Обозначения:

полужирный шрифт ударная гласная

↑ немая безударная стопа

↓ немая ударная стопа

↔ цезура

e — внесистемно немая «e» (на концах строк «e» у Мольера вообще не произносятся, поэтому их я не помечал; то же перед цезурой).

Что касается непроизносимых « e » на концах слов, особенно, если на них приходится сильная доля, их необязательно произносить, но все равно нужна паузочка, чтобы сохранить ритм стиха.

[i](y)[i] = y и i[j] = i — для того, чтобы разделить ударную и безударную стопы. {В квадратных скобках с нижним регистром показано, как следует произносить текст, заключенный в круглые скобки. В случае отсутствие круглых скобок, в квадратных нижних скобках показаны появляющиеся дополнительные звуки, как в случае с дополнительным йотированием.}

Александрийский стих формально состоит из двух полустрок, между которыми стоит цезура. Каждая полустрофа состоит из трех ямбических стоп. Итого — шесть слогов. В конце строки добавляется строковая пауза, представляющая собой «немую» стопу. То же — на месте цезуры. В обоих случаях завершающее полустроку немое «e» (при его наличии) включается и в цезуру, и в строковую паузу. Например[1]:

Quoi, le beau nom de fille↔est un titre, ma sœur,

- ‘ –‘ –‘ (–‘)[2]- ‘ –‘ –‘ (–‘)[3]

Dont vous voulez quitter↔la charmante douceur ?

- ‘ –‘ –‘ (–‘)- ‘ –‘ –‘ (–‘)

Таким образом, ритмически одна строка состоит не из шести, а из восьми стоп, три ямбические, немая (цезура), три ямбические, завершающая немая (строковая пауза).

 

Molière

LES FEMMES SAVANTES

Comédie

ACTEURS

CHRYSALE, bon Bourgeois.

PHILAMINTE, femme de Chrysale.

ARMANDE, HENRIETTE, filles de Chrysale et de Philaminte.

ARISTE, frère de Chrysale.

BÉLISE, sœur de Chrysale.

CLITANDRE, amant d’Henriette.

TRISSOTIN, bel esprit.

VADIUS, savant.

MARTINE, servante de cuisine.

L’ÉPINE, laquais de Trissotin.

JULIEN, valet de Vadius.

LE NOTAIRE.

La scène est à Paris.

ACTE I

SCÈNE PREMIÈRE

ARMANDE, HENRIETTE.

ARMANDE

Quoi, le beau nom de fille↔est un titre, ma sœur[4],→

Dont vous voulez quitter↔la charmante douceur ?[5]

Et de ↑vous marier↔vous osez faire fête ?→

Ce vulgaire dessein↔vous peut monter en tête ?→

HENRIETTE

Oui, ma sœur[6].

ARMANDE

Ah ce «oui»↔se peut-il supporter ?→

Et sans un mal de cœur↔saurait-on l’écouter ?→

HENRIETTE

Qu’a donc ↑le mariage↔en soi qui vous oblige,→

Ma sœur…

ARMANDE

Ah mon Dieu, fi.↔

HENRIETTE→

Comment ?

ARMANDE

Ah fi, vous dis-je.→

Ne concevez-vous point↔ce que, dès qu’on l’entend,→

Un tel mot à l’esprit↔offre de dégoûtant ?→

De quelle étrange image↔on est par lui blessée ?→

Sur quelle sale vue↔il trne la pensée ?→

N’en frissonnez-vous point ?↔et pouvez-vous, ma sœur,→

Aux suites de ce mot ↔résoudre votre cœur ?→

HENRIETTE

Les suites de ce mot,↔quand je les envisage,→

Me font voir un mari,↔des enfants, un ménage ;[7]

Et je ne vois rien là,↔si j’en puis raisonner,→

Qui blesse la pensée,↔et fasse frissonner.→

ARMANDE

De tels attachements,↔ô Ciel ! sont pour vous plaire ?→

HENRIETTE

Et qu’est-ce qu’à mon âge↔on a de mieux à faire,→

Que d’attacher à soi,↔par le titre d’époux,→

Un homme qui vous aime,↔et soit aimé de vous ;→

Et de cette union↔de tendresse suivie,→

Se faire les douceurs↔d’une innocente vie ?→

Ce nœud bien assorti↔n’a-t-il pas des appas ? →?

ARMANDE

Mon Dieu, que votre esprit ↔est d’un étage bas !→

Que vous↑ jouez au monde↔un petit personnage,→

De vous claquemurer[8]↔aux choses du ménage,→

Et de n’entrevoir point↔de plaisirs plus touchants,→

Qu’un idole d’époux[9],↔et des marmots d’enfants !→

Laissez aux gens grossiers,↔aux personnes vulgaires,→

Les bas amusements↔de ces sortes d’affaires.→

À de plus hauts objets↔élevez vos désirs,→

Songez à prendre un gt↔des plus nobles plaisirs[10],→

Et traitant de mépris↔les sens et la matre,→

À l’esprit comme nous↔donnez-vous toute entière :→

Vous avez notre mère↔en exemple à vos yeux,→

Que du nom de savante↔on honore en tous lieux,→

Tâchez ainsi que moi↔de vous montrer sa fille,→

Aspirez aux clartés[11]↔qui sont dans la famille,→

Et vous rendez sensible↔aux charmantes douceurs→

Que l’amour de l’étude↔épanche dans les cœurs :→

Loin d’être aux lois d’un homme↔en esclave asservie ;→

Mariez-vous, ↓ ma sœur, ↔à la philosophie,→

Qui nous monte au-dessus↔de tout le genre humain,→

Et donne à la raison↔l’empire souverain, →

Soumettant à ses lois↔la partie animale[12]

Dont l’appétit grossier↔aux bêtes nous ravale.→

Ce sont là les beaux feux,↔les doux attachements,→

Qui doivent de la vie↔occuper les moments ;→

Et les soins je vois↔tant de femmes sensibles,→

Me paraissent aux yeux↔des pauvretés horribles.

HENRIETTE

Le Ciel, dont nous voi[y]ions ↔que l’ordre est tout-puissant,→

Pour différents emplois↔nous fabrique en naissant ;→

Et tout esprit n’est pas↔composé d’une étoffe→

Qui se trouve taillée↔à faire un philosophe.→

Si le vôtre est né propre↔ ↑aux élévations→

Où montent des savants↔ ↑les spéculations[13],→

Le mien est fait, ma sœur,↔pour aller terre à terre[14],→

Et dans les petits soins ↔ son faible se resserre.→

Ne troublons point du Ciel↔les justes règlements,→

Et de nos deux instincts↔suivons les mouvements ;→

Habitez par l’essor↔d’un grand et beau génie,→

Les hautes régions↔de la philosophie,→

Tandis que mon esprit↔se tenant ici-bas,→

Goûtera de l’hymen↔les terrestres appas.→

Ainsi dans nos desseins↔l’une à l’autre contraire,→

Nous saurons toutes deux↔imiter notre mère ;→

Vous, du côté de l’âme↔et des nobles désirs,→

Moi, du côté des sens↔et des grossiers plaisirs ;→

↑ Vous, aux productions↔d’esprit et de lumre,→

Moi, dans celles, ma sœur,↔qui sont de la matre.

ARMANDE

Quand sur une personne↔on prétend se régler,→

C’est par les beaux côtés↔qu’il lui faut ressembler ;→

Et ce n’est point du tout↔la prendre pour modèle,→

Ma sœur, que de tousser↔et de cracher comme elle.→

HENRIETTE

Mais vous ne seriez pas↔ce dont vous vous vantez,→

Si ma mère n’eût eu↔que de ces beaux côtés ;→

Et bien vous prend, ma sœur,↔que son noble génie→

N’ait pas vaqué toujours↔à la philosophie.→

De grâce souffrez-moi↔par un peu de bonté

Des bassesses à qui↔vous devez la clarté ;→

Et ne supprimez point,↔voulant qu’on vous seconde[15],→

Quelque petit savant↔qui veut venir au monde.→

ARMANDE

Je vois que votre esprit↔ne peut être guéri

Du fol entêtement↔de vous faire un mari :→

Mais sachons, s’il vous plt,↔qui vous songez à prendre ?→

Votre visée au moins ↔n’est pas mise à Clitandre[16].→

HENRIETTE

Et par quelle raison↔n’y serait-elle pas ?→

Manque-t-il de mérite ?↔est-ce un choix qui soit bas ?→

ARMANDE

Non, mais c’est un dessein↔qui serait malhonnête,→

Que de vouloir d’un autre[17]↔enlever la conquête ;→

Et ce n’est pas un fait↔dans le monde ignoré,→

Que Clitandre ait pour moi↔hautement soupiré.→

HENRIETTE

Oui, mais tous ces soupirs↔chez vous sont choses vaines,→

Et vous ne tombez point↔aux bassesses humaines ;→

Votre esprit à l’hymen↔renonce pour toujours,→

Et la philosophie↔a toutes vos amours :→

Ainsi n’a[i](y)[j]ant au cœur↔nul dessein pour Clitandre,→

Que vous importe-t-il↔qu’on y puisse prétendre ?

ARMANDE

Cet empire que tient ↔la raison sur les sens,→

Ne fait pas renoncer ↔aux douceurs des encens ;→

Et l’on peut pour époux↔refuser un mérite[18]

Que pour adorateur↔on veut bien à sa suite.→

HENRIETTE

Je n’ai pas empêché↔ qu’à vos ↑perfections→

Il n’ait ↑contin↔ ↑ses adorations ;→

Et je n’ai fait que prendre,↔au refus de votre âme,→

Ce qu’est venu m’offrir↔l’hommage de sa flamme.→

ARMANDE

Mais à l’offre des vœux↔d’un amant dépité,→

Trouvez-vous, je vous prie,↔entre sûreté ?→

Cro[i](y)[j]ez-vous pour vos yeux↔ ↑ sa passion bien forte,→

Et qu’en son cœur pour moi↔toute flamme soit morte ?→

HENRIETTE

Il me le dit, ma sœur,↔et pour moi je le crois.→

ARMANDE

Ne so[i](y)[j]ez pas, ma sœur,↔d’une si bonne foi,→

Et cro[i](y)[j]ez, quand il dit↔qu’il me quitte et vous aime,→

Qu’il n’y songe pas bien,↔et se trompe lui-même.→

HENRIETTE

Je ne sais ; mais enfin,↔si c’est votre plaisir[19],→

Il nous est bien aisé↔de nous en éclaircir.→

Je l’aperçois qui vient,↔et sur cette matre→

Il pourra nous donner↔une pleine lumre.

SCÈNE II

CLITANDRE, ARMANDE, HENRIETTE.→

HENRIETTE

Pour me tirer d’un doute↔où me jette ma sœur,→

Entre elle et moi, Clitandre,↔expliquez votre cœur,→

Découvrez-en le fond,↔et nous daignez apprendre→

Qui de nous à vos vœux↔est en droit de prétendre.→

ARMANDE

Non, non, je ne veux point↔ ↑à votre passion

Imposer la rigueur↔d’une explication ;[20]

Je ménage les gens,↔et sais comme embarrasse→

Le contraignant effort↔de ces aveux en face.→

CLITANDRE

Non, ↓Madame, mon cœur↔qui dissimule peu,→

Ne sent nulle contrainte↔à faire un libre aveu ;→

Dans aucun embarras↔un tel pas ne me jette,→

Et j’avouerai tout haut↔d’une âme franche et nette,→

↑Que les tendres liens↔où je suis arrêté,→

 

Mon amour et mes vœux,↔sont tout de ce côté[21].→

Qu’à nulle émotion↔cet aveu ne vous porte ;→

Vous avez bien voulu↔les choses de la sorte[22],→

Vos attraits m’avaient pris,↔et mes tendres soupirs→

Vous ont assez prouvé↔l’ardeur de mes désirs :→

Mon cœur vous consacrait ↔ une flamme immortelle,→

Mais vos yeux n’ont pas cru↔leur conquête assez belle ;→

J’ai souffert sous leur joug↔cent mépris différents,→

Ils régnaient sur mon âme↔en superbes tyrans,→

Et je me suis cherché,↔lassé de tant de peines,→

Des vainqueurs plus humains,↔et de moins rudes chnes :→

Je les ai rencontrés,↔Madame, dans ces yeux,→

 

Et leurs traits à jamais↔ ↑ me seront précieux ;→

D’un regard pito[i](y)[j]able↔ils ont séché mes larmes,→

Et n’ont pas dédaigné↔le rebut de vos charmes ;→

De si rares bontés↔m’ont si bien su toucher,→

Qu’il n’est rien qui me puisse↔à mes fers arracher ;→

Et j’ose maintenant↔vous conjurer, Madame,→

De ne vouloir tenter↔nul effort sur ma flamme,→

De ne point essa[i](y)[j]er↔à rappeler un cœur→

Résolu de mourir↔dans cette douce ardeur.

ARMANDE

Eh qui vous dit, Monsieur,↔que l’on ait cette envie,→

Et que de vous enfin↔si fort on se soucie ?→

Je vous trouve plaisant,↔de vous le figurer ;→

Et bien impertinent,↔de me le déclarer.→

HENRIETTE

Eh doucement, ma sœur.↔Où donc est la morale→

Qui sait si bien régir↔la partie animale,→

Et retenir la bride↔aux efforts du courroux ?→

ARMANDE

Mais vous qui m’en parlez,↔où la pratiquez-vous,→

De répondre à l’amour↔que l’on vous fait partre,→

Sans le congé[23] de ceux↔qui vous ont donné l’être ?→

Sachez que le devoir↔vous soumet à leurs lois,→

Qu’il ne vous est permis↔d’aimer que par leur choix,→

Qu’ils ont sur votre cœur↔l’autorité suprême,→

Et qu’il est criminel↔d’en disposer vous-même.→

HENRIETTE

Je rends grâce aux bontés↔que vous me faites voir,→

De m’enseigner si bien↔les choses du devoir ;→

Mon cœur sur vos leçons↔veut régler sa conduite,→

Et pour vous faire voir,↔ma sœur, que j’en profite,→

Clitandre, prenez soin↔d’appu[i](y)[j]er votre amour→

De l’agrément de ceux↔dont j’ai reçu le jour,→

Faites-vous sur mes vœux↔un pouvoir légitime,→

Et me donnez mo[i](y)[j]en↔de vous aimer sans crime.→

CLITANDRE

J’y vais de tous mes soins↔travailler hautement,→

Et j’attendais de vous↔ce doux consentement.→

ARMANDE

Vous tri[j]omphez, ma sœur,↔et faites une mine→

À vous imaginer↔que cela me chagrine.

HENRIETTE

Moi, ma sœur, point du tout ;↔je sais que sur vos sens→

Les droits de la raison↔sont toujours tout-puissants,→

Et que par les leçons↔qu’on prend dans la sagesse,→

Vous êtes au-dessus↔d’une telle faiblesse.→

Loin de vous soupçonner↔d’aucun chagrin, je crois→

Qu’ici vous daignerez↔vous emplo[i](y)[j]er pour moi,→

Appu[i](y)[j]er sa demande,↔et de votre suffrage→

Presser l’heureux moment↔ de notre ↓mariage[24].→

Je vous en sollicite,↔et pour y travailler…→

ARMANDE

Votre petit esprit↔se mêle de railler,→

Et d’un cœur qu’on vous jette↔on vous voit toute fre.→

HENRIETTE

Tout jeté qu’est ce cœur,↔il ne vous déplaît guère ;→

Et si vos yeux sur moi↔le pouvaient ramasser,→

Ils prendraient aisément↔le soin de se baisser.→

ARMANDE

À répondre à cela[25]↔je ne daigne descendre,→

Et ce sont sots discours↔qu’il ne faut pas entendre.→

HENRIETTE

C’est fort bien fait à vous,↔et vous nous faites voir→

↑Des modérations↔qu’on ne peut concevoir.

SCÈNE III

CLITANDRE, HENRIETTE.

HENRIETTE

Votre sincère aveu↔ne l’a pas peu surprise.→

CLITANDRE

Elle mérite assez↔une telle franchise,→

Et toutes les hauteurs↔de sa folle fierté

Sont dignes tout au moins↔de ma sincérité :→

Mais puisqu’il m’est permis, ↔je vais à votre père,→

Madame…

HENRIETTE

Le plus sûr↔est de gagner ma mère :→

Mon père est d’une humeur↔à consentir à tout,→

Mais il met peu de poids↔aux choses qu’il résout[26] ;→

Il a reçu du Ciel↔certaine bonté d’âme[27],→

Qui le soumet d’abord↔à ce que veut sa femme ;→

C’est elle qui gouverne,↔et d’un ton absolu

Elle dicte pour loi↔ce qu’elle a résolu.→

Je voudrais bien vous voir[28]↔pour elle, et pour ma tante,→

Une âme, je l’avoue,↔un peu plus complaisante,→

Un esprit qui flattant↔↑les visions du leur,→

Vous pût de leur estime↔attirer la chaleur.→

CLITANDRE

Mon cœur n’a jamais pu,↔tant il est né sincère,→

Même dans votre sœur↔flatter leur caractère,→

Et les femmes docteurs↔ne sont point de mon gt.→

Je consens qu’une femme↔ait des clartés de tout,→

Mais je ne lui veux point↔↑la passion choquante→

De se rendre savante↔afin d’être savante ;→

Et j’aime que souvent↔↑aux questions qu’on fait,→

Elle sache ignorer↔les choses qu’elle sait ;→

De son étude enfin↔je veux qu’elle se cache,→

Et qu’elle ait du savoir↔sans vouloir[29] qu’on le sache,→

Sans citer[30] les auteurs,↔sans dire de grands mots,→

Et clouer ↑ de l’esprit↔à ses moindres[31] propos.→

Je respecte[32] beaucoup↔Madame votre mère,→

Mais je ne puis du tout↔approuver sa chimère,→

Et me rendre[33] l’écho↔des choses qu’elle dit→

Aux encens[34] qu’elle donne[35]↔à son héros d’esprit.→

Son Monsieur Trissotin↔me chagrine[36], m’assomme,→

Et j’enrage[37] de voir↔qu’elle estime un tel homme,→

Qu’elle nous mette au rang↔des grands et beaux esprits→

Un benêt dont partout↔on siffle les écrits,→

Un pédant dont on voit↔la plume libérale→

↑D’officieux papiers↔fournir toute[38] la halle[39].

