le faut.

PIERRETTE. Je m’y attendais.

LOUISE, aux autres. Eh bien ! voilà, quand j’ai monté son tilleul à Monsieur, sa sœur était avec lui.

GABY, après un silence sourd. Pierrette ! Qu’êtes-vous venue faire chez mon mari, hier soir ?

PIERRETTE, tête basse. Je suis venue bavarder avec lui, j’avais le cafard.

SUZON. Pourquoi la conversation a-t-elle été bruyante ?

LOUISE. Pourquoi élevait-il la voix ?

AUGUSTINE. Vous vous êtes disputés ?

PIERRETTE. Non !.. On riait, même !

GABY. Et ma mère disait avoir reconnu ma voix ! Joli témoignage ! Tête de Mamy.

SUZON. Louise, vous avez donc assisté à la conversation entre mon père et Pierrette ?

LOUISE. Non ! Non ! Je suis partie tout de suite, en emportant le plateau.

GABY. Et vous, Pierrette ? Qu’avez-vous fait après le départ de Louise ?

PIERRETTE. Rien… On a parlé, puis j’ai quitté mon frère quelques minutes plus tard !

LOUISE. Oui, ça, je peux le jurer, j’ai vu Mademoiselle repasser devant la fenêtre de la cuisine.

SUZON. Elle ne vous a rien dit à ce moment-là ?

LOUISE, hésite. …Non.

GABY. Vous venez d’hésiter ! Faites attention, Louise, si vous mentez, la police peut vous arrêter pour complicité. C’est grave.

PIERRETTE, s’énerve. Laissez donc cette fille tranquille ! Ça n’a pas de sens !

GABY. Vous vous trahissez, Pierrette ! Vous avez dit quelque chose à Louise en descendant et vous avez peur qu’on l’apprenne.

LOUISE. Ecoutez, je vais tout vous dire comme ça on me laissera tranquille !.. Mademoiselle Pierrette en redescendant m’a demandé de ne pas parler de sa visite et m’a donné dix mille francs.

PIERRETTE. Et je les regrette bien, petite grue…

LOUISE. Comment ?.. Dites donc…

PIERRETTE. Ah ! permettez ! C’est pas un secret ! Vous couchez avec tout le pays !!!

LOUISE. Nous couchons donc toutes les deux avec les mêmes !.. Et puisque vous mentez pour me faire avoir des ennuis, je vais encore dire pourquoi vous m’avez donné dix mille francs : parce que, quand je suis entrée dans la chambre, vous étiez en train de dire à Monsieur : « Si tu ne me donnes pas cet argent, je te tue ! »

PIERRETTE. C’est faux ! Je disais : « Je me tue. »

LOUISE. Non ! Je te tue !

 

Elles se battent en s’injuriant. Soudain le volet claquent et elles poussent un cri général. Un silence.

 

GABY. Assis ! Et que personne ne bouge…

 

Elles s’assoient à contre-cœur.

 

MAMY. Où allons-nous ? Nous perdons toutes la têtes !

CATHERINE. Dans tous les bons romans policiers, c’est comme ça. Et je m’y connais.

LOUISE. J’en ai assez ! Je cours jusqu’au carrefour appeler une voiture ! Elle sort.

Scène XXVIII

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine, Mme Chanel, Pierrette

 

SUZON. Oui, parce que, maintenant, il n’y a pas de doute ! L’assassin est parmi nous…

PIERRETTE, glapit. Prouvez-le !

SUZON. Ce ne peut être qu’une de vous sept. Voilà mon avis. C’est tout.

 

Silence. L’horloge sonne.

 

CATHERINE, vient à elle. Dis donc, Suzon… Tu as oublié d’interroger quelqu’un.

SUZON. Qui ?

CATHERINE. Toi.

SUZON. Moi ?

CATHERINE. Oui, tu as passé en revue nos sept emplois du temps d’hier soir, mais tu as oublié de nous parler… du tien.

GABY. Tu dis des bêtises, Catherine, ta sœur est descendue du train, ce matin, sous mes yeux.

CATHERINE. Erreur, petite mère, erreur !

GABY. Comment, erreur ?

CATHERINE, place son effet. Oui. Suzon était dans la maison hier soir. — Je l’ai vue.

 

Stupéfaction générale.

 

SUZON, voix blanche. Quand m’as-tu vue ?

CATHERINE. Cette nuit… J’ai entrouvert ma porte et je t’ai vue entrer chez papa. Il était quatre heures du matin.

 

Sensation. Les femmes fixent Suzon qui prend peur.

 

SUZON. Je n’ai pas tué mon père ! Je le jure !

GABY. Mais enfin, Suzanne, explique-toi. Cette révélation est bouleversante.

SUZON. Oui… J’ai pris le train avec un jour d’avance. A l’aube, je suis passée par le service. Je suis entrée chez papa et lui ai dit quelque chose de grave que je voulais qu’il soit le seul à savoir. S’il ne m’avait pas approuvée, je ne serais jamais revenue… Il a été merveilleux de gentillesse. Pauvre papa ! Il m’a promis son appui, m’a conseillée de reprendre le train et de refaire une station en arrière. Je lui ai obéi… Je suis partie et suis arrivée ce matin par le train prévu !

GABY. Que devait-il nous dire ?

SUZON, qui a retenu son émotion jusque-là, éclate en sanglots. Je… Je… Je vais avoir un enfant !!

 

Soudain Louise revient, hurlante.

Scène XXIX

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine, Louise, Mme Chanel, Pierrette

 

LOUISE. …Madame ! Madame !

GABY. Qu’y a-t-il ? Vous n’êtes pas partie ?

LOUISE, crie. La grille est bouclée. On ne peut pas sortir du parc. Nous sommes enfermées !

 

Elles se regardent.

 

RIDEAU


ACTE DEUXIEME

Début de l’après-midi. Ciel bas. Toutes en scène, silencieuses, accablées.

Scène I

Mamy, Suzon, Gaby, Catherine, Augustine, Louise, Mme Chanel, Pierrette

Gaby actionne un appareil de T.S.F. qui crache… Puis :

 

LE SPEAKER. « Météorologiques… les chutes de neige persistent. La tempête fait rage sur les côtes où certaines routes sont impraticables. La neige et le froid ont fait de nombreuses victimes… »

 

Gaby ferme la T.S.F., puis soupire.

 

GABY. Eh bien, mesdames !.. Ça ne s’arrange pas !

 

Un silence. L’horloge sonne deux coups.

 

Madame CHANEL. Deux heures !.. Vous devriez prendre quelque chose… J’ai servi, dans la salle à manger, un petit repas froid…

AUGUSTINE, gourmande. Ah oui ? Qu’est-ce qu’il y a à manger ?

MAMY. Augustine !

AUGUSTINE. Quoi ! Ce n’est pas parce que nous sommes coupées du monde qu’il faut mourir de faim !

 

Mamy la regarde avec réprobation. Augustine se tait. Mme Chanel s’éloigne vers la baie, découragée. Suzon s’est levée, elle passe devant sa mère, implorant un regard.

 

SUZON. Maman !

GABY. Tu oses encore me regarder ? Tu as une autre révélation à me faire ?

SUZON. Non, maman, je t’ai tout dit.

GABY, s’exaltant. Une fille ! Voilà ce que tu es ! Une fille !

PIERRETTE, qui lit un magazine. Ce sont des choses qui arrivent !..

GABY. Dans votre milieu sûrement ! Dans le nôtre, on se marie, avant !

PIERRETTE. Vous retardez ! Il n’y a plus « milieux » à présent… C’est ça le progrès !

GABY. Il faut que je la félicite, sans doute… d’attendre un enfant ?

PIERRETTE. Laissez-la donc tranquille ! Vous feriez mieux de…

GABY. Nous nous passerons de vos conseils !

PIERRETTE. Oh ! moi, ce que j’en dis !

MADAME CHANEL, pousse soudain un cri, ayant regardé dans le jardin. Vite ! Venez ! Les chiens sont en train de mourir. Je viens de les voir, l’un tout raide et l’autre se tordant. J’en ai les jambes coupées. Venez !

 

Elle sort sur la terrasse, disparait.

 

GABY. Les chiens sont morts ?

AUGUSTINE. Empoisonnés, c’est sûr !

 

Elles sortent derrière Mme Chanel.

 

MAMY. Ne touchez à rien !

LOUISE. Le poison pour les rats !

 

Elle sort vers l’office.

Scène II

Mamy, Suzon, Catherine, Pierrette

 

SUZON. Mon dieux ! Qu’est-ce que je vais devenir ?

PIERRETTE, à Suzon, gentiment. Au point où nous en sommes, ne vous en faites pas trop ! Le temps arrange tout…

MAMY, qui grogne dans son coin avec son tricot. Il la conduira sans doute là où vous êtes ! Jolie perspective !

PIERRETTE. Occupez-vous de votre tricot, pas de ma perspective ! Vu ?

 

Pierrette, écœurée, va se replonger dans son journal. Alors Suzon voit Catherine la tête dans les mains.

 

SUZON, se jetant sur sa sœur et l’entourant de ses bras. Catherine !

CATHERINE, qui pleure. Quelle horreure ! J’ai lu ça dans les livres, mais jamais je n’aurais pensé que ça fasse cet effect !

SUZON. C’est impossible à croire.

 

Un temps.

 

Je t’aime beaucoup, tu sais, Catherine. J’ai beaucoup pensé à toi…

CATHERINE. Moi aussi. Alors… tu vas avoir un petit enfant ?

SUZON. Oui ?

CATHERINE. Je n’airais pas dû dire tout à l’heure que tu étais venue…

SUZON, Si, tu as bien fait…

CATHERINE. Comment est-il, ton fiancé ?

SUZON. Grand, blond, avec des yeux verts…

CATHERINE. T’as de la veine. Qu’est-ce qu’il fait ?

SUZON. Il travaille dans une banque.

CATHERINE. La banque est à lui ?

SUZON. Non.

CATHERINE. Il a une bagnole ?

SUZON. Non !

CATHERINE, effarée. Mais alors, il est fauchée ?

SUZON. Tu crois donc encore que l’argent, c’est le bonheur ?

CATHERINE. Il a un frère ?

SUZON. Non.

CATHERINE, déçue. Dommage !

SUZON. Grosse bête, tu as tout le temps de penser à ça. Ce n’est pas de ton âge !

CATHERINE. Mon âge, toujours le même refrain ! Faut pas lire, faut pas suffler dans la rue, ni lancer des pierres, ni fumer… Faut pas… Faut pas… Et zut alors !

SUZON. Catherine !

Scène III

Mamy, Suzon, Catherine, Pierrette,Gaby

Retour de Gaby de la terrasse. Pierrette se lève.

 

PIERRETTE. Alors ?

GABY. Les chiens sont morts ! C’est effrayant ! Les pauvres bêtes !

MAMY. Pourquoi les avoir tués ?

GABY. Je me le demande.

PIERRETTE. Je vais vous le dire : l’assassin a voulu voir si la mort aux rats tuait les êtres humains ! Le voilà renseigné !.. Alors, attendons — nous à en manger dans de brefs délais.

GABY. éclatant. Vous ne voyez donc pas dans quel état nous sommes ?

Scène IV

Mamy, Suzon, Catherine, Pierrette, Gaby, Louise, puis Augustine et Mme Chanel

 

LOUISE, revenant de la cuisine. La boite de mort aux rats a disparu !

GABY. Qui a fait ça ? Qui a juré de nous terroriser à ce point ?

LOUISE. Moi, en tout cas, je ne peux plus respirer. Je fais mes valises.

PIERRETTE. Ah non ! attendez. A partir de cet instant, il est interdit de quitter cette pièce.

 

Augustine, qui était revenue, avec madame Chanel.

 

AUGUSTINE. Je suis de votre avis, si nous nous dispersons, l’assassin frappe une autre fois.

GABY. On croit faire un cauchemar ! Le téléphone coupé, la voiture détraquée, la grille fermée, les chiens empoisonnés… Vous direz ce que vous voulez : je ne trouve pas ça normal ! Que me proposez-vous de faire ?

MAMY. On pourrait peut-être crier ou appeler quelqu’un sur la route !..

