J. Anouilh

 

 

 

 

l’orchestre


 

J. Anouilh

l’orchestre

PATRICIApremier violon

PAMELAsecond violon

MADAME HORTENSEcontrebasse et chef d’orchestre

SUZANNE DELICIASvioloncelle

ERMELINEalto

LEONAflûtiste et un peu bossue

LE PIANISTE

M.LEBONZE

Ermeline. Alors je lui ai dit : « Edmond ! Tu n’aimes peut-être pas ça, mais n’en dégoûte pas les autres ! »

Leona. Toc !

Ermeline. Toc ! C’était net. Et j’ai ajouté : « Je suis femme et tu n’empêcheras jamais une femme de penser et de sentir comme une femme ». Ça, ma petite, pour le coup, j’ai vu que ça avait porté.

Leona. Qu’est-ce qu’il a répondu ?

Ermeline. Rien. Il a continué à se laver les dents.

Leona. Et alors qu’est-ce que tu as fait ?

Ermeline. J’ai posé mes ciseaux — j’étais en train de me couper les ongles — et je suis sortie de la salle de bains.

Leona. Comme ça ?

Ermeline. Comme ça ! Tu conviendras qu’il ne l’avait pas volé ! J’ai remis ma gaine, mes bas. Toujours rien, ma petite. Il se rinçait. Alors j’ai passé ma robe, j’étais décidée — tu me connais — et je suis sortie en claquant la porte. J’étais d’un crin! Le premier, tu entends, le premier qui m’aurait dit un mot gentil, je me donnais. Seulement il n’y avait que le gardien de nuit en bas, un vieux nègre, et Moulins, tu sais, à une heure du matin ! Pas un chat. J’ai traîné tant que j’ai pu pour qu’il ait peur. J’ai été du côté de la cathédrale, on m’avait dit que c’était joli, mais on ne voyait rien; et à deux heures et quart je suis remontée. Je n’en pouvais plus. J’avais mes chaussures roses — celles que je t’ai données parce qu’elles étaient trop petites — et mon cor me faisait trop mal. Et puis comme je lui avais crié en partant qu’il fallait en finir une bonne fois, j’avais peur qu’il avertisse la police à cause de l’Allier. Je ne tenais pas à avoir des ennuis, tu comprends ?..

Leona. Qui c’était l’allier ?

Ermeline. Tu es bête ! Une rivière qui passe à Moulins. Une femme dans l’état ou j’étais, c’est à ça que ça pense d’abord, c’est connu. D’ailleurs j’avais été jusqu’à la rive, mais il faisait trop noir. J’étais revenue.

Leona. Ahi Je comprends. Il t’a crue morte ? Alors qu’est-ce qu’il t’a dit quand il t’a vue ?

Ermeline. Rien. Il ne m’a pas vue. Il était sorti, lui aussi.

Leona. II avait été avertir la police ?

Ermeline. Non. Faire une belote avec des copains dans un bar, en face de la gare qui restait ouvert toute la nuit.

Patricia. Alors ce n’est pas une timbale poitevine, c’est une bouillie de chat.

Pamela, agressive aussi. Chacun sa méthode !

Patricia. Oui, mais il en est de mauvaises. Il y a des femmes qui n’ont pas le sens de leur intérieur !

Pamela. Mon intérieur vaut bien le vôtre. Elle rigole. Il y a peut-être moins de napperons !

Patricia. Tout le monde, n’est-ce pas, n’a pas des goûts d’artiste ? Moi, j’aime mon petit nid chaud et douillet, tout peuplé de mes souvenirs… C’est le napperon qui fait intime.

Pamela. Nids à poussière ! mon petit intérieur, à moi, est moderne et j’en suis fière. Meubles tubulaires et Formica. Tout est clair et net. Pas un objet.

Patricia. Une clinique je vois ça ! Merci ! Moi, je ne suis pas malade ! a un petit ricanement nerveux.

Pamela. Je suis peut-être malade, moi ?

Patricia. Avec les yeux que vous avez ?

Pamela. J’ai peut-être les yeux cernés, ma chère, parce que j’ai un amant et qu’il est très amoureux de moi, ce qui n’est certainement pas votre cas. Mais du moins les miens, ils regardent tous les deux du même côté.

Patricia. Oh ! faire allusion à une disgrâce physique. D’ailleurs imperceptible. Vous êtes l’être le plus bas que je connaisse. Quant à votre amant vous n’avez pas à vous en vanter. Un homme qui travaille à la plonge !

Pamela, rigolant, assez bonne fille. On travaille où on peut. L’essentiel, c’est qu’on travallie bien. J’aime le travail bien fait, moi.

Patricia. Vous êtes ignoble ! Je me demande comment on tolère des femmes comme vous dans des orchestres convenables !

Mme Hortense. Mesdames! Pas de disputes ! Même quand nous ces sons de jouer, les clients ne cessent pas de nous regarder. Des sourires… de’ la grâce… On peut très bien se dire ce que l’on pense en souriant. Votre fleur, Pamela!

