Antoine de Saint-Exupéry

LE PETIT PRINCE

Espace vide sur un fond d’écran sombre. On entend le sifflement lointain d’une locomotive et le bruit d’un train qui part. Le son s’estompe, et un désert apparaît à l’écran. La scène est également mise en valeur. L’Aviateur répare son avion. Le Petit Prince apparaît.

LE PETIT PRINCE. S’il vous plaît… dessine-moi un mouton !

L’Aviateur. Hein !

LE PETIT PRINCE. Dessine-moi un mouton…

L’Aviateur. Mais… qu’est-ce que tu fais là ?

LE PETIT PRINCE. S’il vous plaît… dessine-moi un mouton…

L’Aviateur. Mais… je ne savais pas dessiner.

LE PETIT PRINCE. Ça ne fait rien. Dessine-moi un mouton.

L’Aviateur prend une tablette et y dessine. Des dessins apparaissent à l’écran.[1].

Non ! Non ! Je ne veux pas d’un éléphant dans un boa. Un boa c’est très dangereux, et un éléphant c’est très encombrant. Chez moi c’est tout petit. J’ai besoin d’un mouton. Dessine-moi un mouton.

L’Aviateur dessine.

Non ! Celui-là est déjà très malade. Fais-en un autre.

L’Aviateur dessine.

Tu vois bien… ce n’est pas un mouton, c’est un bélier. Il a des cornes…

L’Aviateur dessine.

Celui-là est trop vieux. Je veux un mouton qui vive longtemps.

L’Aviateur. Ça c’est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans.

LE PETIT PRINCE. C’est tout à fait comme ça que je le voulais !.. Crois-tu qu’il faille beaucoup d’herbe à ce mouton ?

L’Aviateur. Pourquoi ?

LE PETIT PRINCE. Parce que chez moi c’est tout petit…

L’Aviateur. Ça suffira sûrement. Je t’ai donné un tout petit mouton.

LE PETIT PRINCE. Pas si petit que ça… Tiens ! Il s’est endormi… (Pointant vers l'avion.) Qu’est-ce que c’est que cette chose-là ?[2]

L’Aviateur. Ce n’est pas une chose. Ça vole. C’est un avion. C’est mon avion. Je volais.

LE PETIT PRINCE.  Comment ! tu es tombé du ciel ?

L’Aviateur. Oui.

LE PETIT PRINCE. Ah ! ça c’est drôle… Alors, toi aussi tu viens du ciel ! De quelle planète es-tu ?

L’Aviateur. Tu viens donc d’une autre planète ?[3]

LE PETIT PRINCE. C’est vrai que, là-dessus, tu ne peux pas venir de bien loin…

L’Aviateur. D’où viens-tu, mon petit bonhomme ? Où est-ce « chez toi » ? Où veux-tu emporter mon mouton ?

LE PETIT PRINCE. Ce qui est bien, avec la caisse que tu m’as donnée, c’est que, la nuit, ça lui servira de maison.

L’Aviateur. Bien sûr. Et si tu es gentil, je te donnerai aussi une corde pour l’attacher pendant le jour. Et un piquet.

LE PETIT PRINCE. L’attacher ? Quelle drôle d’idée !

L’Aviateur. Mais si tu ne l’attaches pas, il ira n’importe où, et il se perdra…

LE PETIT PRINCE. Mais où veux-tu qu’il aille !

L’Aviateur. N’importe où. Droit devant lui…

LE PETIT PRINCE. Ça ne fait rien, c’est tellement petit, chez moi ! Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin… C’est bien vrai, n’est-ce pas, que les moutons mangent les arbustes ?

L’Aviateur. Oui. C’est vrai.

LE PETIT PRINCE. Ah ! Je suis content. Par conséquent ils mangent aussi les baobabs ?

L’Aviateur. les baobabs ne sont pas des arbustes, mais des arbres grands comme des églises et que, si même il emportait avec lui tout un troupeau d’éléphants, ce troupeau ne viendrait pas à bout d’un seul baobab.

LE PETIT PRINCE. Il faudrait les mettre les uns sur les autres… Les baobabs, avant de grandir, ça commence par être petit.

L’Aviateur. C’est exact ! Mais pourquoi veux-tu que tes moutons mangent les petits baobabs ?

LE PETIT PRINCE. Ben ! Voyons ! un baobab, si l’on s’y prend trop tard, on ne peut jamais plus s’en débarrasser. Il encombre toute la planète. Il la perfore de ses racines. Et si la planète est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font éclater… C’est une question de discipline. Quand on a terminé sa toilette du matin, il faut faire soigneusement la toilette de la planète. Il faut s’astreindre régulièrement à arracher les baobabs dès qu’on les distingue d’avec les rosiers auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont très jeunes. C’est un travail très ennuyeux, mais très facile. Il est quelquefois sans inconvénient de remettre à plus tard son travail. Mais, s’il s’agit des baobabs, c’est toujours une catastrophe. J’ai connu une planète, habitée par un paresseux. Il avait négligé trois arbustes… J’aime bien les couchers de soleil. Allons voir un coucher de soleil…

L’Aviateur. Mais il faut attendre…

LE PETIT PRINCE. Attendre quoi ?

L’Aviateur. Attendre que le soleil se couche.

LE PETIT PRINCE (en riant.). Je me crois toujours chez moi ! Un jour, j’ai vu le soleil se coucher quarante-trois fois ! Tu sais… quand on est tellement triste on aime les couchers de soleil…

L’Aviateur. Le jour des quarante-trois fois tu étais donc tellement triste ?

LE PETIT PRINCE. Un mouton, s’il mange les arbustes, il mange aussi les fleurs ?

L’Aviateur. Un mouton mange tout ce qu’il rencontre.

LE PETIT PRINCE. Même les fleurs qui ont des épines ?

L’Aviateur. Oui. Même les fleurs qui ont des épines.

LE PETIT PRINCE. Alors les épines, à quoi servent-elles ?..

L’Aviateur (à part). Le Petit Prince ne renonçait jamais à une question, une fois qu’il l’avait posée.

LE PETIT PRINCE. Les épines, à quoi servent-elles ?

L’Aviateur (au Petit Prince.) Les épines, ça ne sert à rien, c’est de la pure méchanceté de la part des fleurs !

LE PETIT PRINCE. Je ne te crois pas ! Les fleurs sont faibles. Elles sont naïves. Elles se rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec leurs épines…

L’Aviateur (à part). Si ce boulon résiste encore, je le ferai sauter d’un coup de marteau.

LE PETIT PRINCE. Et tu crois, toi, que les fleurs…

L’Aviateur. Mais non ! Mais non ! Je ne crois rien ! J’ai répondu n’importe quoi. Je m’occupe, moi, de choses sérieuses !

