R.THOMAS

PIEGE POUR UN HOMME SEUL

Daniel.

La commissaire

Maximin, le curé

Florence.

La Merluche

Mademoiselle Berton

 

ACTE 1

Daniel. Bonjour, Mme la Commissaire... Entrez...

La commissaire. Je ne fais que passer, monsieur Corban.

Daniel. Alors? Alors?

La commissaire. Aucune nouvelle.

Daniel. Vous faites 5 kilomètres de Chamonix à ici pour m’annoncer que vous n’avez pas fait d’enquête?

La commissaire. Vous n’êtes pas de bonne humeur, et je le comprends. Mais ne vous torturez pas l’esprit! Votre femme reviendra. Une fugue, ce n’est qu’une fugue... Il doit y avoir en France, par an, au moins dix mille maris quittés par leurs femmes... et tout s’arrange dans 99 % des cas.

Daniel. Qu’avez-vous fait, vraiment fait, pour la retrouver?

La Commissaire. Ah! la police n’est pas chargée de ramener par l’oreille les épouses infidèles!

Daniel. Ma femme ne m’est pas infidèle! Elle est partie après une dispute et, elle est partie seule!

La commissaire. Sait-on jamais! (Daniel boit.) Et évitez l’alcool! Votre femme ne serait-elle pas partie pour cette raison?

Daniel. Oh! non!

La commissaire. Vous vous disputiez souvent?

Daniel. Quelquefois. Comme tous les jeunes mariés. C’est trop bête... Je sais qu’elle boude... elle va revenir.

La commissaire. Où pensez-vous qu’elle soit allée? Avez-vous écrit quelque part?

Daniel. J'ai écrit chez elle, à Paris, où elle a un appartement. Ma lettre m’est revenue comme je vous l'ai dit. La concierge a l’ordre de faire suivre le courrier ici. Alors!

La commissaire. Des parents? Des amis?

Daniel. Nous n'avons pas d'amis réguliers, et pour ce qui est de la famille de ma femme (moi, je suis orphelin), je ne la connais pas encore. Nous ne sommes mariés que depuis trois mois. D’ailleurs, elle voit très peu ses parents. De vagues cousins et oncles riches et ennuyeux, paraît-il! Elle les fuit.

La commissaire. Où pourrait-elle être? Vous n’avez pas la moindre idée?

Daniel. Moi, si je savais où elle se trouve, je serais déjà parti... Mais j’ai peur de quitter le chalet... Elle peut téléphoner ou revenir pendant mon absence!

La commissaire. Elle va revenir, monsieur Corban. Je vous conseille d’attendre son retour ici. Ne vous inquiétez pas. De toute façon, si on nous la signale accidentée ou décédée, je vous avertirai tout de suite.

Daniel. Ah! non, non, ça serait horrible! Tout serait de ma faute. Elisabeth est tellement mieux que moi. Elle a tellement fait pour moi, et moi je lui ai rendu la vie impossible. Voilà la vérité. Elle ne reviendra plus...

La commissaire. Peut être , elle vous demandera le divorce par correspondance... c’est classique...

Daniel. Quoi? Divorcer? Voilà! vous êtes venu pour ça! Allez! Donnez-moi le papier que vous avez dans la poche que je le signe. Donnez-le-moi!

La commissaire. Je n’ai pas de papier de divorce à vous proposer! je vous ai dit que je n’avais pas de nouvelles de Mme Corban, c'est la vérité, et je ne mens jamais, moi, Monsieur.

Daniel. Ah bon! Attendons alors des nouvelles de cette chère Elisabeth et achevons les vacances dans ce chalet avec l’espoir de la joie du retour. Je l’aime toujours, comme un imbécile!

La commissaire. Ah! misère! C’est pas beau à voir!

Уходит коммиссар. Даниель засыпает. Приходит кюре.

Daniel. Heu?

Maximin. Bonjour, Monsieur... ou plutôt bonsoir.

Daniel. Bonsoir, monsieur le Curé.

Maximin. Vous dormiez comme un ange. J’avais scrupule à vous réveiller!

Daniel. Non, non. Je ne dormais pas, je...

Maximin. Vous êtes bien monsieur Corban, Daniel Corban, n’est-ce pas?

Daniel. Oui.

Maximin. Je me présente. Je suis l'abbé Maximin, je remplace depuis quelque temps le curé du village de Saint-Jean. Sans doute connaissez-vous M. le curé Simonat?

Daniel. Non. Je n’habite pas ici. Je suis en vacances. Le chalet ne m’appartient pas. Mais asseyez-vous, monsieur l’Abbé. Vous prendrez bien un verre de cognac avec moi?

Maximin. Oui, un peu de cognac... Je me suis permis de frapper à votre porte, car j’ai une image pieuse à remettre à Mme Corban.

Daniel. Une image?

Maximin. C’est une tradition dans nos églises de montagne. On donne une image bénie quand on reçoit un don.

Daniel. Ma femme vous a fait un don?

Maximin. Oui, l’autre semaine, j’ai reçu d’elle 20.000 francs. C’est une somme! Votre femme est la bonté même, Monsieur.

Daniel. Eh bien! je la donnerai à ma femme... si je la revois... car la généreuse donatrice est partie, monsieur l’Abbé. Elle a fichu le camp de la maison. Une belle garce, oui. A sa santé. (Il boit sec.)

Maximin. Aimez-vous toujours votre femme, malgré cette escapade?

Daniel. Hélas oui!

Maximin. Vous vous êtes mariés à l’église, j'espère?

Daniel, perdu soudain dans ses souvenirs. Oui, monsieur l’Abbé. Rassurez-vous. Au mois de juin. Un amour de vacances qui se transforme en mariage... Le temps de publier les bans... une petite église au fond des pins... Elle et moi, et deux vieux clochards comme témoins. Le voyage de noces à Venise... J’étais heureux. Un de mes amis m’écrit là-bas et me propose de me prêter son chalet en Savoie. On s'installe ici et le deuxième soir, encore une dispute. Elisabeth fait sa valise et disparaît. Je pense qu’elle va revenir. Non! Non!... il y a de cela dix jours.

Maximin. Mon fils, comme disent les curés de campagne, votre peine est sincère... elle me touche. Seriez-vous prêt à recevoir votre femme ici, sans cri, sans reproche?

Daniel. Comment? Eh bien, oui.

Maximin. Alors vous méritez la bonne nouvelle que je vous apporte. Votre femme est de retour!

Daniel. Qu’est-ce que vous dites?

Maximin. A la prière de quatre heures à Saint-Jean, dans l’église, je vois une dame en larmes. Je reconnais Mme Corban. Elle n’ose pas revenir près de vous craignant votre ressentiment. Alors je lui dis : « Dès que je suis libre, j’en fais mon affaire » et me voilà!