Pamela. Quoi ma fleur ?

Mme Hortense. Elle a la tête en bas. Je veux vos roses droites.

Patricia, ricanant aigre. Elle plonge!

Mme Hortense. Mesdames !

Patricia. Je suis femme ! Je suis peut-être plus femme que vous, quoique moi je ne me mette pas sur le dos avec n’importe qui. J’attends l’être que je pourrai regarder au fond des yeux, moi !

Pamela, pouffe. Avec les deux ça sera difficile.

Patricia. Oh!

Pamela. Ou alors il faudra qu’il change souvent de côté.

Patricia. Oh! C’est trop!

Mme Hortense, souriante toujours, mais l’oeil sévère. Mesdames. De la tenue quoi qu’il arrive. Vous vous devez à votre public. Voilà la règle. Le patron me l’a dit quand nous avons enlevé l’affaire en audition devant le Mag’s Star et le Symphony Band, qui sont des orchestres réputés: « Je vous prends parce que je veux de la femme et de la grâce ! Un orchestre qui fasse rêver mes clients ».

Pamela. Pour ce qu’ils ont envie de rêver, les clients d’une ville d’eau où l’on soigne la constipation ! Vous croyez qu’ils nous écoutent ? Ils ne parlent que de ça. Ils font leurs comptes. Et quels comptes !

Mme Hortense, sévère. Nous n’avons pas à savoir ce’ que le client pense et s’il est ou non constipé. De la tenue et de l’élégance. On nous a engagées pour cela et énornément de féminité. Nous allons maintenant jouer « Impresions d’automne », de Chandoisy, arrangement de Goldenstein. Beaucoup d’émotion et de vibrato, s’il vous plaît. Monsieur Léon, dans la lune comme toujours ! Allons vite, votre « Arlesienne » ou nous allons tout embrouiller encore une fois dans nos partitions ! Quel rêveur vous faites ! Je trouve que vous avez de plus en plus de pellicules.

Le pianiste. Tous les artistes en ont.

Mme Hortense. Pourquoi n’utilisez-vous pas la « Lotion des Papes » comme je vous l’ai conseillé ?

Le pianiste. Je trouve qu’elle a un parfum oriental. Cela me paraît peu viril.

Mme Hortense. Quand j’ai connu et aimé Monsieur Hortense, il en usait. Et je peux me flatter, pendant nos douze ans de mariage, d’avoir été la femme la plus aimée. Ah! J’ai été une femme comblée!

Le pianiste. C’était un violoniste. Et les violonistes…

Mme Hortense. J’ai connu aussi des pianistes qui avaient un tempérament de feu.

Le pianiste. C’est plus rare.

Suzanne. Elle continue n’est-ce pas ?

Le pianiste. Nous bavardions.

Suzanne. Si vous ne la faites pas taire, c’est mol qui m’en chargerai.

Le pianiste. Il m’est difficile de lui interdire pendant service… C’est le chef d’orchestre, n’est-ce pas ?

Suzanne. Lâche ! Lâche ! (Retournait à sa place).

Mme Hortense, en passant elle glisse un doigt dans le col de M. Léon. Comme vous avez chaud. Monsieur Léon ! Votre col est tout mou.

Le pianiste. J’en ai toujours deux. Je le changerai après « La Marche de Tannhaüser ».

Suzanne, hors d’elle. Assez ! Assez ! Ou je quitte l’orchestre !

Le pianiste, piteux. Pas de scandale, je vous en prie. Elle me dit que j’ai trop chaud. Je ne peux pourtant pas lui dire non.

Suzanne. Monstre! Vous êtes un monstre de cruauté!

Mme Hortense. Attention, au dièse de la reprise pendant votre solo, n’est-ce pas, Mademoiselle Délicias ?

Patricia. Qu’est-ce qu’il attend ce garçon pour les consommations de l’orchestre ? Je meurs de soif. Nous y avons droit!

Pamela, bonne fille; elle se fait un raccord. Il a les clients à servir d’abord, alors notre verre de bière, permettez-moi de vous dire qu’il s’en fout!

Patricia. Naturellement, les artistes, cela passe après tout. Hier, il nous a servies à minuit. Oh! il est plus empressé le samedi quand c’est le jour de son pourboire! Cette semaine je donnerai vingt sous. Ah! vivre au milieu de ces rustres… Il y en a qui trouvent cela naturel, au point de les prendre dans leur lit. Mais moi, j’ai reçu une autre éducation. Une fille d’officier! ‘Finir dans un boui-boui !

Mme Hortense, vexée. La Brasserie du Globe et du Portugal est un établissement de premier ordre. Et vous avez été bien contente d’y entrer, ma petite. Ne crachez pas dans la soupière.

Patricia. Avec mon talent ! J’ai donné des concerts, moi ! Soliste ! Une fois à une fête de charité, Massenet, le grand Massenet, était dans la salle, à la fin du concert il m’a baisé la main. J’ai interprété un arrangement pour orchestre de «Mignon», où je m’étais toute donnée. Le Maître en avait les larmes aux yeux. Il était si ému qu’il n’a rien trouvé à me dire. Un causeur si disert… Vous ne pouvez évidemment pas comprendre !