HENRIETTE

Ses écrits, ses discours,↔tout m’en semble ennuyeux,→

Et je me trouve assez↔votre goût et vos yeux→

Mais comme sur ma mère↔il a grande puissance,→

Vous devez vous forcer↔à quelque complaisance.→

Un amant fait sa cour ↔où s’attache son cœur[40],→

Il veut de tout le monde ↔y gagner la faveur ;→

Et pour n’avoir personne↔à sa flamme contraire,→

Jusqu’au chien du logis↔il s’efforce[41] de plaire.→

CLITANDRE

Oui, vous avez raison ;↔mais Monsieur Trissotin

M’inspire au fond de l’âme↔un dominant chagrin.→

Je ne puis consentir, ↔pour gagner ses suffrages,→

À me déshonorer, ↔en prisant ses ouvrages ;→

C’est par eux qu’à mes yeux ↔il a d’abord paru,→

Et je le connaissais ↔avant que l’avoir vu.→

Je vis dans le fatras ↔des écrits qu’il nous donne,→

Ce qu’étale en tous ↔lieux sa pédante personne,→

La constante hauteur ↔ ↑de sa présomption ;→

Cette intrépidité ↔de bonne opinion ;→

Cet indolent[42] état ↔de confiance extrême,→

Qui le rend en tout temps ↔si content de soi-même,→

Qui fait qu’à son mérite ↔incessamment il rit ;→

Qu’il se sait si bon gré ↔de tout ce qu’il écrit ;→

Et qu’il ne voudrait pas ↔changer sa renommée→

Contre tous les honneurs ↔d’un général d’armée.→

HENRIETTE

C’est avoir de bons yeux ↔que de voir tout cela.→

CLITANDRE

Jusques à sa figure ↔encor la chose alla[43],→

Et je vis par les vers ↔qu’à la tête il nous jette,→

De quel air il fallait ↔ que fût fait le poète ;→

Et j’en avais si bien ↔deviné tous les traits,→

Que rencontrant un homme ↔ un jour dans le Palais,→

Je gageai que c’était ↔Trissotin en personne,→

Et je vis qu’en effet ↔la gageure était bonne.→

HENRIETTE

Quel conte !

CLITANDRE

Non, je dis ↔ la chose comme elle est :→

Mais je vois votre tante. ↔Agréez, s’il vous plt,→

Que mon cœur lui déclare ↔ ici notre mystère,→

Et gagne sa faveur auprès de votre mère.

SCÈNE IV

CLITANDRE, BÉLISE.

CLITANDRE

Souffrez, pour vous parler, ↔Madame, qu’un amant→

↑Prenne l’occasion ↔de cet heureux moment,→

Et se découvre à vous ↑de la sincère flamme…→

BÉLISE

Ah tout beau, gardez-vous ↔de m’ouvrir trop votre âme :→

Si je vous ai su mettre ↔au rang de mes amants,→

Contentez-vous des yeux ↔pour vos seuls truchements,→

Et ne m’expliquez point ↔par un autre[44] langage→

Des désirs qui chez moi ↔ passent pour un outrage ;→

Aimez-moi, soupirez, ↔brûlez pour mes appas,→

Mais qu’il me soit permis ↔de ne le savoir pas :→

Je puis fermer les yeux ↔sur vos flammes secrètes,→

Tant que vous vous tiendrez ↔aux muets interprètes[45] ;→

Mais si la bouche vient ↔à s’en vouloir mêler,→

Pour jamais de ma vue ↔il vous faut exiler.→

CLITANDRE

Des projets de mon cœur ↔ne prenez point d’alarme ;→

Henri[j]ette, Madame, ↔est l’objet qui me charme,→

Et je viens ardemment ↔conjurer vos bontés→

De seconder l’amour ↔que j’ai pour ses beautés.→

BÉLISE

Ah certes le détour ↔est d’esprit, je l’avoue,→

Ce subtil faux-fui[j]ant ↔mérite qu’on le loue ;→

Et dans tous les romans ↔où j’ai jeté les yeux,→

Je n’ai rien rencontré ↔ de plus↑ ingénieux.→

CLITANDRE

Ceci n’est point du tout ↔un trait d’esprit, Madame,→

Et c’est un pur aveu de ce que j’ai dans l’âme.→

Les cieux, ↑ par les liens ↔d’une immuable ardeur[46],→

Aux beautés d’Henri[j]ette[47] ↔ ont attaché mon cœur ;→

Henri[j]ette me tient ↔ sous son aimable empire,→

Et l’hymen d’Henri[j]ette ↔ est le bien j’aspire ;→

Vous y pouvez beaucoup, ↔ et tout ce que je veux,→

C’est que vous y daigniez ↔ favoriser mes vœux.→

BÉLISE

Je vois où doucement ↔ veut aller la demande,→

Et je sais sous ce nom ↔ ce qu’il faut que j’entende ;→

La figure[48] est adroite, ↔ et pour n’en point sortir[49],→

Aux choses que mon cœur ↔ m’offre à vous repartir,→

Je dirai qu’Henri[j]ette ↔ à l’hymen est rebelle,→

Et que sans rien prétendre, ↔ il faut brûler pour elle.→

CLITANDRE

Eh, Madame, à quoi bon↔ un pareil embarras,→

Et pourquoi voulez-vous ↔ penser ce qui n’est pas ?→

BÉLISE

Mon Dieu, point de façons ; ↔cessez de vous défendre→

De ce que vos regards ↔m’ont souvent fait entendre ;→

Il suffit que l’on est ↔contente du détour→

Dont s’est adroitement ↔avisé votre amour,→

Et que sous la figure ↔où le respect l’engage,→

On veut bien se résoudre ↔à souffrir son hommage,→

Pourvu que ses transports ↔par l’honneur éclairés→

N’offrent à mes autels ↔que des vœux épurés.→

CLITANDRE

Mais…

BÉLISE

Adieu, pour ce coup ↔ceci doit vous suffire,→

Et je vous ai plus dit ↔que je ne voulais dire.→

CLITANDRE

Mais votre erreur…

BÉLISE

Laissez, ↔je rougis maintenant,→

Et ma pudeur s’est fait ↔un effort surprenant.→

CLITANDRE

Je veux être pendu, ↔si je vous aime, et sage…→

BÉLISE

Non, non, je ne veux rien ↔entendre davantage.→

 

CLITANDRE

Diantre soit de la folle ↔ avec ↑ ses visions.→

A-t-on rien vu d’égal ↔ à ces ↑ préventions ?→

Allons commettre un autre ↔ au soin que l’on me donne[50],→

Et prenons le secours ↔ d’une sage personne[51].

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE

ARISTE[52].

Oui, je vous porterai ↔la réponse au plus tôt ;→

J’appuierai, presserai, ↔ferai tout ce qu’il faut.→

 

Qu’un amant, pour un mot, ↔a de choses à dire !→

Et qu’impatiemment ↔il veut ce qu’il désire !→

Jamais…[53]

SCÈNE II

CHRYSALE, ARISTE.

ARISTE

[54]Ah, Dieu vous gard’, ↔mon frère.

CHRYSALE

Et vous aussi,→

Mon frère.

ARISTE

Savez-vous ↔ ce qui m’amène ici ?[55]

CHRYSALE

Non ; mais, si vous voulez, ↔je suis prêt à l’apprendre.→

ARISTE

Depuis assez longtemps ↔vous connaissez Clitandre ?→

CHRYSALE

Sans doute, et je le vois ↔qui fréquente chez nous.→

ARISTE

En quelle estime est-il,↔mon frère, auprès de vous ?→

CHRYSALE

D’homme d’honneur, d’esprit, ↔de cœur, et de conduite,→

Et je vois peu de gens ↔qui soient de son mérite.→

ARISTE

Certain désir qu’il a, ↔conduit ici mes pas,→

Et je me ↓ réjouis ↔que vous en fassiez cas.→

CHRYSALE

Je connus feu son père ↔en mon vo[i](y)[j]age à Rome.→

ARISTE

Fort bien.

CHRYSALE

C’était, mon frère, ↔un fort bon gentilhomme.→

ARISTE

On le dit.

CHRYSALE

Nous n’avions ↔alors que vingt-huit ans,→

Et nous étions, ma foi, ↔tous deux de verts galants.→

ARISTE

Je le crois.

CHRYSALE→

Nous donnions[56] ↔chez les dames romaines,→

Et tout le monde là ↔parlait de nos fredaines ;→

Nous faisions des jaloux[57]. ↔

ARISTE

Voilà qui va des mieux :→

Mais venons au sujet ↔qui m’amène en ces lieux.

SCÈNE III

BÉLISE, CHRYSALE, ARISTE.

ARISTE

Clitandre auprès de vous ↔me fait son interprète,→

Et son cœur est épris ↔des grâces d’Henri[j]ette.→

CHRYSALE

Quoi, de ma fille ?

ARISTE

Oui, ↔Clitandre en est charmé,→

Et je ne vis jamais ↔amant plus enflammé.→

 

BÉLISE

Non, non, je vous entends, ↔vous ignorez l’histoire,→

Et l’affaire n’est pas ↔ce que vous pouvez croire.→

ARISTE

Comment, ma sœur ?→

BÉLISE

Clitandre ↔abuse vos esprits,→

Et c’est d’un autre objet ↔que son cœur est épris.→

ARISTE

Vous raillez. Ce n’est pas ↔Henri[j]ette qu’il aime ?→

BÉLISE

Non, j’en suis assurée. ↔

ARISTE

Il me l’a dit lui-même.→

BÉLISE

Eh oui.

ARISTE

Vous me vo[i](y)[j]ez, ↔ma sœur, chargé par lui

D’en faire la demande ↔à son père aujourd’hui.→

BÉLISE

Fort bien.

ARISTE

Et son amour ↔même m’a fait instance→

De presser les moments ↔d’une telle alliance.→

BÉLISE

Encor mieux. On ne peut ↔tromper plus galamment.→

Henri[j]ette, entre nous, ↔est un amusement[58],→

Un voile ingénieux, ↔un prétexte, mon frère,→

À couvrir d’autres feux ↔dont je sais le mystère,→

Et je veux bien tous deux ↔vous mettre hors d’erreur.→

ARISTE

Mais puisque vous savez ↔tant de choses, ma sœur,→

Dites-nous, s’il vous plt, ↔cet autre objet qu’il aime.→

BÉLISE

Vous le voulez savoir ? ↔

ARISTE

Oui. Quoi ?

BÉLISE

Moi.

ARISTE

Vous ?

BÉLISE

Moi-même.→

ARISTE

Hay, ma sœur !

BÉLISE

Qu’est-ce donc ↔que veut dire ce «hay»,→

Et qu’a de surprenant ↔le discours que je fais ?→

On est faite d’un air ↔je pense à pouvoir dire→

Qu’on n’a pas pour un cœur[59] ↔soumis à son empire ;→

Et Dorante, Damis, ↔Cléonte, et Lycidas,→

Peuvent bien faire voir ↔qu’on a quelques appas.→

ARISTE

Ces gens vous aiment ?

BÉLISE

Oui, ↔de toute leur puissance.→

ARISTE

Ils vous l’ont dit ?

BÉLISE

Aucun ↔n’a pris cette licence ;→

Ils m’ont su révérer ↔si fort jusqu’à ce jour,→

Qu’ils ne m’ont jamais dit ↔un mot de leur amour :→

Mais pour m’offrir leur cœur, ↔et vouer ↑leur service,→

↑Les muets truchements↔ ont tous fait leur office.→

ARISTE

On ne voit presque point ↔céans venir Damis.→

BÉLISE

C’est pour me faire voir ↔un respect plus soumis.→

ARISTE

De mots piquants partout ↔Dorante vous outrage.→

BÉLISE

Ce sont emportements ↔d’une jalouse rage.→

ARISTE

Cléonte et Lycidas ↔ont pris femme tous deux.→

BÉLISE

C’est par un désespoir ↔où j’ai réduit leurs feux.→

ARISTE

Ma foi ! ma chère sœur, ↔ vision↑ toute claire.→

CHRYSALE

De ces chimères-là ↔vous devez vous défaire.→

BÉLISE

Ah chimères ! Ce sont ↔des chimères, dit-on !→

Chimères, moi ! Vraiment ↔chimères est fort bon !→

Je me réjouis↑ fort ↔de chimères, mes frères,→

Et je ne savais pas ↔que j’eusse des chimères.

SCÈNE IV

CHRYSALE, ARISTE.

CHRYSALE

Notre sœur est folle, oui.

ARISTE

Cela croît tous les jours.→

Mais, encore une fois, ↔reprenons le discours.→

Clitandre vous demande ↔Henri[j]ette pour femme,→

Vo[i](y)[j]ez quelle réponse ↔on doit faire à sa flamme ?→

CHRYSALE

Faut-il le demander ? ↔J’y consens de bon cœur,→

Et tiens ↑son alliance ↔à singulier honneur.→

ARISTE

Vous savez que de bien ↔il n’a pas l’abondance,→

Que…

CHRYSALE

C’est un intérêt ↔qui n’est pas d’importance ;→

Il est riche en vertu, ↔cela vaut des trésors,→

Et puis son père et moi ↔n’étions qu’un en deux corps[60].→

ARISTE

Parlons à votre femme,et vo[i](y)[j]ons à la rendre→

Favorable

CHRYSALE

Il suffit,je l’accepte pour gendre.→

ARISTE

Oui ; mais pour appu[i](y)[j]ervotre consentement,→

Mon frère, il n’est pas mald’avoir son agrément,→

Allons…

CHRYSALE

Vous moquez-vous ?Il n’est pas nécessaire,→

Je réponds de ma femme,et prends sur moi l’affaire.→

ARISTE

Mais…

CHRYSALE

Laissez faire, dis-je,et n’appréhendez pas.→

Je la vais disposeraux choses de ce pas.→

ARISTE

Soit. Je vais là-dessussonder votre Henri[j]ette,→

Et reviendrai savoir…

CHRYSALE

C’est une affaire faite.→

Et je vais à ma femmeen parler sans délai.

SCÈNE V

MARTINE, CHRYSALE.

MARTINE

Me voilà bien chanceuse !Hélas l’an dit bien vrai[61] :→

Qui veut no[i](y)[j]er son chien,l’accuse de la rage,→

Et service d’autruin’est pas un héritage[62].→

CHRYSALE

Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous,Martine ?

MARTINE

Ce que j’ai ?→

CHRYSALE

Oui ?

MARTINE

J’ai que l’an me donne[63]aujourd’hui mon congé,→

Monsieur.

CHRYSALE

Votre congé !

MARTINE

Oui, Madame me chasse.→

CHRYSALE

Je n’entends pas cela.Comment ?

MARTINE

On me menace,→

Si je ne sors d’ici,de me bailler cent coups.→

CHRYSALE

Non, vous demeurerez,je suis content de vous ;→

Ma femme bien souventa la tête un peu chaude,→

Et je ne veux pas moi

SCÈNE VI

PHILAMINTE, BÉLISE, CHRYSALE, MARTINE.

PHILAMINTE

Quoi, je vous vois, maraude ?→

Vite, sortez, friponne ;allons, quittez ces lieux,→

Et ne vous présentezjamais devant mes yeux.→

CHRYSALE

Tout doux.

PHILAMINTE

Non, c’en est fait.

CHRYSALE

Eh.

PHILAMINTE

Je veux qu’elle sorte.→

CHRYSALE

Mais qu’a-t-elle commis,pour vouloir de la sorte…→

PHILAMINTE

Quoi, vous la soutenez ?

CHRYSALE

En aucune façon.→

PHILAMINTE

Prenez-vous son particontre moi ?

CHRYSALE

Mon Dieu non ;→

Je ne fais seulementque demander son crime.→

PHILAMINTE

Suis-je pour la chassersans cause légitime ?→

CHRYSALE

Je ne dis pas cela,mais il faut de nos gens…→

PHILAMINTE

Non, elle sortira,vous dis-je, deans.→

CHRYSALE

Hé bien oui. Vous dit-onquelque chose là contre ?→

PHILAMINTE→

Je ne veux point d’obstacleaux désirs que je montre.→

CHRYSALE

D’accord.→

PHILAMINTE

Et vous devezen raisonnable époux,→

Être pour moi contre elleet prendre mon courroux[64].→

CHRYSALE

Aussi fais-je. Oui, ma femmeavec raison vous chasse,→

Coquine, et votre crimeest indigne de grâce.

MARTINE

Qu’est-ce donc que j’ai fait ?

CHRYSALE

Ma foi ! Je ne sais pas.→

PHILAMINTE

Elle est d’humeur encoreà n’en faire aucun cas.→

CHRYSALE

A-t-elle, pour donnermatre à votre haine,→

Cassé quelque miroir,ou quelque porcelaine ?→

PHILAMINTE

Voudrais-je la chasser,et vous figurez-vous→

Que pour si peu de choseon se mette en courroux ?→

CHRYSALE

Qu’est-ce à dire ? L’affaireest donc considérable ?→

PHILAMINTE

Sans doute. Me voit-onfemme déraisonnable ?→

CHRYSALE

Est-ce qu’elle a laissé[65], d’un esprit négligent,→

Dérober quelque aigure, ou quelque plat d’argent ?→

PHILAMINTE

Cela ne serait rien.

CHRYSALE

Oh, oh ! peste, la belle !→

Quoi ? l’avez-vous surprise à n’être pas fidèle[66] ?→

PHILAMINTE

C’est pis que tout cela.

CHRYSALE

Pis que tout cela ?

PHILAMINTE

Pis.→

CHRYSALE

Comment diantre, friponne ! Euh ? a-t-elle commis…→

PHILAMINTE

Elle a, d’une insolence à nulle autre pareille,→

Après trente leçons, insulté mon oreille,→

Par l’impropri[j]été d’un mot sauvage et bas,→

Qu’en termes décisifs condamne Vaugelas[67].

CHRYSALE

Est-ce là…

PHILAMINTE

Quoi, toujoursmalgré nos remontrances,→

Heurter le fondementde toutes les sciences ;→

La grammaire qui sait régenter jusqu’aux rois,→

Et les fait la main haute[68] obéir à ses lois ?→

CHRYSALE

Du plus grand des forfaitsje la cro[i](y)[j]ais coupable.→

PHILAMINTE

Quoi, vous ne trouvez pasce crime impardonnable ?→

CHRYSALE

Si fait.

PHILAMINTE

Je voudrais bienque vous l’excusassiez.→

CHRYSALE

Je n’ai garde[69].