LE PETIT PRINCE. De choses sérieuses ! Tu parles comme les grandes personnes ! Tu confonds tout… tu mélanges tout ! Je connais une planète où il y a un Monsieur cramoisi. Il n’a jamais respiré une fleur. Il n’a jamais regardé une étoile. Il n’a jamais aimé personne. Il n’a jamais rien fait d’autre que des additions. Et toute la journée il répète comme toi : « Je suis un homme sérieux ! Je suis un homme sérieux ! » et ça le fait gonfler d’orgueil. Mais ce n’est pas un homme, c’est un champignon !

L’Aviateur. Un quoi ?

LE PETIT PRINCE. Un champignon ! Il y a des millions d’années que les fleurs fabriquent des épines. Il y a des millions d’années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n’est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des épines qui ne servent jamais à rien ? Ce n’est pas important la guerre des moutons et des fleurs ? Ce n’est pas plus sérieux et plus important que les additions d’un gros Monsieur rouge ? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n’existe nulle part, sauf dans ma planète, et qu’un petit mouton peut anéantir d’un seul coup, comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu’il fait, ce n’est pas important ça ! Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d’étoiles, ça suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit : « Ma fleur est là quelque part… » Mais si le mouton mange la fleur, c’est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s’éteignaient ! Et ce n’est pas important ça ! (Il se détourne.)

Retour en arrière. Le sifflet d'une locomotive, le bruit d'un train qui passe. Une baguette apparaît entre les mains de l'acteur, et il devient L’Aiguilleur. Le Petit Prince entre.

Le Petit Prince. (se tourne). Bonjour.

L’Aiguilleur. Bonjour.

Le Petit Prince. Que fais-tu ici ?

L’Aiguilleur. Je trie les voyageurs, par paquets de mille. J’expédie les trains qui les emportent, tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche.

Un train qui passe gronde, les vitres vibrent. Puis ils crient sur le bruit du train[4].

Le Petit Prince. Ils sont bien pressés. Que cherchent-ils ?

L’Aiguilleur. L’homme de la locomotive l’ignore lui-même.

Le train se précipite dans l'autre sens.

Le Petit Prince. Ils reviennent déjà ?

L’Aiguilleur. Ce ne sont pas les mêmes. C’est un échange.

Le Petit Prince. Ils n’étaient pas contents, là où ils étaient ?

L’Aiguilleur. On n’est jamais content là où l’on est.

Le train passe dans le sens avant.

Le Petit Prince. Ils poursuivent les premiers voyageurs ?

L’Aiguilleur. Ils ne poursuivent rien du tout. Ils dorment là-dedans, ou bien ils bâillent. Les enfants seuls écrasent leur nez contre les vitres.

Le Petit Prince. Les enfants seuls savent ce qu’ils cherchent. Ils perdent du temps pour une poupée de chiffons, et elle devient très importante, et si on la leur enlève, ils pleurent…

L’Aiguilleur. Ils ont de la chance.

Le Petit Prince a voulu demander de L’Aiguilleur une demande, mais il est occupé: il fait passer le train. Le Marchand le remplace: jetant la baguette, l'acteur met sur un panneau d'affichage.

Le Petit Prince. Bonjour.

Le Marchand. Bonjour. C’est les pilules perfectionnées qui apaisent la soif ! On en avale une par semaine et l’on n’éprouve plus le besoin de boire !

Le Petit Prince. Pourquoi vends-tu ça ?

Le Marchand. C’est une grosse économie de temps. Les experts ont fait des calculs. On épargne cinquante-trois minutes par semaine.

Le Petit Prince. Et que fait-on de ces cinquante-trois minutes ?

Le Marchand. On en fait ce que l’on veut… (Il disparaît.)

Nous retournons dans le désert. Sous la remarque du Petit Prince, l'Acteur du Marchand se transforme en L’Aviateur.

Le Petit Prince. Moi, si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine…

L’Aviateur (conciliatoire). Je n’ai pas encore réparé mon avion, je n’ai plus rien à boire, et je serais heureux, moi aussi, si je pouvais marcher tout doucement vers une fontaine !

LE PETIT PRINCE (tournant). Mon ami le Renard…

L’Aviateur. Mon petit bonhomme, il ne s’agit plus du renard !

LE PETIT PRINCE. Pourquoi ?

L’Aviateur. Parce qu’on va mourir de soif…

LE PETIT PRINCE. Je ne comprends pas ton raisonnement. C’est bien d’avoir eu un ami, même si l’on va mourir. Moi, je suis bien content d’avoir eu un ami renard… J’ai soif aussi… cherchons un puits…

L’Aviateur (un geste de lassitude). Il est absurde de chercher un puits, au hasard, dans l’immensité du désert… Tu as donc soif, toi aussi ?

LE PETIT PRINCE. L’eau peut aussi être bonne pour le cœur… Les étoiles sont belles, à cause d’une fleur que l’on ne voit pas…

L’Aviateur. Bien sûr.

LE PETIT PRINCE. Le désert est beau… Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part…

L’Aviateur. Oui, qu’il s’agisse de la maison, des étoiles ou du désert, ce qui fait leur beauté est invisible !

LE PETIT PRINCE. Je suis content, que tu sois d’accord avec mon renard. Les hommes, ils s’enfournent dans les rapides, mais ils ne savent plus ce qu’ils cherchent. Alors ils s’agitent et tournent en rond… Ce n’est pas la peine…

Alors ils se retrouvent au puits qui apparaît à l'écran. Ils se tournent vers l'écran, dos au public, introduisant ainsi le spectateur à leur conversation.

L’Aviateur. C’est étrange, tout est prêt : la poulie, le seau et la corde…

Le Petit Prince rit, toucha la corde, fit jouer la poulie. Et la poulie gémit.

LE PETIT PRINCE. Tu entends, nous réveillons ce puits et il chante…

L’Aviateur. Laisse-moi faire, c’est trop lourd pour toi.

LE PETIT PRINCE. J’ai soif de cette eau-là, donne-moi à boire… Les hommes de chez toi, cultivent cinq mille roses dans un même jardin… et ils n’y trouvent pas ce qu’ils cherchent…

L’Aviateur. Ils ne le trouvent pas.

LE PETIT PRINCE. Et cependant ce qu’ils cherchent pourrait être trouvé dans une seule rose ou un peu d’eau…

L’Aviateur. Bien sûr.

LE PETIT PRINCE. Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur…

Les dessins de l’Aviateur réapparaissent à l’écran. Ce qui se passe commence à ressembler un peu à la conférence d'un guide touristique dans une galerie d'art.

Tes baobabs, ils ressemblent un peu à des choux… Ton renard… ses oreilles… elles ressemblent un peu à des cornes… et elles sont trop longues !