Daniel. Ma femme est dans votre village?

Maximin. Non. Elle est derrière la maison... à vingt mètres de vous... et nous attendions avec impatience le départ de votre visiteur.

Daniel. C’est pas vrai? C’est pas vrai?

Даниелю становится плохо

Maximin. Allons! allons! Que je suis sot de vous avoir dit cela brutalement. Respirez! Vous n’avez pas d’eau de Cologne?

Daniel. Dans le tiroir de la commode.

Кюре роется в комоде, растирает грудь Даниелю.

Maximin. Monsieur Corban, regardez!

Daniel, se lève et fait un pas. Oh! ce n’est pas vrai!

Florence, dans une grande émotion se jette dans ses bras. Mon chéri, mon Daniel, nous allons être heureux... Merci de me reprendre à la maison. Tu es bon... Merci, monsieur l’Abbé. Je suis heureuse. (Elle sort vite vers la chambre.)

Maximin, après un temps. Voilà!

Daniel, ahuri. Mais... ce n’est pas Elisabeth!

Maximin. Comment?

Daniel. Cette femme n’est pas ma femme.

Maximin. Comment, cette femme n’est pas votre femme? Qu’est-ce que vous me racontez?

Daniel. Elle entre et me parle comme si..., mais je ne la connais pas.

Maximin. Ce n’est pas Mme Corban?

Daniel. Non.

Maximin. Vous êtes certain?

Daniel. Absolument.

Maximin. Vous êtes encore sous le coup de l’émotion.

Daniel. Non, non... cette femme est une aventurière, une folle. Madame, descendez. Madame...

Maximin. Allons, allons, calmez-vous. Asseyez-vous, mon ami.

Daniel. Priez-la de sortir de chez moi et ramenez-la où vous l’avez trouvée.

Maximin. Oui, c’est ça. (Il appelle.) Madame Corban. voulez-vous descendre, je vous prie? (A Daniel.) Dites-moi, êtes-vous sujet à des troubles, des absences?

Daniel. Ça jamais!... Pourquoi me posez-vous cette question? Vous ne me croyez pas?

Maximin. Mais si, voyons!

Daniel. Cette femme n’est pas Elisabeth. Enfin, ce n’est pas la femme qui, ici, l’autre semaine vous a fait la charité?

Maximin. Mais... si, Monsieur. C’est cette dame, excusez-moi! Restez calme, votre cauchemar est fini. Votre femme est revenue.

Florence, redescend. Ah! qu’il fait bon rentrer chez soi. Je n’ai passé que deux jours dans ce chalet et je le regrettais déjà.

Daniel. Madame, je ne sais pas, mais...

Florence. Un instant, mon chéri. Je prends congé de mon bienfaiteur... (A l’abbé.) Que Dieu vous porte en compte la bonne action que vous venez de faire. Pour votre paroisse. (Elle lui donne une enveloppe.)

Maximin. Oh! Madame Corban, c’est trop gentil.

Daniel. Qui êtes-vous?

Florence. Tu es pâle, mon ange, assieds-toi. Je vais te préparer à dîner. As-tu suivi ton régime? Il me semble qu’il y a beaucoup de bouteilles. Le docteur t’a pourtant défendu de boire. Tu sais bien pourquoi?... Mais si, tes nerfs, tes dépressions...

Daniel. Quoi mes nerfs? Quoi, mes dépressions? Qu’est-ce que ça veut dire?

Florence. Mais ce n’est pas grave, quelques malaises sans gravité qui passent vite en général. Chéri... C’est moi!

Daniel. Pourquoi cette comédie? Ma femme est absente. Que me voulez-vous? Pourquoi jouer ce rôle?

Florence. Je n’aurais jamais dû partir. Regardez dans quel état je le retrouve.

Daniel. Monsieur l’Abbé, on vous dupe, on abuse de votre bonne foi pour m’accuser de folie! Cette femme est une aventurière! Je ne la connais pas! (Берёт Флоранс за руку и тащит её к выходу) Dehors!... Dehors!... Dehors!...

Florence. Daniel!... Daniel!

Maximin. Ah non! Vous n’allez pas frapper votre femme? (Встаёт между ними)

Daniel. Ce n’est pas ma femme!

Florence. Daniel, tu plaisantes?

Daniel. En ai-je l’air?

Florence. Ne fais pas l’idiot, voyons. M. l'Abbé n’est pas habitué à nos blagues.

Daniel. Sortez ou j’appelle la police pour violation de domicile. Pourquoi vous faites-vous passer pour Elisabeth? Répondez!

Fiorence. Je suis Elisabeth...

Daniel. Répondez!

Florence. Daniel, regarde-moi, je suis ta femme! Je suis Elisabeth... (Daniel a un geste violent.) Monsieur l’Abbé, protégez-moi! Appelez un docteur! C’est une rechute! Il ne me reconnaît plus!

Daniel. Je ne peux pas vous reconnaître, je ne vous ai jamais vue!

Florence. Déjà, à Venise, au moment de notre voyage de noces...

Daniel. Comment savez-vous que ma femme et moi sommes allés à Venise?

Florence. Eh bien!... Mais enfin, à Venise, un soir, ayant eu deux heures de retard, j’ai retrouvé Daniel à l’hôtel, devenu fou furieux... Il a mis toute la nuit pour se calmer et réaliser qui j’étais...

Daniel. C’est faux!

Florence. Cette rechute est ma faute! Je n’aurais pas dû le quitter... Mais il est si souvent odieux, brutal...

Daniel. Quels mensonges! J’admire votre talent de comédienne et la candeur de M. l’Abbé. Je suis dans un piège... Tout est incroyable! (Il court vers le téléphone.)

Florence. Qu’est-ce que tu fais?

Daniel. J’appelle la police.

Florence. Ne fais pas ça! Tu vas nous couvrir de ridicule.

Maximin. Je vous prie de m’excuser, mais tout cela est sérieusement compliqué et je n’aime pas jouer les bons samaritains sans comprendre... Alors, avec votre permission... (Il s’empare du téléphone.) Allô! Chamonix? Donnez-moi la commissariat de police. Merci. Oui, c’est urgent. Allô! La commissaire, s’il vous plaît? Elle-même? Ici l’abbé Maximin. Parfaitement... Bonsoir... Je suis chez M. Corban. Vous en arrivez? Je crois qu’il faudrait revenir... Il y a du nouveau... Eh bien, je lui ramène sa femme... et... non... il n’est pas content, justement... Pas content du tout!

Daniel, s’emparant du téléphone. Revenez vite, madame la Commissaire. Une femme qui m’est inconnue vient de forcer ma porte et menace de s’incruster. Non, je n’ai pas bu. Oui, monsieur l’Abbé est là... Je lui dis de rester. (Il raccroche.) Merci, monsieur l’Abbé, d’avoir téléphoné. Elle va me débarrasser d’elle.