GABY. A travers la grille ? Avec cette tempête, qui s’arrêtera ?

MAMY. Mes enfants, c’est un vagabond, ça ne peut être qu’un vagabond.

Madame CHANEL. Mais non ! Il faut se rendre à l’évidence. C’est une de nous huit !

SUZON. Je propose que nous restions dans ce salon jusqu’à ce que… Elle se tait.

PIERRETTE. Jusqu’à ce que ?..

CATHERINE. Jusqu’à ce que l’assassin se trahisse.

MAMY. Pour avoir une nouvelle vicime à pleurer ?

SUZON. Non… En réfléchissant bien, on doit trouver quelque chose.

GABY. Ma pauvre petite, tu passes ton temps à réfléchir et jusqu’à présent sans résultat.

SUZON. Nous savons, au moins, à quelle heure papa a été tué.

MAMY. A quelle heure ?

SUZON. Après quatre heures du matin ! Puisque je l’ai quitté vers cette heure-là.

PIERRETTE. Ah ! ah ! Charmante façon de vous placer, à nouveau, hors du drame !

SUZON. J’ai quitté mon père vivant, je voudrais que l’on me croie.

PIERRETTE. On vous croit ! Seulement, chacune se dit innocente et il y a pourtant une coupable entre ces quatre murs.

SUZON, découragée. Oui. C’est un cercle fermé…

CATHERINE. Il n’y a pas de cercle fermé dans la mécanique policière ! Parmi nous, une ment, c’est l’assassin, oui ! Et ce qui l’aide à se cacher, c’est que tes autres mentent aussi, pour des raisons autres que le meurtre ! Croyez-moi, pour découvrir l’assassin, il faudra que vous vous découvriez d’abord…

 

Un silence lourd.

 

AUGUSTINE, agressive. En tout cas, je préviens la meurtrière que je suis armée.

GABY. Je la préviens que… moi aussi !

 

Et soudain, ensemble.

 

GABY et AUGUSTINE. Dans ce tiroir, il y a un revolver !

 

Affolées, elles se précipitent toutes deux vers le bureau en se disputant.

 

AUGUSTINE. Moi d’abord ! J’y ai pensé la première !

GABY. C’est le revolver de mon mari ! Assez !

 

Gaby se penche, fouille. Elle nous fait face, défigurée par la peur.

 

AUGUSTINE. Quoi ? Elle constate à son tour. On a volé le revolver !

GABY. Nous sommes perdues !!!

CATHERINE. Je vous dis et vous répéte que nous avons la chance d’être cloîtrées et vous ne voulez pas en profiter ! Tant que l’assassin est entouré de sept temoins, il ne fera rien ! On est sept contre un. Si on se disperse, on est cuites… Tiens, vous avez entendu parler d’Horace, qui, pour tuer tranquillement les trois Curiace, les a séparés ? (Tu vois, maman, j’ai quand même retenu ça de mes études !) Et bien ! C'est pas le moment de jouer les Curiace et de se faire descendre l’une après l’autre… Si l’une de nous quitte la pièce… Pfft ! Nous sommes trois de moins dans un quart d’heure !

AUGUSTINE, soudain. Ecoutez ! Je vais dire quelque chose… Et patatrac, elle s’effondre de toute sa hauteur.

MAMY. Augustine !.. Elle se trouve mal…

 

On se précipite.

 

SUZON, à Catherine. Tu vois ce que tu as fait ?

CATHERINE. Oh ! La ! La !.. Quelle mauviette !

 

On a allongé Augustine sur le canapé.

 

MAMY. C’est son cœur. Il faut lui faire sa piqûre. Madame Chanel, faites bouillir de l’eau.

 

Madame Chanel sort. A Suzon.

 

Va chercher sa boîte d’ampoules.

SUZON. Où est-elle ?

MAMY. Dans le tiroir de sa table.

 

Suzon se dirige vers l’escalier, marque un temps de frayeur, ne bouge plus.

 

GABY, désignant Augustine. Il ne nous manquait plus que ça !

 

Elle voit Suzon clouée sur place.

 

Va les chercher, Suzon… Dépêche-toi !.. Du courage !

 

Suzon disparaît à l’étage.

Scène V

Mamy, Catherine, Pierrette, Gaby, Louise, Augustine

 

MAMY. Sa piqûre va la ranimer ! Louise, allez chercher votre trousse d’infirmière.

LOUISE. Quoi ? Ah non ! Je ne ferai pas la piqûre. J’ai été trop bonne jusqu’à ce jour. Pour l’ingratitude que je récolte…

MAMY. Louise, vous ne pouvez pas refuser de…

LOUISE. Débrouillez-vous ! J’ai été engagée comme domestique, pas comme infirmière. J’ai rendu service, mais c’est parce que j’ai bien voulu. Aujourd’hui, je ne veux plus.

MAMY. Il n’y a que vous ici qui sachiez faire les piqûres. Vous ne pouvez pas refuser. C’est criminel.

LOUISE. Criminel ou pas, c’est pareil. Ah ! ce serait trop facile ! On me traite comme la dernière des dernières ! On m’accuse ! On m’insulte ! Tout ça parce que je suis la femme de chambre… Et puis tout à coup, crac, fini ? Il faut que j’ouvre mon cœur et que je ranime les mourants ? Rien à faire. Mademoiselle Augustine a été trop méchante avec moi. Débrouillez-vous !

GABY. Non assistance à une personne en danger de mort, c’est la correctionnelle et la prison. Le savez-vous ?

LOUISE. J’ai donné mes huit jours.

PIERRETTE. Louise, réfléchissez. Vous vous mettez une mauvaise affaire sur les bras. Croyez-moi. Faites la piqûre. Conseil d’amie.

LOUISE. Bon, ça va…

MAMY. Merci, Louise… Merci…

LOUISE. Oh ! les merci…

 

Elle sort.

Scène VI

Mamy, Catherine, Pierrette, Gaby, Augustine, Suzon

 

SUZON, apparaissant en haut de l’escalier. Je ne trouve rien dans la chambre d’Augustine !

MAMY. Elle a la manie de tout déplacer… Je vais avec toi.

 

Elles disparaissent.

Scène VII

Catherine, Pierrette, Gaby, Augustine

 

CATHERINE. Tante Augustine est toute pâle…

GABY. N’ai pas peur, elle va revenir à elle… La piqûre lui fera du bien…

CATHERINE. C’est pas du chiqué ? Elle est vraiment évanouie ?

GABY. Mais tais-toi donc !

Scène VIII

Catherine, Pierrette, Gaby, Augustine, Louise

 

LOUISE, revenant avec sa trousse. Ce que je me mords les doigts d’avoir dit en arrivant ici que j’avais mon diplôme d’infirmière… Si mademoiselle Augustine meurt en route, on dira que j’ai mal fait la piqûre… Je ne suis pas au bout de mes peines. Le jour où je suis entrée ici, j’aurais mieux fait de me casser la jambe… Alors, ces ampoules, ça vient ?

GABY. Mais qu’est-ce qu’elles font ?

CATHERINE. Tu veux que j’aille voir ?

GABY. Reste ici.

Scène IX

Catherine, Pierrette, Gaby, Augustine, Louise, Mamy, Suzon

Apparaissent Mamy et Suzon, l’air inquiet.

 

SUZON. Nous ne trouvons rien !

MAMY. Je ne comprends pas. Il n’y a plus un seul médicament dans la chambre d’Augustine !

PIERRETTE. Qu’est-ce que ça veut dire ? On aurait fait disparaître les remèdes… volontairement ?

MAMY, à Augustine. Ma petite fille… Augustine…

GABY. Peut-être les a-t-elle jetés…

MAMY. Non ! On les a jetés… On a voulu tuer Augustine, indirectement.

SUZON. Je vais encore fouiller.

 

Elle remonte l’escalier.

Scène X

Catherine, Pierrette, Gaby, Augustine, Louise, Mamy

 

PIERRETTE. Faites quelque chose ! Il faudrait lui mettre de l’eau sur la tête non ?

GABY. Un torchon mouillé ! Giflez-la !

AUGUSTINE, ouvrant un œil. Je t’entends, Gaby, tu veux me gifler !..

GABY. St tu m’entends, c’est que tu es encore en vie. Tant mieux !

MAMY. Ma petite, comment te sens-tu ?

AUGUSTINE. C’est terrible. J’ai le cœur arrêté.

MAMY. Il ne faut pas bouger. Il va repartir.

AUGUSTINE. Je veux… je veux une piqûre…

 

On se regarde, sans oser rien dire.

 

GABY. On est allé les chercher.

MAMY. Sont-elles dans la table ou ailleurs ?

AUGUSTINE. J’en ai dans la table avec tous les cachets et aussi dans le placard avec tout le reste…

MAMY. …Tu ne les as pas changées de place ?

AUGUSTINE. Mais non… Quelle idée !

 

On se regarde.

 

Ma piqûre !

MAMY, mentant. Je ne sais pas si ça te ferait du bien…

AUGUSTINE. Mais je vais mourir, maman !

GABY. Mais non, tu ne vas pas mourir ! Tu t’évanouis deux fois par jou !

MAMY, geste d’impuissance aux autres. Ma petite…

 

Un temps.

 

AUGUSTINE. Quoi ? Personne ne bouge ? Personne ne parle ? Ah !.. j’ai compris ! Vous me regardez mourir… Vous êtes toutes d’accord… Vous allez me laisser crever comme un chien des rues. Ah ! non, alors… Ne me touche pas, maman. Je vous enterrerai toutes… Louise, ma piqûre.

PIERRETTE. On voudrait bien, ma belle, mais tous vos médicaments ont disparu !

AUGUSTINE. Disparu ?

MAMY. Nous n’osions pas te le dire…

AUGUSTINE, retombant dans les bras de sa mère et soudain mélodramatique. Parfait ! Je vais débarrasser la maison ! Je vais partir comme j’ai vécu : sans secours, sans aide… Toute seule ! Toujours seule. Avec mon cœur tout malade et tout vide… Il n’y avait que Marcel de propre ici… Vous l’avez tué avec votre laideur ! Et pour moi, c’est bien fini aussi…

CATHERINE. « Gondoles des Amants », chapitre 8 !

Scène XI

Catherine, Pierrette, Gaby, Augustine, Louise, Mamy, Suzon

 

SUZON, arrivant avec une énorme feuille de journal remplie de boites de toutes les couleurs. J’ai trouvé les médicaments…

AUGUSTINE, toute ravie, battant des mains. Sauvée !.. Sauvée !..

MAMY, se rue sur le paquet et fouille. Tiens, les voilà tes piqûres… Elle a trouvé la boîte. Vite, Louise, votre trousse… Madame Chanel, l’eau bouillie !

 

On se précipite.

 

MAMY. Viens dans le salon, sur le canapé.

AUGUSTINE. Eh bien ! soutiens-moi, maman !

 

Mamy soutient Augustine et elles sortent par la porte de gauche. Catherine leur emboîte le pas.

 

GABY. Catherine, reste ici.

CATHERINE. Je veux voir faire la piqûre… Elle se sauve.

 

Madame Chanel traverse la pièce avec une casserole et une serviette et elle disparaît.

 

LOUISE. Quelle journée !.. Je m’en rappellerai ! Elle fait gicler la seringue et fonce vers le salon, venimeuse. Elle est sortie.

Scène XII

Pierrette, Gaby, Suzon

 

PIERRETTE, faisant face à Suzon. Où avez-vous trouvé les médicaments ?

SUZON. Le vol ne devait pas remonter à plus d’une heure, car Augustine, qui est retournée dans sa chambre, s’en serait aperçue. Le voleur — que dis-je, la voleuse ! — n’a pas eu plus de deux ou trois minutes pour agir. Elle a donc déposé le paquet où elle a pu. J’ai fouillé les chambres. C’était sous un lit.

GABY. Lequel ?

SUZON. Le tiens, maman.

GABY, soufflée. Sous le mien ?? C’est incroyable. On a voulu me compromettre.

SUZON, ambiguë. Sans doute.

GABY. Qui peut nous en vouloir à ce point ? Il s’agit d’un ennemi de la famille. Rien ne s’explique autrement… « Qui n’est pas de la famille ? » Voilà le problème.