L’Aviateur. Tu es injuste, petit bonhomme, je ne savais rien dessiner que les boas fermés et les boas ouverts.

LE PETIT PRINCE. Oh ! ça ira, les enfants savent…

Il interrompt la « conférence » et se tourne vers le Petit Prince. L’écran devient vide.

L’Aviateur. Tu as des projets que j’ignore…

LE PETIT PRINCE. Tu sais, ma chute sur la Terre… c’en sera demain l’anniversaire… J’étais tombé tout près d’ici…

L’Aviateur. Alors ce n’est pas par hasard que, le matin où je t’ai connu, il y a huit jours, tu te promenais comme ça, tout seul, à mille milles de toutes les régions habitées ! Tu retournais vers le point de ta chute ?.. Ah ! j’ai peur…

LE PETIT PRINCE. Tu dois maintenant travailler. Tu dois repartir vers ta machine. Je t’attends ici. Reviens demain soir…

L’Aviateur part.

Tu ne t’en souviens donc pas ? Ce n’est pas tout à fait ici !.. (Un temps.) Si ! Si ! c’est bien le jour, mais ce n’est pas ici l’endroit… (Un temps.) …Bien sûr. Tu verras où commence ma trace dans le sable. Tu n’as qu’à m’y attendre. J’y serai cette nuit… (Un temps.) Tu as du bon venin ? Tu es sûr de ne pas me faire souffrir longtemps ? (Un temps.) Maintenant va-t’en…

L’Aviateur revient.

L’Aviateur. Quelle est cette histoire-là ! Tu parles maintenant avec les serpents !

LE PETIT PRINCE. Je suis content que tu aies trouvé ce qui manquait à ta machine. Tu vas pouvoir rentrer chez toi…

L’Aviateur. Comment sais-tu !

LE PETIT PRINCE. Moi aussi, aujourd’hui, je rentre chez moi… C’est bien plus loin… c’est bien plus difficile…

L’Aviateur. Petit bonhomme, tu as eu peur…

LE PETIT PRINCE. J’aurai bien plus peur ce soir…

L’Aviateur. Petit bonhomme, n’est-ce pas que c’est un mauvais rêve cette histoire de serpent et de rendez-vous et d’étoile…

Le petit prince regarde attentivement l’Aviateur, qui se fige.

LE PETIT PRINCE. Ce qui est important, ça ne se voit pas…

L’Aviateur. Bien sûr… (Ces mots résonnent.)

LE PETIT PRINCE. C’est comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c’est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries.

L’Aviateur. Bien sûr… (Le même jeu.)

LE PETIT PRINCE. C’est comme pour l’eau. Celle que tu m’as donnée à boire était comme une musique, à cause de la poulie et de la corde… tu te rappelles… elle était bonne.

L’Aviateur. Bien sûr… (Le même jeu.)

LE PETIT PRINCE. Tu regarderas, la nuit, les étoiles. C’est trop petit chez moi pour que je te montre où se trouve la mienne. C’est mieux comme ça. Mon étoile, ça sera pour toi une des étoiles. Alors, toutes les étoiles, tu aimeras les regarder… Elles seront toutes tes amies. Et puis je vais te faire un cadeau… (Il rit encore.)

L’Aviateur. Ah ! petit bonhomme, petit bonhomme j’aime entendre ce rire !

LE PETIT PRINCE. Justement ce sera mon cadeau… ce sera comme pour l’eau…

L’Aviateur. Que veux-tu dire ?

LE PETIT PRINCE. Les gens ont des étoiles qui ne sont pas les mêmes. Pour les uns, qui voyagent, les étoiles sont des guides. Pour d’autres elles ne sont rien que de petites lumières. Pour d’autres, qui sont savants, elles sont des problèmes. Pour mon businessman elles étaient de l’or. Mais toutes ces étoiles-là se taisent. Toi, tu auras des étoiles comme personne n’en a…

L’Aviateur. Que veux-tu dire ?

LE PETIT PRINCE. Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire ! (Il rit.) Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m’avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenêtre, comme ça, pour le plaisir… Et tes amis seront bien étonnés de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras : « Oui, les étoiles, ça me fait toujours rire ! » Et ils te croiront fou. Je t’aurai joué un bien vilain tour… Ce sera comme si je t’avais donné, au lieu d’étoiles, des tas de petits grelots qui savent rire… Cette nuit… tu sais… ne viens pas.

L’Aviateur. Je ne te quitterai pas.

LE PETIT PRINCE. J’aurai l’air d’avoir mal… j’aurai un peu l’air de mourir. C’est comme ça. Ne viens pas voir ça, ce n’est pas la peine…

L’Aviateur. Je ne te quitterai pas.

LE PETIT PRINCE. Je te dis ça… c’est à cause aussi du serpent. Il ne faut pas qu’il te morde… Les serpents, c’est méchant. Ça peut mordre pour le plaisir…

L’Aviateur. Je ne te quitterai pas.

LE PETIT PRINCE. C’est vrai qu’ils n’ont plus de venin pour la seconde morsure… Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J’aurai l’air d’être mort et ce ne sera pas vrai…

L’Aviateur. Moi je me taisais.

LE PETIT PRINCE. Tu comprends. C’est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C’est trop lourd.

L’Aviateur. Moi je me taisais.

LE PETIT PRINCE. Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n’est pas triste les vieilles écorces…

L’Aviateur. Moi je me taisais.

LE PETIT PRINCE. Ce sera gentil, tu sais. Moi aussi je regarderai les étoiles. Toutes les étoiles seront des puits avec une poulie rouillée. Toutes les étoiles me verseront à boire…

L’Aviateur. Moi je me taisais.

LE PETIT PRINCE. Ce sera tellement amusant ! Tu auras cinq cents millions de grelots, j’aurai cinq cents millions de fontaines…

L’Aviateur. Moi je me taisais.

LE PETIT PRINCE. C’est là. Laisse-moi faire un pas tout seul… Tu sais… ma fleur… j’en suis responsable ! Et elle est tellement faible ! Et elle est tellement naïve. Elle a quatre épines de rien du tout pour la protéger contre le monde… Voilà… C’est tout…[5]

Obscurcissement. On entend à nouveau le sifflement de la locomotive et du train au départ. Un dessin apparaît à l'écran, sur lequel tombe le Petit Prince, volant vers sa Rose. L’Actrice transfère l'attribut du Petit Prince à l'Acteur, et elle devient elle-même la Fleur.

La Fleur. Ah ! Je me réveille à peine… Je vous demande pardon… Je suis encore toute décoiffée…

LE PETIT PRINCE. Que vous êtes belle !