Mme Hortense. Chacun a eu ses petits succès. M.Hortense avait été premier violon à la brasserie Zurki, à Saint-Pétersbourg… Je vous parle d’avant la révolution; il avait joué devant des têtes couronnées. Mais il y a des hauts et des bas. Ça ne l’empêchait pas de faire toujours consciencieusement son métier. Il me disait: « Zélie, la musique, c’est comme la soupe, c’est toujours bon ».

Patricia. Se donner devant des constipés!

Mme Hortense. La constipation n’a jamais empêché d’aprécier la musique. Je dirais même, au contraire. Nous avons ici d’excellents amateurs. Pas plus tard qu’hier, un gros industriel belge est venu me féliciter. Il m’a même parlé de vous.

Patricia, soudain transformée. C’est vrai ? Comme c’est amusant! Qu’est-ce qu’il a dit ?

Mme Hortense, II m’a demandé si vous n’étiez pas de Gand. Il paraît qu’il y a une personne là-bas qui vous ressemble. Une femme qui tient le vestiaire au Kursaal.

Suzanne. debout près du piano. J’ai passé sur tout ! Nos rendez-vous secrets, nos rencontres espacées dans cette sale petite auberge où le patron me parle comme à une grue, moi, qui avais rêvé de traverser la ville la tête haute, au bras de l’être que j’aimais ! Mais il y a une chose sur laquelle je ne passerai pas, Léon, c’est sur les avances de cette horrible femme à l’homme que j’ai choisi et auquel je me suis donnée ! Tant qu’il est question de votre pauvre temme infirme, passe, je comprends la pitié, même si je la trouve lâche et ses précautions ignominieuses… Mais là, sous mes yeux, ce désir étalé ! A l’orchestre !

Le pianiste. Nos rapports se bornent strictement à des questions de service, mon amour.

Suzanre. Le doigt dans votre col, tout à l’heure, c’était une question de service ? Et cette caresse à vos cheveux ?

Le pianiste. Elle me faisait remarquer mes pellicules sur le col de mon smoking, c’était son droit strict de chef d’orchestre.

Suzanne. Votre col est à moi, Léon ! Vos cheveux et vos pellicules même sont miens ! Moi seule ai à m’inquiéter de leur petite pluie blanchâtre; à moi seule revient de brosser votre col ! Je vous ai tout donné de moi, une virginité conservée, mes illusions, le bon renom d’une famille irréprochable et jusqu’à ma soeur religieuse qui en mourra si elle l’apprend. Tout ce qui est vous est à moi maintenant ! Je grifferai cornme une lionne!

Le pianiste. Les lionnes mordent. Ce sont les tigresses qui griffent, je vous l’ai déjà dit, mon amour.

Suzanne. Soit ! Je mordrai !

Le pianiste. Mon lapin, mon petit rat, mon tout petit lapin, ma belette.

 

Mme Hortense. Et puis, les fables de La Fontaine, ça sera pour plus tard. En dehors des heures de service je ne vous demande pas à quoi vous employez votre temps, tous les deux !

Suzanne. J’aime et je suis aimée si vous voulez le savoir, Madame !

Mme Hortense. Non, Mademoiselle Délicias ! Non ! Je ne veux pas le savoir. Nous sommes ici dans le temple de la musique !

Suzanne. Oh ça serait trop facile d’essayer de me faire taire au nom de l’art ! Vous croyez que j’ai honte ? La tête haute ! Oui, je vais la tête haute ! Elle va la tête haute sur l’estrade dans un espace ridicule.

Mme Hortense, lui arrachant la partition qu’elle brandit. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas abîmer votre partition. Vous ne vous doutez pas de cé que ça coûte un répertoire ! Voyez-moi ça! « Cocardes et Cocoricos » tout froissé. Et c’est un morceau rarissime !

Suzanne, éclate d’un rire hautain. Rarissime! Votre goût, pour la musiquette, est déplorable; permettez-moi de vous dire cela, Madame Hortense. Rarissime ! Du Duverger !

Mme Hortense. Arrangement de Benoiseau, ma petite ! Et c’est un homme qui connaissait son métier. Je regrette de devoir vous l’apprendre. Je l’ai connu au casino de Royan, aux beaux temps du symphonique. Ça, c’était un musicien !

Suzanne. Moi, j’ai été nourrie de classiques!

Mme Hortense. Dans un établissement comne celui-ci, le client joue aux cartes ou aux dominos pour oublier ses petits ennuis de santé. Ce qu’il lui faut, c’est un bon fond sonore. Ce morceau-là c’est gai, c’est vibrant, c’est enlevé. Et ça fait penser à la France. Ce qui est toujours bon dans un cafe.

Suzanne. Ah! je suis tombée trop bas ! Tant d’humiliations me tuent ! Tant de médiocrité m’étouffe! Je ne chanterai pas le grand air de La Vestale tout à l’heur. Ma voix est brisée. Je ne suis plus en mesure de chanter.