PIERRETTE. C’est aimable pour moi !

GABY. Vous avez trop d’intérêts dans la maison. Ça vous lie à nous.

PIERRETTE. Des intérêts ? Je ne vois pas.

GABY. Faites l’innocente. Vous savez très bien que Marcel a pensé à vous dans son testament !

PIERRETTE. Il vous l’a dit ou vous le supposez ?

GABY. Il me l’a dit. Il y a huit jours. Il m’a annoncé qu’il vous laissait deux millions.

SUZON. Mais c’est une grande nouvelle, maman ! Tu ne nous disais rien !

GAFY. Mais… je n’y pensais plus…

PIERRETTE. Ce que vous avez dû pester !

GABY. Oh ! pas tant que vous croyez. J’étais si contente de me débarrasser de vous à ce prix-là.

PIERRETTE, émue, dirait-on. Tiens ! Marcel a donc eu un geste…

GABY. Il a dû prendre rendez-vous avec son notaire, dans les jours qui ont suivi… et lorsque vous avez été certaine de votre héritage…

PIERRETTE. Voyez-vous, ma version est différente, Marcel n’avait pas encore testé en ma faveur, mais allait le faire. Vous avez alors agi… de toute urgence !

GABY. Quelle horreur !

PIERRETTE. Le testament a-t-il été fait, oui ou non ? S’il a été fait, les doutes tombent sur moi. Mais… s’il n’est pas encore fait, les soupçons tombent sur vous.

SUZON. Je peux vous renseigner sur ce point. Le testament n’est pas fait.

 

Pierrette triomphe et s’éloigne en ricanant. Suzon s’explique à sa mère.

 

Hier soir, quand j’ai vu papa… il m’a parlé d’une chose relative à un testament!.. Il m’a dit : « Tu as bien fait de m’avouer tout… Je comptais aller chez mon notaire demain. Je penserai à toi. Promis. »

GABY, explosant. Ingénieuse façon de dire : « Je n’ai pas tué mon père, car le lendemain, il allait me coucher sur son testament », et ignoble façon de m’accuser du crime ! Tu es monstrueuse de parler de cette façon à ta mère, Suzon !

SUZON. Je ne t’ai pas accusée, maman. J’ai dit ce qui était.

GABY. Tu oses me regarder et me donner des leçons dans l’état où tu es ! Moi, je peux encore te regarder en face…

 

Elle prend Suzon par le bras.

 

Regarde-moi, regarde ta mère et ose répéter ce que tu as dit.

SUZON, éclatant en san flots. Maman…

 

Elle se jette contre elle.

 

GABY. Je ne me remettrai jamais de toutes ces horreurs !

PIERRETTE, qui ricane de loin. Bien jouée la scène du mélodrame !

GARY. Ah ! vous ! Taisez-vous… Dites-nous plutôt où vous étiez la nuit dernière ?

PIERRETTE. Ce n’est pas à vous que j’en rendrai compte. Mais à la police. Une personne chez qui j’étais pourra témoigner pour moi.

GABY, méprisante. Un homme, sans doute ?

PIERRETTE, est prête à répondre, puis. Vous me l’avez déjà demandé et je n’ai pas répondu. Elle remonte vers la baie.

GABY. C’est vous qui avez mis les médicaments sous mon lit, pour me faire du mal. Vous me détestez ! Ça se voit !

 

Pierrette lui lance une bouffée de cigarette au nez et disparaît au fond. Un temps.

 

Suzon… Tu as regardé sous mon lit ?..

 

Un temps.

 

SUZON. Oui, maman. J’ai vu.

GABY. Tu as vu ?

SUZON. Oui. J’ai vu tes valises. Prêtes, garnies, bondées. Tu comptais faire un voyage ?

GABY. Ben…

 

Un temps. Elles se regardent.

Scène XIII

Pierrette, Gaby, Suzon, Louise

 

LOUISE, sortant du salon. Ça y est ! La piquée est piquée !

 

Elle disparaît par la porte de l’office.

Scène XIV

Pierrette, Gaby, Suzon, Catherine, Mamy

 

GABY, qui veut vite parler d’autre chose. Et elle ? Tu crois qu’elle n’est pas d’une insolence inquiétante ?

CATHERINE, rentrant. Oh ! c’est formidable les piqûres. Crac !.. et tu te sens mieux. Elle est suivie de Mamy.

GABY. Sais-tu, maman, où on a retrouvé les médicaments ? Sous mon lit.

MAMY. Non ? Qui a pu faire ça ?

CATHERINE. Tout le monde, tiens. Puisque nous nous sommes toutes baladées dans la maison.

MAMY, voyant Louise qui revient de la cuisine. Et Louise qui refusait de faire la piqûre ? Vous trouvez ça normal ?

CATHERINE. Ben oui, quoi ! Vous lui avez dit des sottises… Ceci dit, c’est une bien curieuse personne…

 

Elle vient sur elle.

Scène XV

Pierrette, Gaby, Suzon, Catherine, Mamy, Louise

 

LOUISE, qui recule. Qu’est-ce que j’ai encore fait ?

CATHERINE. Louise, dites-nous les noms des garçons qui vous écrivent ici. J’ai vu des tas de lettres dans votre tiroir…

LOUISE. Menteuse !..

CATHERINE. Je vous ai suivie, un soir…

LOUISE, au bord des larmes. Vous mentez… Mais je dirai aussi tout ce que je sais sur vous !

CATHERINE Allez-y ! « De la discussion jaillit la lumière ».

LOUISE. J’ai trouvé sous votre matelas des livres drôlement salés, avec des illustrations.

GABY. bondit. Pourquoi ne m’en avez-vous rien dit ?

LOUISE. Ça dépasse mes attributions. Je me suis contentée de les confisquer.

CATHERINE. Ah ! c’est vous ?

GABY. Catherine, où as-tu pris ces livres ?

CATHERINE. Je les ai barbotés en sortant du collège. Ils étaient en devanture d’un kiosque de journaux. C’est une honte ! Hop ! ni vu, ni connu !

MAMY, fonçant sur Louise avec sa canne. C’est Louise qui fouille sous les matelas, les oreillers !! Mon argent ! Mon argent ! Voleuse !..

LOUISE, qui recule. Doucement !..

MAMY. Louise fouille sous les lits… Et elle va nous dire… tout ce qu’elle a vu sous les lits…

 

Louise s’est retournée vers Gaby. Silence. Elles se regardent. Madame Chanel attirée par les cris, est entrée.

 

LOUISE. Sous les lits ?

CATHERINE. Louise, parlez ! Parlez ! Personne ne vous punira ! Ah ! si le Syndicat des Gens de Maison vous voyait, il en crèverait de joie !

SUZON. Si personne n’a rien de précis à reprocher à Louise, nous pourrions la laisser en paix, non ?

MAMY, attaque. Moi, j’ai des choses à lui reprocher… Sans parler de la piqûre qu’elle refusait de faire à Augustine… je dois dire que, un jour, j’ai vu cette fille ouvrir une lettre qui m’était destinée !

LOUISE. C’était une erreur !

MAMY. Oh ! une erreur !

Scène XVI

Pierrette, Gaby, Suzon,Catherine, Mamy, Louise, Mme Chanel

 

Madame CHANEL, intervient. Parfaitement, une erreur ! Je suis obligée de témoigner pour Louise. C’est moi qui vais retirer le courrier de la boite, depuis dix ans… Louise ne l’approchait jamais. Louise ne pouvait rien dérober. C’est ma faute si, un jour, j’ai donné une lettre de Madame à Louise. En voiîà une affaire ! On peut se tromper !

MAMY. J’avais un mandat dans cette lettre.

Madame CHANEL. Et après ? On peut se tromper, on peut donner une enveloppe pour une autre ! Tout le monde peut faire une erreur… J’en fais souvent des erreurs. Tenez ! J’ai surpris un jour Madame votre grand-mère en train de boire au goulot d’une bouteille de porto. Eh bien ! c’était une erreur ! Elle me l’a bien expliqué : elle regardait dedans pour voir si la bouteille était vide !.. Et je ne suis pas allée raconter partout que vous étiez une poivrote !

LOUISE. Merci, Chanel.

MAMY, contre-attaque. Madame Chanel, puisque vous êtes si honnête, vous allez nous expliquer pourquoi — alors que vous avez dit être partie de la maison vers minuit — pourquoi j’ai vu votre manteau et votre fichu accrochés dans le vestibule de l’office et cela vers une heure et demie, quand je suis descendue chercher ma laine au salon… Vous avez la répartie si facile ! Répondez !

 

Un silence. Mamy triomphe.

 

Répondez donc !

Madame CHANEL, après un temps. Oui, je suis revenue dans la maison vers une heure du matin !

SUZON. Pourquoi ne l’avais-tu pas dit ?

Madame CHANEL. Je ne pensais pas que les choses en arriveraient là ! Je croyais qu’on allait arrêter le coupable tout de suite.

SUZON. Pourquoi as-tu éprouvé le besoin de revenir ici après minuit ?

Madame CHANEL. En quittant la maison, je suis allée droit à mon pavillon où j’avais laissé Pierrette. Elle était là depuis 9 heures du soir. Nous comptions faire une partie de cartes… Quand je n’ai trouvé personne chez moi, j’avoue que j’ai eu peur…

SUZON. Peur ?

Madame CHANEL. Non, ce n’est pas le mot… Je veux dire que j’ai pensé qu’on s’était croisées… que Pierrette avait dû venir voir Monsieur ! Je craignais leurs rencontres, leurs différends, leurs disputes !

PIERRETTE, qui bondit dans la pièce comme un démon. Aaah ! Madame Chanel, bravo ! Vous faites du bon travail ! Dites plutôt que vous êtes revenue par besoin ! Par besoin de jouer ! Ça vous tient, la passion de poker… hein ?

Madame CHANEL. Si vous voulez insinuer…

 

Suzon les sépare et prend Chanel par le bras.

 

SUZON. Chanel, tu est donc montée chez papa vers une heure ?

Madame CHANEL. Oui.

SUZON. Et tu y as retrouvé Pierrette ?

Madame CHANEL. Oui.

SUZON. Que disaient-ils ?

Madame CHANEL. Rien.

SUZON. Comment rien ? Ils ne disaient rien ? Que faisaient-ils ?

Madame CHANEL. Ben !.. Ils jouaient aux cartes !

GABY, bondit, sidérée. Qu’est-ce que vous dites ? Mon mari jouait aux cartes aussi ?

Madame CHANEL. Oui, madame…

GABY. Depuis quand ?

Madame CHANEL, qui désigne Pierrette. Depuis…

PIERRETTE. Depuis mon arrivée ici, sans doute ?

Madame CHANEL. Oui.

PIERRETTE. C’est faux ! Marcel courait les tripots à tous ses voyages à Paris. Je vous en parle en connaissance de cause. C’est moi qui le pilotais… Alors qu’on ne vienne pas me coller ses défauts sur mon compte. Et vous, c’est sans doute depuis mon arrivée aussi que vous avez cette passion des cartes, du jeu, du P.M.U., etc. Vous et Marcel étiez deux innocents, sans doute, à qui j’ai passé la peste ?

Madame CHANEL. Oh ! non ! Moi, je joue depuis toujours Seulement, depuis votre arrivée, je perds plus souvent… C’est tout.

PIERRETTE. Vous avez englouti toutes vos économies et, à présent, vous allez dire que je triche et vous vole ?

Madame CHANEL. Je ne dis rien. Parce que…

PIERRETTE. …Parce que quoi ?

Madame CHANEL. Parce que je n’ai pas de preuves !

PIERRETTE. Quand on n’a pas de preuves, on se tait ! Elle s’éloigne, moqueuse.

Madame CHANEL, aux autres. Mettez-vous à ma place : j’avais deux as de cœur !!! Elle comprend qu’elle s’enlise et pleure dans ses mains.

SUZON. Ma Chanel ! Toi !

Madame CHANEL. Suzon… Je te jure que je suis incapable d’avoir fait quelque chose de mal ! Ne crois pas ça de moi, ma petite fille…

MAMY. Mais alors, Marcel, Pierrette et Madame Chanel, ils jouaient tous les trois ?