BÉLISE

Il est vraique ce sont des pits,→

Toute construction est par elle détruite,→

Et des lois du langage on l’a cent fois instruite.→

MARTINE

Tout ce que vous prêchez est je crois bel et bon ;→

Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon.→

PHILAMINTE

L’impudente ! appeler[70] un jargon le langage→

Fondé sur la raison et sur le bel usage !→

MARTINE

Quand on se fait entendre, on parle toujours bien,→

Et tous vos beaux dictons[71] ne servent pas de rien.→

PHILAMINTE

Hé bien, ne voilà pas encore de son style,→

Ne servent-pas de rien !

BÉLISE

Ô cervelle indocile !→

Faut-il qu’avec les soinsqu’on prend incessamment,→

On ne te puisse apprendreà parler congrûment ?→

De pas, mis avec rien,tu fais la récidive[72],→

Et c’est, comme on t’a dit,trop d’une négative.

MARTINE

Mon Dieu, je n’avons[73] pas éduqué comme vous,→

Et je parlons tout droitcomme on parle chez nous.→

PHILAMINTE

Ah peut-on y tenir !

BÉLISE

Quel solécisme horrible !→

PHILAMINTE

En voilà pour tuerune oreille sensible[74].→

BÉLISE

Ton esprit, je l’avoue, est bien matériel.→

Je, n’est qu’un singulier ;avons, est pluriel[75].→

Veux-tu toute ta vieoffenser la grammaire[76] ?→

MARTINE

Qui parle d’offensergrand’mère ni grand-père ?→

PHILAMINTE

Ô Ciel !

BÉLISE

Grammaire est priseà contre-sens par toi[77],→

Et je t’ai dit déjàd’où vient ce mot.

MARTINE

Ma foi,

Qu’il vienne de Chaillot,d’Auteuil, ou de Pontoise,→

Cela ne me fait rien.

BÉLISE

Quelle âme villageoise !→

La grammaire, du verbe et du nominatif[78],→

Comme de l’adjectif avec le substantif,→

Nous enseigne les lois.

MARTINE

J’ai, Madame, à vous dire→

Que je ne connais point ces gens-là.

PHILAMINTE

Quel martyre !→

BÉLISE

Ce sont les noms des mots, et l’on doit regarder→

En quoi c’est qu’il les faut faire ensemble accorder.

MARTINE

Qu’ils s’accordent entr’eux,ou se gourment[79], qu’importe ?→

PHILAMINTE, à sa sœur.

Eh, mon Dieu, finissezun discours de la sorte[80].→

(À son mari.) Vous ne voulez pas, vous, me la faire sortir ?→

CHRYSALE

Si fait. À son caprice il me faut consentir.[81]

Va, ne l’irrite point ; retire-toi, Martine.→

PHILAMINTE

Comment ? vous avez peur d’offenser la coquine ?→

Vous lui parlez d’un ton tout à fait obligeant ?→

CHRYSALE, bas.

Moi ? Point. Allons, sortez[82]. Va-t’en, ma pauvre enfant.

SCÈNE VII

PHILAMINTE, CHRYSALE, BÉLISE.

CHRYSALE

Vous êtes satisfaite,et la voilà partie.→

Mais je n’approuve pointune telle sortie ;→

C’est une fille propreaux choses qu’elle fait,→

Et vous me la chassezpour un maigre sujet[83].→

PHILAMINTE

Vous voulez que toujours je l’aie à mon service,→

Pour mettre incessamment mon oreille au supplice ?→

Pour rompre toute loi d’usage et de raison,→

Par un barbare amas de vices d’oraison,→

De mots estrops, cousus par intervalles,→

De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles[84] ?→

BÉLISE

Il est vrai que l’on sue à souffrir ses discours.→

Elle y met Vaugelas en pces tous les jours ;→

Et les moindres défauts de ce grossier génie,→

Sont ou le pléonasme, ou la cacophonie.→

CHRYSALE

Qu’importe qu’elle manque aux lois de Vaugelas,→

Pourvu qu’à la cuisine elle ne manque pas ?→

J’aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant ses herbes,→

Elle accommode mal les noms avec les verbes,→

Et redise cent foisun bas ou méchant mot,→

Que de brûler ma viande,ou saler trop mon pot.→

Je vis de bonne soupe,et non de beau langage.→

Vaugelas n’apprend pointà bien faire un potage,→

Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,→

En cuisine peut-être auraient été des sots.→

PHILAMINTE

Que ce discours grossier terriblement assomme !→

Et quelle indignité pour ce qui s’appelle homme,→

D’être baissé sans cesse aux soins matériels,→

Au lieu de se hausser ↑vers les spirituels !→

Le corps, cette guenille, est-il d’une importance,→

D’un prix à mériter seulement qu’on y pense,→

Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ?→

CHRYSALE

Oui, mon corps est moi-même, et j’en veux prendre soin,→

Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère.→

BÉLISE

Le corps avec l’esprit, fait figure[85], mon frère ;→

Mais si vous en cro[i](y)[j]ez tout le monde savant,→

L’esprit doit sur le corps prendre le pas devant ;→

Et notre plus grand soin, notre premre instance,→

Doit être à le nourrir du suc de la science.

CHRYSALE

Ma foi si vous songezà nourrir votre esprit,→

C’est de viande bien creuse,à ce que chacun dit,→

Et vous n’avez nul soin,nulle sollicitude→

Pour…

PHILAMINTE

Ah sollicitudeà mon oreille est rude,→

Il put[86] étrangement↔↑son ancienneté.→

BÉLISE

Il est vrai que le motest bien collet monté[87].→

CHRYSALE

Voulez-vous que je dise ?Il faut qu’enfin j’éclate,→

Que je lève le masque,et décharge ma rate.→

De folles on vous traite,et j’ai fort sur le cœur…→

PHILAMINTE

Comment donc ?

CHRYSALE[88].

C’est à vousque je parle, ma sœur.→

Le moindre solécismeen parlant vous irrite :→

Mais vous en faites, vous,d’étranges en conduite[89].→

Vos livres éternelsne me contentent pas,→

Et hors un gros Plutarqueà mettre mes rabats,→

Vous devriez brûler toutce meuble[90] inutile,→

Et laisser la scienceaux docteurs de la ville ;→

M’ôter, pour faire bien,du grenier deans,→

Cette longue lunetteà faire peur aux gens,→

Et cent brimborions dontl’aspect importune :→

Ne point aller chercherce qu’on fait dans la lune,→

Et vous mêler un peude ce qu’on fait chez vous,→

Où nous vo[i](y)[j]ons allertout sens dessus dessous[91].→

Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,→

Qu’une femme étudie[92], et sache tant de choses.→

Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants,→

Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens,→

Et régler la dépense avec économie,→

Doit être son étude et sa philosophie.→

Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,→

Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez,→

Quand la capacité de son esprit se hausse→

À connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse.→

Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ;→

Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,→

Et leurs livres un dé, du fil, et des aiguilles,→

Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.→

Les femmes d’à présent sont bien loin de ces mœurs,→

Elles veulent écrire, et devenir auteurs.→

Nulle science n’est pour elles trop profonde,→

Et céans beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde.→

Les secrets les plus hauts s’y laissent concevoir,→

Et l’on sait tout chez moi, hors ce qu’il faut savoir.→

On y sait comme vont lune, étoile polaire,→

Vénus, Saturne, et Mars, dont je n’ai point affaire ;→

Et dans ce vain savoir, qu’on va chercher si loin,→

On ne sait comme va mon pot dont j’ai besoin.→

Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,→

Et tous ne font rien moins que ce qu’ils ont à faire ;→

Raisonner est l’emploi de toute ma maison,→

Et le raisonnement en bannit la raison ;→

L’un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire,→

L’autre rêve à des vers quand je demande à boire ;→

Enfin je vois par eux votre exemple suivi,→

Et j’ai des serviteurs, et ne suis point servi.→

Une pauvre servante au moins m’était restée,→

Qui de ce mauvais air n’était point infectée,→

Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas,→

À cause qu’elle manque à parler Vaugelas.→

Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse,→

(Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse) ;→

Je n’aime point céans tous vos gens à latin,→

Et principalement ce Monsieur Trissotin.→

C’est lui qui dans des vers vous a tympanisées[93],→

Tous les propos qu’il tient sont des billevesées,→

On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé,→

Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.→

 

PHILAMINTE

Quelle bassesse, ô Ciel[94], et d’âme, et de langage !→

BÉLISE

Est-il de petits corps[95] un plus lourd assemblage !→

Un esprit composé d’atomes plus bourgeois !→

Et de ce même sang se peut-il que je sois !→

Je me veux mal de mort d’être de votre race,→

Et de confusion j’abandonne la place.

SCÈNE VIII

PHILAMINTE, CHRYSALE.

PHILAMINTE

Avez-vous à lâcherencore quelque trait ?→

CHRYSALE

Moi ? Non. Ne parlons plusde querelle, c’est fait ;→

Discourons d’autre affaire.À votre fille aînée→

On voit quelque dégtpour les nœuds d’hyménée ;→

C’est une philosopheenfin, je n’en dis rien,→

Elle est bien gouvernée,et vous faites fort bien.→

Mais de toute autre humeurse trouve sa cadette,→

Et je crois qu’il est bonde pourvoir Henri[j]ette,→

De choisir un mari

PHILAMINTE

C’est à quoi j’ai songé,→

Et je veux vous ouvrir↔↑l’intention que j’ai.→

Ce Monsieur Trissotindont on nous fait un crime,→

Et qui n’a pas l’honneurd’être dans votre estime,→

Est celui que je prendspour l’époux qu’il lui faut,→

Et je sais mieux que vousjuger de ce qu’il vaut ;→

La contestationest ici superflue,→

Et de tout point chez moil’affaire est résolue.→

Au moins ne dites motdu choix de cet époux,→

Je veux à votre filleen parler avant vous.→

J’ai des raisons à faireapprouver ma conduite,→

Et je conntrai biensi vous l’aurez instruite.

SCÈNE IX

ARISTE, CHRYSALE.

ARISTE

Hé bien ? la femme sort,mon frère, et je vois bien

Que vous venez d’avoirensemble un entretien.→

CHRYSALE

Oui.

ARISTE

Quel est le succès[96] ?Aurons-nous Henri[j]ette ?→

A-t-elle consenti ?l’affaire est-elle faite[97] ?→

CHRYSALE

Pas tout à fait encor.

ARISTE

Refuse-t-elle ?

CHRYSALE

Non.

ARISTE

Est-ce qu’elle balance[98] ?

CHRYSALE

En aucune façon.

ARISTE

Quoi donc ?→

CHRYSALE

C’est que pour gendre elle m’offre un autre homme.→

ARISTE

Un autre homme pour gendre[99] !

CHRYSALE

Un autre.

ARISTE

Qui se nomme ?→

 

CHRYSALE

Monsieur Trissotin.

ARISTE

Quoi ? ce Monsieur Trissotin…→

CHRYSALE

Oui, qui parle toujours de vers et de latin.→

ARISTE

Vous l’avez accepté ?

CHRYSALE

Moi, point, à Dieu ne plaise.→

ARISTE

Qu’avez-vous répondu ?

CHRYSALE

Rien ; et je suis bien aise→

De n’avoir point parlé, pour ne m’engager pas !→

ARISTE

La raison est fort belle, et c’est faire un grand pas.→

Avez-vous su du moins lui proposer Clitandre ?→

CHRYSALE

Non : car comme j’ai vu qu’on parlait d’autre gendre,→

J’ai cru qu’il était mieux de ne m’avancer point.→

ARISTE

Certes votre prudenceest rare au dernier point !→

N’avez-vous point de honteavec votre mollesse ?→

Et se peut-il qu’un hommeait assez de faiblesse→

Pour laisser à sa femmeun pouvoir absolu,→

Et n’oser attaquerce qu’elle a résolu ?→

CHRYSALE

Mon Dieu, vous en parlez,mon frère, bien à l’aise,→

Et vous ne savez pascomme le bruit me pèse.→

J’aime fort le repos,la paix, et la douceur,→

Et ma femme est terribleavec que son humeur.→

Du nom de philosopheelle fait grand mystère[100],→

Mais elle n’en est paspour cela moins colère ;→

Et sa morale faiteà mépriser le bien,→

Sur l’aigreur de sa bileopère comme rien[101].→

Pour peu que l’on s’opposeà ce que veut sa tête,→

On en a pour huit joursd’effro[i](y)[j]able tempête.→

Elle me fait tremblerdès qu’elle prend son ton.→

Je ne sais me mettre,et c’est un vrai dragon ;→

Et cependant avectoute sa diablerie,→

Il faut que je l’appelle,et «mon cœur», et «ma mie».→

ARISTE

Allez, c’est se moquer.Votre femme, entre nous,→

Est par vos lâchetéssouveraine sur vous.→

Son pouvoir n’est fondéque sur votre faiblesse.→

C’est de vous qu’elle prendle titre de maîtresse.→

Vous-même à ses hauteursvous vous abandonnez,→

Et vous faites meneren bête par le nez.→

Quoi, vous ne pouvez pas,vo[i](y)[j]ant comme on vous nomme,→

Vous résoudre une foisà vouloir être un homme ?→

À faire condescendreune femme à vos vœux[102],→

Et prendre assez de cœur ↔ pour dire un : «Je le veux» ?→

Vous laisserez sans honte immoler votre fille→

Aux folles visions qui tiennent la famille,→

Et de tout votre bien↔revêtir un nigaud,→

Pour six mots de latinqu’il leur fait sonner haut ?→

Un pédant qu’à tous coupsvotre femme apostrophe→

Du nom de bel esprit,et de grand philosophe,→

D’homme qu’en vers galantsjamais on n’égala,→

Et qui n’est, comme on sait,rien moins que tout cela ?→

Allez, encore un coup,c’est une moquerie,→

Et votre lâchetémérite qu’on en rie.→

CHRYSALE

Oui, vous avez raison,et je vois que j’ai tort.→

Allons, il faut enfinmontrer un cœur plus fort,→

Mon frère.

ARISTE

C’est bien dit.

CHRYSALE

C’est une chose infâme,→

Que d’être si soumisau pouvoir d’une femme.→

ARISTE

Fort bien.

CHRYSALE

De ma douceurelle a trop profité.→

ARISTE

Il est vrai.

CHRYSALE

Trop jouide ma facilité.→

ARISTE

Sans doute.

CHRYSALE

Et je lui veux faire aujourd’hui conntre→

Que ma fille est ma fille, ↔et que j’en suis le mtre,→

Pour lui prendre un mariqui soit selon mes vœux.→

ARISTE

Vous voilà raisonnable,et comme je vous veux.→

CHRYSALE

Vous êtes pour Clitandre,et savez sa demeure ;→

Faites-le-moi venir,mon frère, tout à l’heure.→

ARISTE

J’y cours tout de ce pas.

CHRYSALE

C’est souffrir trop longtemps,→

Et je m’en vais être hommeà la barbe des gens.

ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE

PHILAMINTE, ARMANDE, BÉLISE, TRISSOTIN, L’ÉPINE.

PHILAMINTE

Ah mettons-nous ici ↔ pour écouter à l’aise→

Ces vers que mot à mot il est besoin qu’on pèse.→

ARMANDE

Je brûle de les voir[103].

BÉLISE

Et l’on s’en meurt chez nous.→

PHILAMINTE

Ce sont charmes pour moi, que ce qui part de vous.→

ARMANDE

Ce m’est une douceur à nulle autre pareille.→

BÉLISE

Ce sont repas fri[j]ands[104] ↔ qu’on donne à mon oreille.→

PHILAMINTE

Ne faites point languirde si pressants désirs.→

ARMANDE

Dépêchez.

BÉLISE

Faites tôt,et hâtez nos plaisirs.→

PHILAMINTE

À notre impatienceoffrez votre épigramme.→

TRISSOTIN

Hélas, c’est un enfanttout nouveau-né, Madame.→

Son sort assurémenta lieu de vous toucher,→

Et c’est dans votre courque j’en viens d’accoucher.→

PHILAMINTE

Pour me le rendre cher,il suffit de son père.→

TRISSOTIN

Votre approbationlui peut servir de mère.→

BÉLISE

Qu’il a d’esprit !

SCÈNE II

HENRIETTE, PHILAMINTE, ARMANDE, BÉLISE, TRISSOTIN, L’ÉPINE.

PHILAMINTE

Holà, ↔pourquoi donc fu[i](y)[j]ez-vous ?→

HENRIETTE

C’est de peur de troublerun entretien si doux.→

PHILAMINTE

Approchez, et venezde toutes vos oreilles→

Prendre part au plaisird’entendre des merveilles.→

HENRIETTE

Je sais peu les beautésde tout ce qu’on écrit,→

Et ce n’est pas mon faitque les choses d’esprit.→

PHILAMINTE

Il n’importe ; aussi bienai-je à vous dire ensuite→

Un secret dont il fautque vous so[i](y)[j]ez instruite.→

TRISSOTIN

Les sciences n’ont rien quivous puisse enflammer,→

Et vous ne vous piquezque de savoir charmer.→

HENRIETTE

Aussi peu l’un que l’autre,et je n’ai nulle envie…→

BÉLISE

Ah songeons à l’enfantnouveau-né, je vous prie.→

PHILAMINTE

Allons, petit garçon,vite, de quoi s’asseoir.→

Le laquais tombe[105] avec la chaise.

Vo[i](y)[j]ez l’impertinent ! ↔ Est-ce que l’on doit choir,→

Après avoir appris l’équilibre des choses ?→

BÉLISE

De ta chute, ignorant,ne vois-tu pas les causes,→

Et qu’elle vient d’avoir du point fixe écarté,→

Ce que nous appelons centre de gravité ?→

L’ÉPINE

Je m’en suis aperçu, Madame, étant par terre.→

PHILAMINTE

Le lourdaud !

TRISSOTIN

Bien lui prendde n’être pas de verre.→

ARMANDE

Ah de l’esprit partout !

BÉLISE

Cela ne tarit pas.→

 

PHILAMINTE

Servez-nous promptementvotre aimable repas.→

TRISSOTIN

Pour cette grande faimqu’à mes yeux on expose,→

Un plat seul de huit versme semble peu de chose,→

Et je pense qu’icije ne ferai pas mal,→

De joindre à l’épigramme,ou bien au madrigal,→

Le ragoût d’un sonnet,qui chez une princesse→

A passé pour avoirquelque délicatesse.→

Il est de sel attiqueassaisonné partout,→

Et vous le trouverez,je crois, d’assez bon gt.→

ARMANDE

Ah ! Je n’en doute point.