Mme Hortense, sévère. Le grand air de La Vestale est au programme. C’est imprimé. Et un changement au programme fait toujours très mauvais effet. Monsieur Lebonze nous les a formellement interdits. Ça déroute le consommateur. Vous le’chanterez !

Suzanne. Non ! non ! C’est trop ! C’est trop pour mes nerfs ! Secourez-moi, Léon! Cette femme s’acharne contre moi.

Mme Hortense. Vous êtes une petite nature et Monsieur Léon, qui est un homme et un artiste, sera obligé d’en convenir comme moi. Elle passe, olympienne, continuant à distribuer sa musique à l’orchestre.

Ermellne. Moi, je ne dis rien. C’est pas mes oignons. Mais si on s’avisait de faire à Edmond le dixième des avances que je lui vois faire à ce malheux garçon, je verrais rouge. Une fois, au casino de Palavas, je sors un instant pendant l’entracte. Je reviens, je ne le vois pas sur l’estrade. Tu sais où je le retrouve ?

Leona. Non.

Ermellne. Avec la dame des cabinets.

Leona. Non ?

Ermellne. Si ! Une blondasse sur qui on racontait des horreurs. Tu te rends compte ? Une dame-pipi !

Leona. Qu’est-ce qu’il faisait ?

Ermellne. II a prétendu, après, qu’il lui demandait de la monnaie. Tu penses comme j’ai été dupe ! Alors tu sais ce que je lui ai dit ?

Leona. Non.

Ermellne. Rien ! Je les ai regardés, comme ça, et je suis entrée chez les dames en demandant: « Il y a du papier ? »

Leona. Toc ! Et qu’est-ce qu’il a fait?

Ermellne. Il est entré chez les messieurs, sans un mot. Mais permets-moi de te dire qu’il était blême. J’ai vu qu’il s’est senti mouché.

Leona. Tu as bien fait ! Il y a des gens qu’il faut remettre à leur place.

Mme Hortense. Des hommes. J’en ai eu des douzaines ! Des grands, des beaux, des balancés. Depuis la mort de Monsieur Hortense, je me repose. Mais j’aime mieux que vous sachiez que s’il m’en fallait un…

Suzanne. Peut-on savoir ce qui se passerait s’il vous en fallait un, Madame ?

Mme Hortense. J’en choisirais un mieux bâti ! Voilà !

Suzanne. Je ne vous permets pas !

Le pianiste. Mesdames !

Suzanne.  Léon est beau ! Il a le nez grec.

Mme Hortense. Le nez grec ou non, moi, je m’en moque. C’est aux pectoraux que je crois.

Le pianiste. Mesdames !

Mme Hortense. Monsieur Hortense, s’était une armoire à glace. Il écrasait la femme au lit. C’est ça l’amour !

Suzanne. Comme vous êtes grossière, Madame !

Le pianiste. Mesdames!

Suzanne. Vos débardeurs, vos garçons de café, vos brutes, je les méprise ! Je les vomis ! Je mourrais plutôt qu’être touchée par leurs grosses pognes. Léon a un corps d’éphèbe, pas un soupçon de ventre. Léon ! Montrez-lui. Je n’admets pas qu’on dise que vous n’êtes pas beau !

Le pianiste. Suzanne! pas à l’orchestre. Épouvanté.

Suzanne, vibrante. Pourquoi pas ? Je suis fière de notre amour ! Je veux braver le monde et l’opinion. Je veux braver la terre entiere.

Mme Hortense, qui a jeté un regard soudain terrifié au fond de la salle. Suzanne Délicias, le patron nous regarde ! Vous savez qu’il ne veut pas de bavardages à l’orchestre. Et notre contrat est résiliable tous les quinze jours. Elle crie, obséquieuse : Tout de suite, Monsieur Lebonze ! Tout de suite ! Nous attaquons ! Vous êtes prêtes, Mesdames ? Vite en scène. Nous commençons dens trois minutes.

Suzanne. Je me tuerai.

Le pianiste, gémit, jouant. Suzanne !

Suzanne. Au laudanum.

Le pianiste, même jeu. Suzanne !

Suzanne. J’irai me jeter dans le Cher.

Le pianiste, éperdu. Suzanne !

Suzanne. Ou sous le train.

Le pianiste. Suzanne !

Suzanne. ricane soudain. Non, d’ailleurs ! Elle serait trop contente. Elle vous aurait, enfin ! Vous savez ce que je ferai demain ? Je m’achèterai une robe neuve. La plus chère au « Petit Paris ». Toute ma quinzaine y passera. J’aurai une taille de guêpe et je la narguerai avec son gros derrière ignoble !

Le pianiste. Suzanne !

Suzanne. demande soudain. Vous m’aimez, Léon ?

Le pianiste. Je vous adore, mon amour, et je n’aimerai jamais que vous.

Suzanne. La mort ne vous fait pas peur, n’est-ce pas ?

Le pianiste. Avec vous ?