CATHERINE. Tu regrettes de n’avoir pas fait la quatrième pour jouer tes titres ? Elle évite un coup de canne.

GABY. Madame Chanel ! Vous qui aviez toute ma confiance ! Vous à qui j’ai laissé l’honneur d’élever mes filles…

Madame CHANEL. Fallait bien que j’ai l’honneur de les élever, Madame ! Si elles n’avaient eu que vos attentions, elles n’auraient pas eu grand-chose !

GABY. Oh ! c’est la première et la dernière fois que j’entends de pareils propos. Quand la police arrivera, je ne vous épargnerai pas, madame Chanel.

Madame CHANEL. Comme vous voudrez, Madame. Je n’ai rien à cacher, moi !

SUZON, qui reprend Madame Chanel par le bras. Chanel as-tu joué longtemps au poker, hier soir avec papa et Pierrette ? Réponds !

Madame CHANEL. Oui. Plus d’une heure…

SUZON. Tu as gagné ?.. Perdu ?..

Madame CHANEL. Perdu. Bien sûr !

SUZON. Perdu combien ?.. Car je suppose que vous ne jouez pas pour rien ! Combien ?

PIERRETTE. …300 000 balles !

SUZON Tu as payé ?

Madame CHANEL. Non… J’ai emprunté.

SUZON. A qui ?

Madame CHANEL. A Monsieur…

 

Sensation générale.

 

Je l’ai quitté vivant ! Jamais je n’aurais pu faire cette horreur ! Je suis sortie, en laissant Monsieur et Pierrette continuer la partie. Je le jure !

SUZON. Pierrette, vous êtes donc restée seule avec mon père ? Qu’avez-vous fait ?

PIERRETTE. Rien. On a bavardé…

Madame CHANEL, éclatant de rage. C’est pas vrai ! Vous avez ri ! Je vous ai entendus. Vous avez ri de moi Vous avez ri parce que vous aviez triché tous les deux. Vous avez ri parce que vous m’aviez volé 300 000 francs !

PIERRETTE, se dresse livide. Et hop là ! Vous venez de vous trahir ! Le doute n’est plus possible. C’est vous qui avez tué Marcel…

Madame CHANEL. J’ai ma conscience pour moi… Je ne me suis pas retirée en province pour me garer d’une mauvaise affaire… moi !

 

Elles s’affrontent du reggard.

 

SUZON. Chanel, tu les as entendus rire ? Alors ? Qu’as-tu fait ?

Madame CHANEL. Rien. J’ai pleuré. Elle cache son visage. Qu’on me laisse tranquille à présent ! Je n’ai plus rien à dire.

 

Elle monte l’escalier et disparaît en pleurant.

Scène XVII

Pierrette,Gaby, Suzon,Catherine, Mamy, Louise

 

SUZON. Pierrette, c’est donc vous désormais qui êtes la dernière à avoir vu mon père vivant !

PIERRETTE. Ah ! non ! Louise a dû le voir, plus tard et… de plus près !

LOUISE. Oh ! Pourquoi voulez-vous que je sois remontée voir Monsieur ? C’est de la calomnie !

PIERRETTE. Marcel et cette fille se connaissaient depuis cinq ans.

GABY. Qu’est-ce que vous dites ?

PIERRETTE. Oui… Cinq ans de garçonnière, de week-ends clandestins… Cet hiver, ici, la place de femme de chambre a été libre. Louise s’est fait engager… C’est ce qu’on appelle : s’installer à domicile !

LOUISE. Vous feriez mieux de vous occuper de vos affaires. Elles sont assez mal en point !

GABY, pincée. Louise… Que devons-nous penser de ce que nous venons d’entendre ?

LOUISE. Ben…

GABY. Vous connaissiez Monsieur avant ?

LOUISE. Oui.

GABY. Et vous avez décidé d’un commun accord, que vous alliez faire la femme de chambre ?

LOUISE. Oui.

GABY. Et vous avez accepté cette corvée facilement ?

LOUISE. Oui.

GABY. Pourquoi ?

LOUISE. Parce que… parce que… nous… nous… plaisions. (Elle se met soudain à pleurer.)

Scène XVIII

Pierrette, Gaby, Suzon, Catherine, Mamy, Louise, Augustine

La porte s’ouvre et Augustine paraît bien vivante, se frottant les mains.

 

AUGUSTINE. J’en entends de belles ! Pas besoin d’écouter aux portes, vous hurlez !

MAMY. Comment te sens-tu, Augustine ?

AUGUSTINE. Je ne suis pas encore enterrée… C’est pas joli-joli tout ça ! Pauvre Marcel ! Il était bien à plaindre avec vous toutes.

GABY, acide. Tu l’aurais volontiers consolé, n’est-ce pas ?

AUGUSTINE. C’est ça ! Jette ta colère sur moi pour masquer le fait que tu as surpris Marcel et Louise ensemble et que tu t’es vengée, plus tard, dans la nuit… Pan !

GABY, outrée. Tu oses dire ça devant mes filles ?

AUGUSTINE. Ah ! tes filles ! Elles sont jolies !

CATHERINE. Merci !

AUGUSTINE. Catherine est la méchanceté et la paresse réunies. Ses romans lui ont tourné la tête. Je ne serais pas étonnée qu’elle mijote quelque médisance sur moi… et Suzon va avoir un enfants ! Bravo !

GABY. Ce n’est pas à toi de juger.

AUGUSTINE. On me juge bien, moi ! Suzon est enceinte ! Quand je pense qu’elle nous a interrogées comme la justice descendue de son socle. De mon temps, on respectait les jeunes filles parce qu’elles se respectaient. A présent, elles vont au cinéma, au café, elles fument, portent des pantalons, font du camping et se font faire des enfants… Tant pis pour elles ! Ta négligence dans l’éducation de tes filles porte ses fruits…

GABY. Puisque tu sais si bien élever les enfants, pourquoi n’en as-tu pas fait une douzaine ?

AUGUSTINE, drapée dans sa dignité. On m’a respectée, moi !

GABY. Oui ! Mais quel résultat !

 

Tontes ricanent de la réplique et Augustine ne sait que répondre.

 

MAMY, éclatant de colère. Elle ne mérite pas que vous la traitiez ainsi ! Elle est seule et moi je suis vieille, mais je vous avertis toutes que la première qui attaque encore Augustine, c’est à moi qu’elle aura affaire.

GABY, qui se lève et s’en va à elle lentement. — Si tu voyais tes yeux ! Tu es une coléreuse, maman, et une ingrate. J’aurais dû te laisser croupir dans ta province.

MAMY. Quoi ?

 

Elle a honte soudain et se laisse tomber dans un fauteuil. Catherine vient vers elle.

 

SUZON. L’assassin est très fort. Il se cache derrière nos défauts, nos faiblesses, nos mensonges…

 

Un temps très long.

 

CATHERINE. Joli tableau de famille !

GABY. Ma petite Catherine, j’aurais tout donnr au monde pour que tu ne sois pas ici, avec nous, aujourd’hui…

CATHERINE. Oh ! tu sais, je ne dépare pas le lot… Et si nous reprenions la conversation au moment où tante Augustine s’est évanouie? Je disais qu’en nous dispersant, l’assassin, comme Horace, pouvait frapper. Nous nous sommes dispersées…

SUZON. Et aucun meurtre n’a eu lieu !

CATHERINE. Et aucun meurtre n’a encore eu lieu !.. Donc il est en marche !

PIERRETTE. Elle n’a pas tout à fait tort… L’une de nous a pu préméditer quelque menace.

SUZON. Cette façon de vivre dans la terreur de sa voisine est intolérable.

CATHERINE, perfide. Moi, à ta place, tante Augustine, je serais inquiète. L’assassin a dérobé tes ampoules, les a mal cachées ! Comme s’il voulait qu’on les retrouve vite… Et tu t’es quand même fait piquer avec ! Tu es courageuse…

LOUISE. L’ampoule était intacte.

CATHERINE. Je n’ai pas dit que vous aviez mis du poison dans la seringue.

GABY, à Catherine. Tu te tais, dis, tu te tais ? Tu as juré de nous rendre folles ? Tu te tais, oui ou non ?

AUGUSTINE, verte de peur. C’est vrai… J’ai l’impression que mes piqûres ne me font pas le même effet… On a peut-être ouvert l’ampoule…

GABY. Toi aussi, tais-toi…

 

Soudain une espèce d’explosion ébranle l’air. Cris et affolement.

Scène XIX

Pierrette, Gaby, Suzon, Catherine, Mamy, Louise, Augustine, Mme Chanel

 

Madame CHANEL, arrivant du premier étage. C’est le chauffe-bain qui a éclaté ! On avait éteint la flamme de la veilleuse. J’ai voulu rallumer : tout a explosé ! L’eau fuit. Je ne sais plus que faire… Donnez-moi des chiffons… N’importe quoi ! Des journaux !

 

Affolement général. Chacune cherche.

 

GABY, tendant un coussin du fauteuil à Madame Chanel. Tenez !

MAMY, s’emparant du coussin. Ah non ! pas celui-là… Ce n’est pas possible.

GABY. Maman, donne ce coussin !

MAMY. C’est ridicule, il est tout neuf !

 

Bataille pour le coussin entre Gaby et Mamy. Chacune tire d’un côté. Enfin, le coussin se déchire de part en part et une nuée de papiers roses et bleus s’envole dans la pièce. L’assistance est médusée… Madame Chanel, écoeurée, regagne les étages. Sans un cri, Mamy est tombée à genoux et ramasse son argent.

 

CATHERINE. Oh ! le fric de grand-mère !

GABY. Tes titres ! Je croyais qu’on te les avait volés ! Tu les cachais dans ce coussin !

PIERRETTE. Pas très solide le coffre-fort, même !

AUGUSTINE, fonçant sur Mamy. Et ma part ? Avare, menteuse, assassin, voleuse !

MAMY, repoussant Augustine. C’est mon argent. Si je vis encore vingt ans, qui me nourrira ? Je veux vivre encore vingt ans… Soudain. Il me manque des actions !

AUGUSTINE, qui regarde les actions. Mais… elles ne valent plus rien ! Tu peux les jeter !

MAMY, glapit. Si on jetait ce qui ne vaut rien, j’en connais qui ne seraient pas de ce monde !..

AUGUSTINE. Où as-tu caché l’argent liquide, hein ? Les louis d’or de papa, hein ?

GABY. Vous n’avez pas honte, c’est effrayant ! Ça fait deux heures qu’on n’a pas entendu une pale sensée…

Madame CHANEL, réapparaissant en haut de l’escalier, fait soudain sensation. Madame ! Madame ! J’ai compris ! J’ai tout compris !

 

On se regarde, interdits.

 

GABY. Qu’est-ce que vous avez compris ?

Madame CHANEL, elle les regarde dans un silence, puis la porte du père. Oui… Tout compris, enfin… presque…

GABY. Parlez !

Madame CHANEL. Il me manque une dernière preuve. Vous allez toutes rester là… sans bouger ! Je vais sortir sur la terrasse pour vérifier quelque chose. Accordez-moi quelques minutes et je vous rapporte la vérité sur la mort de Monsieur… Mon Dieu ! Est-ce possible ? Mon Dieu !

 

Elle disparaît très vite vers la terrasse.

Scène XX

Pierrette, Gaby, Suzon, Catherine, Mamy, Louise, Augustine

 

MAMY, après un temps. Vous y croyez à ce qu’elle raconte ?

PIERRETTE. Sans aucun doute, elle sait quelque chose.

AUGUSTINE. Elle divague… Où est-elle partie ?

LOUISE. Je vous fais simplement remarquer que personne ne devait sortir et que vous l’avez laissée faire !

GABY. C’est vrai…

AUGUSTINE. Elle nous échappe !..

SUZON. Ce serait elle ?

PIERRETTE. Oui. J’en suis certaine depuis une demi-heure. Maintenant, elle va essayer de fuir… faites quelque chose.

AUGUSTINE. Evidemment, elle sait le nom de l’assasin, puisque c’est elle !

GABY. Elle essaie de compromettre l’une de nous ! Cachons-nous derrières les portes et surveillons-la…

 

Elles sont toutes disparues dans différentes directions, laissant les portes ouvertes. La scène reste vide, puis Madame Chanel apparaît, de ta terrasse.