PHILAMINTE

Donnons vite audience.→

BÉLISE

 

À chaque fois qu’il veutlire, elle l’interrompt[106].→

Je sens d’aise mon cœur tressaillir par avance.→

J’aime la poésie avec entêtement[107].→

Et surtout quand les vers sont tournés galamment.→

PHILAMINTE

Si nous parlons toujours, il ne pourra rien dire.→

TRISSOTIN

So…

BÉLISE[108]

Silence, ma nce. ↔

 

 

TRISSOTIN

SONNET, À LA PRINCESSE URANIE

sur sa fièvre.

Votre prudence est endormie,

De traiter magnifiquement,

Et de loger superbement

Votre plus cruelle ennemie.

BÉLISE

Ah le joli début !

ARMANDE

Qu’il a le tour galant !→

PHILAMINTE

Lui seul des vers aiséspossède le talent !→

ARMANDE

À prudence endormieil faut rendre les armes.→

BÉLISE

Loger son ennemieest pour moi plein de charmes.→

PHILAMINTE

J’aime superbementet magnifiquement ;→

Ces deux adverbes jointsfont admirablement.→

BÉLISE

Prêtons l’oreille au reste.

TRISSOTIN

Votre prudence est endormie,

De traiter magnifiquement,

Et de loger superbement

Votre plus cruelle ennemie.

ARMANDE

Prudence endormie !

BÉLISE

Loger son ennemie !

PHILAMINTE

Superbement, et magnifiquement !

TRISSOTIN

Faites-la sortir, quoi qu’on die[109],

De votre riche appartement,

Où cette ingrate insolemment

Attaque votre belle vie.

BÉLISE

Ah tout doux, laissez-moi,de grâce, respirer.→

ARMANDE

Donnez-nous, s’il vous plt, le loisir d’admirer.→

PHILAMINTE

On se sent à ces vers,jusques au fond de l’âme,→

Couler je ne sais quoiqui fait que l’on se pâme.→

ARMANDE

Faites-la sortir, quoi qu’on die,

De votre riche appartement.

Que riche appartementest là joliment dit !→

Et que la métaphoreest mise avec esprit !→

PHILAMINTE

Faites-la sortir, quoi qu’on die.

Ah ! que ce quoi qu’on dieest d’un goût admirable !→

C’est, à mon sentiment,un endroit impa[i](y)[j]able.→

ARMANDE

De quoi qu’on die aussimon cœur est amoureux.→

BÉLISE

Je suis de votre avis,quoi qu’on die est heureux.→

ARMANDE

Je voudrais l’avoir fait.

BÉLISE

Il vaut toute une pce.→

PHILAMINTE

Mais en comprend-on biencomme moi la finesse ?→

ARMANDE et BÉLISE

Oh, oh.

PHILAMINTE

Faites-la sortir, quoi qu’on die.

Que de la fvre on prenneici les intérêts,→

N’a[i](y)[j]ez aucun égard,moquez-vous des caquets.→

Faites-la sortir, quoi qu’on die, quoi qu’on die, quoi qu’on die.

Ce quoi qu’on die en ditbeaucoup plus qu’il ne semble.→

Je ne sais pas, pour moi,si chacun me ressemble ;→

Mais j’entends là-dessous ↔ ↑un million de mots.→

BÉLISE

Il est vrai qu’il dit plusde choses qu’il n’est gros.→

PHILAMINTE

Mais quand vous avez faitce charmant quoi qu’on die,→

Avez-vous compris, vous,toute son énergie ?→

Songiez-vous bien vous-mêmeà tout ce qu’il nous dit,→

Et pensiez-vous a lorsy mettre tant d’esprit ?→

TRISSOTIN

Hay, hay.

ARMANDE

J’ai fort aussil’ingrate dans la tête,→

Cette ingrate de fvre,injuste, malhonnête,→

Qui traite mal les gens,qui la logent chez eux.→

PHILAMINTE

Enfin les quatrains sontadmirables tous deux.→

Venons-en promptementaux tiercets, je vous prie.→

ARMANDE

Ah, s’il vous plt, encoreune fois quoi qu’on die.→

TRISSOTIN

Faites-la sortir, quoi qu’on die,

PHILAMINTE, ARMANDE et BÉLISE

Quoi qu’on die !

TRISSOTIN

De votre riche appartement,

PHILAMINTE, ARMANDE et BÉLISE

Riche appartement !

TRISSOTIN

Où cette ingrate insolemment

PHILAMINTE, ARMANDE et BÉLISE

Cette ingrate de fièvre ?

TRISSOTIN

Attaque votre belle vie.

PHILAMINTE

Votre belle vie !

ARMANDE et BÉLISE

Ah !

TRISSOTIN

Quoi, sans respecter votre rang,

Elle se prend à votre sang,

PHILAMINTE, ARMANDE et BÉLISE

Ah !

TRISSOTIN

Et nuit et jour vous fait outrage ?

Si vous la conduisez aux bains,

Sans la marchander davantage[110],

Noyez-la de vos propres mains.

PHILAMINTE

On n’en peut plus ?

BÉLISE

On pâme.

ARMANDE

On se meurt de plaisir.→

PHILAMINTE

De mille doux frissonsvous vous sentez saisir.→

ARMANDE

Si vous la conduisez aux bains,

BÉLISE

Sans la marchander davantage,

PHILAMINTE

Noyez-la de vos propres mains.

De vos propres mains, là, no[i](y)[j]ez-la dans les bains.→

ARMANDE

Chaque pas dans vos vers rencontre un trait charmant.→

BÉLISE

Partout on s’y promène avec ravissement.→

PHILAMINTE

On n’y saurait marcher que sur de belles choses.→

ARMANDE

Ce sont petits chemins tout parsemés de roses.→

TRISSOTIN

Le sonnet donc vous semble…

PHILAMINTE

Admirable, nouveau,→

Et personne jamais n’a rien fait de si beau.→

BÉLISE

Quoi, sans émotion pendant cette lecture ?→

Vous faites là, ma nce, une étrange figure !→

HENRIETTE

Chacun fait ici-bas la figure qu’il peut,→

Ma tante ; et bel esprit, il ne l’est pas qui veut.→

TRISSOTIN

Peut-être que mes vers importunent Madame.→

HENRIETTE

Point, je n’écoute pas.

PHILAMINTE

Ah ? vo[i](y)[j]ons l’épigramme.→

TRISSOTIN

SUR UN CARROSSE DE COULEUR AMARANTE, DONNÉ À UNE DAME DE SES AMIES.

PHILAMINTE

Ces titres ont toujours quelque chose de rare.→

ARMANDE

À cent beaux traits d’esprit leur nouveauté prépare.→

TRISSOTIN

L’amour si chèrement m’a vendu son lien,→

BÉLISE, ARMANDE et PHILAMINTE→

Ah !→

TRISSOTIN

Qu’il m’en cte déjà la moitié de mon bien.→

Et quand tu vois ce beau carrosse

Où tant d’or se relève en bosse[111],

Qu’il étonne tout le pays,

Et fait pompeusement triompher ma Laïs[112],

PHILAMINTE

Ah ma Laïs ! voilà de l’érudition.→

BÉLISE

L’enveloppe[113] est jolie, et vaut un million.→

TRISSOTIN

Et quand tu vois ce beau carrosse,

Où tant d’or se relève en bosse,

Qu’il étonne tout le pays,

Et fait pompeusement triompher ma Laïs,

Ne dis plus qu’il est amarante[114] :

Dis plutôt qu’il est de ma rente.

ARMANDE

Oh, oh, oh ! celui-là[115] ne s’attend point du tout.→

PHILAMINTE

On n’a que lui qui puisse écrire de ce gt.→

BÉLISE

Ne dis plus qu’il est amarante :

Dis plutôt qu’il est de ma rente.

Voilà qui se décline :ma rente, [de ma] rente, [à ma] rente.→

PHILAMINTE

Je ne sais du moment que je vous ai connu,→

Si sur votre sujet j’ai l’esprit prévenu[116],→

Mais j’admire partout vos vers et votre prose.→

TRISSOTIN

Si vous vouliez de vous nous montrer quelque chose,→

À notre tour aussinous pourrions admirer.→

PHILAMINTE

Je n’ai rien fait en vers,mais j’ai lieu d’espérer→

Que je pourrai bientôtvous montrer en amie,→

Huit chapitres du plande notre Académie.→

Platon s’est au projetsimplement arrêté,→

Quand de sa Républiqueil a fait le traité ;→

Mais à l’effet entierje veux pousser l’idée→

Que j’ai sur le papieren prose accommodée,→

Car enfin je me sensun étrange dépit→

Du tort que l’on nous faitdu côté de l’esprit,→

Et je veux nous vengertoutes tant que nous sommes→

De cette indigne classeoù nous rangent les hommes ;→

De borner nos talentsà des futilités,→

Et nous fermer la porteaux sublimes clartés.→

ARMANDE

C’est faire à notre sexeune trop grande offense,→

De n’étendre l’effortde notre intelligence,→

Qu’à juger d’une jupe,et de l’air d’un manteau,→

Ou des beautés d’un point,ou d’un brocart nouveau.→

BÉLISE

Il faut se releverde ce honteux partage,→

Et mettre hautementnotreesprit hors de page[117].→

TRISSOTIN

Pour les dames on saitmon respect en tous lieux,→

Et si je rends hommageaux brillants de leurs yeux,→

De leur esprit aussij’honore les lumres.→

PHILAMINTE

Le sexe aussi vous rendjustice en ces matres ;→

Mais nous voulons montrerà de certains esprits,→

Dont l’orgueilleux savoirnous traite avec mépris,→

Que de science aussiles femmes sont meublées,→

Qu’on peut faire comme eux[118]de doctes assemblées,→

Conduites en cela par des ordres meilleurs,→

Qu’on y veut réunir ce qu’on sépare ailleurs[119] ;→

Mêler le beau langage, et les hautes sciences ;→

Découvrir la natureen mille expériences ;→

Et sur les questionsqu’on pourra proposer→

Faire entrer chaque secte[120],et n’en point épouser.→

TRISSOTIN

Je m’attache pour l’ordre au péripatétisme[121].→

PHILAMINTE

Pour les abstractions j’aime le platonisme.→

ARMANDE

Épicure me plt, et ses dogmes sont forts.→

BÉLISE

Je m’accommode assez pour moi des petits corps ;→

Mais le vide à souffrir me semble difficile,→

Et je goûte bien mieux la matière subtile[122].→

TRISSOTIN

Descartes pour l’aimant donne fort dans mon sens[123].→

ARMANDE

J’aime ses tourbillons[124].

PHILAMINTE

Moi ses mondes tombants[125].→

ARMANDE

Il me tarde de voir notre assemblée ouverte,→

Et de nous signaler par quelque découverte.→

TRISSOTIN

On en attend beaucoup de vos vives clartés,→

Et pour vous la nature a peu d’obscurités.→

PHILAMINTE

Pour moi, sans me flatter, j’en ai déjà fait une,→

Et j’ai vu clairement des hommes dans la lune.→

BÉLISE

Je n’ai point encor vu d’hommes, comme je crois,→

Mais j’ai vu des clochers tout comme je vous vois.→

ARMANDE

Nous approfondirons, ainsi que la physique,→

Grammaire, histoire, vers[126], morale, et politique.→

 

PHILAMINTE

La morale a des traits dont mon cœur est épris,

Et c’était autrefois l’amour des grands esprits ;

Mais aux stoïciens je donne l’avantage,→

Et je ne trouve rien de si beau que leur sage.→

ARMANDE

Pour la langue, on verra dans peu nos règlements,→

Et nous y prétendons faire des remuements[127].→

Par une antipathie ou juste, ou naturelle[128],→

Nous avons pris chacune une haine mortelle→

Pour un nombre de mots, soit ou verbes, ou noms,→

Que mutuellement nous nous abandonnons ;→

Contre eux nous préparons de mortelles sentences,→

Et nous devons ouvrir nos doctes conférences→

Par les proscriptions de tous ces mots divers,→

Dont nous voulons purger et la prose et les vers.→

PHILAMINTE

Mais le plus beau projet de notre académie,→

Une entreprise noble et dont je suis ravie ;→

Un dessein plein de gloire, et qui sera vanté

Chez tous les beaux esprits de la postérité,→

C’est le retranchement de ces syllabes sales,→

Qui dans les plus beaux mots produisent des scandales ;→

Ces jouets éternels des sots de tous les temps ;→

Ces fades lieux communs de nos méchants plaisants ;→

Ces sources d’un amas d’équivoques infâmes,→

Dont on vient faire insulte à la pudeur des femmes.→

TRISSOTIN

Voilà certainementd’admirables projets !→

BÉLISE

Vous verrez nos statutsquand ils seront tous faits.→

TRISSOTIN

Ils ne sauraient manquerd’être tous beaux et sages.→

ARMANDE

Nous serons par nos loisles juges des ouvrages.→

Par nos lois, prose et vers,tout nous sera soumis.→

Nul n’aura de l’esprit,hors nous et nos amis.→

Nous chercherons partoutà trouver à redire,→

Et ne verrons que nousqui sache bien écrire.

SCÈNE III→

L’ÉPINE, TRISSOTIN, PHILAMINTE, BÉLISE, ARMANDE, HENRIETTE, VADIUS.→

L’ÉPINE

Monsieur, un homme est làqui veut parler à vous,→

Il est vêtu de noir,et parle d’un ton doux.→

 

TRISSOTIN

C’est cet ami savantqui m’a fait tant d’instance→

De lui donner l’honneurde votre connaissance.→

 

 

 

 

 

PHILAMINTE

Pour le faire venir,vous avez tout crédit.→

Faisons bien les honneursau moins de notre esprit.→

Holà. Je vous ai diten paroles bien claires,→

 

Que j’ai besoin de vous.

HENRIETTE

Mais pour quelles affaires ?→

PHILAMINTE

Venez, on va dans peuvous les faire savoir.→

 

 

 

TRISSOTIN

Voici l’homme qui meurtdu désir de vous voir.→

En vous le produisant,je ne crains point le blâme→

D’avoir admis chez vousun profane, Madame,→

Il peut tenir son coin[129]parmi de beaux esprits.→

PHILAMINTE

La main qui le présente,en dit assez le prix.→

TRISSOTIN

Il a des vieux auteursla pleine intelligence,→

Et sait du grec, Madame,autant qu’homme de France.→

PHILAMINTE

Du grec, ô Ciel ! du grec !Il sait du grec, ma sœur !→

BÉLISE

Ah, ma nièce, du grec !

ARMANDE

Du grec ! quelle douceur !→

PHILAMINTE

Quoi, Monsieur sait du grec ?Ah permettez, de grâce→

Que pour l’amour du grec,Monsieur, on vous embrasse.→

Il les baise toutes, jusques àHenriette qui le refuse[130].→

HENRIETTE

Excusez-moi, Monsieur, je n’entends pas le grec.→

 

 

PHILAMINTE

J’ai pour les livres grecs un merveilleux respect.→

VADIUS

Je crains d’être fâcheux,par l’ardeur qui m’engage→

À vous rendre aujourd’hui,Madame, mon hommage,→

Et j’aurais pu troublerquelque docte entretien.→

PHILAMINTE

Monsieur, avec du grecon ne peut gâter rien.→

TRISSOTIN

Au reste il fait merveilleen vers ainsi qu’en prose,→

Et pourrait, s’il voulait,vous montrer quelque chose.→

VADIUS

Le défaut des auteurs,dans leurs productions,→

C’est d’en tyranniser↔↑les conversations ;→

D’être au Palais, au Cours[131],aux ruelles, aux tables,→

De leurs vers fatigantslecteurs infatigables.→

Pour moi je ne vois riende plus sot à mon sens,→

Qu’un auteur qui partoutva gueuser des encens[132],→

Qui des premiers venus saisissant les oreilles,→

En fait le plus souvent les martyrs de ses veilles.→

On ne m’a jamais vu ce fol entêtement,→

Et d’un Grec là-dessus je suis le sentiment,→

Qui par un dogme exprès défend à tous ses sages→

L’indigne empressement[133] de lire leurs ouvrages.→

Voici de petits vers pour de jeunes amants,→

Sur quoi je voudrais bien avoir vos sentiments.→

TRISSOTIN

Vos vers ont des beautés que n’ont point tous les autres.→

VADIUS

Les grâces et Vénus règnent dans tous les vôtres.→

TRISSOTIN

Vous avez le tour libre, et le beau choix des mots.→

VADIUS

On voit partout chez vous l’ithos et le pathos[134].→

TRISSOTIN

Nous avons vu de vous des églogues d’un style,→

Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile.→

VADIUS

Vos odes ont un air noble, galant et doux,→

Qui laisse de bien loin votre Horace après vous.→

TRISSOTIN

Est-il rien d’amoureuxcomme vos chansonnettes ?→

VADIUS

Peut-on voir rien d’égalaux sonnets que vous faites ?→

TRISSOTIN

Rien qui soit plus charmantque vos petits rondeaux ?→

VADIUS

Rien de si plein d’espritque tous vos madrigaux ?→

TRISSOTIN

Aux ballades surtoutvous êtes admirable.→

VADIUS

Et dans les bouts-rimésje vous trouve adorable.→

TRISSOTIN

Si la France pouvaitconntre votre prix,→

VADIUS

Si le siècle rendaitjustice aux beaux esprits,→

TRISSOTIN

En carrosse dorévous iriez par les rues.→

VADIUS

On verrait le publicvous dresser des statues.→

Hom. C’est une ballade,et je veux que tout net→

Vous m’en…→

TRISSOTIN

Avez-vous vucertain petit sonnet→

Sur la fièvre qui tientla princesse Uranie ?→

VADIUS

Oui, hier il me fut ludans une compagnie.→

TRISSOTIN

Vous en savez l’auteur ?

VADIUS

Non ; mais je sais fort bien,→

Qu’à ne le point flatter,son sonnet ne vaut rien[135].→

TRISSOTIN

Beaucoup de gens pourtantle trouvent admirable.→

VADIUS

Cela n’empêche pasqu’il ne soit misérable ;→

Et si vous l’avez vu,vous serez de mon gt.→

TRISSOTIN

Je sais que là-dessusje n’en suis point du tout,→

Et que d’un tel sonnet peu de gens sont capables.→

VADIUS

Me préserve le Ciel d’en faire de semblables !→

TRISSOTIN

Je soutiens qu’on ne peut en faire de meilleur ;→

Et ma grande raison, c’est que j’en suis l’auteur.→

VADIUS

Vous ?

TRISSOTIN

Moi.