Suzanne. exaltée. Oui !

Le pianiste, convaincu. Non !

Suzanne. Alors nous mourrons ensemble si nous sommes trop malheureux ! Ils seront tous bien attrapés !

Le pianiste, tiède. C’est ça.

Suzanne, sombre, sur son violoncelle pendant que le morceau est de plus en plus gai. C’est bon, la mort !

Le pianiste, tiède. C’est délicieux !

Mme Hortense. Vous avez fini ? Alors Cocardes et Cocoricos, arrangement par Benoiseau, c’est toujours de la musiquette ? Il faut avoir du sang de navet dans les veines et ne pas aimer son pays, pour ne pas sentir ce qu’il y a là-dedans !

Suzanne. Je vous réponds par le mépris !

Mme Hortense. Moi, le patriotisme, j ‘ai ça dans la peau ! Pendant la guerre, en plein chômage, j’ai refusé une saison à Vichy. Et j’en connais qui n’ont pas eu ces scrupules : qui ont même joué pour l’occupant !

Suzanne. Vos insinuations me laissent de marbre. Il est exact que j’ai joué dans une brasserie parisienne en quarante, mais c’était un orchestre de résistants. Quand il y avait des officiers allemands dans la salle; nous nous donnions le mot pour jouer fau. Et il fallait un certain courage ! Nous étions à la merci d’une dénonciation, car ces gens-là étaient tous musiciens.

Mme Hortense. Jouer faux, telle que je vous connais, cela devait vous être très facile !

Suzanne, se dresse, pâle. Oh! c’est trop ! puisqu’on touche aussi à mon art, puisqu’on ne respecte rien ici : je sors !.. elle se lève et quitte l’estrade. le pianiste, blême, court et la rattrape comme elle va sortir.

Le pianiste, en bas avec suzanne qu’il essaie de retenir. Cette dispute est ridicule comme toutes les disputes. Votre talent n’est pas en cause, Suzanne !

Suzanne, à un rire amer. Je me ris de mon talent ! Il est possible que je n’en avais pas non plus ! Moi qui croyais que je me prodiguai ! C’est trop drôle ! Vous ne le trouvez pas vous, que c’est drôle ? Je n’ai donc rien donné ni à l’art, ni à la France, ni à vous.

Le pianiste, ennuyé. Mais non ! Mais si ! Pas de scandale, je vous en supplie, Suzanne !

Suzanne. Je suis maintenant au-delà du scandale ! J’en ai souffert longtemps, Léon. Je me suis donnée à vous dans des conditions dégradantes dans des hôtels meublés. elle crie comme une folle : Meublés !

Le pianiste, bafouille, lamentable. Du calme, Suzanne, du calme. Les hôtels sont toujours meublés… Du moins en Europe… Et il arrive, de toute façon, qu’en voyage…

Suzanne. a un long rire nerveux. Parlons-en de nos voyages ! Nous n’allions jamais bien loin. A l’autre bout de la ville, à pied ! Nous étions des voyageurs qui n’avaient vraiment pas besoin de valise ! J’en ai assez souffert. Ah ! le regard du patron, quand nous demandions notre chambre, le regard du patron qui me’ partageait d’avance avec vous.

Le pianiste. Vous exagérez, Suzanne; c’est un très brave homme, marié…

Suzanne. ricanante. Vous étiez deux braves hommes mariés, voilà tout me partager au cours de mes très courts voyages!.. Nous nous sommes aimés un œil sur la montre, Léon, pour que votre très chère et très pitoyable femme infirme ne s’affole pas de vos éternels retards… Et moi, n’étais-je pas pitoyable et infirme autant qu’elle ?

Le pianiste. bafouille. Ce n’était pas la même chose, Suzanne…

Suzanne, continue, exaltée. Nous étions des voyageurs sans valise, mais en revanche, nous avions des montres ! Une chacun, sur notre table de chevet. Il y a des amants couchés sur le lit qui s’amusent à écouter si leurs coeurs battent au même rythme: nous, nous avons passé le temps de notre amour à nous demander si nos montres retardaient…

Le pianiste, lamentable, défendant sa montre, ramassant l’autre. Vous exagérez, Suzanne. Tout le monde regarde l’heure de nos jours. La vie moderne se vit un œil sur le cadran.

Suzanne. Ah ! je l’ai vécue la vie moderne ! Ah ! j’ai été une femme libre, affranchie de tous préjugés — comme on dit. Quelles chaînes sur les femmes libres ! Quelles chaînes de montre… J’ai été une femme libre surchargée de chaînes de montre ! Vous ne trouvez pas que c’est amusant?

Le pianiste. Je vous l’ai dit dès le début que je ne pouvais pas risquer de tuer ma malheureuse femme infirme. Et vous m’avez répondu que notre amour serait assez grand !