Florence. Pauvre Daniel!

Daniel. Je vous regarde...

Florence. Oui, et alors?

Daniel. La police est en route et vous êtes calme!

Fiorence. Oui...

Daniel. Vous devez être sûre de votre coup... c’est effrayant! Fuyez à toutes jambes! Il est encore temps!

Florence. Tout cela va se terminer par des excuses à la commissaire et un don pour les œuvres de la police... C’est absurde!

Daniel. Un piège! C’est un piège! Et votre candeur, monsieur l’Abbé, lui sert de bouclier. Je ne sais pas ce que vous espérez, mais vous n’obtiendrez rien de moi, et surtout pas mon argent, Madame.

Florence. Ton argent? Mon argent, tu veux dire! Je t’ai épousé sans un sou... Enfin, ne soyons pas mesquins! Tout ce qui est à moi est à toi!

Daniel. Aaaah! Et tout ce qui est à moi... est à vous! Voilà! Vous montrez le bout de l’oreille! On parle argent! Vous allez tirer des chèques sur mon compte?

Maximin. Ecoutez! Inutile de vous dire des choses blessantes qu’on regrette après... Mme. la Commissaire va arriver...

Daniel. Elle va me débarrasser de cette femme!

Florence. Espérons surtout qu’elle excusera ton état et ne t’obligera pas à entrer dans un hôpital psychiatrique!

Maximin. Pardonnez-moi, Madame! Avez-vous une carte d’identité? Des papiers?

Daniel. Oui! oui! Très juste!

Florence. Naturellement. Quelle question!

Maximin. Montrez-les-moi, Madame.

Daniel, lisant sur son épaule. C’est faux! Tous ces papiers sont faux!

Maximin, rendant les papiers. Pauvre garçon!

Daniel. Il ne faut pas se le cacher, nous sommes en face d’une bande organisée...

(Bruit de voiture.)

Maximin. J'entends le bruit d’un moteur!

Daniel. Le voilà! Je suis sauvé! Madame la Commissaire! Au secours! Madame la Commissaire!

Maximin, à Florence. Je le suis, Madame.

Входят Даниель, Коммиссар и Кюре.

Daniel. ... Et alors elle me soutient avec un sang-froid incroyable que... La voilà!

La commissaire. Madame!

Florence. Madame la Commissaire, je suis désespérée, mais je crains qu’il ne s’agisse d’un regrettable malentendu... Mon mari vous a appelé dans une crise nerveuse, absolument sans importance d’ailleurs, et je dois vous dire que...

La commissaire. De qui se moque-t-on ici?

Florence. Je suis Mme Corban. Je rentre à l’instant à la maison et...

La commissaire. Oui, et alors?

Daniel. C’est faux! Elle usurpe l’identité d'Elisabeth! Arrêtez-la! Arrêtez-la!

La commissaire. Du calme! Asseyez-vous d’abord, vous tremblez comme une feuille!

Florence. Oui. Allonge-toi et écoute Mme. la Commissaire, mon chéri.

Daniel. Je vous défends de m’appeler mon chéri... Vous ne donnerez pas le change avec des «mon chéri»

Florence. Mais tais-toi, Daniel. Tu aggraves ton cas.

Maximin. J’ai cru bien faire en vous appelant, madame la Commissaire.

La commissaire, l’œil soupçonneux. Oui... Bonsoir, monsieur l’Abbé.

Maximin. Je suis le nouveau curé de Saint-Jean.

La commissaire. Ah bon! Parfaitement! Je n’ai pas encore eu le plaisir de vous rencontrer, monsieur l’Abbé. Alors?

Maximin. Ce pauvre garçon ne reconnaît pas sa femme.

Daniel. Je vais vous la montrer, ma femme! (Il va vers les tiroirs et fouille.) Des photos... Des photos qu’on a faites à Venise et... Où sont-elles? Monsieur l’Abbé, vous avez bien fouillé dans ce tiroir tout à l’heure, n’est-ce pas?

Maximin. Oui... vous me l’avez demandé.

Daniel. Vous, vous êtes complice de cette femme! (Il lui fonce dessus.) Mes photos! Où sont mes photos, hein? Mes photos avec Elisabeth à Venise, où sont-elles?

Maximin. Mais enfin, mon ami...

Florence. Mon chéri, tu ne vas pas insulter M. l’Abbe qui n'a rien à faire dans nos malheureuses histoires?

Daniel. Vous êtes des complices tous les deux! Deux salauds!

La commissaire. Si ça ne vous ennuie pas, je pourrais peut-être placer un mot? Alors, vous, votre femme fiche le camp, et quand elle revient ce n’est plus la même? Qu’est-ce que ça veut dire, ça?

Daniel, dans un cri. Cette femme n’est pas Elisabeth.

Florence. Mais enfin, comment est-ce possible?

La commissaire. Voulez-vous me laisser seul avec M. Corban?

Maximin. Venez, Madame...

Флоранс и Кюре уходят

La commissaire. Vous êtes bien nerveux, dites donc! Votre femme revient, et ça vous arrange de ne pas la reprendre! Voilà!

Daniel. Non! Cette femme-là n’est pas Elisabeth! Elle le dit, mais c’est faux!

La commissaire. Mais enfin, pourquoi cette femme voudrait-elle usurper la personnalité d’une autre?

Daniel. Je me le demande... à en perdre la raison! Mais je crois avoir compris. Cette femme va essayer de tromper les autorités officielles, et, de ce fait, aura droit à mon argent...

La commissaire. Pourquoi? Vous êtes très riche?

Daniel. Non. Mais il y a quelque temps, ma femme m'a parlé d’un de ses oncles, milliardaire, qui était très malade. Oui!

La commissaire. Ouais! Là, ça se corse!

Daniel. Une fois devenue ma «femme», cette garce-là s’arrange pour devenir rapidement «ma veuve» — accident! —et la voilà les mains libres!

La commissaire. Ce que vous me racontez est rocambolesque! Comment cette femme peut-elle se faire passer pour une autre, comme ça?

Daniel. Je n’en sais rien, mais une organisation solide se cache derrière elle! Croyez-moi, Madame la Commissaire, ils sont forts. Elle était prête à vous affronter! Elle vous attendait là avec un calme effrayant!

La commissaire. Je suis impatient d’écouter sa version... Je vais d’abord voir le curé. (Il ouvre la porte et appelle.) Monsieur l’Abbé, s’il vous plaît! (L’abbé revient.) Excusez-moi, monsieur l’Abbé... pour mon rapport. Vous avez des papiers sur vous?