VADIUS

Je ne sais donc comment se fit l’affaire.→

TRISSOTIN

C’est qu’on fut malheureux, de ne pouvoir vous plaire.→

VADIUS

Il faut qu’en écoutant j’aie eu l’esprit distrait,→

Ou bien que le lecteur m’ait gâté le sonnet.→

Mais laissons ce discours, et vo[i](y)[j]ons ma ballade.→

TRISSOTIN

La ballade, à mon gt,est une chose fade.→

Ce n’en est plus la mode ;elle sent son vieux temps.→

VADIUS

La ballade pourtantcharme beaucoup de gens.→

TRISSOTIN

Cela n’empêche pas qu’elle ne me déplaise.→

VADIUS

Elle n’en reste pas pour cela plus mauvaise.→

TRISSOTIN

Elle a pour les pédants de merveilleux appas.→

VADIUS

Cependant nous vo[i](y)[j]ons[136] qu’elle ne vous plaît pas.→

TRISSOTIN

Vous donnez sottement vos qualités aux autres.→

 

VADIUS

Fort impertinemment vous me jetez les vôtres.→

TRISSOTIN

Allez, petit grimaud[137], barbouilleur de papier.→

VADIUS

Allez, rimeur de balle[138], opprobre du métier.→

TRISSOTIN

Allez, fripier d’écrits, impudent plagiaire.→

VADIUS

Allez, cuistre

PHILAMINTE

Eh, Messieurs[139],que prétendez-vous faire ?→

TRISSOTIN

Va, va restituer tous les honteux larcins→

Que réclament sur toiles Grecs et les Latins.→

VADIUS

Va, va-t’en faire amendehonorable au Parnasse,→

D’avoir fait à tes vers↔↑estropier Horace.→

TRISSOTIN

Souviens-toi de ton livre,et de son peu de bruit.→

VADIUS

Et toi, de ton libraireà l’hôpital réduit.→

TRISSOTIN

Ma gloire est établie,en vain tu la déchires.→

VADIUS

Oui, oui, je te renvoieà l’auteur des Satires.→

TRISSOTIN

Je t’y renvoie aussi.

VADIUS

J’ai le contentement,→

Qu’on voit qu’il m’a traité plus honorablement.→

Il me donne en passantune atteinte légère[140]

Parmi plusieurs auteurs qu’au Palais[141] on révère ;→

Mais jamais dans ses vers il ne te laisse en paix[142],→

Et l’on t’y voit partout être en butte à ses traits.→

TRISSOTIN

C’est par là que j’y tiens un rang plus honorable.→

Il te met dans la foule ainsi qu’un misérable,→

Il croit que c’est assez d’un coup pour t’accabler,→

Et ne t’a jamais fait l’honneur de redoubler :→

Mais il m’attaque à part comme un noble adversaire→

Sur qui tout son effort lui semble nécessaire ;→

Et ses coups contre moi redoublés en tous lieux,→

Montrent qu’il ne se croit jamais victorieux.→

VADIUS

Ma plume t’apprendra quel homme je puis être.→

TRISSOTIN

Et la mienne saura te faire voir ton mtre.→

VADIUS

Je te défie en vers, prose, grec, et latin.→

TRISSOTIN

Hé bien, nous nous verrons seul à seul chez Barbin[143].

SCÈNE IV

TRISSOTIN, PHILAMINTE, ARMANDE, BÉLISE, HENRIETTE.

TRISSOTIN

À mon emportementne donnez aucun blâme ;→

C’est votre jugementque je défends, Madame,→

Dans le sonnet qu’il al’audace d’attaquer.→

PHILAMINTE

À vous remettre bien,je me veux appliquer.→

Mais parlons d’autre affaire.Approchez, Henri[j]ette.→

Depuis assez longtempsmon âme s’inqute,→

De ce qu’aucun espriten vous ne se fait voir,→

Mais je trouve un mo[i](y)[j]ende vous en faire avoir.→

HENRIETTE

C’est prendre un soin pour moiqui n’est pas nécessaire,→

Les doctes entretiensne sont point mon affaire.→

J’aime à vivre aisément,et dans tout ce qu’on dit→

Il faut se trop peiner,pour avoir de l’esprit.→

C’est une ambitionque je n’ai point en tête,→

Je me trouve fort bien,ma mère, d’être bête,→

Et j’aime mieux n’avoirque de communs propos,→

Que de me tourmenterpour dire de beaux mots.→

PHILAMINTE

Oui, mais j’y suis blessée,et ce n’est pas mon compte→

De souffrir dans mon sangune pareille honte.→

La beauté du visageest un frêle ornement,→

Une fleur passagère,un éclat d’un moment,→

Et qui n’est attachéqu’à la simple épiderme ;→

Mais celle de l’esprit est inhérente et ferme.→

J’ai donc cherché longtemps un biais de vous donner→

La beauté que les ans ne peuvent moissonner,→

De faire entrer chez vous le désir des sciences[144],→

De vous insinuer les belles connaissances ;→

Et la pensée enfin où mes vœux ont souscrit,→

C’est d’attacher à vous un homme plein d’esprit,→

Et cet homme est Monsieur que je vous détermine[145]

À voir comme l’époux que mon choix vous destine.→

 

HENRIETTE

Moi, ma mère ?

PHILAMINTE

Oui, vous. Faites la sotte un peu.→

BÉLISE[146]

Je vous entends. Vos yeux demandent mon aveu,→

Pour engager ailleurs un cœur que je possède.→

Allez, je le veux bien. À ce nœud[147] je vous cède,→

C’est un hymen qui fait[148] votre établissement.→

TRISSOTIN

Je ne sais que vous dire, en mon ravissement,→

Madame, et cet hymen dont je vois qu’on m’honore→

Me met…

HENRIETTE

Tout beau, Monsieur, il n’est pas fait encore→

Ne vous pressez pas tant.

PHILAMINTE

Comme vous répondez !→

Savez-vous bien que si Suffit, vous m’entendez.→

Elle se rendra sage ; allons, laissons-la faire.

SCÈNE V

HENRIETTE, ARMANDE.

ARMANDE

On voit briller pour vousles soins de notre mère ;→

Et son choix ne pouvaitd’un plus illustre époux…→

HENRIETTE

Si le choix est si beau,que ne le prenez-vous ?→

ARMANDE

C’est à vous, non à moi,que sa main est donnée.→

HENRIETTE

Je vous le cède tout,comme à ma sœur aînée.→

ARMANDE

Si l’hymen comme à vousme paraissait charmant,→

J’accepterais votre offre[149]avec ravissement.→

HENRIETTE

Si j’avais comme vous les pédants dans la tête,→

Je pourrais le trouver un parti fort honnête.→

ARMANDE

Cependant bien qu’ici nos gts soient différents,→

Nous devons oir,ma sœur, à nos parents ;→

Une mère a sur nous[150]une entre puissance[151],→

Et vous cro[i](y)[j]ez en vain par votre résistance…

SCÈNE VI

CHRYSALE, ARISTE, CLITANDRE, HENRIETTE, ARMANDE.

CHRYSALE

Allons, ma fille, il fautapprouver mon dessein,→

Ôtez ce gant. Touchezà Monsieur dans la main,→

Et le considérezdésormais dans votre âme→

En homme dont je veuxque vous so[i](y)[j]ez la femme.→

ARMANDE

De ce côté, ma sœur,vos penchants sont fort grands.→

HENRIETTE

Il nous faut oir,ma sœur, à nos parents ;→

Un père a sur nos vœuxune entre puissance[152].→

ARMANDE

Une mère a sa part[153] à notre obéissance.→

CHRYSALE

Qu’est-ce à dire ?[154]

ARMANDE

Je dis que j’appréhende fort→

Qu’ici ma mère et vous ne so[i](y)[j]ez pas d’accord,→

Et c’est un autre époux…

CHRYSALE

Taisez-vous, péronnelle[155] !→

Allez philosophertout le soûl avec elle,→

Et de mes actionsne vous mêlez en rien.→

Dites-lui ma pensée,et l’avertissez bien

Qu’elle ne vienne pasm’échauffer les oreilles ;→

Allons vite.

 

 

ARISTE

Fort bien ;vous faites des merveilles.→

CLITANDRE

Quel transport ! quelle joie !ah ! que mon sort est doux !→

CHRYSALE

Allons, prenez sa main,et passez devant nous,→

Menez-la dans sa chambre.Ah les douces caresses !→

Tenez, mon cœur s’émeutà toutes ces tendresses,→

Cela ragaillardit tout à fait mes vieux jours,→

Et je me ressouviens de mes jeunes amours.

ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE

ARMANDE, PHILAMINTE.

ARMANDE

Oui, rien n’a retenuson esprit en balance[156].→

Elle a fait vanitéde son obéissance.→

Son cœur, pour se livrer,à peine devant moi

S’est-il donné le tempsd’en recevoir la loi,→

Et semblait suivre moinsles volontés d’un père,→

Qu’affecter de braverles ordres d’une mère.→

PHILAMINTE

Je lui montrerai bienaux lois de qui des deux→

Les droits de la raison soumettent tous ses vœux ;→

Et qui doit gouverner ↔ ou sa mère, ou son père,→

Ou l’esprit, ou le corps ; ↔ la forme, ou la matre.→

ARMANDE

On vous en devait bien ↔ au moins un compliment[157],→

Et ce petit Monsieur ↔ en use étrangement,→

De vouloir malgré vous ↔ devenir votre gendre.→

PHILAMINTE

Il n’en est pas encore ↔ où son cœur peut prétendre.→

Je le trouvais bien fait, et j’aimais vos amours ;→

Mais dans ses procédés ↔ il m’a déplu toujours.→

Il sait que Dieu merci ↔ je me mêle d’écrire,→

Et jamais il ne m’a ↔ pri[j]é de lui rien lire.

SCÈNE II

CLITANDRE, ARMANDE, PHILAMINTE.

 

ARMANDE

Je ne souffrirais point,si j’étais que de vous,→

Que jamais d’Henrietteil pût être l’époux.→

On me ferait grand tortd’avoir quelque pensée,→

Que là-dessus je parleen fille intéressée,→

Et que le lâche tourque l’on voit qu’il me fait,→

Jette au fond de mon cœur[158]quelque dépit secret.→

Contre de pareils coups, l’âme se fortifie→

Du solide secours de la philosophie,→

Et par elle on se peut mettre au-dessus de tout :→

Mais vous traiter ainsi, c’est vous pousser à bout.→

Il est de votre honneur d’être à ses vœux contraire,→

Et c’est un homme enfin qui ne doit point vous plaire.→

Jamais je n’ai connu, discourant entre nous,→

Qu’il eût au fond du cœur de l’estime pour vous.→

PHILAMINTE

Petit sot !

ARMANDE

Quelque bruit que votre gloire fasse,→

Toujours à vous louer il a paru de glace.→

PHILAMINTE

Le brutal !

ARMANDE

Et vingt fois, comme ouvrages nouveaux[159],→

J’ai lu des vers de vous qu’il n’a point trouvés beaux.→

PHILAMINTE

L’impertinent !

ARMANDE

Souvent nous en étions aux prises ;→

Et vous ne croiriez point de combien de sottises…→

CLITANDRE

Eh doucement de grâce. Un peu de charité,→

Madame, ou tout au moins un peu d’honnêteté.→

Quel mal vous ai-je fait ? et quelle est mon offense,→

Pour armer contre moi toute votre éloquence ?[160]

Pour vouloir me détruire, et prendre tant de soin

De me rendre odieux aux gens dont j’ai besoin ?→

Parlez. Dites, d’où vient ce courroux effro[i](y)[j]able ?→

Je veux bien que Madame en soit juge équitable.→

ARMANDE

Si j’avais le courroux dont on veut m’accuser,→

Je trouverais assez de quoi l’autoriser ;→

Vous en seriez trop digne, et les premres flammes→

S’établissent des droits si sacrés sur les âmes.→

Qu’il faut perdre fortune, et renoncer au jour,→

Plutôt que de brûler des feux d’un autre amour ;→

Au changement de vœux nulle horreur ne s’égale,→

Et tout cœur infidèle est un monstre en morale.→

CLITANDRE

Appelez-vous, Madame, une infidélité,→

Ce que m’a de votre âme ordonné la fierté ?→

Je ne fais qu’oir aux lois qu’elle m’impose ;→

Et si je vous offense, elle seule en est cause[161].→

Vos charmes ont d’abord possédé tout mon cœur.→

Il a brûlé deux ans d’une constante ardeur[162] ;→

Il n’est soins empressés, devoirs, respects, services,→

Dont il ne vous ait fait d’amoureux sacrifices.→

Tous mes feux, tous mes soins ne peuvent rien sur vous,→

Je vous trouve contraire à mes vœux les plus doux ;→

Ce que vous refusez, je l’offre au choix d’une autre.→

Vo[i](y)[j]ez. Est-ce, Madame,ou ma faute, ou la vôtre ?→

Mon cœur court-il au change, ou si vous l’y poussez ?→

Est-ce moi qui vous quitte, ou vous qui me chassez ?→

ARMANDE

Appelez-vous, Monsieur, être à vos vœux contraire,→

Que de leur arracher ce qu’ils ont de vulgaire,→

Et vouloir les réduire à cette pureté

Où du parfait amour consiste la beauté ?→

Vous ne sauriez pour moi tenir votre pensée→

Du commerce des sens nette et débarrassée ?→

Et vous ne gtez point dans ses plus doux appas,→

Cette union des cœurs, où les corps n’entrent pas.→

Vous ne pouvez aimer que d’une amour grossre ?→

Qu’avec tout l’attiraildes nœuds de la matre ?→

Et pour nourrir les feuxque chez vous on produit,→

Il faut un mariage,et tout ce qui s’ensuit.→

Ah quel étrange amour !et que les belles âmes→

Sont bien loin de brûlerde ces terrestres flammes !→

Les sens n’ont point de partà toutes leurs ardeurs,→

Et ce beau feu ne veutmarier que les cœurs.→

Comme une chose indigne[163],il laisse là le reste.→

C’est un feu pur et net comme le feu céleste,→

On ne pousse avec lui que d’honnêtes soupirs,→

Et l’on ne penche point vers les sales désirs.→

Rien d’impur ne se mêle au but qu’on se propose.→

On aime pour aimer, et non pour autre chose.→

Ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous les transports→

Et l’on ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps.→

CLITANDRE

Pour moi par un malheur, je m’aperçois, Madame,→

Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme :→

Je sens qu’il y tient trop, pour le laisser à part ;→

De ces détachements je ne connais point l’art ;→

Le Ciel m’a dén cette philosophie,→

Et mon âme et mon corps marchent de compagnie.→

Il n’est rien de plus beau, comme vous avez dit,→

Que ces vœux épurés qui ne vont qu’à l’esprit,→

Ces unions de cœurs,et ces tendres pensées,→

Du commerce des senssi bien débarrassées :→

Mais ces amours pour moisont trop subtilisés,→

Je suis un peu grossier,comme vous m’accusez ;→

J’aime avec tout moi-même,et l’amour qu’on me donne,→

En veut, je le confesse,à toute la personne.→

Ce n’est pas là matreà de grands châtiments ;→

Et sans faire de tortà vos beaux sentiments,→

Je vois que dans le mondeon suit fort ma méthode,→

Et que le mariageest assez à la mode,→

Passe pour un lienassez honnête et doux,→

Pour avoir désir[164]de me voir votre époux,→

Sans que la liberté ↔ d’une telle pensée→

Ait dû vous donner lieu ↔ d’en paraître offensée.→

ARMANDE

Hé bien, Monsieur, hé bien, ↔ puisque sans m’écouter→

Vos sentiments brutaux ↔ veulent se contenter ;→

Puisque pour vous réduire ↔ à des ardeurs fidèles,→

Il faut des nœuds de chair, ↔ des chnes corporelles ;→

Si ma mère le veut, ↔ je résous mon esprit→

À consentir pour vous ↔ à ce dont il s’agit.→

CLITANDRE

Il n’est plus temps, Madame, ↔ une autre a pris la place ;→

Et par un tel retour↔j’aurais mauvaise grâce→

De maltraiter l’asile, ↔et blesser les bontés,→

Où je me suis sauvé↔de toutes vos fiertés.→

PHILAMINTE

Mais enfin comptez-vous, ↔Monsieur, sur mon suffrage,→

Quand vous vous promettez↔cet autre mariage ?→

Et dans ↑vos visions↔savez-vous, s’il vous plt,→

Que j’ai pour Henri[j]ette↔un autre époux tout prêt ?

CLITANDRE

Eh, Madame, voi[i](y)[j]ez↔votre choix, je vous prie ;→

Exposez-moi, de grâce, ↔à moins d’ignominie,→

Et ne me rangez pas[165]↔à l’indigne destin

De me voir le rival↔de Monsieur Trissotin.→

L’amour des beaux esprits↔qui chez vous m’est contraire→

Ne pouvait m’opposer↔un moins noble adversaire.→

Il en est, et plusieurs, ↔que pour le bel esprit→

Le mauvais gt du scle↔a su mettre en crédit :→

Mais Monsieur Trissotin↔n’a pu duper personne,→

Et chacun rend justice↔aux écrits qu’il nous donne.→

Hors céans, on le prise↔en tous lieux ce qu’il vaut ;→

Et ce qui m’a vingt fois↔fait tomber de mon haut,→

C’est de vous voir au ciel↔élever des sornettes,→

Que vous désavoueriez, ↔si vous les aviez faites.→

PHILAMINTE

Si vous jugez de lui↔tout autrement que nous,→

C’est que nous le vo[i](y)[j]ons↔par d’autres yeux que vous.

SCÈNE III

TRISSOTIN, ARMANDE, PHILAMINTE, CLITANDRE.