Suzanne. toujours ridicule, mais avec comme un vrai cri. Eh bien ! non, il n’était pas assez grand. Il a été guillotiné, notre amour, par des aiguilles de montre. Il s’est noyé dans des cuvettes, avec les enfants que j’aurais pu avoir. Dix fois je vous ai proposé de mourir, Léon ! Mourir ensemble c’était propre. Tout noyer une bonne fois, le père, la mère et les enfants au lieu de noyer les enfants seuls. Ça c’était simple !

Le pianiste. Ce n’était simple qu’en apparence, mon amour… Je n’avais pas non plus le droit de la laisser…

Suzanne, crie. Moi, vous aviez le droit de me laisser au bout de mes trois quarts d’heure journaliers. J’ai été une vieille jeune fille ridicule qui n’a attendu si longtemps de se donner, que pour être femme trois quarts d’heure par jour. Minutés! Sur deux montres, s’il vous plaît.

Le pianiste. ridicule, rectifie. Une heure, une heure et demie ! J’avais décalé pour ma femme l’heure des services d’une grande heure, vous Ie savez bien.

Suzanne, ridicule elle aussi, mais obscurément touchante. Oui, mais Il y avait les trajets. Et je n’avais le droit d’être votre femme qu’à l’extrémité de la ville. Avant on risquait de nous voir. Il fallait marcher bien sagement côte à côte. Comme si nous ne nous connaissions pas.

Le pianiste, tentant d’être lyrique. Qu’importe ! puisque nous nous aimions. Est-ce que cela compte le temps ?

Suzanne, grave. Oui. J’ai fini par m’apercevoir que cela comptait terriblement. Et que c’était de cela, en fin de compte, que la vie était faite. elle constate. J’ai perdu mon temps. Quelle drôle d’expression, n’est-ce pas? Perdu mon seul temps. Et pas question de prier saint Antoine pour le retrouver…

Suzanne, elle demande soudain exaltée. Quelle heure avez-vous, Léon ? Est-ce que nos montres sont à la même heure ? J’ai onze heures moins le quart.

Le pianiste. J’ai moins douze. Nous sommes en plein service, Suzanne. Remontez sur l’estrade. Nous nous expliquerons après.

Suzanne. hautaine. Merci. Mon service, à moi, est terminé.

Mme Hortense, furieuse, à voix basse. Alors c’est bientôt fini, cette scène ? Le patron nous regarde. Vous avez envie de nous faire flanquer tous à la porte ? C’est ce que vous cherchez, n’est-ce pas, petite chipie ?

Suzanne, noble. Non, Madame. D’ailleurs pour moi c’est déjà fait. Je renonce définitivement à jouer faux. Adieu, Madame, je vous le laisse. Mais vous aviez raison: c’est un maigrichon. elle éclate d’un long rire nerveux et sort.

Mme Hortense: lui crie. Je vous flanque cinq cents francs d’amende, ma petite ! Et je vous avertis que vous serez remplacée samedi !

Le pianiste. Elle souffre, Madame Hortense. C’est un abus de pouvoir. il gémit, se rasseyant à son piano, lamentable. Vous devriez avoir honte.

Mme Hortense. C’est vous qui devriez avoir honte, Monsieur Léon, avec votre pauvre femme infirme. Une exaltée qui finira par aller tout lui dire — pour se soulager.

Le pianiste. C’est trop ! C’est trop !

Mme Hortense. Je sais ce que c’est qu’un homme, Monsinur Léon. J’en ai apprivoisé d’autres que vous. Un homme a besoin de contentement c’est humain. Personne ne vous reprochera jamais ça, dans votre situation. Mais confiez-vous à une vraie femme qui sait ce que c’est que la vie et qui fera la part des choses. J’ai menti tout à l’heure, je ne vous trouve pas maigre du tout. Un peu fluet, mais pour moi qui suis maternelle, c’est un charme de plus… elle passe un doigt dans son col. Oh ! comme il a chaud, comme il a chaud, le vilain. Et Il ne veut pas qu’on le mignote ! Il aurait tant besoin de quelqu’un qui s’occupe de lui.

Le pianiste, pleurant. Ces scènes me brisent les nerfs. Je suis un artiste, moi. Je ne suis pas fait pour la vie.

Mme Hortense. On vous aidera, on vous aidera, mon petit. Je vous comprends tellement, moi. Est-ce qu’on a besoin de se faire des scènes pour tout ? Un peu de plaisir discret est-ce que ça ne devrait pas suffire pour être heureux ? Vous êtes en nage. Changez-le, votre col, mon petit lapin.

Le pianiste. Après la Marche de Tannhaüser. Avant cela ne servirait à rien. il pleurniche. Il ne faut pas croire que je n’aime plus ma femme. Douze ans, cela ne s’oublie pas ! J’aurais pu la mettre à l’hopital. Incurable, qui me l’aurait reproché ? Je l’ai gardée à la maison malgré sa jalousie maladive. J’ai pris une femme de ménage, une femme sur qui je peux compter. Mais tout cela coûte ! Quelquefois je me sens si seul.

Mme Hortense.Il vous faut quelqu’un qui vous aide, au lieu de vous torturer davantage. Voilà tout ! Quelqu’un qui ait du sentiment comme vous.