 

Madame Chanel. C’était bien ça ! Je sais tout… tout… Elle réalise. Où sont-elles ? Pourquoi sont-elles parties ? Où êtes-vous ? Où êtes-vous ?

 

Elle fait quelques pas et se trouve au centre de la pièce. Un coup de feu claque dans l’air. Elle porte la main à son cœur, chancelle et s’abat. Des cris se font entendre et toutes les femmes arrivent, chacune de leur côté l’une après l’autre. Tableau autour de madame Chanel.

 

Gabt. Madame Chanel !

Mamy. Mon Dieu ! Mon Dieu !

Louise. Elle est morte ?

Suzon. Parce qu’elle savait…

 

Un silence. Personne ne bouge.

 

Gaby. En tout cas, nous, maintenant, nous sommes sûres.

PIERRETTE, dans un souffle. Sûres de quoi ?

Gaby. Que l’assassin… ce n’est pas elle !!!

 

RIDEAU


ACTE TROISIEME

Scène I

Louise, Augustine

La nuit est tombée. Les reflets du feu de bois et les lampes allumées ont transformé l’atmosphère de là pièce.

Suzon est entrain de tirer les rideaux avec un certain air craintif, tandis que la pendule sonne sept coups. Soudain, les lumières clignotent. Dehors le vent souffle.

Suzon gagne le premier étage, entendant du bruit. C’est Augustine qui entre, morte de peur. Les lumières clignotent encore et elle frémit, puis soudain, c’est le noir… On ne voit plus que le fond du ciel blafard et le feu.

 

AUGUSTINE. Zut ! Une panne ! Elle se sauve vers le salon.

 

Dehors, quelqu’un craque une allumette et, dans la lueur, on voit une silhouette avec un chapeau d’homme allumer un cigare. L’ombre entre, s’arrête, repart… puis vite se cache derrière le canapé, car Gaby une lampe électrique à la main, traverse le salon et se perd au premier étage. Alors Louise arrive de la cuisine avec un plateau garni de tasses et une bougie allumée. Augustine revient et pousse un cri.

 

Augustine. C’est vous, Louise ?

Louise. Oui… C’est vous, mademoiselle Augustine ?

Augustine. Oui… Que s’est-il passé ?

Louise. C’est le vent qui a dû faire toucher les fils. Un court-circuit !

Augustine. Oh ! ce que j'ai eu peur !

 

Et la lumière revient. Elles font : Ouf !

 

Augustine. Qu’est-ce que vous faites ?

Louise. Madame m’a dit de faire du café pour tout le monde et…

 

Elles voient de la fumée sortir de derrière le canapé. Elles pâlissent.

 

Augustine, dans un souffle. Est-ce que vous voyez ce que je vois ?

Louise. Oui…

Scène II

Louise, Augustine, Catherine

De derrière le canapé apparaît un chapeau d’homme, puis une main gantée qui tient un cigare, enfin une voix dit : Coucou ! » C’est Catherine qui se montre. Elle est habillée d’un grand manteau d’homme. Fureur des deux autres femmes qui l‘injurient. Catherine s’installe très sûre d’elle et en fumant son cigare, elle interroge.

 

Catherine. Qu’est-ce qu’elles font ?

Augustine. Elles ont allongé Chanel sur un lit.

Catherine. Elle a repris connaissance ?

Augustine. Oui ! mais elle ne parle pas ! Une faiblesse ! C’était bien la peine ! La balle ne la même pas touchée !

Louise. Heureusement !

Augustine. Peub !.. Ah oui… bien sûr, heureusement !

Louise. Si on avait tiré sur vous, j’aurais voulu vous voir !

Catherine. L’assassin n’a pas dû vouloir tuer Chanel, mes enfants… ou alors il est drôlement myope… Rater une cible pareille, c’est invraisemblable ! Non. Il a voulu impressionné Chanel. Un ultimatum, une invitation au silence. La preuve, Chanel se tait.

Augustine. En tout cas, moi, si je découvre quelque chose, je me tais aussi ! Ma vie n’est pas merveilleuse…

Louise. Oh ! non !

Augustine. Mais… tout compte fait, j’y tiens !..

Catherine. Tous ces événements t’auront au moins apris à vivre, c’est déjà ça !

Louise. Je suis effondrée. Pas vous ?

Augustine. Oh ! si !

Catherine. Moi, je réfléchis… (Logique.) Si Chanel parle, on la supprime. C’est la loi…

Louise. C’est affreux…

Catherine. Vous ne lisez donc pas les journaux ?

Louise. Si !

Catherine. Un témoin gênant, ça se sucre !

Lohise. Vous dites ça avec un aplomb !

Catherine. Oui, c’est drôle, je suis plus dure que vous toutes… et je fais travailler ma tête… Il faut que je sache.

LOUISE. Vous avez une idée ?

Catherine. Pas une malheureusement, mais vingt.

LOUISE. Vous soupçonnez une de ?.. Elle montre les étages.

Catherine. Oui… Elle place son effet. Vous deux en plus !

 

Augustine et Louise se sont reculées de frayeur.

 

LOUISE. Mademoiselle veut me faire peur ?

AUGUSTINE, aigre. Bien sûr ! Charmante enfant !

 

Un temps.

 

AUGUSTINE, qui trépigne. Qu’est-ce qu’on pourrait faire ?

Catherine, qui se débarrasse du manteau. Nous avons toutes besoin de faire quelque chose… surtout l’assassin ! Ce doit être terrible ! Ça doit produire un drôle de choc de tirer au revolver. Vous avez déjà tiré, vous ?

LOUISE. Non.

Catherine. Et toi, tante Augustine ?

AUGUSTINE. En voilà une question ! Jamais ! Tu me vois en train de… ?

Catherine. Moi non plus. Un jour, j’ai failli. A la foire, papa tirait des fleurs, je lui ai demandé de me passer la carabine… Il a refusé. Il n’était pas toujours gentil, papa. Et le même refrain : « Tu es trop petite, trop petite. » Ah ! vivement mes vingt ans !

LOUISE. Moi aussi, j’étais pressée d’avoir vingt ans. Maintenant je peux faire tout ce que je veux… mais ça ne m’amuse plus autant. Elle s’est appuyée contre la bibliothèque et soudain… elle libère le déclic et la cachette de grand-mère s’ouvre.

Augustine Un placard secret ?

Catherine. Regardez ! Le porto de grand-mère ! Elle en sort une bouteille et des verres. On boit un coup ?

 

Toutes trois s’attablent.

 

Catherine. Vous êtes une brave fille, Louise !

Louise. J’ai parfois été un peu brusque avec Mademoiselle, il ne faut pas m’en vouloir.

Catherine. Je vous en veux d’autant moins que je sais très bien que je suis un vrai monstre.

Louise. Oh ! un monstre !

Catherine. Oui, un monstre. Je suis à tuer.

Augustine, gui s’étrangle avec le porto. Tais-toi, Catherine, tais-toi. Je sens qu’il va y avoir encore un malheur. Je sens la mort qui rôde… J’ai peur!

Catherine. Et moi donc!

Louise. Vous avez peur aussi ?

Catherine. Et comment ! Sans ça, croyez-vous que je ferais autant de bruit ? Ecoutez bien ceci : je dois savoir dans un quart d’heure au plus tard, le nom de l’assassin de papa. Et quand je saurai qui c’est, je l’exécuterai. Moi, toute seule, sans l’aide de personne.

Louise. Ne dites pas ça !

Catherine. Si, je le dis. Avec moi pas de police, je règle mes affaires sans intermédiaires…

Louise. Vous avez des soupçons réels ?

Catherine. Oui…

Louise. Qu’est-ce que je peux faire pour vous aider ?

Catherine. Allez me chercher… le sucrier !

 

Louise, terrifiée, se sauve vers la cuisine, on entend des croassements de corbeaux.

 

Catherine, à Augustine. Tiens ! tes petits copains ! Les corbeaux !

Scène III

Louise, Catherine, Suzon

La vieille fille en avale son café de travers et fuit dans te salon, furieuse Catherine rit. Suzon descend l’escalier.

 

SUZON. Qu’est-ce que tu lui as raconté ?

Catherine. Pas grand-chose. J’ai voulu un peu la secouer. Elle boit son café.

SUZON, tombant dans un fauteuil. Je crois que j’ai vieilli de dix ans dans la journée.

Catherine. Moi aussi. C’est bon.

SUZON. Comment ?

Catherine. C’est bon d’être une femme et non pas une petite fille qu’on ne prend pas au sérieux. On vous écoute, on a même peur de ce que vous dites… On ne vous répète plus : « Reste là, ce n’est pas de ton âge ! »

SUZON. Tu ne pouvais quand même pas venir avec nous coucher Chanel…

 

Catherine donne du café que Suzon boit.

 

Catherine. Vous l’avez mise dans la chambre de maman ?

SUZON. Oui ! Elle nous regarde avec de gros yeux ronds, sans rien dire. Pourquoi ne parle-t-elle pas ?

Catherine. Ou bien elle ne peut pas parler… ou bien elle ne veut pas ! Elle couvre quelqu’un…

SUZON. C’est impossible !

Catherine, incisive. Dis donc, Suzon, as-tu déjà tiré au revolver ?

SUZON. Mais laisse-moi donc.

Catherine. On dirait que tu as peur de parler de ça. Et pourtant, il faut bien que la vérité se fasse. Tu as peur de la vérité ?

Suzon. Mais Catherine ?..

Scène IV

Louise, Catherine, Suzon, Augustine, puis Gaby

 

Augustine, revient. Je veux une autre tasse de café… Je ne peux pas rester seule…

 

Catherine lui tend une deuxième tasse. Entre Louise qui dépose un sucrier.

 

Catherine. Vous avez bu du café, Louise ?

Louise. Oui, Mademoiselle, à la cuisine. Maintenant je file dans ma chambre et je me barricade, avec l’armoire devant la fenêtre.

Catherine. L’assassin est peut-être dans votre armoire ! Qui sait ?

 

Louise stoppe son élan, ne bouge plus.

 

Gaby, descend dans un silence. J’ai laissé Chanel… On ne peut pas lui tirer un mot, elle semble foudroyée…

Augustine, boit son café et pleure. La mort, la mort partout !

Gaby. Augustine, ne crie pas…

Augustine Je ne crie pas !

Gaby, après un temps. — Et Pierrette, où est-elle ?

Catherine. Je ne sais pas.

Suzon. Moi non plus.

Louise. Elle n’est pas montée avec vous ?

Gaby, lentement. Non… Pourvu qu’elle ne soit pas partie !

Suzon. Partie ?

Augustine. Elle nous a échappé !

Gaby. Je vous l’ai dit vingt fois que cette femme était dangereuse. On ne m’a pas écoutée ! Elle n’a pas répondu une seule fois à nos questions… Qu’a-t-elle fait la nuit dernière ? Mystère ! Et voilà. Maintenant, allez lui courir après.

Scène V

 

Louise, Catherine, Suzon, Augustine, Gaby, Mamy

 

Mamy, entre, en poussant sa chaise roulante devant elle. J’en ai assez de cette voiture d’infirme que vous m’avez achetée pour m’humilier ! Alors ? Que se passe-t-il ? Vous en faites des têtes !

Catherine. Tante Pierrette a pris la clef des champs.

Mamy. Comment ça ?

Suzon. Elle est partie…

Mamy. Elle n’est sûrement pas loin : la grille est fermée et, pour sauter le mur, il y a de quoi se casser le cou. Elle s’assoit dans sa chaise.

Catherine. Il avait été convenu que personne ne devait sortir…

Suzon. Pour ce que ça nous a réussit !

Gaby. Les affaires de Pierrette sont encore là ?

Louise, montrant le sac de Pierrette posé sur un meuble. Oui, son sac !

 

Suzon a bondi, mais s’arrête devant.

 

Augustine. Eh bien ! fouille-le !

Suzon, l’ouvre, fouille et en sort un revolver. Oh ! un revolver ! Effarement général.

Gaby. Qui avait raison ? Quand je pense à toutes les accusations que j’ai été obligée de subir ! Vous la souteniez toutes contre moi ! Enfin, c’est fini, j’éprouve un soulagement… J’avais tellement peur qu ce fût une de nous.