La Fleur (doucement). N’est-ce pas ? Et je suis née en même temps que le soleil… C’est l’heure, je crois, du petit déjeuner. Auriez-vous la bonté de penser à moi…

L’Acteur. Et le Petit Prince, tout confus, ayant été chercher un arrosoir d’eau fraîche, avait servi la fleur.

La Fleur. Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes !

LE PETIT PRINCE. Il n’y a pas de tigres sur ma planète. Et puis les tigres ne mangent pas l’herbe.

La Fleur (doucement). Je ne suis pas une herbe.

LE PETIT PRINCE. Pardonnez-moi…

La Fleur. Je ne crains rien des tigres, mais j’ai horreur des courants d’air. Vous n’auriez pas un paravent ?

LE PETIT PRINCE (à part). Horreur des courants d’air… ce n’est pas de chance, pour une plante. Cette fleur est bien compliquée…

La Fleur. Le soir vous me mettrez sous globe. Il fait très froid chez vous. C’est mal installé. Là d’où je viens… Ce paravent ?…

Le Petit Prince. J’allais le chercher mais vous me parliez ! (à part) J’aurais dû ne pas l’écouter, me confia-t-il un jour, il ne faut jamais écouter les fleurs. Il faut les regarder et les respirer. La mienne embaumait ma planète, mais je ne savais pas m’en réjouir. Cette histoire de griffes, qui m’avait tellement agacé, eût dû m’attendrir… Je n’ai alors rien su comprendre ! J’aurais dû la juger sur les actes et non sur les mots. Elle m’embaumait et m’éclairait. Je n’aurais jamais dû m’enfuir ! j’aurais dû deviner sa tendresse derrière ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires ! Mais j’étais trop jeune pour savoir l’aimer. (À la fleur.) Adieu… (La fleur est silencieuse.) Adieu. (Il se retourne pour partir.)

La Fleur. J’ai été sotte. Je te demande pardon. Tâche d’être heureux. Mais oui, je t’aime. Tu n’en as rien su, par ma faute. Cela n’a aucune importance. Mais tu as été aussi sot que moi. Tâche d’être heureux… Laisse ce globe tranquille. Je n’en veux plus.

Le Petit Prince. Mais le vent…

La Fleur. Je ne suis pas si enrhumée que ça… L’air frais de la nuit me fera du bien. Je suis une fleur.

Le Petit Prince. Mais les bêtes…

La Fleur. Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaître les papillons. Il paraît que c’est tellement beau. Sinon qui me rendra visite ? Tu seras loin, toi. Quant aux grosses bêtes, je ne crains rien. J’ai mes griffes.

Ils s’embrassent. Le baiser.

Ne traîne pas comme ça, c’est agaçant. Tu as décidé de partir. Va-t’en.

Roque. Lorsque les acteurs se dispersent, attribut du Petit Prince (l’écharpe?) à nouveau sur l’Actrice, une couronne apparaît sur la tête de l’Acteur. Bref, l’Actrice est à nouveau le Petit Prince et l’Acteur est le roi.

Le Roi. Ah ! Voilà un sujet. Approche-toi que je te voie mieux. Il est contraire à l’étiquette de bâiller en présence d’un roi. Je te l’interdis.

Le Petit Prince. Je ne peux pas m’en empêcher. J’ai fait un long voyage et je n’ai pas dormi…

Le Roi. Alors je t’ordonne de bâiller. Je n’ai vu personne bâiller depuis des années. Les bâillements sont pour moi des curiosités. Allons ! bâille encore. C’est un ordre.

Le Petit Prince. Ça m’intimide… je ne peux plus…

Le Roi. Hum ! Hum ! Alors je… je t’ordonne tantôt de bâiller et tantôt de…

Le Petit Prince. Puis-je m’asseoir ?

Le Roi. Je t’ordonne de t’asseoir.

Le Petit Prince. Sire… je vous demande pardon de vous interroger…

Le Roi. Je t’ordonne de m’interroger.

Le Petit Prince. Sire… sur quoi régnez-vous ?

Le Roi. Sur tout.

Le Petit Prince. Sur tout ?.. Sur tout ça ?

Le Roi. Sur tout ça…

Le Petit Prince. Et les étoiles vous obéissent ?

Le Roi. Bien sûr. Elles obéissent aussitôt. Je ne tolère pas l’indiscipline.

Le Petit Prince. Je voudrais voir un coucher de soleil… Faites-moi plaisir… Ordonnez au soleil de se coucher…

Le Roi. Si j’ordonnais à un général de voler d’une fleur à l’autre à la façon d’un papillon, ou d’écrire une tragédie, ou de se changer en oiseau de mer, et si le général n’exécutait pas l’ordre reçu, qui, de lui ou de moi, serait dans son tort ?

Le Petit Prince (fermement). Ce serait vous.

Le Roi. Exact. Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner. L’autorité repose d’abord sur la raison. Si tu ordonnes à ton peuple d’aller se jeter à la mer, il fera la révolution. J’ai le droit d’exiger l’obéissance parce que mes ordres sont raisonnables.

Le Petit Prince. Alors mon coucher de soleil ?

Le Roi. Ton coucher de soleil, tu l’auras. Je l’exigerai. Mais j’attendrai, dans ma science du gouvernement, que les conditions soient favorables.

Le Petit Prince. Quand ça sera-t-il ?

Le Roi (consulta d’abord un gros calendrier).Hem ! hem ! hem ! hem ! ce sera, vers… vers… ce sera ce soir vers sept heures quarante ! Et tu verras comme je suis bien obéi.

Le Petit Prince (bâilla). Je n’ai plus rien à faire ici. Je vais repartir !

Le Roi. Ne pars pas. Ne pars pas, je te fais ministre !

Le Petit Prince. Ministre de quoi ?

Le Roi. De… de la justice !

Le Petit Prince. Mais il n’y a personne à juger !

Le Roi. On ne sait pas. Je n’ai pas fait encore le tour de mon royaume. Je suis très vieux, je n’ai pas de place pour un carrosse, et ça me fatigue de marcher.

Le Petit Prince (se pencha pour jeter encore un coup d’œil sur l’autre côté de la planète). Oh ! Mais j’ai déjà vu. Il n’y a personne là-bas non plus…

Le Roi. Tu te jugeras donc toi-même. C’est le plus difficile. Il est bien plus difficile de se juger soi-même que de juger autrui. Si tu réussis à bien te juger, c’est que tu es un véritable sage.

Le Petit Prince. Moi, je puis me juger moi-même n’importe où. Je n’ai pas besoin d’habiter ici.

Le Roi. Hem ! Hem ! je crois bien que sur ma planète il y a quelque part un vieux rat. Je l’entends la nuit. Tu pourras juger ce vieux rat. Tu le condamneras à mort de temps en temps. Ainsi sa vie dépendra de ta justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour l’économiser. Il n’y en a qu’un.