Le pianiste, gémit. Je suis une harpe. Un rien me brise.

Mme Hortense. Vous êtes un artiste. Et les artistes, en dehors de leur art, il ne leur faut pas des émotions. Un peu de plaisir, oui, voilà tout. Et le reste est pour la musique. Vous n’avez pas remarqué que cette folle à l’orchestre, c’était la seule qui nous faisait des ennuis ?

Le pianiste. C’est une harpe, elle aussi !

Mme Hortense. Oui, mais c’est une harpe détraquée. Quitter l’orchestre pour un caprice. Au moment où nous devons attaquer Volupté à Cuba. Je vais voir ce qu’elle fait, cette idiote. Elle doit être en train de pleurnicher dans les cabinets! Le sentiment, c’est beau, mais il faut assurer le service. Nous risquons nous aussi notre place. Le patron rôde. Je ne sais pas ce qu’il a ce soir, il est méfiant.

Patricia, poursuivant une conversation soudain amicale avec Paméla. Elle a tout de même été odieuse avec elle.

Pamela. Elle vit toujours avec vous, votre vieille?

Patricia. Bien sûr. Pauvre choute! C’est un petit nom que je lui donne ; C’est mon bébé maintenant. J’ai décidé de lui consacrer entièrement ma vie. Elle et mon art, je ne connais pas autre chose, avec mon petit intérieur.

Pamela. Moi, vous voyez, je ne pourrais pas ! Quand je vais voir la mienne aux Batignolles — elle n’est pas malheureuse, elle est concierge — d’abord je suis contente. Bonjours, maman? Ça va, maman? Je me refigure que je suis petite. Elle m’a fait un haricot de mouton — c’est son péché mignon à ma vieille, le haricot, — mais à la troisième bouchée ça ne rate pas, on s’engueule. On commence à faire valser les assiettes et je repars.

Patricia. Il ne faut pas croire que nous n’avons pas nos petites escarmouches avec la pauvre Choute aussi ! En vieillissant elle est devenue une vraie petite fille. Des caprices à tout bout de champs. Oh ! mais je suis très sévère avec elle ! Quand elle veut me voler un bonbon la friponne, pan ! un bon coup sur les doigts. Elle fait: « Ouille ! Ouille ! » Elle pleurniche, mais après elle se tient sage. L’ennui évidemment ce sont ses petits besoins. J’ai eu beau essayer de l’habituer à demander; la vilaine fait toujours sous elle.

Pamela. C’est un mauvais moment à passer. Ça s’arrangera peut-être avec le temps.

Patricia. Elle va sur ses quatre-vingts ans et je’n’ai plus beaucoup d’espoir ! Mais pour cela aussi j’ai décidé d’être inexorable. Je la change trois fois par jour, et si elle s’oublie entre-temps tant pis pour elle. C’est qu’on dirait qu’elle y met de la malice. Quelquefois, je suis gantée, pomponnée, je vais partir à mon travail. Et voilà qu’elle demande !

Pamela. Il faut être ferme avec eux. Ma gosse, moi, quand je l’avais avec moi…

Patricia, la coupant. Et vous savez ce qu’elle a inventé depuis l’hiver dernier ! Elle s’est mise à sucer son pouce !

Pamela. Ma mère, elle me mettait de la moutarde. Mais pour les vieux, je ne sais pas.

Patricia. De la moutarde, pensez-vous ! Elle serait trop contente ! Elle adore la moutarde ! Elle adore tout ce qui lui fait mal. Ah ! si je lui laissais manger ce qu’elle veut ! Une bonne tape oui, chaque fois que je la surprends. Et privée de dessert! C’est surtout cela qui la frappe. Oh ! les desserts, les bonbons, si je me laissais faire tous mes cachets y passeraient ! Mais je suis très ferme sur ce point. Jamais de bonbons ni de sucreries à la maison. Quand une visite en apporte je cache le sac, et un par semaine, le dimanche si elle a été sage. Il faut l’entendre pleurnicher devant l’armoir quand je la prive ! Bonbon ! Bonbon ! Un vrai bébé !

Pamela. C’est pour leur bien ! Cela ne fait que leur faire mal aux dents.

Patricia. La pauvre Choute ! Elle n’en a plus. Mais c’est pour le principe, vous comprenez. Quand on commence à leur céder…

Pamela. Cela doit pas être drôle tous les jours, votre vie, tout de même !

Patricia. Il y a une grande satisfaction à penser que l’on fait son devoir. Maman est tout pour moi, avec mon art. Et mon sacrifice est joyeusement consenti. Croyez-le je peux le dire sans me vanter: je suis une fille exemplaire. Seulement, il faut qu’elle file droit.