TRISSOTIN

Je viens vous annoncer ↔une grande nouvelle.→

Nous l’avons en dormant, ↔Madame, échappé belle :→

Un monde[166] près de nous↔a passé tout du long,→

Est chu tout au travers↔de notre tourbi[j]llon ;→

Et s’il eût en chemin↔rencontré notre terre,→

Elle t été brisée↔en morceaux comme verre.→

PHILAMINTE

Remettons ce discours↔pour une autre saison,→

Monsieur n’y trouverait↔ni rime, ni raison ;→

Et de haïr surtout↔l’esprit ↑et la science.→

 

CLITANDRE

Cette vérité veut↔quelque adoucissement.→

Je m’explique, Madame, ↔et je hais seulement→

La science et l’esprit↔qui gâtent les personnes.→

Ce sont choses de soi↔qui sont belles et bonnes ;→

Mais j’aimerais mieux être↔au rang des ignorants,→

Que de me voir savant ↔ comme certaines gens.→

TRISSOTIN

Pour moi je ne tiens pas, ↔ quelque effet qu’on suppose,→

↑ Que la science soit ↔ pour gâter quelque chose.→

CLITANDRE

Et c’est mon sentiment, ↔ qu’en faits, comme en propos,→

La science est sujette ↔ à faire de grands sots.→

TRISSOTIN

Le paradoxe est fort. ↔

CLITANDRE

Sans être fort habile,→

La preuve m’en serait ↔ je pense assez facile.→

Si les raisons manquaient,je suis sûr qu’en tout cas→

Les exemples fameux ↔ ne me manqueraient pas.→

TRISSOTIN

Vous en pourriez citer ↔ qui ne concluraient guère.→

CLITANDRE

Je n’irais pas bien loin ↔ pour trouver mon affaire.→

TRISSOTIN

Pour moi je ne vois pas ↔ ces exemples fameux.→

CLITANDRE

Moi, je les vois si bien, ↔ qu’ils me crèvent les yeux.→

TRISSOTIN

J’ai cru jusques ici ↔ que c’était l’ignorance→

Qui faisait les grands sots, ↔ et non pas ↓la science.→

CLITANDRE

Vous avez cru fort mal, ↔et je vous suis garant,→

Qu’un sot savant est sot↔plus qu’un sot ignorant.→

TRISSOTIN

Le sentiment commun↔est contre vos maximes,→

Puisque ignorant et sot↔sont termes synonymes.→

CLITANDRE

Si vous le voulez prendre↔aux usages du mot,→

L’alliance est plus grande↔entre pédant et sot.→

TRISSOTIN

La sottise dans l’un↔se fait voir toute pure.→

CLITANDRE

Et l’étude dans l’autre↔ajoute à la nature.→

TRISSOTIN

Le savoir garde en soi↔son mérite éminent.→

CLITANDRE

Le savoir dans un fat[167]↔devient impertinent.→

TRISSOTIN

Il faut que l’ignorance↔ait pour vous de grands charmes,

Puisque pour elle ainsi↔vous prenez tant les armes.→

CLITANDRE

Si pour moi l’ignorance↔a des charmes bien grands,→

C’est depuis qu’à mes yeux↔s’offrent certains savants.→

TRISSOTIN

Ces certains savants-là, ↔peuvent à les conntre→

Valoir certaines gens↔que nous vo[i](y)[j]ons partre.

CLITANDRE

Oui, si l’on s’en rapporte↔à ces certains savants ;→

Mais on n’en convient pas↔chez ces certaines gens.→

PHILAMINTE

Il me semble, Monsieur…↔

CLITANDRE

Eh, Madame, de grâce,→

Monsieur est assez fort, ↔sans qu’à son aide on passe :→

Je n’ai déjà que trop↔d’un si rude assai[j]llant →

Et si je me défends, ↔ce n’est qu’en reculant.→

ARMANDE

Mais l’offensante aigreur↔de chaque repartie→

Dont vous…

CLITANDRE

Autre second, ↔je quitte la partie.→

PHILAMINTE

On souffre aux entretiens↔ces sortes de combats,→

Pourvu qu’à la personne↔on ne s’attaque pas.

CLITANDRE

Eh, mon Dieu, tout cela↔n’a rien dont il s’offense ;→

Il entend raillerie↔autant qu’homme de France ;→

Et de bien d’autres traits↔il s’est senti piquer,→

Sans que jamais sa gloire↔ait fait que s’en moquer.→

TRISSOTIN

Je ne m’étonne pas↔au combat que j’essuie,

De voir prendre à Monsieur↔la thèse qu’il appuie.→

Il est fort enfoncé↔dans la cour, c’est tout dit[168] :→

La cour, comme l’on sait, ↔ne tient pas pour l’esprit ;→

Elle a quelque intérêt↔d’appui[j]er l’ignorance,→

Et c’est en courtisan↔qu’il en prend la défense.

CLITANDRE

Vous en voulez beaucoup↔à cette pauvre cour,→

Et son malheur est grand, ↔de voir que chaque jour→

Vous autres beaux esprits, ↔vous déclamiez contre elle ;→

Que de tous vos chagrins↔vous lui fassiez querelle ;→

Et sur son méchant gt↔lui faisant son procès,

N’accusiez que lui seul↔de vos méchants succès.→

Permettez-moi, Monsieur↔Trissotin, de vous dire,→

Avec tout le respect↔que votre nom m’inspire,→

Que vous feriez fort bien, ↔vos confrères, et vous,→

De parler de la cour↔d’un ton un peu plus doux ;

Qu’à le bien prendre au fond, ↔elle n’est pas si bête→

Que vous autres Messieurs↔vous vous mettez en tête ;→

Qu’elle a du sens commun↔pour se conntre à tout ;→

Que chez elle on se peut↔former quelque bon gt ;→

Et que l’esprit du monde↔y vaut, sans flatterie,→

Tout le savoir obscur↔de la pédanterie.→

TRISSOTIN

De son bon gt, Monsieur, ↔nous voi[j]ons des effets.→

CLITANDRE

Où voi[j]ez-vous, Monsieur, ↔qu’elle l’ait si mauvais ?→

TRISSOTIN

Ce que je vois, Monsieur, ↔c’est que ↑pour la science→

Rasius et Baldus font↔honneur↑ à la France,→

Et que tout leur mérite↔exposé fort au jour,→

N’attire point les yeux↔et les dons de la Cour.→

CLITANDRE

Je vois votre chagrin, ↔et que par modestie→

Vous ne vous mettez point, ↔Monsieur, de la partie :→

Et pour ne vous point mettre↔aussi dans le propos,→

Que font-ils pour l’État↔vos habiles héros ?→

Qu’est-ce que leurs écrits↔lui rendent de service,→

Pour accuser la cour↔d’une horrible injustice,→

Et se plaindre en tous lieux↔que sur leurs doctes noms→

Elle manque à verser[169] ↔ la faveur de ses dons ?→

Leur savoir à la France ↔ est beaucoup nécessaire,→

Et des livres qu’ils font ↔ la cour a bien affaire.→

Il semble à trois gredins, ↔ dans leur petit cerveau,→

Que pour être imprimés, ↔ ↑et rels en veau,→

Les voilà dans l’État↔d’importantes personnes ;→

Qu’avec leur plume ils font↔les destins des couronnes ;→

Qu’au moindre petit bruit↔↑de leurs productions,→

Ils doivent voir chez eux↔voler↑ les pensions ;→

Que sur eux l’univers↔a la vue attachée ;→

Que partout de leur nom↔la gloire est épanchée,→

Et qu’en science ils sont↔des prodiges fameux,→

Pour savoir ce qu’ont dit↔les autres avant eux,→

Pour avoir eu trente ans↔des yeux et des oreilles,→

Pour avoir emploi[j]é↔neuf ou dix mille veilles→

À se bien barbouiller↔de grec et de latin,

Et se charger l’esprit↔d’un ténébreux butin

De tous les vieux fatras↔qui trnent dans les livres ;→

Gens qui de leur savoir↔paraissent toujours ivres ;→

Riches pour tout mérite, ↔en babil importun,→

Inhabiles à tout, ↔vides de sens commun,

Et pleins d’un ridicule, ↔et d’une impertinence→

À décri[j]er partout ↔ l’esprit ↑ et la science.→

PHILAMINTE

Votre chaleur est grande, ↔ et cet emportement→

De la nature en vous ↔ marque le mouvement.→

C’est le nom de rival ↔ qui dans votre âme excite…

SCÈNE IV

JULIEN, TRISSOTIN, PHILAMINTE, CLITANDRE, ARMANDE.

JULIEN

Le savant qui tantôt ↔vous a rendu visite,→

Et de qui j’ai l’honneur ↔de me voir le valet[170],→

Madame, vous exhorte ↔à lire ce billet.→

PHILAMINTE

Quelque important que soit ↔ce qu’on veut que je lise,→

Apprenez, mon ami, ↔que c’est une sottise

De se venir jeter ↔au travers d’un discours,→

Et qu’aux gens d’un logis ↔il faut avoir recours,→

Afin de s’introduire ↔en valet qui sait vivre.→

JULIEN

Je noterai cela, ↔Madame, dans mon livre.→

PHILAMINTE lit :

Trissotin s’est vanté, Madame, qu’il épouserait votre fille. Je vous donne avis que sa philosophie n’en veut qu’à vos richesses, et que vous ferez bien de ne point conclure ce mariage, que vous n’ayez vu le poème que je compose contre lui. En attendant cette peinture où je prétends vous le dépeindre de toutes ses couleurs, je vous envoie Horace, Virgile, Térence et Catulle, où vous verrez notés en marge tous les endroits qu’il a pillés.

 

 

poursuit.

Voilà sur cet hymen ↔que je me suis promis→

Un mérite attaqué ↔ de beaucoup d’ennemis ;→

Et ce déchnement ↔ aujourd’hui me convie,→

À faire une action[171] ↔ qui confonde l’envie ;→

Qui lui fasse sentir ↔ que l’effort qu’elle fait,→

De ce qu’elle veut rompre, ↔ aura pressé l’effet.→

Reportez tout cela ↔ sur l’heure à votre mtre ;→

Et lui dites, qu’afin ↔ de lui faire conntre→

Quel grand état je fais ↔ de ses nobles avis,→

Et comme je les crois ↔ dignes d’être suivis,→

Dès ce soir à Monsieur ↔ je marierai ma fille ;→

 

 

 

Vous, Monsieur, comme ami ↔ de toute la famille,→

À signer leur contrat ↔ vous pourrez assister,→

Et je vous y veux bien ↔ de ma part inviter.→

Armande, prenez soin ↔ d’envoi[j]er au notaire,→

Et d’aller avertir ↔ votre sœur de l’affaire.→

ARMANDE

Pour avertir ma sœur, ↔ il n’en est pas besoin,→

Et Monsieur que voilà, ↔ saura prendre le soin

 

De courir lui porter ↔ bientôt cette nouvelle,→

Et disposer son cœur ↔ à vous être rebelle.→

PHILAMINTE→

Nous verrons qui sur elle ↔ aura plus de pouvoir,→

Et si je la saurai ↔ réduire à son devoir.→Elle s’en va.

 

 

ARMANDE

J’ai grand regret, Monsieur, ↔ de voir qu’à vos visées,→

Les choses ne soient pas ↔ tout à fait disposées.→

CLITANDRE

Je m’en vais travailler, ↔ Madame, avec ardeur,→

À ne vous point laisser ↔ ce grand regret au cœur.→

ARMANDE

J’ai peur que votre effort ↔ n’ait pas trop bonne issue.→

CLITANDRE

Peut-être verrez-vous ↔ votre crainte déçue.→

ARMANDE

Je le souhaite ainsi. ↔

CLITANDRE

J’en suis ↑ persuadé,→

Et que de votre appui ↔ je serai secondé.→

ARMANDE

Oui, je vais vous servir ↔ de toute ma puissance.→

CLITANDRE

Et ce service est sûr ↔ de ma reconnaissance.

SCÈNE V

CHRYSALE, ARISTE, HENRIETTE, CLITANDRE.

CLITANDRE

Sans votre appui, Monsieur, ↔je serai malheureux.→

Madame votre femme ↔a rejeté mes vœux,→

Et son cœur prévenu, ↔veut Trissotin pour gendre.→

CHRYSALE

Mais quelle fantaisie ↔a-t-elle donc pu prendre ?→

Pourquoi diantre vouloir ↔ce Monsieur Trissotin ?→

ARISTE

C’est par l’honneur qu’il a ↔de rimer à latin,→

Qu’il a sur son rival ↔emporté l’avantage.→

CLITANDRE

Elle veut dès ce soir ↔ ↑faire ce mariage.→

CHRYSALE

Dès ce soir ?

CLITANDRE

Dès ce soir. ↔

CHRYSALE

Et dès ce soir je veux,→

Pour la contrecarrer, ↔ ↑vous marier vous deux.→

CLITANDRE

Pour dresser le contrat, ↔elle envoie au notaire.→

CHRYSALE

Et je vais le quérir ↔pour celui qu’il doit faire.→

CLITANDRE

Et Madame doit être ↔instruite par sa sœur,→

De l’hymen l’on veut ↔qu’elle apprête son cœur.→

CHRYSALE

Et moi, je lui commande ↔avec pleine puissance,→

De préparer sa main ↔à cette autre alliance[172].→

Ah je leur ferai voir, ↔ si pour donner la loi,→

Il est dans ma maison ↔ d’autre maître que moi.→

Nous allons revenir, ↔ songez à nous attendre ;→

Allons, suivez mes pas, ↔ mon frère, et vous mon gendre.

 

HENRIETTE

Hélas ! dans cette humeur ↔ conservez-le toujours.→

ARISTE

J’emploi[j]erai toute chose ↔ à servir vos amours.→

 

 

CLITANDRE

Quelque secours puissant ↔ qu’on promette à ma flamme,→

Mon plus solide espoir, ↔ c’est votre cœur, Madame.→

HENRIETTE

Pour mon cœur vous pouvez ↔ vous assurer de lui.→

CLITANDRE

Je ne puis qu’être heureux, ↔ quand j’aurai son appui.→

HENRIETTE

Vous voi[j]ez à quels nœuds ↔ on prétend le contraindre.→

CLITANDRE

Tant qu’il sera pour moi, ↔ je ne vois rien à craindre.→

HENRIETTE

Je vais tout essai[j]er ↔ pour nos vœux les plus doux ;→

Et si tous mes efforts ↔ ne me donnent à vous,→

Il est une retraite ↔ où notre âme se donne[173],→

Qui m’empêchera d’être ↔ à toute autre personne[174].→

CLITANDRE

Veuille le juste Ciel ↔ me garder en ce jour,→

De recevoir de vous ↔ cette preuve d’amour.

ACTE V,

SCÈNE PREMIÈRE

HENRIETTE, TRISSOTIN.

HENRIETTE

↑C’est sur le mariage ↔où ma mère s’apprête,→

Que j’ai voulu, Monsieur, ↔vous parler tête à tête ;→

Et j’ai cru dans le trouble ↔où je vois la maison,→

Que je pourrais vous faire ↔écouter la raison.→

Je sais qu’avec mes vœux ↔vous me jugez capable→

De vous porter en dot ↔un bien considérable :→

Mais l’argent dont on voit ↔tant de gens faire cas,→

Pour un vrai philosophe ↔a d’indignes appas ;→

Et le mépris du bien ↔et des grandeurs frivoles,→

Ne doit point éclater ↔dans vos seules paroles.→

TRISSOTIN

Aussi n’est-ce point-là ↔ce qui me charme en vous ;→

Et vos brillants attraits, ↔vos yeux perçants et doux,→

Votre grâce et votre air ↔sont les biens, les richesses,→

Qui vous ont attiré ↔mes vœux et mes tendresses ;→

C’est de ces seuls trésors ↔que je suis amoureux.→

HENRIETTE

Je suis fort redevable ↔à vos feux généreux ;→

Cet obligeant amour ↔a de quoi me confondre,→

Et j’ai regret, Monsieur, ↔de n’y pouvoir répondre.→

Je vous estime autantqu’on saurait estimer,→

Mais je trouve un obstacle ↔à vous pouvoir aimer.→

Un cœur, vous le savez, ↔à deux ne saurait être,→

Et je sens que du mien ↔Clitandre s’est fait mtre.→

Je sais qu’il a bien moins ↔de mérite que vous,→

Que j’ai de méchants yeux ↔pour le choix d’un époux,→

Que par cent beaux talents ↔vous devri[j]ez me plaire.→

Je vois bien que j’ai tort, ↔ mais je n’y puis que faire ;→

Et tout ce que sur moi ↔ peut le raisonnement,→

C’est de me vouloir mal ↔ d’un tel aveuglement.→

TRISSOTIN

Le don de votre main ↔ où l’on me fait prétendre,→

Me livrera ce cœur ↔ que possède Clitandre ;

Et par mille doux soins, ↔ j’ai lieu de présumer,

Que je pourrai trouver ↔ l’art de me faire aimer.→

HENRIETTE

Non, à ses premiers vœux ↔ mon âme est attachée,→

Et ne peut de vos soins, ↔ Monsieur, être touchée.→

Avec vous librement ↔ j’ose ici m’expliquer,→

Et mon aveu n’a rien ↔ qui vous doive choquer[175].→

Cette amoureuse ardeur ↔ qui dans les cœurs s’excite,→

N’est point, comme l’on sait, ↔ un effet du mérite ;→

Le caprice y prend part, ↔ et quand quelqu’un nous plt,→

Souvent nous avons peine ↔ à dire pourquoi c’est.→

Si l’on aimait, Monsieur, ↔ par choix et par sagesse,→

Vous auriez tout mon cœur ↔ et toute ma tendresse ;→

Mais on voit que l’amour ↔ se gouverne autrement.→

Laissez-moi, je vous prie, ↔ à mon aveuglement,→

Et ne vous servez point ↔ de cette ↓ violence→

Que pour vous on veut faire ↔ à mon obéissance.→

Quand on est honnête homme, ↔ on ne veut rien devoir→

À ce que des parents ↔ ont sur nous de pouvoir.→

On répugne à se faire ↔ immoler ce qu’on aime,→

Et l’on veut n’obtenir ↔ un cœur que de lui-même.→

Ne poussez point ma mère ↔ à vouloir par son choix,→

Exercer sur mes vœux ↔ la rigueur de ses droits.→

Ôtez-moi votre amour, ↔ et portez à quelque autre→

Les hommages d’un cœur ↔ aussi cher que le vôtre.→

TRISSOTIN

Le moi[j]en que ce cœur ↔ puisse vous contenter ?→

Imposez-lui des lois ↔ qu’il puisse exécuter.→

De ne vous point aimer ↔ peut-il être capable,→

À moins que vous cessiez, ↔ Madame, d’être aimable,→

Et d’étaler aux yeux ↔ les célestes appas…→

HENRIETTE

Eh Monsieur, laissons là ↔ ↑ ce galimatias.→

Vous avez tant d’Iris, ↔ de Philis, d’Amarantes,→

Que partout dans vos vers ↔ vous peignez si charmantes,→

Et pour qui vous jurez ↔ tant d’amoureuse ardeur…→

TRISSOTIN

C’est mon esprit qui parle, ↔ et ce n’est pas mon cœur.→

D’elles on ne me voit ↔ amoureux qu’en poète ;→

Mais j’aime tout de bon ↔ l’adorable Henriette.→

HENRIETTE→

Eh de grâce, Monsieur… ↔

TRISSOTIN

Si c’est vous offenser,→

Mon offense envers vous ↔ n’est pas prête à cesser.→

Cette ardeur jusqu’ici ↔ de vos yeux ignorée,→

Vous consacre des vœux ↔ d’éternelle durée.→

Rien n’en peut arrêter ↔ les aimables transports ;→

Et bien que vos beautés ↔ condamnent mes efforts,→

Je ne puis refuser ↔ le secours d’une mère→

Qui prétend couronner ↔ une flamme si chère ;→

Et pourvu que j’obtienne ↔ un bonheur si charmant,→

Pourvu que je vous aie, ↔ il n’importe comment.→

HENRIETTE

Mais savez-vous qu’on risque ↔ un peu plus qu’on ne pense,→

À vouloir sur un cœur ↔ user ↑ de violence[176] ?→

Qu’il ne fait pas bien sûr, ↔ à vous le trancher net,→

D’épouser une fille ↔ en dépit qu’elle en ait ;→

Et qu’elle peut aller ↔ en se voi[j]ant contraindre,→

À des ressentiments ↔ que le mari doit craindre[177] ?→

TRISSOTIN

Un tel discours n’a rien ↔ dont je sois altéré.→

À tous événements ↔ le sage est préparé.→

Guéri par la raison ↔ des faiblesses vulgaires,→

Il se met au-dessus ↔ de ces sortes d’affaires,→

Et n’a garde de prendre ↔ aucune ombre d’ennui[178],→

De tout ce qui n’est pas ↔ pour dépendre de lui.→

HENRIETTE

En vérité, Monsieur, ↔ je suis de vous ravie ;→

Et je ne pensais pas ↔ que la philosophie→

Fût si belle qu’elle est, ↔ d’instruire ainsi les gens→

À porter constamment ↔ de pareils accidents.→

Cette fermeté d’âme ↔ à vous si singulre,→

Mérite qu’on lui donne ↔ une illustre matre ;→

Est digne de trouver ↔ qui prenne avec amour,→

Les soins ↑ continuels ↔ de la mettre en son jour ;→

Et comme à dire vrai, ↔ je n’oserais me croire→

Bien propre à lui donner ↔ tout l’éclat de sa gloire,→

Je le laisse à quelque autre, ↔ et vous jure entre nous,→

Que je renonce au bien ↔ de vous voir mon époux.→

TRISSOTIN

Nous allons voir bientôt ↔ comment ira l’affaire ;→

Et l’on a là-dedans ↔ fait venir le notaire.