Maximin. Mais oui. (Il les montre.) Si vous voulez téléphoner à l’évêché de Chambéry...

Daniel. Si, téléphonez! Il le faut, tout de suite!

Maximin. Ce pauvre garçon n’est pas lui-même.

Daniel. Tartuffe!

La commissaire. Monsieur Corban, je vous ordonne de vous taire, maintenant! (Il décroche le téléphone.) Donnez-moi le 212. Merci. J’appelle M. le curé Lambert, de Chamonix. Sans doute le connaissez-vous?

Maximin. Je suis très ami avec sa famille. C’est lui qui m’a fait obtenir la cure de Saint-Jean.

La commissaire. Allô! C'est vous, monsieur le Curé? Ici la Commissaire de police. Comment allez-vous? Oui, la famille pousse... Je fais une petite enquête et je me trouve avec M. l’abbé Maximin qui... Ah! bon... bon! vous le connaissez? Bon... Merci... (Il raccroche et rend les papiers à l’abbé.)

Daniel. Ah! quelle organisation! C’est incroyable!

La commissaire. Incroyable, en effet! (A l’abbé.) Racontez-moi ce que vous savez, monsieur le Curé.

Maximin. Peu de chose. Mme Corban, voulant rejoindre son foyer et craignant sans doute l’humeur belliqueuse de son mari, est venue me demander de l’accompagner. A son arrivée, M. Corban n’a pas voulu la recevoir. Puis j’ai compris que M. Corban était... (Il a un geste à la tempe.)

La commissaire. Amnésique!

Maximin. C’est ça. Il nous a menacés. Il voulait chasser sa femme. La pauvre était désespérée.

Daniel bondit. Je réfute ce témoignage! Tout est faux! Tout est truqué!

La commissaire. Monsieur Corban... à des faits précis, à des témoignages formels, vous ne savez opposer que des cris. Alors, donnez-moi des noms! Qui a vu votre femme ici, il y a douze jours?

Daniel. Qui? Voyons... Qui?

La commissaire. Oui. Qui?

Daniel. Attendez! Nous sommes arrivés le vendredi soir en voiture, et j’ai pris la clef du chalet chez Mme Gattinet, le café du Commerce.

La commissaire. Votre femme est-elle entrée dans le café?

Daniel. Non! Elle est restée dans la voiture. (Il en est accablé.)

La commissaire. Le facteur ne monte jamais jusqu’ici?

Daniel. Non. Il laisse tout dans la boîte, en bas du chemin...

La commissaire. Le garçon épicier?

Daniel. Oui! Oui!... Non, il n’a pas vu Elisabeth le samedi après-midi, car elle dormait dans la chambre.

La commissaire. Alors?

Daniel. Ailleurs! A Juan-les-Pins, à Venise, à Genève! Des dizaines et des centaines de témoins peuvent dire que...

La commissaire. Bien sûr... C’est très possible... Mais faire déplacer des gens, sans mandat de procureur, c’est toute une affaire! J’ai assez perdu de temps. Monsieur l’Abbé, faites entrer Mme Corban. (L’abbé y va.)

(Entrée de Florence.)

La commissaire. Entrez, Madame. Asseyez-vous.

Florence. Merci. Mais la nuit est tombée, il faudrai donner de la lumière.

Maximin. Ne vous dérangez pas. Où allume-t-on?

Fiorence. La lampe s’éclaire de la porte. Et il me semble que le temps s’est rafraîchi... Soyez gentil, monsieur l’Abbé, allumez le chauffage. Dans 1a cuisine, sous le compteur, une manette rouge... et donnez-nous quelque chose à boire. Il y a des jus de fruit dans le frigidaire. Et j’ai même caché une bouteille de gin dans le haut du placard blanc de la cuisine. Merci, monsieur l’Abbé. Кюре уходит Je vous écoute...

La commissaire. Vous connaissez bien la maison!

Florence. C’est tout naturel, non?

La commissaire. Avez-vous des papiers?

Florence. Oui... (Elle va à son sac et montre différents papiers.)

Daniel. Tout est faux, faux!

Florence. Madame la Commissaire...

La commissaire, après examen. Tout a l’air vrai.

Florence. Et savez-vous pourquoi tout a l’air vrai?

La commissaire. Non.

Florence. Parce que tout est vrai.

Агент передает комиссару письмо

La commissaire, montre la lettre. Un de mes agents a trouvé ceci dans votre boîte aux lettres du bord de la route... C’est adressé à Mme Elisabeth Corban, née Marcellin, et ça vient de... (Il lit au dos.) Etude de Maître Bollinget, notaire à Saint- Denis, (Un silence. Il répète.) « Madame Corban! »

Florence. Merci, Monsieur. Donnez!

(Elle tend la main, mais la Commissaire met la lettre dans sa poche.)

Ça alors, ça dépasse tout! Si vous ne me donnez pas cette lettre, je téléphone à Chambéry, à la préfecture, je dépose une plainte contre vous. Vous n’avez ni mandat, ni ordre. Donnez-moi cette lettre.

La commissaire. Que contient-elle?

Florence. Est-ce que je sais! Je vous promets de vous la faire lire.

La commissaire. Nous l’ouvrirons ensemble, demain, chez le procureur.

Florence, furieuse. Vous l’aurez voulu! (Elle va au téléphone.)

Daniel bondit. Non! Non! Donnez-moi cette lettre, à moi, à moi! A moi!

La commissaire. Ah! il ne manquait plus que vous! Ça fait deux minutes que je n’avais pas entendu vos aboiements!

Daniel. Cette lettre n’est pas pour elle, elle ne doit pas tomber entre leurs mains! Cette femme n’est pas ma femme!

La commissaire. Mais prouvez-le-moi, bon Dieu!

Daniel. Oui. Je vais vous le prouver. Laissez-moi faire. Moi, je vais vous convaincre que cette femme n'est pas Elisabeth! Je vais lui poser des questions! Elle ne pourra pas répondre.

Florence. Mais que vas-tu chercher là? Tu ennuies Mme. la Commissaire!

La commissaire, finaud. Pas le moins du monde! La lumière se cache parfois derrière une simple réponse!

Daniel. Je vais voir si vous avez bien appris votre rôle...

Florence. Ecoute, si ça peut te guérir ou convaincre Mme. la Commissaire, je veux bien! Mais, avec toutes ces émotions ayez pitié de ma mémoire!

La commissaire. Ne vous excusez pas à l’avance, Madame! Allez-у, monsieur Corban.

Daniel. Où nous sommes-nous mariés?

Florence. Eglise Saint-Charles, à Juan-les-Pins.

Daniel. Quelle date?

Florence. 10 juin.

Daniel. C’était un quoi?

Florence. Un jeudi.

Daniel. A quelle heure?