Pamela. Moi, ma gosse je l’ai mise à la campagne. Séparée de mon mari avec mon travail, je ne pouvais pas. Et puis je suis femme, moi, j’ai besoin d’hommes. Et l’homme ça ne s’habitue jamais à l’enfant. Et puis si par hasard il y en avait un qui s’habituait, vous savez ce que c’est, un jour ou l’autre on en change. Mais tout ce que je gagne, c’est pour ses petits habits. Ça ! je veux qu’elle soit coquette, ma Mouquette ! Une vraie petite femme, je veux ! Pour ses cinq ans, elle a eu une vraie robe de marquise, tout en soie avec les paniers et les petits rubans… Douze mille francs ça m’a couté vous voyez que je ne lésine pas pour elle, et j’ai envoyé un manda pour lui faire faire une permanente et un tout petit pot de verni à ongles avec le bâton de rouge assorti. C’était un chou ! Il fallait la voir avec ses petits ongles rouges, la bouche faite, et tout. Quel coeur ! C’était tout moi, petite ! C’est pour ça que je l’adore cette gosse-là ! C’est mon portrait. Malheureusement j’ai pas pu rester, je m’étais disputée avec Fernand, il n’avait même pas voulu descendre de voiture et il n’arrêtait pas de klaxonner sur la route. « Maman ! maman ! » qu’elle criait, la gosse, « tu m’as même pas fait deux bises ! » elle soupire. On voudrait les voir plus longtemps ! Mais qu’est-ce que vous voulez il y a la vie. Enfin, elle a eu sa robe de marquise. Plus tard, c’est de ça qu’elle se souviendra.

Ermellne, se coiffant. Elle souffre, cette fille-la ! Tu vois, moi, je comprends que l’amour tue. Une fois, je l’ai dit à Edmond, bien en face. « Edmond, le sentiment, ça ne pardonne pas. Si je te prends avec une autre, je ferme les yeux et je vide mon chargeur ! Une femme qui a souffert ce que j’ai souffert — il y a des lois en France — c’est acquitté d’office ! »

Le pianiste. Alors qu’est-ce qu’il t’a répondu ?

Ermellne. Rien. Mais il était en train de bailler, il s’est arrêté et il a pris son journal.

Le pianiste. Toc !

Ermellne. Toc. J’ai vu que ça avait porté.

все одновременно, в том числе Patricia и Mme Hortense

Patricia, soudain sourdement. Ne croyez pas que je ne souffre pas ! Quelquefois en me déshabillant je me regarde dans la glace de l’armoire. Je suis belle. Oui, je suis belle ! Mon ventre est rond. Mes jambes lisses. Mais je ne peux pas !

Mme Hortense, qui revient. Je l’ai cherchée partout, elle n’est pas dans les toilettes. La garce !Tant pis ! Attaquons tout de même «Volupté à Cuba». Monsienr Lebonze vient de regarder sa montre, il doit trouver que nous sommes longs.

Le pianiste. Et puis d’abord, je m’en fous ! Ma femme en train de pleurer, toujours sur son fauteuil… Et l’autre aussi, avec sa passion et ses larmes. Je m’en fous. Il crie, sauvage. Je m’en fous ! Je me torture; je pleure avec elles, deux fois. Une fois dans la chambre d’hôtel, tout nu, et une fois en rentrai à la maison, habillé. Je maigris, je me creuse, je me lamente, j’ai des aigreurs d’estomac, mais au fond, tout au fond de moi, je suis bien obligé de convenir que je m’en fous. Quelquefois je me sauve, tout seul, je vais au bord du Cher, là où on a aménagé la plage et la piscine et je les regarde, les bainieuses, qui s’offrent au soleil. J’ai l’air distrait, on croit que je me promène ou que je suis en train de chercher quelqu’un, mais ce n’est pas vrai, je ne cherche personne. C’est moi le soleil ! Je les prends ! Je les prends toutes ! Les brunes, les blondes, les rousses, les teintes, les maigres, les grasses ! Toutes ! comme fou : Vive les bains de mer ! Il ajoute, net, coupant: Une grande plage et toutes nues. Toutes. Par décret, sous peine de mort.

Mme Hortense, effrayée. Monsieur Léon ! Mon poulet ! Il ne faut pas se metre dans ces états-là à l’orchestre. Calmez-vous, voyons ! Il y a le patron qui nous regarde !

M.Lebonze. Qu-est-ce qui m’a foutu des misiciens pareils ? Vous croyez que c’est pour ça qu’on vous paye, bande de cochons ? Aller vous suicider dans les cabinets de l’établissement ! Et à l’heure de pointe encore ! Pour indisposer le consommateur !

Mme Hortense. Elle est morte ?

M.Lebonze. Je ne sais pas . On est en train d’enfoncer la porte. On a été chercher le médecin. Vos histoires, moi, je m’en fous ! Demain j’aurai un autre orchestre !

Mme Hortense. Ah ! l’idiote ! Je l’avais dit qu’elle nous porterait malheur. A quoi ça rime de se tuer, sinon à embêter les autres ?

M.Lebonze. Allez, jouez ! Jouez donc, bande d’abrutis… Plue vite que ça ! Et que ça saute ! Que ça soit gai ! Il faut que le client il ne se doute de rien !!! Musique ! Nom de Dieu ! Musique, tout de suite !

FIN

 

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