Augustine. Tu sais, au fond, je ne pensais pas les choses que j’ai dites… Tiens, bois ! Elle lui passe une tasse de café.

Gaby, ayant bu et sûre d’elle. Voilà ce qui a dû se passer : Pierrette s’est disputée hier soir avec Marcel. Puis elle est allée se coucher tranquillement dans le pavillon, chez Chanel. À l’aube, elle est revenue tuer Marcel et, au lieu de rentrer chez elle après comme elle nous l’a dit, elle a attendu patiem­ment le moment de faire sa réapparition ici, prétextant un mystérieux coup de téléphone !

SUZON. crois ?

Gaby. Etant dans la place, elle a mis de la mort aux rats dans l’assiette des chiens, a volé le revolver, et a voulu supprimer où intimider son amie Chanel qui en sait trop long. Croyez-moi, tout s’enchaîne, tout s’éclaire… Louise, emportez vite les tas­ses et que tout le monde se mette à sa recherche. Louise prend le plateau, mais soudain s’immobilise comme pétrifiée.

Louise. Madame… Oh ! Madame… Elle tremble. Le café !

Mamy. Quoi ? Le café ?

Louise. Je… Je me rappelle maintenant… J’ai vu mademoiselle Pierrette dans la cuisine… avant qu’elle ne se sauve… et je l’ai laissée seule en face de la cafetière !

Augustine, la main à la gorge. Nous sommes empoisonnées ! Et moi qui en ai bu deux tasses !

Louise. Madame, vous croyez ?..

Mamy. Allez chercher du lait… Vite !

 

Louise sort.

Scène VI

Catherine, Suzon, Augustine, Gaby, Mamy

 

Augustine. Mon cœur bat plus fort, c’est le poison.

Mamy. Non, c’est l’émotion… Reste calme.

Catherine, hurlant. Je sens que je vais mourir…

Gaby. Ne crie pas comme ça, toi nous rends folles !

Catherine. Je ne veux pas mourir comme les chiens !

Scène VII

Louise, Catherine, Suzon, Augustine, Gaby, Mamy

Louise, revient avec une bouteille.

 

Louise. Voilà le lait…

 

Elles se jettent dessus, se disputant le lait. Soudain, on entend un bruit de porte que l’on ferme violemment. On écoute. La scène qui suit est chuchotée.

 

Gaby. Qu’est-ce que c’est que ce bruit ?

Augustine. On a fermé une porte… Par là…

 

Elle indique le premier étage.

 

Catherine. Pierrette revient. Elle revient pour nous achever !

 

Elle va prendre le revolver du sac de Pierreite et vise l’escalier.

 

Suzon, bondissant sur elle. Lâche ça…

Augustine. Laisse-la faire, il faut se défendre ! Vas-y, Catherine ! Tire !

Suzon, qui a repris le revolver après une courte lutte. Ce n’est pas le moment de faire des bêtises… N’oubliez pas que nous n’avons que des doutes sur Pierrette et qu'ils étaient fondés sur le fait qu’elle était partie. Si elle n’est pas partie…

Gaby. Après tout ce que je t’ai dit, tu la crois encore innocente ?

Suzon. Justement, tu en as trop dit.

Gaby. Quoi ?

Augustine. Et le revolver dans son sac ?

Suzon. L’assassin a pu l’y mettre après avoir tiré sur madame Chanel.

Louise. Et le café ?

Suzon. Pour le moment, nous sommes toutes vivantes… Non ?

Mamy, après un temps. Qu’est-ce qu’on fait, alors ?

Suzon, décisive. D’abord, on fait disparaître le revolver. Elle met le revolver sous un journal illustré. Ensuite, nous nous asseyons calmement et nous lui offrons du café. Si elle refuse de le boire, c’est un aveu.

Gaby. Je ne pourrai pas rester calme, je sors.

Suzon. Reste, maman, c’est mieux.

Mamy. Reste, Gaby, c’est trop grave d’accuser quelqu’un comme ça…

Gaby. Tu ne t’en es portant pas privée, de m’accuser.

Augustine. Allons, taisez-vous !

Mamy. As-tu le courage de lui parler, toi, Suzon ?

Suzon. Je vais essayer. Une autre porte claque. Attention ! Asseyez-vous !

 

Groupe des femmes assises. Pierrette desdescend. Elle va à la baie, lentement.

Scène VIII

Louise, Catherine, Suzon, Augustine, Gaby, Mamy, Pierrette

 

Suzon. Où étiez-vous, Pierrette ?

Pierrette. A la salle de bains… malade ! Où est Chanel ? Où l’avez-vous mise ?

SUZON. Sur le lit de maman.

Pierrette. Elle est… morte ?

Gaby. Non. Heureusement, l’assasin l’a manquée ! Elle a eu une faiblesse !

Pierrette. A-t-elle parlé ?

GABY. Rassurez-vous. Elle n’a rien dit.

Suzon. Voulez-vous du café ?

Pierrette. Non merci je suis déjà trop nerveuse !

Gaby, calmant d’un geste un mouvement général des autres, prend une tasse et s’avance vers Pierrette. Pierrette, buvez cette tasse de café.

Pierrette. Vous êtes aimable, mais non, merci.

Gaby, s’avance encore avec la tasse. Buvez. !

Pierrette, levant la tête, intriguée. Pourquoi ? Je n’en bois jamais.

Gaby. Buvez ce café ! Buvez ce café !

Pierrette. Pourquoi tenez-vous tant à me le faire boire ?

Gaby. Et pourquoi tenez-vous tant, vous à ne pas le boire ?

Pierrette, livide. J’ai compris, vous êtes toutes complices ! Vous avez assassiné mon frère et maintenant vous voulez me supprimer, comme vous avez essayé de supprimer Chanel ! Elle recule de frayeur. Pourquoi voulez-vous me tuer ?

Gaby. Nous ne voulons pas vous tuer, mais il se passe que vous êtes la seule à ne pas avoir bu de café… Voyez, toutes nos tasses vides sont là. Nous avons cru que vous étiez partie en empoisonnant le café.

Pierrette. Moi ?

GABY. Prouvez-nous le contraire, en en buvant… Elle lui tend la tasse.

Pierrette. Si tout le monde en a bu, je peux boire sans crainte.

Catherine. Stop !

 

On la regarde.

 

Louise n’a pas bu non plus !

Louise. Si, à la cuisine !

Catherine. Pas de preuves… Buvez ici, devant nous. Elle lut tend une tasse pleine.

Pierrette, effarée. Vous n’avez donc pas bu toutes ?

Mamy. Nous avions oublié Louise…

Pierrette. Vous appelez ça « oublier » ? Vous m’envoyer à la mort pour un oubli ? A la vôtre !

 

Chacune une tasse en main, Pierrette et Louise se regardent.

 

Gaby. Eh bien, Louise, buvez… Qu’est-ce que vous attendez ?

Louise. Je boirai quand elle aura bu.

 

Silence.

 

J’ai peur. Je n’ai pas empoisonné le café, je le jure, mais j’ai peur de mourir… Non, je ne veux pas. Elle pose sa tasse et fuit plus loin.

Pierrette. Moi, je ne suis pas sortie de la salle de bains.

Louise. Avant, dans la cuisine, vous avez touché à la cafetière…

Pierrette. Vous avez fait le café, c'est pire !

Catherine. Et si on leur en faisait boire de force à toutes les deux ?

MAMY. Finis de dire des sottises…

CATHERINE. Alors, vous le buvez, ce café?

 

Louise et Pierrette se regardent.

 

Louise. Non ! Je refuse.

Catherine. Alors, Pierrette, on se le boit toutes les deux ?

 

Elle prend la tasse laissée par Louise et la boit. Alors Pierrette boit à son tour.

 

Gaby. Catherine ! Catherine ! Pourquoi ne l’as-tu pas laissée boire seule ?

CATHERINE. Mais je l’ai laissée boire seule !..

 

Et elle fait voir que sa tasse est restée pleine en la vidant dans la cafetière. Elle part d’un rire diabolique.

 

Pierrette. Aaaah ! Garce ! Qu’as-tu fait ?

 

Elle se prend la gorge et va s’effondrer de peur sur le canapé.

 

Mamy. C’est trop pénible ! Je deviens folle ! Je ne veux pas voir mourir quelqu’un !

Augustine. C’est rien maman ! C’est Pierrette !

Mamy. Quand même ! Non ! Non ! Elle se débat.

Augustine, à Gaby. Qu’est-ce qu’on en fait ?

Gaby. Range-la. Mets-la de côté !

 

Augustine, malgré les protestations de Mamy, pousse la voiture dans le salon et ferme la porte à clef.

 

Augustine. Comme ça, nous serons tranquilles.

Voix de Mamy. Augustine ! Je te maudis !

 

Tête d’Augustine qui s’assoit, démoralisée.

Scène IX

Louise, Catherine, Suzon, Augustine, Gaby, Pierrette

 

Suzon, à Pierrette. Comment vous sentez-vous ?

Pierrette. Ça va ! Ça va ! Je voudrais bien savoir la raison pour laquelle vous vous êtes toutes liguées contre moi.

Gaby. La raison, la voici… Elle sort le revolver. Ce revolver trouvé dans votre sac !

Pierrette. On l’y a mis ! Je le jure !

Augustine. Evidemment !

Pierrette. Ce sera facile à prouver ! Quand la police l’examinera, elle ne trouvera pas mes empreintes ! Tandis que vous, vous l avez toutes tripoté !

Gaby, le revolver à la main, affolée. J’avais pas pensé à ça ! (Et elle le repose vite.)

Suzon, dans an sursaut d’énergie. L’assassin nous a isolées pour que la police ne soit pas avertie. Donc il faut sortir de la maison… C’est une question de vie ou de mort.

Augustine. Mais puisque le portail est fermé !

Louise, soudain. Eh bien ! passons par-dessus ! Prenez l’échelle du jardinier… Je ne sais pas. Essayons…

 

Elle disparaît dans le jardin, après avoir regardé les autres qui ne bougent pas.

 

AUGUSTINE. Allons-y, allons-y !

 

Elle sort, entraînant Suzon.

 

Catherine, bas. Maman ! Surveille Pierrette !

 

Catherine sort. Gaby et Pierrette restent seules.

Scène X

Gaby, Pierrette

 

Gaby. Ah ! Ce drame m’a tuée. Je n’ai plus qu’à me terrer maintenant dans ma petite ville.

Pierrette, ricane. Jolie petite ville !

Gaby. Qu’est-ce que vous dites ?

Pierrette. Je n’ai rien dit.

Gaby. Votre sourire est bavard.

Pierrette. On a beaucoup dit de choses sur mon sourire, mais qu’il soit bavard, jamais !.. Et, puisque nous sommes là, toutes les deux, dites-moi merci et n’en parlons plus.

Gaby. Merci de quoi ?

Pierrette. D’avoir tenu ma langue.

Gaby. A quel propos ?

Pierrette. A quel propos ? Je vous ai souvent vue de loin et je vous enviais.

Gaby. De quoi ?

Pierrette. De pouvoir jouer sur les deux tableaux.

Gaby. Je n’ai jamais eu de talent pour les devinettes…

Pierrette, vient se placer sous son nez. Vous avez un amant !

Gaby. J’ai un amant?.. C’est votre dernière trouvaille ?

Pierrette. Non, ma première. Je le sais depuis longtemps.

Gaby, se lève, pâle. Autrement dit, j’ai tué mon mari parce que j’ai un amant ?

Pierrette. Ah non ! Je n’ai pas dit ça… D’ailleurs ce serait trop simple. Si toutes les femmes qui ont un amant tuaient leur mari, il n’y aurait plus de maris sur terre !.. ni d’amants ! Car ce sont les mêmes !

Gaby. Et après, si j’ai un amant, qu’est-ce que ça change ? Vous voilà bien avancée, on ne vous croira pas.

Pierrette. Mais je n’ai jamais eu l’intention de le dire.

Gaby. Quel but poursuivez-vous ?

Pierrette. Aucun. Je sais que vous avez un amant. C’est tout.

Gaby. Ah! C'est du chantage !

Pierrette. Non, de la curiosité.