SCÈNE II

CHRYSALE, CLITANDRE, MARTINE, HENRIETTE.

CHRYSALE

Ah, ma fille, je suis ↔bien aise de vous voir.→

Allons, venez-vous-en ↔faire votre devoir,→

Et soumettre vos vœux ↔aux volontés d’un père.

Je veux, je veux apprendre ↔à vivre à votre mère ;

Et pour la mieux braver, ↔voilà, malgré ses dents,→

Martine que j’amène, ↔et rétablis céans.→

HENRIETTE

Vos ↓résolutions ↔ ↑sont dignes de louange.→

Gardez que cette humeur, ↔mon père, ne vous change.→

Soi[j]ez ferme à vouloir ↔ce que vous souhaitez,→

Et ne vous laissez point ↔séduire à vos bontés.→

Ne vous relâchez pas, ↔et faites bien en sorte→

D’empêcher que sur vous ↔ma mère ne l’emporte.→

CHRYSALE

Comment ? Me prenez-vous ↔ici pour un benêt ?

HENRIETTE

M’en préserve le Ciel. ↔

CHRYSALE

Suis-je un fat[179], s’il vous plt ?→

HENRIETTE

Je ne dis pas cela. ↔

CHRYSALE

Me croit-on incapable→

Des fermes sentiments ↔d’un homme raisonnable ?→

HENRIETTE

Non, mon père.→

CHRYSALE

Est-ce donc ↔qu’à l’âge où je me vois,→

Je n’aurais pas l’esprit ↔d’être maître chez moi ?

HENRIETTE

Si fait.→

CHRYSALE

Et que j’aurais ↔cette faiblesse d’âme,→

De me laisser mener ↔par le nez à ma femme ?→

HENRIETTE

Eh non, mon père.

CHRYSALE

Ouais. ↔Qu’est-ce donc que ceci ?→

Je vous trouve plaisante ↔à me parler ainsi.→

HENRIETTE

Si je vous ai choqué, ↔ce n’est pas mon envie.→

CHRYSALE

Ma volontéans↔doit être en tout suivie.→

HENRIETTE

Fort bien, mon père.→

CHRYSALE

Aucun,↔hors moi, dans la maison,→

N’a droit de commander.↔

HENRIETTE

Oui, vous avez raison.→

CHRYSALE

C’est moi qui tiens le rang↔de chef de la famille.→

HENRIETTE

D’accord.

CHRYSALE

C’est moi qui dois↔disposer de ma fille.

HENRIETTE

Eh oui.

CHRYSALE

Le Ciel me donne ↔un plein pouvoir sur vous.→

HENRIETTE

Qui vous dit le contraire ? ↔

CHRYSALE

Et pour prendre un époux,→

Je vous ferai bien voir ↔que c’est à votre père→

Qu’il vous faut oir, ↔non pas à votre mère.→

HENRIETTE

Hélas ! vous flattez là ↔les plus doux de mes vœux ;

Veuillez être oi, ↔c’est tout ce que je veux.

CHRYSALE

Nous verrons si ma femme ↔à mes désirs rebelle…→

CLITANDRE

La voici qui conduit ↔le notaire avec elle.→

CHRYSALE

Secondez-moi bien tous. ↔

MARTINE

Laissez-moi, j’aurai soin

De vous encourager, ↔s’il en est de besoin.

SCÈNE III

PHILAMINTE, BÉLISE, ARMANDE, TRISSOTIN, LE NOTAIRE, CHRYSALE, CLITANDRE, HENRIETTE, MARTINE.

PHILAMINTE

Vous ne sauriez changer ↔votre style sauvage,→

Et nous faire un contrat ↔qui soit en beau langage ?→

LE NOTAIRE

Notre style est très bon, ↔et je serais un sot,→

Madame, de vouloir ↔y changer un seul mot.→

BÉLISE

Ah ! quelle barbarie ↔au milieu de la France !

Mais au moins en faveur, ↔Monsieur, ↑de la science,→

Veuillez au lieu d’écus, ↔de livres et de francs,→

Nous exprimer la dot ↔en mines et talents,→

Et dater par les mots ↔d’ides et de calendes.→

LE NOTAIRE

Moi ? Si j’allais, Madame, ↔accorder vos demandes,

Je me ferais siffler ↔de tous mes compagnons.→

PHILAMINTE

De cette barbarie ↔en vain nous nous plaignons.→

Allons, Monsieur, prenez ↔la table pour écrire.→

Ah, ah ! cette impudente ↔ose encor se produire ?→

 

Pourquoi donc, s’il vous plt, ↔la ramener chez moi ?

CHRYSALE

Tantôt avec loisir ↔on vous dira pourquoi.→

Nous avons maintenant ↔autre chose à conclure.→

LE NOTAIRE

Procédons au contrat. ↔Où donc est la future ?[180]

PHILAMINTE

Celle que je marie ↔est la cadette.

LE NOTAIRE

Bon. →

CHRYSALE

 

Oui. La voilà, Monsieur, ↔Henriette[181] est son nom.

LE NOTAIRE→

Fort bien. Et le futur ? ↔

PHILAMINTE[182]

L’époux que je lui donne→

Est Monsieur.

CHRYSALE, montrant Clitandre.

Et celui, ↔moi, qu’en propre personne,→

Je prétends qu’elle épouse, ↔est Monsieur.

LE NOTAIRE

Deux époux !→

C’est trop pour la coutume. ↔

PHILAMINTE

Où vous arrêtez-vous ? ↔

Mettez, mettez, Monsieur, ↔Trissotin pour mon gendre.

CHRYSALE

Pour mon gendre mettez, ↔mettez, Monsieur, Clitandre.→

LE NOTAIRE

Mettez-vous donc d’accord ↔et d’un jugement mûr→

Voi[j]ez à convenir ↔entre vous du futur[183].→

PHILAMINTE

Suivez, suivez, Monsieur, ↔le choix où je m’arrête.→

CHRYSALE

Faites, faites, Monsieur, ↔les choses à ma tête.

LE NOTAIRE

Dites-moi donc à qui ↔j’obéirai des deux ?→

PHILAMINTE

Quoi donc, vous combattez ↔les choses que je veux ?→

CHRYSALE

Je ne saurais souffrir ↔qu’on ne cherche ma fille,→

Que pour l’amour du bien ↔qu’on voit dans ma famille.→

PHILAMINTE

Vraiment à votre bien ↔on songe bien ici,→

Et c’est là pour un sage, ↔un fort digne souci !

CHRYSALE

Enfin pour son époux, ↔j’ai fait choix de Clitandre.→

PHILAMINTE

Et moi, pour son époux, ↔voici qui je veux prendre :→

Mon choix sera suivi, ↔c’est un point résolu.→

CHRYSALE

Ouais. Vous le prenez là ↔d’un ton bien absolu ?

MARTINE

Ce n’est point à la femme ↔à prescrire, et je sommes→

Pour céder le dessus ↔en toute chose aux hommes.→

CHRYSALE

C’est bien dit.

MARTINE

Mon congé ↔cent fois me fût-il hoc[184][185],→

La poule ne doit point ↔chanter devant le coq.→

CHRYSALE

Sans doute

MARTINE

Et nous voi[j]ons ↔que d’un homme on se gausse,

Quand sa femme chez lui ↔porte le haut-de-chausse.→

CHRYSALE

Il est vrai.

MARTINE

Si j’avais ↔un mari, je le dis,→

Je voudrais qu’il se fît ↔le mtre du logis.→

Je ne l’aimerais point, ↔s’il faisait le jocrisse[186].→

Et si je contestais ↔contre lui par caprice ;

Si je parlais trop haut, ↔je trouverais fort bon,→

Qu’avec quelques soufflets ↔il rabaissât mon ton.→

CHRYSALE

C’est parler comme il faut. ↔

MARTINE

Monsieur est raisonnable,→

De vouloir pour sa fille ↔un mari convenable.→

CHRYSALE

Oui.

MARTINE

Par quelle raison, ↔jeune, et bien fait qu’il est,→

Lui refuser Clitandre ? ↔Et pourquoi, s’il vous plt,→

Lui bailler un savant, ↔qui sans cesse épilogue[187] ?→

Il lui faut un mari, ↔non pas un pédagogue :→

Et ne voulant savoir ↔le grais[188], ni le latin,→

Elle n’a pas besoin ↔de Monsieur Trissotin[189].

CHRYSALE

Fort bien.

PHILAMINTE

Il faut souffrir ↔qu’elle jase à son aise.→

MARTINE

Les savants ne sont bons ↔que pour prêcher en chaise[190] ;

Et pour mon mari, moi, ↔mille fois je l’ai dit,

Je ne voudrais jamais ↔prendre un homme d’esprit.→

L’esprit n’est point du tout ↔ce qu’il faut en ménage ;→

Les livres cadrent mal ↔avec ↑ le mariage ;→

Et je veux, si jamais ↔on engage ma foi,→

Un mari qui n’ait point ↔d’autre livre que moi ;→

Qui ne sache A, ne B, ↔n’en déplaise à Madame,→

Et ne soit en un mot ↔docteur que pour sa femme.

PHILAMINTE

Est-ce fait ? et sans trouble ↔ai-je assez écouté

Votre digne interprète ? ↔

CHRYSALE

Elle a dit vérité.→

PHILAMINTE

Et moi, pour trancher court ↔toute cette dispute,→

Il faut qu’absolument ↔mon désir s’exécute.→

Henri[j]ette, et Monsieur ↔seront joints de ce pas ;→

 

Je l’ai dit, je le veux, ↔ne me répliquez pas :→

Et si votre parole ↔à Clitandre est donnée,→

Offrez-lui le parti ↔d’épouser son aînée.→

CHRYSALE

Voilà dans cette affaire ↔un accommodement.→

Voi[j]ez ? y donnez-vous ↔votre consentement ?

 

HENRIETTE

Eh mon père !

CLITANDRE

Eh Monsieur ! ↔

BÉLISE

On pourrait bien lui faire→

Des propositions qui ↔pourraient mieux lui plaire :→

Mais nous établissons ↔une espèce d’amour→

Qui doit être épuré ↔comme l’astre du jour ;→

La substance qui pense, ↔y peut être reçue,

Mais nous en bannissons ↔la substance étendue[191].

SCÈNE DERNIÈRE

ARISTE, CHRYSALE, PHILAMINTE, BÉLISE, HENRIETTE, ARMANDE, TRISSOTIN, LE NOTAIRE, CLITANDRE, MARTINE.

ARISTE

J’ai regret de troubler ↔un mystère joi[j]eux[192],→

Par le chagrin qu’il faut ↔que j’apporte en ces lieux.→

Ces deux lettres me font ↔porteur de deux nouvelles,→

Dont j’ai senti pour vous ↔les atteintes cruelles :

L’une pour vous, me vient ↔de votre procureur ;

L’autre pour vous, me vient ↔de Lyon.

 

PHILAMINTE

↑ Quel malheur,→

Digne de nous troubler, ↔ pourrait-on nous écrire ?→

ARISTE

Cette lettre en contient[193] ↔ un que vous pouvez lire.→

PHILAMINTE

Madame, j’ai prié Monsieur votre frère de vous rendre cette lettre, qui vous dira ce que je n’ai osé vous aller dire. La grande négligence que vous avez pour vos affaires, a été cause que le clerc de votre rapporteur ne m’a point averti, et vous avez perdu absolument votre procès que vous deviez gagner.

 

CHRYSALE

Votre procès perdu ! ↔

PHILAMINTE

Vous vous troublez beaucoup !

Mon cœur n’est point du tout ↔ ébranlé de ce coup.

Faites, faites partre ↔ une âme moins commune→

À braver comme moi ↔ les traits de la fortune.→

Le peu de soin que vous avez vous coûte quarante mille écus, et c’est à payer cette somme, avec les dépens, que vous êtes condamnée par arrêt de la cour.

Condamnée ! Ah ce mot ↔ est choquant, et n’est fait→

Que pour les criminels. ↔

ARISTE

Il a tort en effet,

Et vous vous êtes là ↔ justement récriée.

Il devait avoir mis ↔ que vous êtes pri[j]ée,→

Par arrêt de la cour, ↔ de pa[i](y)[j]er au plus tôt→

Quarante mille écus, ↔ et les dépens qu’il faut.→

PHILAMINTE

Vo[i](y)[j]ons l’autre.

CHRYSALE lit.

Monsieur,[194]

l’amitié qui me lie à Monsieur votre frère, me fait prendre intérêt à tout ce qui vous touche. Je sais que vous avez mis votre bien entre les mains d’Argante et de Damon, et je vous donne avis qu’en même jour ils ont fait tous deux banqueroute.→

Ô Ciel ! tout à la fois ↔ perdre ainsi tout mon bien !

PHILAMINTE

Ah quel honteux transport ! ↔ Fi ! tout cela n’est rien.→

Il n’est pour le vrai sage ↔ aucun revers funeste,→

Et perdant toute chose, ↔ à soi-même il se reste.→

Achevons notre affaire, ↔ et quittez votre ennui ;→

Son bien[195] nous peut suffire ↔ et pour nous, et pour lui.

 

TRISSOTIN

Non, Madame, cessez ↔ de presser cette affaire.→

Je vois qu’à cet hymen ↔ tout le monde est contraire,→

Et mon dessein n’est point ↔ de contraindre les gens.→

PHILAMINTE

Cette ↑ réflexion ↔ vous vient en peu de temps !→

Elle suit de bien près, ↔ Monsieur, notre disgrâce.

TRISSOTIN

De tant de résistance ↔ à la fin je me lasse.→

J’aime mieux renoncer ↔ à tout cet embarras,→

Et ne veux point d’un cœur ↔ qui ne se donne pas.→

PHILAMINTE

Je vois, je vois de vous, ↔ non pas pour votre gloire,→

Ce que jusques ici ↔ j’ai refusé de croire.

TRISSOTIN

Vous pouvez voir de moi ↔ tout ce que vous voudrez,→

Et je regarde peu ↔ comment vous le prendrez :→

Mais je ne suis point homme ↔ à souffrir l’infamie→

Des refus offensants ↔ qu’il faut qu’ici j’essuie ;→

Je vaux bien que de moi ↔ l’on fasse plus de cas,

Et je baise les mains ↔ à qui ne me veut pas.

 

 

PHILAMINTE

Qu’il a bien découvert ↔ son âme mercenaire !→

Et que peu philosophe ↔ est ce qu’il vient de faire !→

CLITANDRE

Je ne me vante point ↔ de l’être, mais enfin

Je m’attache, Madame, ↔ à tout votre destin ;

Et j’ose vous offrir, ↔ avec que ma personne,

Ce qu’on sait que de bien ↔ la fortune me donne.→

PHILAMINTE

Vous me charmez, Monsieur, ↔ par ce trait généreux,→

Et je veux couronner ↔ vos désirs amoureux.→

Oui, j’accorde Henri[j]ette ↔ à l’ardeur empressée…

HENRIETTE

Non, ma mère, je change ↔ à présent de pensée.→

Souffrez que je résiste ↔ à votre volonté.→

CLITANDRE

Quoi, vous vous opposez ↔ à ma félicité ?→

Et lorsqu’à mon amour ↔ je vois chacun se rendre…→

HENRIETTE

Je sais le peu de bien ↔ que vous avez, Clitandre,

Et je vous ai toujours ↔ souhaité pour époux,

Lorsqu’en satisfaisant ↔ à mes vœux les plus doux,→

J’ai vu que mon hymen ↔ ajustait vos affaires :→

Mais lorsque nous avons ↔ les destins si contraires,→

Je vous chéris assez ↔ dans cette extrémité,

Pour ne vous charger point ↔ de notre adversité[196].

CLITANDRE

Tout destin avec vous ↔ me peut être agréable ;→

Tout destin me serait ↔ sans vous insupportable.→

HENRIETTE

L’amour dans son transport ↔ parle toujours ainsi.→

Des retours[197] importuns ↔ évitons le souci,

Rien n’use tant l’ardeur ↔ de ce nœud qui nous lie,

Que les fâcheux besoins ↔ des choses de la vie ;→

Et l’on en vient souvent ↔ à s’accuser tous deux,→

De tous les noirs chagrins ↔ qui suivent de tels feux.→

ARISTE

N’est-ce que le motif ↔ que nous venons d’entendre,

Qui vous fait résister ↔ à l’hymen de Clitandre ?