Le Petit Prince. Moi, je n’aime pas condamner à mort, et je crois bien que je m’en vais.

Le Roi. Non.

Le Petit Prince. Si Votre Majesté désirait être obéie ponctuellement, elle pourrait me donner un ordre raisonnable. Elle pourrait m’ordonner, par exemple, de partir avant une minute. Il me semble que les conditions sont favorables… (Prit le départ.)

Le Roi. Je te fais mon ambassadeur.

Le Petit Prince (à part.) Les grandes personnes sont bien étranges.

Le Roi se transforme en le Vaniteux.

Le Vaniteux. Ah ! Ah ! Voilà la visite d’un admirateur !

Le Petit Prince. Bonjour. Vous avez un drôle de chapeau.

Le Vaniteux. C’est pour saluer. C’est pour saluer quand on m’acclame. Malheureusement il ne passe jamais personne par ici.

Le Petit Prince. Ah oui ?

Le Vaniteux. Frappe tes mains l’une contre l’autre.

Le Petit Prince tape dans ses mains. Le Vaniteux s'incline.

Le Petit Prince (à part.) Ça c’est plus amusant que la visite au roi. (Au Vaniteux.) Et, pour que le chapeau tombe, que faut-il faire ?

Le Vaniteux. Est-ce que tu m’admires vraiment beaucoup ?

Le Petit Prince. Qu’est-ce que signifie admirer ?

Le Vaniteux. Admirer signifie reconnaître que je suis l’homme le plus beau, le mieux habillé, le plus riche et le plus intelligent de la planète.

Le Petit Prince. Mais tu es seul sur ta planète !

Le Vaniteux. Fais-moi ce plaisir. Admire-moi quand même ! (Il change du Buveur.)

Le Petit Prince (en haussant un peu les épaules.) Je t’admire mais en quoi cela peut-il bien t’intéresser ? (À part.) Les grandes personnes sont décidément bien bizarres. (Au Buveur.) Que fais-tu là ?

Le Buveur (d’un air lugubre). Je bois.

Le Petit Prince. Pourquoi bois-tu ?

Le Buveur. Pour oublier.

Le Petit Prince. Pour oublier quoi ?

Le Buveur (en baissant la tête). Pour oublier que j’ai honte.

Le Petit Prince (il désirait le secourir). Honte de quoi ?

Le Buveur (acheva). Honte de boire ! (S’enferma définitivement dans le silence de plus il change du Businessman.)

Le Petit Prince (à part.) Les grandes personnes sont décidément très très bizarres. (Du Businessman.) Bonjour. Votre cigarette est éteinte.

Le Businessman. Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois quinze. — Bonjour. — Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et six vingt-huit. — Pas le temps de la rallumer. — Vingt-six et cinq trente et un. — Ouf ! — Ça fait donc cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un.

Le Petit Prince. Cinq cents millions de quoi ?

Le Businessman. Hein ? Tu es toujours là ? Cinq cent un millions de… je ne sais plus… J’ai tellement de travail ! Je suis sérieux, moi, je ne m’amuse pas à des balivernes ! Deux et cinq sept…

Le Petit Prince. Cinq cent un millions de quoi ?

Le Businessman. Depuis cinquante-quatre ans que j’habite cette planète ci, je n’ai été dérangé que trois fois. La première fois ç’a été, il y a vingt-deux ans, par un hanneton qui était tombé Dieu sait d’où. Il répandait un bruit épouvantable, et j’ai fait quatre erreurs dans une addition. La seconde fois ç’a été, il y a onze ans, par une crise de rhumatisme. Je manque d’exercice. Je n’ai pas le temps de flâner. Je suis sérieux, moi. La troisième fois… la voici ! Je disais donc cinq cent un millions…

Le Petit Prince. Millions de quoi ?

Le Businessman. Millions de ces petites choses que l’on voit quelquefois dans le ciel.

Le Petit Prince. Des mouches ?

Le Businessman. Mais non, des petites choses qui brillent.

Le Petit Prince. Des abeilles ?

Le Businessman. Mais non. Des petites choses dorées qui font rêvasser les fainéants. Mais je suis sérieux, moi ! Je n’ai pas le temps de rêvasser.

Le Petit Prince. Ah ! des étoiles ?

Le Businessman. C’est bien ça. Des étoiles.

Le Petit Prince. Et que fais-tu de cinq cents millions d’étoiles ?

Le Businessman. Cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. Je suis sérieux, moi, je suis précis.

Le Petit Prince. Et que fais-tu de ces étoiles ?

Le Businessman. Ce que j’en fais ?

Le Petit Prince. Oui.

Le Businessman. Rien. Je les possède.

Le Petit Prince. Tu possèdes les étoiles ?

Le Businessman. Oui.

Le Petit Prince. Mais j’ai déjà vu un roi qui…

Le Businessman. Les rois ne possèdent pas. Ils « règnent » sur. C’est très différent.

Le Petit Prince. Et à quoi cela te sert-il de posséder les étoiles ?

Le Businessman. Ça me sert à être riche.

Le Petit Prince. Et à quoi cela te sert-il d’être riche ?

Le Businessman. À acheter d’autres étoiles, si quelqu’un en trouve.

Le Petit Prince (à part). Celui-là, il raisonne un peu comme mon ivrogne. (Au Businessman.) Comment peut-on posséder les étoiles ?

Le Businessman (grincheux). À qui sont-elles ?

Le Petit Prince. Je ne sais pas. À personne.

Le Businessman. Alors elles sont à moi, car j’y ai pensé le premier.

Le Petit Prince. Ça suffit ?

Le Businessman. Bien sûr. Quand tu trouves un diamant qui n’est à personne, il est à toi. Quand tu trouves une île qui n’est à personne, elle est à toi. Quand tu as une idée le premier, tu la fais breveter : elle est à toi. Et moi je possède les étoiles, puisque jamais personne avant moi n’a songé à les posséder.

Le Petit Prince. Ça c’est vrai. Et qu’en fais-tu ?

Le Businessman. Je les gère. Je les compte et je les recompte. C’est difficile. Mais je suis un homme sérieux !

Le Petit Prince. Moi, si je possède un foulard, je puis le mettre autour de mon cou et l’emporter. Moi, si je possède une fleur, je puis cueillir ma fleur et l’emporter. Mais tu ne peux pas cueillir les étoiles !

Le Businessman. Non, mais je puis les placer en banque.

Le Petit Prince. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Le Businessman. Ça veut dire que j’écris sur un petit papier le nombre de mes étoiles. Et puis j’enferme à clef ce papier-là dans un tiroir.