Gaby. Si c’est moi l’assassin, vous ne pensez pas que votre curiosité, comme celle de Chanel, pourrait vous jouer un vilain tour ?

Pierrette. J’en prends le risque.

Gaby. Courageuse ?

Pierrette. Non, peureuse en général. Elle a un rire de gorge. Comment un homme peut-il vous aimer ?

Gaby. Vous vous trouvez, sans doute, plus désirable que moi ?

Pierrette. Oh ! le désir chez un homme n’est bien souvent qu’un vice qu’on cultive, n’est-ce pas ?

Gaby. Vous ne pensez pas que nous nous égarons ?

Pierrette, goguenarde. Ah ! si toutes les femmes se serraient les coudes ! Elles mèneraient le monde pour de bon ! Car nous croyons le mener ! Et les hommes nous entretiennent dans cette illusions ! Entre eux, ils sont d’accord, croyez-moi !

Gaby. Les hommes vous ont donc fait tant de mal ?

Pierrette. Oui.

Gaby. Même Marcel ?

Pierrette, sourdement. Surtout Marcel ! Le mal fait par les autres hommes, je m’en fiche : je l’ai rendu et bien… Mais j’ai été bientôt déçue, écœurée, alors j’ai voulu rentrer dans l’ordre. Le seul parent qui me restait, c’était mon frère. Et quand je suis arrivée ici, il a été lâche. Je lui ai fait peur. Je lui ressemblais trop ! Il m’a fermé sa porte ! Renvoyée à mes aventures. Ça, je ne l’oublierai jamais. Alors, pour l’embêter, je l’ai obligé à me recevoir la nuit, à me donner de l’argent. Louise a bien entendu : « Si tu ne me donnes pas cet argent, je te tue ! » Quand on a une sœur qui est dans le pétrin et qu’on ne l’aide pas à se relever, ça se paye !

Gaby. Tout ce que vous dites vous accuse !

Pierrette, dégage. Non, on ne tue pas la vache à lait ! Ni vous, ni moi !

Gaby. Vous pensez que je suis innocente ?

Pierrette. Oui. Certainement…

GabY, elle est au bord de la crise de larmes et elle s’assoit à côté de Pierrette. Je voudrais vous dire merci, pour votre discrétion… Pas pour moi, pour mes filles…

Pierrette, ricane. Oh ! vos filles… !

Gaby. Je vais vous dire quelque chose de pire…

Pierrette. Allez-y !

Gaby. Je devrais être loin à l’heure qu’il est. Je quittais mon mari ce soir… Mes valises étaient prêtes…

Pierrette. Vous quittiez Marcel ?

Gaby. Oui… Comment y croire ? Mon mari assassiné la nuit où je le quitte, c’est atroce !

Pierrette. Marcel s’est-il douté de quelque chose ?

Gaby. Sûrement pas…

Pierrette. Pauvre Marcel… Elle se met à rire. Il a toujours tout gobé…

 

Il y a un silence.

 

Et moi, maintenant, qu’est-ce que je vais devenir ?

Gaby. Pierrette, cet argent que Marcel vous a refusé, je vous le donnerai.

Pierrette. J’ai menti. Il ne me l’a pas refusé.

Gaby. Il vous l’a donné ? Pourquoi ne pas l’avoir dit ?

Pierrette. Je ne pouvais pas le prouver. Je ne l’ai plus.

Gaby. Qu’en avez-vous fait ?

Pierrette. Je l’ai donné. A un homme… que j’aime.

GABY. Donné ?

PierrettE. Oui… Je paye, moi aussi, quelquefois ! Ça m’arrive ! Il avait besoin de cet argent pour un voyage…

Gaby, soudain pâle. Un voyage ??. Combien Marcel vous a-t-il donné ?

Pierrette. Il me fallait 500 000 francs anciens.

Gaby. 500 000 francs ? Il vous les a donnés ? Elle se lève.

Pierrette. Oui… Qu’est-ce que vous avez ? Vous êtes toute pâle.

Gaby. Pierrette, qui est cet homme à qui vous avez donné les 500 000 francs ? Dites vite !

Pierrette. Pourquoi ? De quoi avez-vous peur ?

Gaby. Ces 500 000 francs étaient dans une enveloppe ?

PIERRETTE. Oui, une grande enveloppe bleue.

 

Gaby se précipite sur son sac.

 

Pierrette, la rejoint. Non ! Vous n’allez pas dire que ?.. C’est impossible ! Qui est votre amant ?

Gaby. Comment ? Vous ne le savez pas ?

Pierrette. Non.

Gaby. C’est l’associé de mon mari !

Pierrette, effarée. Jacques !

Gaby. Jacques Farnoux.

Pierrette. Jacques, votre amant ! Gaby sort l’enveloppe. Oui ! C’est mon enveloppe ! C’est mon argent ! C’est l’argent de Marcel que Jacques vous a donné…

Gaby. Vous pouvez la reprendre !

 

Elle regarde soudain l’enveloppe de plus près, puis la déchire.

 

Oh! L’enveloppe est vide !.. L’argent n’y est plus !..

 

Un silence.

 

Quelqu’un savait !

Pierrette, comme une tigresse. Jacques ! Vous me l’avez pourri avec votre dignité ! Avec votre air tranquille de femme bien nourrie, bien soignée… sans peur du lendemain… La vie tranquille… On peut tout se dire maintenant, hein ? Oui, je suis une bourgeoise ratée, comme vous une putain ratée…

 

Elle s’avance vers Gaby.

 

j’ai envie de vous crever les yeux, de vous étrangler. Pourquoi est-ce que je m’en prive ?

Gaby, terrorisée. Au secours !

 

Soudain, elle s’empare du revolver et vise Pierrette.

 

Pierrette. Lâchez cet arme !

 

Elles sont face à face.

 

Eh bien, allez-y. Tirez !.. C’est l’affaire d’une seconde. Un peu de cran… Tirez !.. Liquidez-moi, comme vous avez supprimé les autres, ceux qui vous gênaient…

 

Pierrette saute sur Gaby. Bataille. Corps à corps. Soudain le coup part. Gaby s’affaisse sur un fauteuil. Pierrette s’écarte alors. Le revolver tombe par terre. Biles se regardent, hébétées.

 

PIERRETTE. Vous n’avez — rien ?

Gaby. Non… Rien… Et vous ?

Pierrette. Rien… On l’a échappé belle ! Dieu nous a épargnées.

Gaby. Nous ne méritons guère son indulgence.

Pierrette. Peut-être que si. Il voit les choses de haut. Nous ne devons pas être jolies à regarder…

 

Elle s’effondre à son tour sur le canapé. Tontes les femmes arrivent, l’une après l’autre.

Scène XI

Louise, Catherine, Suzon, Augustine, Gaby, Mamy, Pierrette

 

Suzon. Qui a tiré un coup de revolver ?

Gaby. C’est un accident… Et l’échelle ? Personne n’a pu sortir en utilisant l’échelle ?

Augustine. Impossible de franchir le mur.

Suzon. Il est trop haut, il y a de la neige, on risque de retomber de l’autre côté…

Louise. J’ai manqué me faire mal…

 

Cependant Augustine a ouvert la porte du salon et Mamy en sort comme folle.

 

Mamy. Mais faites quelque chose ! Il faut aller chercher la police.

 

On la fait asseoir sur une chaise.

 

Augustine, ricane. La police ! La police ! Tout le monde en parle, mais on dirait que chacune a peur de la voir arriver ! L’assassin doit bien rire…

Catherine, soudain, d’une voix étouffée. Et s’il n’y avait pas d’assassin parmi nous ?

Augustine. Quoi ?

Catherine. Si l’assassin n’était pas l’une de nous sept ? Y avez-vous pensé ? Si l’assassin de papa n’était pas ici ?

Louise. Personne n’a pu entrer, ni sortir !

Catherine. Et si l’assassin de papa était… Si c’était… Chanel !

Suzon. Chanel ?.. Mais, qui alors aurait tiré sur elle ?

Catherine. Personne. Elle-même… Imaginez la scène. Elle mime. Nous, nous sommes toutes dispersées… Elle revient, voit qu’elle est seule. « Où êtes-vous ? Où êtes-vous ? »… Elle a volé le revolver de papa, alors elle tire en l’air… Pan ! elle cache le pétard dans le sac de tante Pierrette qui se trouve là, puis elle se couche par terre, faisant la morte. Elle n’a plus qu’à attendre qu’on égorge…

Augustine. Tu es folle, c’est un roman que tu as lu !..

Catherine. …Ecoutez ! Elle se lève, elle ouvre la porte, marche doucement dans le couloir. Elle va nous apparaître, histoire de nous faire mourir de peur… Toutes regardent Catherine qui, soudain, fait face à l’escalier. Regardez… La voilà !

 

Elles se retournent terrifiées. Personne n’apparaît. Alors Catherine éclate de rire.

 

Pierrette, la bousculant. As-tu fini, petite folle ?

Catherine. Avez-vous une meilleure solution à nous proposer ? Non ?

Pierrette. Nous sommes là, enfermées, comme des fauves… c’est atroce.

GABY. Si l’on pouvait sortir seulement !

Suzon. Catherine, est-ce qu’il y a toujours dans la haie, vers le ruisseau, un passage que les chiens avaient fait ?

CATHERINE. Il doit y être encore !

Suzon. Je vais voir. Je vais essayer de passer, maman !

 

Elle disparaît vers la terrasse, très vite.

 

Mamy. Si elle arrive à sortir, nous sommes sauvées !

Augustine. Mais voudra-t-elle sortir ? Je me méfie des initiatives de chacune à présent…

Catherine. Je la surveille de loin… Ne bougez pas. Je me déguise en ombre.

 

Elle sort.

 

GABY, prise d’inquiétude. Catherine, ne va pas dans le parc, il fait noir…

 

Elle ouvre la porte, disparaissant à son tour.

 

Où es-tu ? Catherine ! Reviens ?

Louise, que la peur gagne. Je vais m’enfermer dans la cuisine.

 

Elle sort rapidement.

 

Augustine, la poursuivant. Je la suis, je l’espionne… C’est elle, c’est elle… Elle sort.

Scène XII

Mamy, Pierrette

 

Mamy. Augustine, voyons… C’est la débâcle, la panique…

Pierrette, retenant Mamy. Ne me laissez pas seule ici… Je vous en prie… Restez avec moi.

Mamy. Vous croyez que ?..

Pierrette. Il vaut mieux ne pas se séparer.

Mamy. A moins que ce ne soit vous qui ?..

Pierrette. Vous avez peur de moi ?

Mamy. Vous avez un air suspect… Mais c’est plutôt rassurant ! C’est ce que dit Catherine, en tout cas !

Pierrette. Elle est effrayante, Catherine. C’est elle qui, pour finir, découvrira l’assassin… Vous verrez…

 

Catherine traverse soudain la pièce comme une flèche et disparaît de nouveau dans le parc.

Scène XIII

Mamy, Pierrette, Augustine

 

Augustine, entrant à sa poursuite. Vous n’avez pas vu Catherine ? Elle est passée devant moi comme une flèche. Il paraît qu’elle a fait une découverte sensationnelle… Mais elle est tellement menteuse !

Mamy. Quelle découverte ?

Augustine. Elle crie qu’elle sait qui est la coupable…

Pierrette, bondit. Vous êtes toutes inconscientes, mais cette gosse est idiote ! Elle va subir le sort de Mme Chanel. Laissez-moi m’occupcr d’elle… Catherine ! Elle sort par la terrasse.

Mamy. Mon Dieu ! mon Dieu !

Augustine. Qu’est-ce qu’elle a pu trouver ?

Mamy. Je sens qu’il va y avoir un malheur ! Ma petite Catherine !

 

Elle disparaît à son tour.

Scène XIV

Augustine, Gaby

Augustine réalise soudain qu'elle est seule et tremble de peur. Elle voit soudain le sac de Gaby. Elle regarde autour d'elle, puis y met la main dedans et fouille. Gaby entre.

 

Gaby. Voleuse !