HENRIETTE

Sans cela, vous verriez ↔ tout mon cœur y courir ;→

Et je ne fuis sa main, ↔ que pour le trop chérir.→

ARISTE

Laissez-vous donc ↑ lier ↔ par des chaînes si belles.→

Je ne vous ai porté ↔ que de fausses nouvelles ;

Et c’est un stratagème, ↔ un surprenant secours,

Que j’ai voulu tenter ↔ pour servir vos amours ;→

Pour détromper ma sœur, ↔ et lui faire conntre→

Ce que son philosophe ↔ à l’essai[198] pouvait être.→

CHRYSALE

Le Ciel en soit loué. ↔

PHILAMINTE

J’en ai la joie au cœur,

Par le chagrin qu’aura ↔ ce lâche déserteur.

Voilà le châtiment ↔ de sa basse avarice,→

De voir qu’avec éclat ↔ cet hymen s’accomplisse.→

CHRYSALE[199]

Je le savais bien, moi, ↔ que vous l’épouseriez.→

ARMANDE

Ainsi donc à leurs vœux ↔ ↑ vous me sacrifiez ?

PHILAMINTE

Ce ne sera point vous ↔ que je leur sacrifie,→

Et vous avez l’appui ↔ de la philosophie,→

Pour voir d’un œil content ↔ couronner leur ardeur.→

BÉLISE

Qu’il prenne garde au moins ↔ que je suis dans son cœur[200].→

Par un prompt désespoir ↔ souvent on se marie,

Qu’on s’en repent après ↔ tout le temps de sa vie.

CHRYSALE

Allons, Monsieur, suivez ↔ l’ordre que j’ai prescrit,→

Et faites le contrat ↔ ainsi que je l’ai dit.

 



[1] - безударный слог; ‘ ударный слог.

[2] Цезура.

[3] Строковая пауза.

[4] est un titre, ma sœur

[5] [la char]mante douceur

[6] [Oui, ma] sœur

[7] [des en]fants, un ménage

[8] Claquemurer : «enfermer dans une prison étroite, enfermer dans un cloître» (Dictionnaire de Furetière, 1690). C’est un mot populaire.

[9] Une idole d’époux : idole est souvent masculin au XVIIe siècle.

[10] des plus nobles plaisirs

[11] Clartés : sciences, lumières.

[12] La partie animale : «En morale, on oppose la partie animale, qui est la partie sensuelle et charnelle, à la partie raisonnable, qui est l’intelligence» (Dictionnaire de Furetière, 1690).

[13] Или для синкопирования: les spéculations — или сделать это в предыдущей строке.

[14] terre a terre — заурядный, будничный; приземлённый; утилитарный, низменный, пошлый

[15] Seconder : servir de second.

[16] Votre visée au moins… : vos vues au moins ne se portent pas sur Clitandre ?

[17] Un autre est employé fréquemment au XVIIe siècle dans un sens très général, là où nous dirions une autre.

[18] Un mérite : un homme de mérite.

[19] si c’est votre plaisir

[20] Вот это место доказывает, что мое предположение о немых стопах вероятней раздельного произнесения двойных гласных.

[21] Tout, adverbe, au sens de «tout à fait», est invariable.

[22] de la sorteтак, таким образом; такой.

[23] Sans le congé : sans la permission.

[24] Конкретно насчет слова mariage у меня сомнения. То ли Адамо, то ли Азнавур, помню, пел именно «марийяже».

[25] À répondre à cela

[26] Mais il met peu de poids… : mais il a peu d'autorité pour faire exécuter les décisions qu’il prend.

[27] certaine bonté d’âme

[28] Je voudrais bien vous voir

[29] [sans vou]loir

[30] [Sans ci]ter

[31] à ses moindres

[32] respecte

[33] rendre

[34] Aux encens qu'elle donne : quand elle donne des louanges…

[35] [Aux en]cens qu’elle donne

[36] chagrine

[37] enrage

[38] toute

[39] Trissotin ne cesse de faire imprimer des ouvrages qui ne se vendent pas, et dont les feuilles servent à emballer les victuailles et les produits d'épicerie.

[40] Où s'attache son cœur : dans la famille de sa bien-aimée.

[41] efforce

[42] Indolent est ici synonyme d’insensible ; Trissotin ne sent pas les critiques qu’on formule contre lui.

[43] Jusques à sa figure encor la chose alla : la chose (cette connaissance que j'avais acquise de lui par ses ouvrages) alla jusqu’à me faire connaître son visage.

[44] autre

[45] Les muets interprètes sont les yeux, comme Bélise vient de l’expliquer aux vers 278–280.

[46] d’une immuable ardeur

[47] Судя по всему, имя Henriette произносится: Ан-ри-йет.

[48] La figure : le déguisement, le voile sous lequel se dissimule, selon Bélise, l’amour que Clitandre lui porte.

[49] Et pour n'en point sortir… : et, pour rester dans ce déguisement, parmi les choses que mon cœur vous propose pour vous répondre…

[50] Allons commettre un autre soin… : allons charger un autre de la mission qu’Henriette m’a confiée.

[51] Громкая музыка. Из кулисы появляется Арист, Клитандр бросается к нему и рассказывает. Но за музыкой их разговора не слышно. Затем музыка уходит или обрывается и мы слышим окончание разговора. Это может быть сквозным приемом, например, спектакль мы смотрим по телевизору, и время от времени начинается реклама. Идея! То есть, реклама заглушает звук, а картинка у нас остается: персонажи двигаются, общаются, но — это немое кино. 28.06.2020 19:30

[52] VAR. ARISTE, à Clitandre. (1682).

[53] Дописать строку. В этом месте начинается «реклама».

[54] Приписать начало, например: « Bonjour. Ah, Dieu… и т. д. ».

[55] Jamais… Ah, Dieu vous gard’, Mon frère. Et vous aussi,→

Mon frère. Savez-vous ↔ ce qui m’amène ici ?

[56] Nous donnions : nous partions à la conquête.

[57] Мольер показывает будущее озорного гуляки — трусливый подкаблучник. Шамраев.

[58] Un amusement : une feinte, une diversion.

[59] Qu'on n'a pas pour un cœur : qu’on n’a pas seulement un cœur…

[60] n’être quun en deux corps — питать друг к другу тесную привязанность, составлять одно целое с кем-либо

[61] VAR. L'on dit bien vrai. (1682).

[62] Un héritage : un bien immobilier.

[63] VAR. J’ai que l'on me donne. (1682).

[64] Prendre mon courroux : partager ma colère.

[65] Est-ce qu’elle a laissé

[66] N’être pas fidèle : n'être pas de confiance, comme on dit encore aujourd’hui, c'est-à-dire être une voleuse.

[67] Claude Favre de Vaugelas (1585-1650), l’auteur des Remarques sur la langue française (1647), qui firent autorité durant toute la seconde moitié du XVIIe siècle.

[68] La main haute : tenir la main haute à quelqu’un, c’est «le tenir de court, lui laisser peu de liberté» (Dictionnaire de Furetière, 1690).

[69] Je n’ai garde

[70] L’impudente ! appeler

[71] VAR. Et tous vos beaux dictons. (1682).

[72] De pas mis avec rien tu fais la récidive : tu fais de nouveau la faute qui consiste à mettre pas avec rien.

[73] А вот переводчик отлично поняла: «росли мы без наук», «мы говорим».

[74] une oreille sensible

[75] Ну вот, все правильно.

[76] Grammaire se prononçait comme grand-mère au XVIIe siècle.

[77] Переходит на «ты»!

[78] Du verbe et du nominatif : du verbe et du sujet.

[79] Se gourment : se battent à coup de poing.

[80] de la sorteтак, таким образом; такой

[81] Да не в сторону он говорит, с самого начала он говорит Мартине, здесь совершенно цельная неразрывная мысль.

[82] VAR. Bas (1682).

[83] sujet maigre (тж. maigre sujet) — ничтожный повод; недостаточное основание; бедный, неразвернутый сюжет произведения

[84] Vices d’oraison : fautes de langue), proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles : mots populaires.

[85] Fait figure : a son importance.

[86] Il put : 3e personne du sing. du présent de l’indicatif du verbe puir, doublet de puer.

[87] Collet monté : un collet monté était soutenu par du carton et du fil de fer. De là, au figuré, le mot est une locution à valeur adjective qui possède deux sens distincts : d’une part, guindé, d’autre part, suranné.

[88] VAR. CHRYSALE, à Bélise. (1682).

[89] VAR. (À Philaminte.) (1682).

[90] Tout ce meuble : ce singulier à valeur collective désigne non seulement les livres, mais tout le matériel scientifique dont Philaminte encombre la maison (les cent brimborions du vers 567).

[91] sens dessus dessous вверх дном, вверх ногами, вверх тормашками вверх дном; в беспорядке; кувырком (о человеке) в смятении, в возбужденном состоянии, вне себя

[92] Qu’une femme étudie

[93] Tympaniser quelqu'un, c’est blâmer quelqu’un publiquement et comme au son du tambour. Trissotin n’a pas décrié les femmes savantes, mais il les a rendues ridicules par les éloges compromettants qu’il a fait d’elles.

[94] Quelle bassesse, ô Ciel

[95] Les petits corps : les atomes d’Épicure.

[96] Le succès : le résultat, bon ou mauvais, de cette conversation.

[97] l’affaire est-elle faite

[98] Est-ce qu’elle balance; Est-ce qu’elle balance

[99] Un autre homme pour gendre

[100] Elle fait grand mystère : elle fait étalage, elle fait grand cas.

[101] Et sa morale, faite à mépriser le bien, Sur l’aigreur de sa bile opère comme rien : et sa morale qui lui enseigne à mépriser les biens de fortune, n’agit en rien sur l’aigreur de sa bile.

[102] une femme à vos vœux

[103] Характерный случай: наши актрисы говорят: Je brûle de les voir

[104] fʁijɑ̃

[105] ↑Le laquais↑ tombe

[106] lire, elle l’interrompt

[107] Avec entêtement : avec passion.

[108] VAR. BÉLISE, à Henriette. (1682).

[109] Quoi qu’on die : le subjonctif archaïque die pour dise était encore très souvent employé à l’époque.

[110] Sans le marchander davantage : sans l'épargner davantage.

[111] En bosse : en relief.

[112] Laïs : courtisane grecque du Ve siècle avant notre ère, célèbre pour sa beauté et son esprit.

[113] L’enveloppe : «au figuré, les termes que l’on emploie adroitement pour dire ce qu’on n’ose pas ou ce qu’on ne veut pas dire en termes propres et grossiers» (Dictionnaire de Richelet). Le mot concerne toujours Ma Laïs, expression qui désigne une femme de petite vertu.

[114] VAR.  : Ne dis plus qu’il est d’'amarante (1682).

[115] Celui-là : ce dernier trait.

[116] VAR. Si sur votre sujet j’eus l’esprit prévenu. (1682).

[117] Hors de page : hors de toute tutelle. les enfants nobles étaient pages du roi ou de quelque grand seigneur de sept à quatorze ans. Après quoi, ils devenaient écuyers et étaient «hors de page».

[118] Qu’on peut faire comme eux

[119] ce qu’on sépare ailleurs

[120] Faire entrer chaque secte

[121] Le péripatétisme : la philosophie d’Aristote.

[122] Les petits corps ou atomes tombant dans le vide illimité, c’est l’image fondamentale de l’Épicurisme. Mais, si elle accepte les atomes, Bélise, en bonne aristotélicienne, pense que la nature a horreur du vide, et elle leur préfère la matière subtile ou «la poussière» dont parle Descartes (Principes de la Philosophie, § 48-51).

[123] Dans les Principes de la Philosophie (§ 145), Descartes écrit que «toute la terre est un aimant».

[124] Pour la théorie des tourbillons, voir les mêmes Principes, § 65 : «Que les cieux sont divisés en plusieurs tourbillons».

[125] Les mondes tombants sont les comètes, dont Descartes explique le mouvement de tourbillon en tourbillon. (Principes de la Philosophie, § 126, 132).

[126] Grammaire, histoire, vers

[127] faire des remuements

[128] Par une antipathie ou juste, ou naturelle : par une antipathie justifiée par des raisons linguistiques ou par antipathie instinctive.

[129] Tenir son coin : terme de jeu de paume, bien tenir sa place au jeu, et au figuré, dans une conversation ou une discussion.

[130] Henriette qui le refuse

[131] Au Palais : à la Galerie du Palais (cf. v. 266) ; au Cours : au Cours La Reine 69 Va gueuser des encens : va mendier des louanges.

[132] Va gueuser des encens: va mendier des louanges.

[133] L’indigne empressement

[134] L'ithos : la peinture des mœurs ; le pathos : la peinture des passions.

[135] Событие. Проработать оценки всех присутствующих.

[136] Cependant nous voi[y]ions

[137] Grimaud : «jeune homme qui ne sait pas grand-chose et qui est à peine initié dans les lettres» (Dictionnaire de Richelet), ou pédant de collège.

[138] Rimeur de balle : rimeur au petit pied. On appelait marchandise de balle une marchandise de mauvaise qualité, qui se trouvait dans la balle des colporteurs.

[139] Явно перебиваает!

[140] une atteinte légère

[141] Au Palais : dans les boutiques de librairies de la Galerie du Palais.

[142] il ne te laisse en paix

[143] Célèbre libraire qui tenait boutique sur le second perron de la Sainte-Chapelle. Le défi burlesque évoque l'atmosphère du Lutrin.

[144] De faire entrer chezvous le désir des sciences

[145] Déterminer quelqu’un à faire quelque chose, c’est faire prendre à quelqu’un une détermination, un parti. Ici, le mot équivaut à «inviter impérativement».

[146] Белиза переходит и «подставляется» под взор Трисотена.

[147] перен основной вопрос; основной пункт; суть (дела); прост. вульг головка (члена) — согласна уступить в этом вопросе; согласна уступить сестре эту пипиську.

[148] Я уступаю вам его махину, а ваш удел — задействовать вагину.

[149] J’accepterais votre offre

[150] Une mère a sur nous

[151] une entière puissance

[152] une entière puissance — Генриета дословно передразнивает сестру.

[153] Une mère a sa part

[154] Qu’est-ce à dire

[155] Le texte porte ici un point d’interrogation que nous corrigeons.

[156] Rien n’a retenu son esprit en balance : rien n’a fait hésiter son esprit.

[157] Un compliment : une demande pour la forme.

[158] Jette au fond de mon cœur

[159] comme ouvrages nouveaux

[160] toute votre éloquence

[161] elle seule en est cause

[162] d’une constante ardeur

[163] Comme une chose indigne

[164] Pour avoir désiré : pour que j'aie pu désirer…

[165] Ne me rangez pas : ne me réduisez pas.

[166] Un monde : une comète.

[167] Un fat : un sot, le savoir chez un sot devient impertinent, c’est-à-dire déplacé et absurde.

[168] Il est fort enfoncé… : il est tout à fait comme à la Cour, c'est tout dire.

[169] Elle manque à verser

[170] VAR. Et de qui j’ai l’honneur d’être l’humble valet (1682).

[171] À faire une action

[172] à cette autre alliance

[173] Une retraite où notre âme se donne : un couvent.

[174] То есть, монастырь. Думаю, не врет. Она и там станет настоятельницей, и с Клитандром будет встречаться, причем не даст ему жениться еще на ком-то. Не знаю, любовь у нее к нему или он для нее — добыча, но не в ее правилах признавать поражение.

[175] Если Генриетта — мымра, что такого в ней нашел Триссотен? Может, действительно влюбился? Не в прелести, а в натуру? Увидел вдруг в ней нечто себе противоположное? Сперва настроился снизойти до нее. А выяснил, что до него не снисходят? А ему же вообще никто не дает, а если и дают, то только такие же как он лягушки. Трагическая роль. И желание, завоевав ее, восстановить пошатнувшееся самоуважение. И вообще его в пьесе поддерживают те, чья поддержка ему не нужна, а унижают, чьего внимания он бы хотел.

[176] Le texte porte ici un point à la place d’un point d’interrogation ; nous corrigeons.

[177] Le texte porte ici un point à la place d’un point d’interrogation ; nous corrigeons.

[178] Ennui : affliction, tourment (sens beaucoup plus fort qu’aujourd’hui).

[179] Un fat : un sot.

[180] разг невеста

[181] Единственный случай в пьесе, где в Генриетте двойная согласная произносится слитно.

[182] VAR. PHILAMINTE, montrant Trissotin. (1682).

[183] Le texte porte ici un point d’interrogation ; nous corrigeons.

[184] [ɔk]

[185] Me fût-il hoc : me fût-il assuré (expression proverbiale).

[186] Jocrisse : «homme qui s’amuse aux menus soins du ménage : qui est faible et avare» (Dictionnaire de Furetière, 1690).

[187] Épiloguer : «censurer : rechercher curieusement ce qu'il y a de mal dans les actions d’autrui» (Dictionnaire de Furetière, 1690).

[188] Grais  : prononciation populaire de grec.

[189] Ух ты, какая тройная рифма!

[190] En chaise : en chaire. La distinction entre chaise et chaire n'est pas définitivement faite au XVIIe siècle.

[191] ces deux périphrases désignant l'âme et le corps ont une couleur cartésienne.

[192] Un mystère joyeux : une cérémonie joyeuse.

[193] Cette lettre en contient

[194] Vo[i](y)[j]ons l’autre. Monsieur,

[195] Philaminte parle ici du bien de Trissotin, comme l'indique le contexte.

[196] Вот она и прокололась. Ее устраивало иметь мужа-бесприданника, чтобы это на всю оставшуюся жизнь закрепляла за ней доминирования. А самой быть в будущей семейной жизни постоянно ощущать на себе безмолвные упреки в благодеянии — это ей не подходит. И еще одна феня. В начале, когда он мог сдриснуть, она всячески его опутывала. А сейчас он сперва смирился, что придется жениться, а затем уже нафантазировал все те плюсы, которые окупят нежелательный факт женитьбы. И теперь со всем этим придется расстаться. И это после того как он пожертвовал ради этого самым дорогим: свободой.

[197]Des retours : des regrets, des repentirs.

[198]À l'essai : à l’épreuve.

[199]VAR. CHRYSALE, à Clitandre. (1682).

[200]Le texte ne porte pas de ponctuation ; nous ajoutons un point.