Florence. Le matin, à 10 heures et demie.

Daniel. Quel train avons-nous pris pour aller à Venise?

Florence. On a pris le bateau! La «Marie-Christine II».

Daniel. Quelle cabine?

Florence. Huit, en première classe.

Daniel. Et où sommes-nous descendus à Venise?

Florence. Au «Régina».

La Commissaire, éclate. Monsieur, votre interrogatoire est enfantin. Si, comme vous osez le prétendre, vous êtes victime d’un gang, cette femme a pu, sans grands efforts, se procurer ce genre de renseignements-là.

Florence. Tu vois, Daniel, tu es ridicule!

La Commissaire. Trouvez des questions plus... intimes, mais attention, Monsieur, il faudra que vous, vous me prouviez que la réponse de Madame est fausse!

Daniel. Très bien. (Il fait un effort.) Ah! Quelle est l’agence touristique qui nous a promenés dans les villages italiens? (A la commissaire.) C'est ma femme qui a acheté les billets!

Florence. L’agence Marcellus, place Saint-Marc.

Daniel, qui transpire. Quel est le nom de mon ami qui nous a prêté ce chalet, ici?

Florence. Je l’ignore, tu ne me l'as pas dit. Mais... ah! si! Jean Bernardet!

La Commissaire. C’est ça?

Daniel, accablé. Oui... c’est ça!

La Commissaire, qui regarde sa montre. Pensez-vous qu’il soit utile de continuer, monsieur Corban?

Daniel. Oui, oui, madame la Commissaire, encore une question!... Où nous sommes-nous arrêtés, avant d’arriver à Chamonix?

Florence. A Genève, à l’hôtel du Globe!

Daniel, dans un grand cri triomphant. C’est faux! C’est faux! Je la tiens, la faute! Je la tiens!

La Commissaire, qui le calme. Silence! (Il note.) On va vérifier. (Au téléphone.) Allô! Donnez-moi le 14... Fernand? Appelle Genève en priorité et vérifie à l’hôtel du Globe s’il y a eu des fiches au nom de M. et Mme Corban, au début du mois.

Daniel. Il y en a pas eu!

La Commissaire. Mais taisez-vous! Vite! Dès que tu as la réponse, tu m’appelles. Merci. (Il raccroche.) Une autre question, Monsieur?

Daniel, radieux. Oui. Et celle-là, elle n’a pas pu la prévoir! Moi seul sais la réponse et peux la prouver : Madame, j’ai une cicatrice sur le corps. Où?

(Un silence. Florence semble prise au piège.)

La Commissaire. Alors, Madame?

Florence. Est-ce que je sais? Je ne sais pas ce que tu veux dire!

La Commissaire. Oh! quand même! En trois mois!

Daniel. Si vous êtes ma femme, vous devez parfaitement savoir que j'ai été blessé étant enfant et que j’ai gardé une cicatrice assez importante. Alors, où?

Florence. Je me sens tellement nerveuse.

La Commissaire. Ah! tout de même, c’est très regrettable.

Florence. Je suis dans un tel état de fatigue...

Подпись: 15

Maximin, s’approche d’elle un verre en main. Madame, voulez-vous boire quelque chose?

Florence. Je n’ai pas soif, merci.

Maximin. Un reconstituant, Madame..., une spécialité des Alpes... Quelques gouttes de rhum avec du citron et du vin blanc. Excellent pour la santé!

Florence. Oh! merci. Ah! j’y suis, mon chéri. Ta cicatrice? Où avais-je la tête? Sur la poitrine! En haut, à gauche! Evidemment! Je vous assure que ce jeu est ridicule.

Daniel réalise. Ah! C’est lui qui vient de le lui dire! Il m’a vu torse nu tout à l’heure!

Звонит телефон

La Commissaire, Allô! {Il écoute.) Merci. {Il raccroche et dit à Daniel.) A l’hôtel du Globe de Genève, il y a bien des fiches au nom de M. et Mme Corban. Voilà!

Daniel, sidéré. C’est faux, absolument faux!

Florence. Alors, Madame la Commissaire, allons-nous passer la nuit dans cette pièce? Prenez une décision.

Daniel. Non! Non! Attendez. Je vais trouver une autre question.

Florence. Ça suffit, mon chéri. C’est l’heure du dîner. (à la commissaire.) N’est-ce pas?

Daniel, je cherche...

Florence. Voulez-vous partager notre repas, Madame la Commissaire?

La Commissaire. Impossible. On m'attend à la maison. Ma famille...

Maximin, Au revoir, Madame.

Florence, Monsieur l’Abbé, vous n'allez pas repartir maintenant?

Maximin. Hélas si, Madame!

Daniel. Ils vont m’empoisonner!

Florence, je te soignerai ici. Tu as déjà été dans cet état et tu t’en es remis. Il n’y a pas de raison de désespérer.

La Commissaire. Ah! le cas s’est déjà produit?

Daniel, hurle. Jamais.

Florence. Si, madame la Commissaire. A Venise.

La Commissaire. Ah bien! alors demain tout ira mieux!

Maximin. Je le souhaite. Je passerai vous voir...

La Commissaire. Je vous suis, monsieur l’Abbé. Au revoir, Madame.

Florence, le rappelant. Madame la Commissaire, vous oubliez ma lettre!

La Commissaire. Oh! pardon... Où l’ai-je mise?

Florence. Dans votre poche droite... là!

La Commissaire. Oui. La voici.

{Il la lui tend. Elle ne la prend pas.)

Florence. Lisez-la.

La Commissaire, ouvre la lettre et lit en grognant. « ... de vous informer du décès survenu il y a un mois de M. de La Forcerie, votre oncle direct...

Daniel, désespéré. Voilà. Ils l’ont su avant moi, les crapules!

La Commissaire. « ... vouloir passer à mon étude à Saint-Denis dès que possible pour... succession et testament... » Mes condoléances. {Il tend la lettre à Florence.)

Florence. Gardez-la. Ce que vous voulez. Pour la faire vérifier.

Daniel, le retenant. Ah! vous n’allez pas partir! Je vous dis que je suis dans un piège... Demain cette femme me fera disparaître : asile, accident, suicide, n’importe quoi!... Demain, je serai mort. (Il s’accroche au commissaire.)

La Commissaire. Vous allez me déchirer ma veste! Oh alors! si toutes les vérités sont contre vous... J’ai assez perdu mon temps. Bonsoir!

Daniel. Ecoutez! Ecoutez!

Даниель убегает за коммиссаром. Флоранс подмешивает что-то в виски. Даниель возвращается.

Florence. Mme. la Commissaire est partie?    (Daniel cache son jeu.) Tiens, je t’ai préparé un whisky. Ça te donnera des forces.