Le Petit Prince. Et c’est tout ?

Le Businessman. Ça suffit !

Le Petit Prince. C’est amusant. C’est assez poétique. Mais ce n’est pas très sérieux. (Au Businessman.) Moi, je possède une fleur que j’arrose tous les jours. Je possède trois volcans que je ramone toutes les semaines. Car je ramone aussi celui qui est éteint. On ne sait jamais. C’est utile à mes volcans, et c’est utile à ma fleur, que je les possède. Mais tu n’es pas utile aux étoiles… (À part.) Les grandes personnes sont décidément tout à fait extraordinaires[6].

Le Businessman devient l’Allumeur de réverbères.

Peut-être bien que cet homme est absurde. Cependant il est moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Quand il allume son réverbère, c’est comme s’il faisait naître une étoile de plus, ou une fleur. Quand il éteint son réverbère, ça endort la fleur ou l’étoile. C’est une occupation très jolie. C’est véritablement utile puisque c’est joli. (À l’Allumeur) Bonjour. Pourquoi viens-tu d’éteindre ton réverbère ?

L’Allumeur. C’est la consigne. Bonjour.

Le Petit Prince. Qu’est-ce que la consigne ?

L’Allumeur. C’est d’éteindre mon réverbère. Bonsoir.

Le Petit Prince. Mais pourquoi viens-tu de le rallumer ?

L’Allumeur. C’est la consigne.

Le Petit Prince. Je ne comprends pas.

L’Allumeur. Il n’y a rien à comprendre. La consigne c’est la consigne. Bonjour. Je fais là un métier terrible. C’était raisonnable autrefois. J’éteignais le matin et j’allumais le soir. J’avais le reste du jour pour me reposer, et le reste de la nuit pour dormir…

Le Petit Prince. Et, depuis cette époque, la consigne a changé ?

L’Allumeur. La consigne n’a pas changé. C’est bien là le drame ! La planète d’année en année a tourné de plus en plus vite, et la consigne n’a pas changé !

Le Petit Prince. Alors ?

L’Allumeur. Alors maintenant qu’elle fait un tour par minute, je n’ai plus une seconde de repos. J’allume et j’éteins une fois par minute !

Le Petit Prince. Ça c’est drôle ! Les jours chez toi durent une minute !

L’Allumeur. Ce n’est pas drôle du tout. Ça fait déjà un mois que nous parlons ensemble.

Le Petit Prince. Un mois ?

L’Allumeur. Oui. Trente minutes. Trente jours ! Bonsoir.

Le Petit Prince. Tu sais… je connais un moyen de te reposer quand tu voudras…

L’Allumeur. Je veux toujours. Car on peut être, à la fois, fidèle et paresseux.

Le Petit Prince. Ta planète est tellement petite que tu en fais le tour en trois enjambées. Tu n’as qu’à marcher assez lentement pour rester toujours au soleil. Quand tu voudras te reposer tu marcheras… et le jour durera aussi longtemps que tu voudras.

L’Allumeur. Ça ne m’avance pas à grand-chose. Ce que j’aime dans la vie, c’est dormir.

Le Petit Prince. Ce n’est pas de chance.

L’Allumeur. Ce n’est pas de chance. Bonjour. (Il change en un vieux Monsieur.)

Le Petit Prince (Il poursuivait plus loin son voyage). Celui-là serait méprisé par tous les autres, par le roi, par le vaniteux, par le buveur, par le businessman. Cependant c’est le seul qui ne me paraisse pas ridicule. C’est, peut-être, parce qu’il s’occupe d’autre chose que de soi-même. Celui-là est le seul dont j’eusse pu faire mon ami. Mais sa planète est vraiment trop petite. Il n’y a pas de place pour deux…

Le vieux Monsieur. Tiens ! voilà un explorateur ! D’où viens-tu ?

Le Petit Prince. Quel est ce gros livre ? Que faites-vous ici ?

Le vieux Monsieur. Je suis géographe.

Le Petit Prince. Qu’est-ce qu’un géographe ?

Géographe. C’est un savant qui connaît où se trouvent les mers, les fleuves, les villes, les montagnes et les déserts.

Le Petit Prince. Ça c’est bien intéressant. Ça c’est enfin un véritable métier ! Elle est bien belle, votre planète. Est-ce qu’il y a des océans ?

Géographe. Je ne puis pas le savoir.

Le Petit Prince (Il était déçu.) Ah ! Et des montagnes ?

Géographe. Je ne puis pas le savoir.

Le Petit Prince. Et des villes et des fleuves et des déserts ?

Géographe. Je ne puis pas le savoir non plus.

Le Petit Prince. Mais vous êtes géographe !

Géographe. C’est exact, mais je ne suis pas explorateur. Je manque absolument d’explorateurs. Ce n’est pas le géographe qui va faire le compte des villes, des fleuves, des montagnes, des mers, des océans et des déserts. Le géographe est trop important pour flâner. Il ne quitte pas son bureau. Mais il y reçoit les explorateurs. Il les interroge, et il prend en note leurs souvenirs. Et si les souvenirs de l’un d’entre eux lui paraissent intéressants, le géographe fait faire une enquête sur la moralité de l’explorateur.

Le Petit Prince. Pourquoi ça ?

Géographe. Parce qu’un explorateur qui mentirait entraînerait des catastrophes dans les livres de géographie. (Il s'endort, à la suite de quoi il se transforme en ivrogne..) Et aussi un explorateur qui boirait trop.

Le Petit Prince. Pourquoi ça ?

Géographe. Parce que les ivrognes voient double. (Le Géographe réveille.) Alors le géographe noterait deux montagnes, là où il n’y en a qu’une seule.

Le Petit Prince. Je connais quelqu’un qui serait mauvais explorateur.

Géographe. C’est possible. Donc, quand la moralité de l’explorateur paraît bonne, on fait une enquête sur sa découverte.

Le Petit Prince. On va voir ?

Géographe. Non. C’est trop compliqué. Mais on exige de l’explorateur qu’il fournisse des preuves. S’il s’agit par exemple de la découverte d’une grosse montagne, on exige qu’il en rapporte de grosses pierres. Mais toi, tu viens de loin ! Tu es explorateur ! Tu vas me décrire ta planète ! Alors ?

Le Petit Prince. Oh ! chez moi ce n’est pas très intéressant, c’est tout petit. J’ai trois volcans. Deux volcans en activité, et un volcan éteint. Mais on ne sait jamais.

Géographe (comme un écho). On ne sait jamais.

Le Petit Prince. J’ai aussi une fleur.

Géographe. Nous ne notons pas les fleurs.

Le Petit Prince. Pourquoi ça ! c’est le plus joli !