Augustine, bas. Profite de tes derniers instants de liberté ! Catherine a trouvé le nom de l’assassin… Tu as perdu ! Tu vas passer le reste de tes jours en prison… (Plus bas.) Tu ne reverras jamais ton amant. N’oublie pas que j’écoute aux portes…

Gaby. Rends-moi l’argent de l’enveloppe…

Augustine. Quelle enveloppe ?

Gaby. Sale voleuse… Tu me détestes. Tu me fais payer ta vie ratée.

Augustine. Assassin !

 

Elles se battent.

Scène XV

Mamy, Louise, Catherine, Augustine, Gaby, Pierrette

 

Mamy, entrant. Vous n’avez pas vu Catherine ?..

 

Gaby reprend son sac violemment des mains d’Augustine.

 

Qu’est-ce que vous avez encore ? Vous vous disputiez ?.. Catherine est en danger de mort… ce n’est guère le moment…

Louise, entre. On l’a retrouvée, cette gamine !

Voix de Pierrette qui hurle. Au secours ! Venez vite ! vite ! Ici !

 

Toutes se précipitent dehors sauf la grand-mère qui se met à prier.

 

Mamy. Mon Dieu ! faites quelque chose ! Mon Dieu, faites quelque chose ! Mon Dieu !..

 

Crac ! Sa cachette s’ouvre tonte seule.

 

Ah ! non ! Pas ça !

 

Elle la referme vite. On voit revenir Pierrette et Louise portant Catherine évanouie. On l’allonge.

 

Augustine. Elle est morte ?

Gaby. Non, assommée ! Regardez ce qu’il y avait à côté d’elle…

Pierrette, qui désigne un candélabre de bronze que Gaby tient en main. Catherine a donc été suivie, puis frappée…

Catherine, remue soudain. Aaah… Maman, j’ai mal à la tête… Aaah !

Gaby. Qui t’a frappée ? As-tu vu quelqu’un ?

Catherine. Aaah !.. Tout le monde est là ?

Gaby. Oui.

Catherine. …Et Suzon ?

Mamy. Elle a dû trouver le passage dans la haie…

Gaby. Allons ? Parle… Dis-nous ce que tu sais… Qui t’a frappée ?

Catherine, gémissant, inconsciente. Suzon… Suzon… Suzon… Suzon…

 

On se regarde.

 

Gaby. Suzon ? Tu veux dire que ?..

 

Un silence.

 

Augustine. Quand on est fille-mère on est capable de tout…

Pierrette. Ecoutez ! Il faut avouer qu’il y a dans le meurtre de Marcel une chose qui est flagrante… Pourquoi cette mort abominable, avec ce couteau ? On aurait pu empoisonner Marcel tranquillement, sans risque, sans danger… L’assassin aurait pu préparer un meurtre calculé… Non ! Donc l’assassin était chez Marcel par hasard, il a agi vite comme il a pu ! Toutes nous approchons Marcel régulièrement, toutes, sauf une ! La visiteuse imprévue… Suzon !

Gaby. Suzon ? Ce n’est pas possible… Une Crise de rage contre son père ?

Augustine, qui relève Catherine qui va mieux. Tu ne voulais quand même pas qu’il lui donne sa bénédiction ?

Gaby. Pourquoi pas ?

Mamy. Ce serait Suzon alors ? Ma petite Suzon ?.. Croyez-vous qu’elle va réellement à la Police ?

Augustine. Elle n’ira pas… Elle va nous dire… n’importe quoi… que le passage des chiens est bouché ! voilà tout ! Et hop, voilà la piste fermée.

 

Suzon paraît soudain.

 

Scène XVI

Mamy,Louise, Catherine, Augustine, Gaby,Pierrette,Suzon

 

Toutes. Alors ?

Suzon. Impossible de sortir ! On a rebouché le passage des chiens avec des fils de fer barbelés…

 

Recul général devant elle.

 

Gaby, effondrée. Ma petite fille…

Mamy. Suzon… Est-ce possible ?

Suzon. Vous avez trouvé quelque chose ?

Catherine. Oui, la boîte de mort aux rats. Je l’ai trouvée dans ton armoire.

Suzon, après un temps, vient faire face à Catherine. C’est toi qui l’as trouvée !

Catherine. Oui. Alors ?

Suzon. Je te regarde… Tu n’as plus le visage qui m’était familier… C’est terrible. Il me semble que je viens de te perdre, toi aussi.

Catherine, glapit. Tu as bien failli me perdre, en effet. La prochaine fois, tape plus fort…

Suzon. Tu es un monstre… Mais puisque tu m’accuses, moi aussi, je vais dire ce que j’ai découvert. Accroché aux fils de fer barbelés, j’ai trouvé un morceau d’étoffe… L’assassin en fermant le passage des chiens a laissé une pièce à conviction. La voilà.

 

Elle tend un morceau de tissu.

 

C’est un morceau de ton pyjama, Catherine… Que penses-tu de ma trouvaille ?

Catherine. Elle vaut la mienne.

Suzon. Rassure-toi ! La police va enfin arriver ! J’ai crié à une voiture qui passait sur la route d’alerter la gendarmerie. Ils ne seront pas longs.

Catherine. De toute façon, à présent, les dés sont jetés… C’est l’une de nous deux…

 

Et soudain, dans le silence de la nuit, on entend les chiens aboyer.

 

Gaby. Les chiens ! Ils ne sont donc pas morts ?

Toutes. Les chiens sont vivants ! Les chiens !

Gaby. Je deviens folle. …Aah ! Regardez !

 

En haut de l’escalier, apparaît madame Chanel, pâle, se tenant au mur. Elle fait un gros effort… Pierrette se précipite vers elle.

Scène XVII

Mamy, Louise, Catherine, Augustine, Gaby, Pierrette, Suzon, Mme Chanel

 

Pierrette. Pourquoi vous êtes-vous levée ? C’est imprudent.

Madame Chanel, voix faible. Il fallait que je descende ici… Il fallait que je parle…

Pierrette. Là… doucement… Asseyez-vous.

 

Enfin assise, Madame Chanel les regarde… Temps.

 

Gaby. Eh bien, nous vous écoutons…

Madame Chanel. C’est une drôle d’histoire… Catherine… ma petite fille… Viens près de moi…

Catherine. Tu sais tout, Chanel, n’est-ce pas ?

Madame Chanel. Oui.

Gaby. Nous pourrions, peut-être, savoir ce que signifient ces mystères ?

 

Madame Chanel a un geste d’encouragement vers Catherine.

 

Madame Chanel. Allez, Catherine !

CATHERINE. Alors, écoutez-moi ! Un beau conte de Noël ! Il était une fois un brave homme qui était entouré de huit femmes… Il luttait, luttait… Mais elles étaient les plus fortes. Hier soir, ce pauvre homme s’est couché… encore plus fatigué, plus ruiné, plus trompé que la veille… Et la ronde de ses huit femmes a recommencé. Et sa fille Catherine, cachée derrière la porte, a tout vu et tout entendu! Elle se dresse. Et voici ce qui se passe : à 10 heures premier tableau : sa belle-mère qu’il a recueillie chez lui lui refuse ses titres. Une générosité peut sauver cet homme, mais la vieille est avare… Deuxième tableau : à 10 heures et demie, Augustine, la vipère de service, vient faire sa cour et baver les derniers potins… Tante n’a pas tué Papa, elle l’a écœuré sans plus, mais tout cela n’est pas sérieux !

 

Mamy et Augustine se sont lassées dans an coin.

 

A onze heures, l’offensive commence… Sa femme, ma mère, lui fait comprendre qu’elle le quitte ! Elle part avec l’homme qui a ruiné son mari. Et allez donc, comme c’est simple !

 

Un silence atroce, Gaby s’assoit, livide. Catherine enchaîne.

 

A 11 heures et demie, Louise fait son entrée de vamp. Pauvre idiote, vulgaire et intéressée ! Peu après voici Pierrette. Elle vient traire la vache a lait : 500 000 francs, bonne chasse ! Mais les billets ne vont pas loin… Mais ceci est une autre histoire. Enfin, pour couronner le tout, Suzon, sa fille, clandestinement arrivée de Londres, lui confie qu’elle est enceinte… Sur ce, bonne nuit ! Qui Papa reçoit-il ensuite ? That is the question ! Vous m’écoutez ? Vous ne faites plus que ça maintenant ? Pour vous c’est terminé… Il ne reste plus que moi !

SUZON. Tais-toi… Tais-toi…

Catherine. Pauvre papa ! Je l’ai retrouvé à 6 heures ce matin… Il pleurait ! C’est terrible un papa qui pleure. Vous n’en avez jamais vu ? Son nez avec une grosse larme au bout. Il m’a dit : « Tu es une gentille petite fille. Tu lis trop et tu ne te laves pas les mains, mais je n’ai plus que toi au monde… J’ai juré de faire son bonheur à tout prix. Il pleurait toujours, et il a dit : « Comme on doit être bien quand on est mort !.. » Alors, j ai eu pitié. Elle pleure et le ton de sa voix va aller en montant. Pitié ! Pitié ! Ses grands yeux ouverts, tout ronds, tout mouillés… Alors j’ai eu une idée… L’idée de le libérer…

 

Recul général de terreur. Catherine les regarde.

 

GABY, dans un souffle. Tu ne… veux pas dire que… c’est toi qui… aurais ?..

CATHERINE. …Qui aurais tué Papa ? Qui parle de tuer ? Triomphante. Papa n’a jamais ete mort ! Elle éclate, de rire. C’était ça, ma force à moi et ce qui me permettait de vous juger avec humour ! Papa n’a jamais été mort… Il est vivant ! Derrière sa porte ! Elle revit la scène de la nuit. « Ah ! Papy ! Non ! Ne pleure plus ! Les dames de la famille n’en valent pas la peine… Ecoute, je vais organiser une représentation à ton bénéfice… Dis, est-ce que tu as vu jouer « Le Malade imaginaire » ? Non ? Eh bien, dans « Le Malade imaginaire », le type fait le mort pour savoir ce que pensent sa femme, sa fille et toute la maison… Alors, regarde sur ton lit… je colle ce coupe-papier, genre poignard, dans le dos de ton pyjama… Je renverse de l’encre rouge partout… « Pauvre papa ! Il m’a d’abord regardée d’un drôle d’air ! Comme s’il faisait ma connaissance ! Puis il s’est mis à rire… mais à rire ! Ça lui a fait du bien de rire ! Je lui ai dit : « Elles vont crever de peur, toutes. Je le jure… Alors j’ai monté contre vous une énorme comédie macabre. J’ai téléphoné à Pierrette, coupé les fils du téléphone, endormi les chiens, détraqué la voiture, volé le revolver et les 500 000 francs de maman… J’ai subtilisé la clef de la chambre de papa, pour qu’on lui fiche la paix ! Bref, j’ai tout réglé, tout prévu… Même un attentat contre moi ! Et vous avez marché ! Il n’y a que Chanel qui, soudain, a eu un soupçon Tu as vu papa derrière sa fenêtre, hein, c’est ça ?

 

Chanel acquiesce.

 

J’ai dû te faire peur. Excuse-moi, ma grosse, mais il fallait que tu te taises, que j’aille jusqu’au bout… Il fallait que toutes les vérités éclatent, la maison ne fait pas le détail ! Folle de joie. Oui, depuis ce matin, papa, bien vivant derrière cette porte et n’ayant pas perdu un mot de tout ce que vous avez raconté, papa, libéré de vous toutes, attend que sa petite Catherine l’appelle, pour que nous partions loin… très loin… tous les deux ! Elle crie vers la chambre. Tu en as assez entendu, papa ? Tu es convaincu ? Alors, j’arrive ! Elle sort la clef de sa poche. La clef des champ !

 

Soudain, un coup de feu éclate derrière la porte. Le père vient de se suicider dans sa chambre. Catherine pousse un cri de bête blessée.

 

Papa ! Non ! Non !.. C’était pour rire !

 

Elle parvient à la porte, ouvre avec la clef et reste pétrifiée devant le spectacle qui s’offre à ses yeux… Défigurée, elle dit aux femmes qui sont immobiles de frayeur.

 

Cette fois, c’est vraiment vous qui l’avez tué !

 

On entend alors, soudain, des crissements de pneus, des portières qui claquent au loin, des coups de sifflet, la police arrive.

 

LE RIDEAU TOMBE