Daniel. Je n’aime pas le whisky sans glace.

Florence. Je vais t'en chercher.

 Возвращается кюре

Daniel. Qu’est-ce que vous revenez faire ici, vous?

Maximin, doucereux. Il faut vous reposer, mon ami.

Daniel, une idée subite lui traverse l’esprit. Vous... vous voulez boire un whisky, monsieur l’Abbé?

Maximin. Pourquoi pas?

Daniel. Tenez. (Il lui donne le verre.) Mme. la Commissaire est parti?

Maximin, qui boit. Pas encore. Elle récupère ses deux agents, autour du chalet.

Florence, revient et soudain... Vous... vous êtes servi à boire, monsieur l’Abbé?

Maximin. Oui, Madame, merci.

Daniel, Je lui ai donné mon verre!

Florence. Quoi? Quoi?

Maximin. Et alors?

Florence. Tu as bu le verre de Corban?

Maximin. Oui.

Florence. Oh!

Maximin. Qu’est-ce que tu as fait?

Florence. Jai...

Кюре падает на пол

Daniel, hurlant. Madame la Commissaire... ne partez pas! Au secours! Venez vite! Youpi!

Даниель убегает

Florence. Debout! et disparais par l’escalier des chambres.

Кюре убегает.

Daniel. Là! Mort! Empoisonné! le curé... là! là!

Florence. Tu cherches quelque chose?

Daniel. Oh! ce n'est pas vrai!

La Commissaire. Alors, votre mort, où est-il?

Daniel. Je suis fichu!

Florence. Excusez-le.

La Commissaire. Demain, avant midi, je saurai la vérité. Ou bien vous, vous êtes très très forte, ou bien lui, il est fou! De toute façon, l’un de vous deux est à enfermer.

ACTE 2

Florence. Entrez! Oh! Madame la Commissaire! Mais entrez donc.

La Commissaire. Bonjour madame Corban... Alors comment va notre malade, ce matin?

Florence. Oh! il a voulu dormir sur le divan... Mais vous êtes matinal!

La Commissaire. Avant d’entreprendre mes tâches quotidiennes j'ai voulu bavarder cinq minutes avec votre mari... Alors, monsieur Corban? Comment ça va? (Daniel se débat contre le sommeil.) Et maintenant nous allons bavarder quelques minutes, tous les deux...

Florence, j’ai des courses à faire... Je vais en profiter...

Флоранс уходит

La Commissaire. Mauvaise nuit?

Daniel. Epouvantable! J’ai bu je ne sais quoi qui m’a complètement assommé!

La Commissaire. Dans un sens, ce n’est pas un mal. Vous vous êtes reposé et moi, j’ai fait ma petite enquête. Je serai franc. Je n’arrive pas à trouver un seul argument prouvant que cette femme n’est pas Mme Corban.

Daniel. Ah! je vous en supplie. Il n’y a que vous qui pouvez me tendre la main.

La Commissaire. Dans ces conditions, voulez-vous un conseil?

Daniel. Je vous le demande.

La Commissaire, lui parle bas. Faites semblant d’accepter la situation — ne précipitez pas les choses! Jouez-leur la comédie. Pendant ce temps, moi, je travaille... doucement, tranquillement, sûrement! Et d'une seconde à l’autre, votre vraie femme peut nous donner signe de vie...

Daniel. Dieu vous entende!

La Commissaire. Ce n’est pas en une heure — peut-être même pas en une journée — que nous risquons de trouver la preuve qui nous sauve — la trace qu’ils auront oublié d’effacer... Alors, pourquoi crier? Le temps travaille pour nous... Ils finiront par perdre pied. Mais il faut que vos nerfs tiennent jusque-là. Sinon, votre «femme» est en droit de demander un constat médical. Vos crises de colère plaident contre vous. Vous me comprenez?

Daniel. Vous avez raison. Je vais être calme, détendu. Tenez, je vais sortir, je vais prendre l’air.

La Commissaire. Non. Sur la route il y a des autos qui vont vite. Il y a des chemins sombres pour arriver ici.

Daniel, pâlissant. Vous croyez qu’ils oseraient? Même dehors?

La Commissaire, précis. Dehors, tout est possible, surtout l'imprévu.

Daniel. Alors, je reste ici... Mais il faut que vous veniez me voir souvent, plusieurs fois par jour...

La Commissaire. Promis! Et puis, vous avez le téléphone. Depuis ce matin là ligne est branchée directement sur le commissariat. Au revoir.

Коммиссар уходит.

Daniel. Je fiche le camp! Je lui échappe!

Даниель уходит в комнаты. Входит Мерлуш.

La Merluche, qui frappe en vain à la porte. Hé! Hé! Y a quelqu’un? (Il entre.) Qui c’est-y qui va payer un verre à La Merluche? Eh ben! ne répondez pas tous à la fois! (Il profite qu’il est seul pour aller se servir un petit verre.)

Daniel, réapparaît avec une valise et s’arrête interdit. Que faites-vous là? Que me voulez-vous? Qui êtes-vous?

La Merluche. Mes excuses! Et le bonjour. Je me présente : La Merluche, peintre professionnelle. Je suis en vacances. Figurez-vous, je venais de commencer mon casse-croûte du matin, sous les rochers, en bas, les pieds dans l’eau fraîche du torrent, avec ce beau soleil... lorsque, vlan, mon litre de vin glisse et se casse. Tout le pinard dans la flotte! Quel gâchis! Alors, je me suis dit : « Il y a un chalet dans les arbres, je vais emprunter un peu de liquide que je rendrai ou rembourserai... Bien entendu» N’auriez-vous pas un litre de vin rouge à me vendre?

Daniel, qui range le linge dans la valise. Non, Madame.

La Merluche. Ça ennuierait beaucoup, Monsieur, si je buvais un petit quelque chose?

Daniel. Non... Servez-vous. Mais faites vite.

La Merluche. Oh! pour ça, je suis une rapide. (Elle boit, puis.) Est-ce que Monsieur ne voudrait pas que je fasse son portrait? Monsieur a un visage expressif et tellement passionné.

Daniel. Non, je vous en prie... Laissez-moi.

La Merluche. Ne vous gênez pas... Pour le prix on s’arrangera toujours...

Daniel, qui fouille dans sa poche et lui donne un billet. Ecoutez... Tenez... Allez boire quelque chose à ma santé...

La Merluche. Monsieur est un mécène! 10.000 balles! J’avais pas vu de billet comme ça depuis cet été, et encore, c’était un pourboire à partager avec une copine. Cinq mille chacune. Et un travail facile! Pas donné à tout le monde, vu qu’il faut montrer ses papiers d’identité et écrire son nom sur un registre comme témoin... Mais un boulot facile quand même! Alors, je me retire avec discrétion... (Elle salue très bas.) Et encore, merci.