Géographe. Parce que les fleurs sont éphémères.

Le Petit Prince. Qu’est-ce que signifie : « éphémère » ?

Géographe. Les géographies sont les livres les plus précieux de tous les livres. Elles ne se démodent jamais. Il est très rare qu’une montagne change de place. Il est très rare qu’un océan se vide de son eau. Nous écrivons des choses éternelles.

Le Petit Prince. Mais les volcans éteints peuvent se réveiller. Qu’est-ce que signifie « éphémère » ?

Géographe. Que les volcans soient éteints ou soient éveillés, ça revient au même pour nous autres. Ce qui compte pour nous, c’est la montagne. Elle ne change pas.

Le Petit Prince. Mais qu’est-ce que signifie « éphémère » ?

Géographe. Ça signifie « qui est menacé de disparition prochaine ».

Le Petit Prince. Ma fleur est menacée de disparition prochaine ?

Géographe. Bien sûr.

Le Petit Prince. Ma fleur est éphémère et elle n’a que quatre épines pour se défendre contre le monde ! Et je l’ai laissée toute seule chez moi ! (Au géographe.) Que me conseillez-vous d’aller visiter ?

Géographe. La planète Terre. Elle a une bonne réputation…

Roque[7]. L’Actrice devient un anneau de rayon de lune — le Serpent. L’Acteur est le Petit Prince.

Le Petit Prince. Bonne nuit.

Le Serpent. Bonne nuit.

Le Petit Prince. Sur quelle planète suis-je tombé ?

Le Serpent. Sur la Terre, en Afrique.

Le Petit Prince. Ah !… Il n’y a donc personne sur la Terre ?

Le Serpent. Ici c’est le désert. Il n’y a personne dans les déserts. La Terre est grande.

Le Petit Prince (leva les yeux vers le ciel). Je me demande si les étoiles sont éclairées afin que chacun puisse un jour retrouver la sienne. Regarde ma planète. Elle est juste au-dessus de nous… Mais comme elle est loin !

Le Serpent. Elle est belle. Que viens-tu faire ici ?

Le Petit Prince. J’ai des difficultés avec une fleur.

Le Serpent. Ah !

Et ils se turent.

Le Petit Prince. Où sont les hommes ? On est un peu seul dans le désert…

Le Serpent. On est seul aussi chez les hommes.

Le Petit Prince (Il le regarde longtemps). Tu es une drôle de bête, mince comme un doigt…

Le Serpent. Mais je suis plus puissant que le doigt d’un roi.

Le Petit Prince (il eut un sourire). Tu n’es pas bien puissant… tu n’as même pas de pattes… tu ne peux même pas voyager…

Le Serpent. Je puis t’emporter plus loin qu’un navire. (Il s’enroula autour de la cheville du petit prince, comme un bracelet d’or.) Celui que je touche, je le rends à la terre dont il est sorti. Mais tu es pur et tu viens d’une étoile…

Le Petit Prince ne répondit rien.

Tu me fais pitié, toi si faible, sur cette Terre de granit. Je puis t’aider un jour si tu regrettes trop ta planète. Je puis…

Le Petit Prince. Oh ! J’ai très bien compris mais pourquoi parles-tu toujours par énigmes ?

Le Serpent. Je les résous toutes.

Et ils se turent. Le Serpent change en une Fleur à trois pétales.

Le Petit Prince. Bonjour.

Le Fleur. Bonjour.

Le Petit Prince. Où sont les hommes ?

Le Fleur. Les hommes ? Il en existe, je crois, six ou sept. Je les ai aperçus il y a des années. Mais on ne sait jamais où les trouver. Le vent les promène. Ils manquent de racines, ça les gêne beaucoup.

Le Petit Prince. Adieu.

Le Fleur. Adieu.

Le Petit Prince (à part). D’une montagne haute comme celle-ci, j’apercevrai d’un coup toute la planète et tous les hommes… (À tout hasard.) Bonjour!..

La fleur disparaît et l’Écho répond au Petit Prince.

L’Écho. Bonjour… Bonjour… Bonjour…[8]

Le Petit Prince. Qui êtes-vous ?

L’Écho. Qui êtes-vous… qui êtes-vous… qui êtes-vous…

Le Petit Prince. Soyez mes amis, je suis seul.

L’Écho. Je suis seul… je suis seul… je suis seul… (Tombe silencieux.)

Le Petit Prince. Quelle drôle de planète ! Elle est toute sèche, et toute pointue et toute salée. Et les hommes manquent d’imagination. Ils répètent ce qu’on leur dit… Chez moi j’avais une fleur : elle parlait toujours la première… (Il voit des roses. Ils résonnent aussi.) Bonjour.

Le jardin fleuri de roses. Bonjour.

Le Petit Prince (perplexe). Qui êtes-vous ?

Les roses. Nous sommes des roses. (Ils disparaissent.)[9]

Le Petit Prince (à part). Elle serait bien vexée, si elle voyait ça… elle tousserait énormément et ferait semblant de mourir pour échapper au ridicule. Et je serais bien obligé de faire semblant de la soigner, car, sinon, pour m’humilier moi aussi, elle se laisserait vraiment mourir… Je me croyais riche d’une fleur unique, et je ne possède qu’une rose ordinaire. Ça et mes trois volcans qui m’arrivent au genou, et dont l’un, peut-être, est éteint pour toujours, ça ne fait pas de moi un bien grand prince…

Roque. L’Acteur est le Renard, l’Actrice est le Petit Prince.

L’Acteur et l’Actrice. C’est alors qu’apparut le renard.

Le Renard. Bonjour.

Le Petit Prince. Bonjour. (Il se retourna mais ne vit rien.)

Le Renard. Je suis là, sous le pommier.

Le Petit Prince. Qui es-tu ? Tu es bien joli…

Le Renard. Je suis un renard.

Le Petit Prince. Viens jouer avec moi. Je suis tellement triste…

Le Renard. Je ne puis pas jouer avec toi. Je ne suis pas apprivoisé.

Le Petit Prince. Ah ! pardon. (Après réflexion.) Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?

Le Renard. Tu n’es pas d’ici, que cherches-tu ?[10]

Le Petit Prince. Je cherche les hommes. Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?

Le Renard. Les hommes, ils ont des fusils et ils chassent. C’est bien gênant ! Ils élèvent aussi des poules. C’est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ?

Le Petit Prince. Non. Je cherche des amis. Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?

Le Renard. C’est une chose trop oubliée. Ça signifie « créer des liens… »

Le Petit Prince. Créer des liens ?

Le Renard. Bien sûr. Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde…

Le Petit Prince. Je commence à comprendre. Il y a une fleur… je crois qu’elle m’a apprivoisé…

Le Renard. C’est possible. On voit sur la Terre toutes sortes de choses…

Le Petit Prince. Oh ! ce n’est pas sur la Terre.