Daniel, qui la fixait depuis quelques secondes. Madame, attendez... Regardez-moi...

La Merluche. Pourquoi? Qu’est-ce que j’ai?

Daniel. Ces 10.000 francs reçus cet été, vous ne les auriez pas gagnés en...? Oh non.! Ce n’est pas vous! Ce serait trop beau, et pourtant... il me semble vous reconnaître...! Et vous? Vous ne vous rappelez pas de moi?

La Merluche. Remarquez... le visage de Monsieur, tout compte fait... ne m’est pas étranger... Il me semble...

Daniel. Oui... réfléchissez... Je ne veux pas vous influencer... Il faut que vous trouviez toute seule! Ce serait extraordinaire! Asseyez-vous.

La Merluche, triomphant. Ça y est! Je vous reconnais! C'est vous, le marié de la mairie de Juan, avec la grande dame brune! Ça y est!

Daniel, affolé. Formidable! Chut! Parlez bas! On peut nous entendre!

La Merluche. Oh! Y a une autre femme?

Daniel. Je ne peux pas vous expliquer... Ce serait trop long et vous ne me croiriez pas... Mais votre témoignage est capital... Vous allez rester et ne rien dire de toute cette histoire. Puisque vous êtes une artiste peintre, vous allez faire mon portrait. Commencez. Je vais j vous expliquer... (Il lui donne vite un bloc de papier et des crayons, et s’installe sur une chaise.)

La Merluche, dépassé par les événements. Bon... Moi, je veux bien... Allons-у... J’ai un peu perdu la main... Ah! la vie!

Daniel. Ça n’a pas d’importance! Crayonnez... Ecoutez-moi. Vous allez, d’une minute à l’autre, voir apparaître une dame qui est...

La Merluche. Votre petite amie?

Daniel. Non. Oh! non!

La Merluche. Votre seconde femme?

Daniel, qui préfère en finir. C’est ça. Ma seconde femme!

La Merluche. Bon, bon. J'ai compris.

Daniel. Ne lui racontez surtout pas que vous avez été témoin de mon mariage. Vous entendez... c’est vital. Vous ne m’avez jamais vu! Je ne vous ai jamais vu. Vous dessinez, c’est tout.

La Merluche. Parfait. Oh! J’ai compris. Votre dame de maintenant est jalouse de votre première femme? C’est-y ça?

Daniel. Oui. C’est ça. Alors, pas un mot!

La Merluche. Juré. Moi, la volonté du client, c'est sacré.

Daniel. Si tout se passe bien, si vous tenez votre langue, je vous donnerai... 100.000 francs.

La Merluche, soufflé. Pour le portrait?

Daniel. Oui.

La Merluche. Une heure de travail, 100.000 balles. C’est le tarif de Picasso!

Daniel, au téléphone. Allô? Le commissariat?

La Merluche, bondit. Qu’est-ce que ça veut dire, hein?

Daniel. Calmez-vous. Je vous expliquerai après... Chut! Allô! Ici, M. Corban. Joignez immédiatement Mme. la Commissaire de police. Urgent. Dites-lui que je tiens la preuve qu’il cherche. Qu’elle arrive vite. (Il raccroche.) Merci.

La Merluche, digne. Je demande une explication.

Daniel. Faites-moi confiance... Je suis victime d’escrocs et pour m’en sortir, il me fallait un témoin qui ait connu ma femme.

La Merluche. La première?

Daniel. Oui. Alors reprenez votre crayon et... silence. Vous vous rappelez bien de ma femme?

La Merluche. Sûr! Grande, brune, avec un petit nez en trompette — et sauf votre respect — l’air un peu casse-pied et prétentiard... Vous vous en fichez que je vous dise ça, puisque vous l'avez remplacée, hein?

Daniel, ses nerfs se dénouent, les larmes aux yeux. Elisabeth...

La Merluche. Vous pleurez?

Daniel. Ce n'est rien... Vous me sauvez la vie. Et votre collègue? Le deuxième témoin avec vous? Qu'est-il devenu?

La Merluche. Oh! il a mal tourné. Il s'est mis à travailler, il avait pas la vocation. Ça l’a tué!

Daniel. Il est mort?

La Merluche. Le travail, ça pardonne pas. Ah! la vie!

Daniel. Dessinez... j’entends du bruit dehors! Taisez- vous!

Входит Флоранс

Florence, apparaît. Qu’est-ce que c’est que ça? Qui est cette femme?

La Merluche, bafouillant. Je me présente! La Merluche! artiste peintre. Mes hommages du matin. Madame. Je suis en train de croquer Monsieur.

Florence. Ah? Vraiment!

Daniel. Ça me repose... Et ça fait gagner sa journée à cette femme.

Florence. Très bien... {Elle s’approche et regarde le dessin.)

La Merluche, gêné. Je fais d’abord une ébauche... Mais vous verrez... Si Madame le désire je ferai son portrait ensuite. Avez-vous des enfants? C’est ma spécialité, les enfants!

Florence, coupante. Non. Hélas! nous n’avons pas... Pas encore! Mon mari ne vous a pas dit? Nous ne sommes mariés que depuis trois mois. Mon mari ne vous a pas parlé de moi?

La Merluche. J’interdis à mes clients de bavarder en posant.

Florence. Eh bien, alors! Dessinez mon mari, et ne le faites pas trop parler. Tu n’as besoin de rien?

Daniel. Non. Merci...

Florence, à la Merluche. Voulez-vous prendre un apéritif?

La Merluche. C’est pas des choses qui se refusent.

Florence. Allons! Bon courage!

La Merluche. Merci, Madame.

(Elle disparaît vers la chambre.)

Jolie femme!

Daniel. La Commissaire est longue à venir... Ils ont dû lui courir après!

La Merluche. Félicitations! Monsieur va de la grande prétentieuse à la petite mignonne!

Daniel. Je vous en prie... Taisez-vous...

La Merluche. Je peux dire que je préfère celle-là!... (Florence est apparue sans bruit et écoute.)

Une grande brune! Je la revois comme si c’était hier. Celle-là a plus de chic. Parce que, franchement, votre grande brune! Je vous assure que, à Juan-les-Pins, quand j’étais votre témoin à la mairie... (Il voit Florence et reste penaud.)

Florence. Vous disiez... quand' j’étais témoin...?

La Merluche. Oh! rien... je bavarde tout seul...

Florence. Tu t’es servi du téléphone, mon chéri?

Daniel. Non.

Florence. Pourquoi est-il par terre, là?

Daniel, terrorisé. ... Je ne sais pas.

Florence, replace le téléphone, l’œil inquiet. Alors, êtes-vous contents de votre collaboration? Je veux dire, le travail avance?