Le Renard (il parut très intrigué). Sur une autre planète ?

Le Petit Prince. Oui.

Le Renard. Il y a des chasseurs, sur cette planète-là ?

Le Petit Prince. Non.

Le Renard. Ça, c’est intéressant ! Et des poules ?

Le Petit Prince. Non.

Le Renard (soupira). Rien n’est parfait. Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m’ennuie donc un peu. Mais, si tu m’apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m’appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c’est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d’or. Alors ce sera merveilleux quand tu m’auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j’aimerai le bruit du vent dans le blé… (Il se tut et regarda longtemps le petit prince.) S’il te plaît… apprivoise-moi !

Le Petit Prince. Je veux bien, mais je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.

Le Renard. On ne connaît que les choses que l’on apprivoise. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !

Le Petit Prince. Que faut-il faire ?

Le Renard. Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près… – Il eût mieux valu revenir à la même heure. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l’après-midi, dès trois heures je commencerai d’être heureux. Plus l’heure avancera, plus je me sentirai heureux. À quatre heures, déjà, je m’agiterai et m’inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur… Il faut des rites.

Le Petit Prince. Qu’est-ce qu’un rite ?

Le Renard. C’est aussi quelque chose de trop oublié. C’est ce qui fait qu’un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je vais me promener jusqu’à la vigne. Si les chasseurs dansaient n’importe quand, les jours se ressembleraient tous, et je n’aurais point de vacances. (À part — de l’Acteur.) Ainsi le Petit Prince apprivoisa le Renard. Et quand l’heure du départ fut proche… (Le Renard.) Ah !.. Je pleurerai.

Le Petit Prince. C’est ta faute, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t’apprivoise…

Le Renard. Bien sûr.

Le Petit Prince. Mais tu vas pleurer !

Le Renard. Bien sûr.

Le Petit Prince. Alors tu n’y gagnes rien !

Le Renard. J’y gagne, à cause de la couleur du blé… Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d’un secret.

Des roses apparaissent[11].

Le Petit Prince. Vous n’êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n’êtes rien encore. Personne ne vous a apprivoisées et vous n’avez apprivoisé personne. Vous êtes comme était mon Renard. Ce n’était qu’un renard semblable à cent mille autres. Mais j’en ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.

Les roses se taisent

Vous êtes belles, mais vous êtes vides. On ne peut pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu’elle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes, puisque c’est elle que j’ai arrosée. Puisque c’est elle que j’ai mise sous globe. Puisque c’est elle que j’ai abritée par le paravent. Puisque c’est elle dont j’ai tué les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque c’est elle que j’ai écoutée se plaindre, ou se vanter, ou même quelquefois se taire. Puisque c’est ma rose. (Au Renard.) Adieu.

Le Renard. Adieu. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.

Le Petit Prince. L’essentiel est invisible pour les yeux, répéta le Petit Prince, afin de se souvenir.

Le Renard. C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.

Le Petit Prince. C’est le temps que j’ai perdu pour ma rose… fit le Petit Prince, afin de se souvenir.

Le Renard. Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose…

Le Petit Prince. Je suis responsable de ma rose… répéta le Petit Prince, afin de se souvenir.

Sifflet de locomotive. Le bruit d'un train au départ. Coupure électrique. Dans l'obscurité, le bruit d'un train est remplacé par le bourdonnement d'un moteur d'avion, qui s'estompe au loin. Briller. Scène vide. Écran sombre.

Fin

 



[1] Íåîáõîäèìî ðåøèòü òåõíè÷åñêè âîïðîñ, êàê ñäåëàòü òàê, ÷òîáû èçîáðàæåíèå íà äèñïëåå ïëàíøåòà òðàíñëèðîâàëîñü íà áîëüøîé ýêðàí.

[2] Áåðåò ó Ëåò÷èêà êóáèê-ðóáèê è ïûòàåòñÿ åãî ñîáðàòü.

[3] Îòäàåò Ëåò÷èêó ñîáðàííûé êóáèê-ðóáèê. Õîòÿ íåò. Òîãäà ïîëó÷èòñÿ, ÷òî îí ïî÷èíèë ñàìîëåò. Ëó÷øå â «ôèíàëüíîé» ñöåíå Ëåò÷èê âîçâðàùàåòñÿ ñ ñîáðàííûì êóáèêîì, è Ìàëåíüêèé ïðèíö ãîâîðèò î òîì, ÷òî ñàìîëåò ïî÷èíåí, óâèäåâ êóáèê.

[4] Èëè Ìàëåíüêèé Ïðèíö ïåðåêðèêèâàåò, à Ñòðåëî÷íèê ïðîôåññèîíàëüíî äîæèäàåòñÿ, êîãäà ïîåçä ïðîåäåò.

[5] Èãðàòü ñìåðòíûé îäð.

[6] Çäåñü ìîæíî íå äîãîâîðèòü äî êîíöà: Ýòè âçðîñëûå… — ñìåõ â çàëå.

[7] Äóìàþ, àòðèáóòîì Ìàëåíüêîãî Ïðèíöà ñóæäåíî áûòü ïðåñëîâóòîìó øàðôó. Íàïðèìåð, çäåñü àêòðèñà ìîæåò ñíÿòü åãî è ïîäáðîñèòü â âîçäóõ, è ñäåëàòü øàã â ñòîðîíó, à àêòåð åãî ïîéìàòü.

[8] Ëèáî òåõíè÷åñêîå ðåøåíèå, òî åñòü îäèí èç çàãîòîâëåííûõ ïðåäìåòîâ-àòðèáóòîâ: ìèêðîôîí, ñîåäèíåííûé ñ óñèëèòåëåì ÷åðåç ðåâåðáåðàòîð ñ áîëüøèì âðåìåíåì çàäåðæêè. Ëèáî — àêòåðñêîå: çà Ýõîì ïîâòîðÿþò äðóãèå àêòåðû, ðàçìåùåííûå ïî âñåìó ïðîñòðàíñòâó, âêëþ÷àÿ çðèòåëüíûé çàë. Ìîæíî äàæå ñïðîâîöèðîâàòü ïðèñîåäèíèòüñÿ çðèòåëÿ.

[9] Ìîæíî äëÿ ýõà ìèêðîôîí, à äëÿ ðîç — ãîëîñà. À ìîæíî äëÿ ýõà ìóæñêèå ãîëîñà, à äëÿ ðîç — æåíñêèå.

[10] ×òî òû çäåñü ïîòåðÿë?

[11] Èçäàþò êàêèå-òî çâóêè òèïà «õèõè». Âæèâóþ èëè íà ôîíîãðàììå.