La Merluche. Tout doux! Il bouge tout le temps.

Florence, regardant le papier, avec moquerie. Oh! merveilleux, très réussi... Vous avez un talent...! à Daniel. Chéri, pourquoi regardes-tu toujours ta montre? Tu attends des visites?

Daniel. Non.

La Merluche. Je m’en voudrais de vous déranger si vous recevez du monde... Excusez-moi... Je reviendrai demain...

Florence. Très bien, au revoir, Madame, à un de ces jours...

Daniel. Mais pourquoi? Nous n’attendons personne! Restez assis, restez!

La Merluche. Mais, Monsieur...

Daniel, dans un cri. Restez!

Florence. Ecoute, mon chéri, tu ne peux pas obliger cette Madame à travailler de force! L’inspiration, ça ne se commande pas. Tu dois gentiment laisser partir Madame.

La Merluche. C’est ça... à demain... à bientôt...

Daniel, lui barrant le passage. La Merluche, restez.

Florence. Attendez! Oh! mais je vous reconnais! Que ne le disiez-vous plus tôt! Vous êtes le témoin de notre mariage à Juan-les-Pins, n’est-ce pas?

La Merluche. Non, Madame. Je ne vous ai jamais vue.

Florence. Réfléchissez, je vous assure que ça en vaut la peine.

La Merluche. Je ne vous connais pas...

Florence. Vous savez la mémoire est souvent traîtresse.

La Merluche. La dame dont j’ai été le témoin était brune. (A Daniel.) Tant pis si elle est jalouse!

Florence. Mais oui! Je m’étais fait teindre justement.

La Merluche. Je ne suis pas une imbécile!

Florence, glaciale. C'est dommage pour vous. Les gens intelligents sont parfois encombrants.

(Apparaît le curé.)

Maximin. Je ne vous dérange pas? Vous avez une visite?

Florence. Oui... c’est une surprise. A laquelle personne ne s'attendait. Madame La Merluche, artiste-peintre et occasionnellement témoin pour mariage, à Juan-les-Pins... l’imprévue, quoi!

Maximin. Comme c’est amusant!

Daniel. Vous êtes fichus tous les deux. Cette femme a vu Elisabeth. Elle la décrira dans une minute à la commissaire de police que j’ai alerté. Votre comédie est terminée...

La Merluche. Mais qu’est-ce qui m’arrive?

Daniel. Mettez-vous derrière moi. Ne craignez rien, ils ne vous toucheront pas... Dans quelques minutes, tout sera fini...

Florence. ... Tout sera fini!

Кюре отходит в сторону

Daniel. La Police!

La Merluche. C’est pas trop tôt.

Кюре достает нож, Даниель загораживает собой Мерлуш. Мерлуш оказывается спиной к Флоранс. Флоранс стреляет в Мерлуш.

Florence. Au secours!

Даниель выхватывает револьвер у Флоранс. Входит коммиссар

La Commissaire. Qui a tiré?

Florence. Daniel !

La commissaire, à ses agents. Emparez-vous de lui. (Les agents ceinturent Daniel.)

Florence. Quelle horreur! Sur une pauvre femme qui demandait la charité.

Maximin. Je venais d’arriver. J’ai tout vu. Monsieur Corban est certainement fou!

Daniel. Ecoutez-moi!...

La Commissaire. Qu’est-ce que vous avez fait, pauvre cinglé?

 

Acte 3

Florence. Madame la Commissaire. Que va devenir mon mari? Vous n'allez pas l'arrêter?

La Commissaire. Racontez-moi d’abord ce qui s'est passé... en détail.

Florence. Eh bien! cette pauvre clocharde avait proposé à Daniel de faire son portrait... J’ai insisté, pensant que ça lui changerait les idées... ils sont restés seuls un moment... Quelques minutes après j’ai entendu un coup de feu, je me suis précipitée. Daniel avait tiré sur cette femme qui est tombé au moment où arrivait Monsieur l’Abbé.

La Commissaire. D’où venait ce revolver?

Florence. Je l’ignore.

La Commissaire, à l’abbé. Et vous?

Maximin. Il n’en a pas eu le temps, car vous êtes arrivé, mais il n’est pas douteux qu’il nous aurait tués, tous les deux, par la même occasion. Arrêtez- le, Madame la Commissaire. On ne peut pas laisser en liberté un névrosé de cette espèce.

La Commissaire. Je sais ce que j’ai à faire! (Le téléphone sonne.) Oui, c’est moi! Comment? (Un temps.) Embarquez-la dans la voiture et arrivez. Dépêchez-vous, il y a de grosses complications. (Il raccroche.)

Florence. Que se passe-t-il?

La Commissaire. Ça me regarde. (A Daniel.) A vous maintenant, racontez-moi ce qui s'est passé.

Daniel, comme sortant d’un cauchemar. La Merluche a été le témoin de mon mariage à Juan-les-Pins, avec Elisabeth... Je vous ai appelé... pour qu'elle vous dise la vérité... mais ils l’ont tué... Ils ont tué mon témoin.

Florence. Mon chéri, ne continue pas à divaguer ou ils vont t’enfermer dans un asile.

La Commissaire, regardant son carnet. Ecoutez... voyons... Même si je vous crois, La Merluche est morte, elle ne peut plus reconnaître personne! Le problème reste sans réponse.

Daniel. Pourquoi l’aurais-je tué, moi?

La Commissaire cassant. Parce qu’il a peut-être parfaitement reconnu Mme Corban et que ça ne vous arrange pas.

Daniel. Mais enfin, Madame la Commissaire, je vous répète que c’est moi qui ai téléphoné au commissariat pour vous demander de venir.

La Commissaire, ébranlé. Ça c’est vrai. Vous avez encore une chance, la dernière. J’ai un deuxième témoin. Il arrive.

(Sensation générale.)

Florence. Un autre témoin?

La Commissaire. La voiture sera ici dans quelques instants...

Daniel. Formidable! Regardez la tête qu'ils font, tous les deux! Ils sont pâles. Regardez-les! Cela prouve que lorsqu’on est de bonne foi, on trouve des preuves... Le temps travaille pour moi...

La Commissaire. Ah! vous l’aimez cette phrase, hein?

Daniel. Elle est de vous, c’est mon porte-bonheur....

La Commissaire. (On entend un crissement de pneus, des portières claquent.) Que personne ne bouge! Que personne ne dise un mot! Le premier qui fait un signe, je le considère comme coupable. Monsieur Corban, le dos tourné, face à la porte. Vous, monsieur l’Abbé, là. Debout. Et silence. (Maximin obéit.) Vous, madame Corban, en haut de l'escalier. Quand je dirai «descendez», vous viendrez vers nous, sans dire un mot. Je prends toutes ces précautions, car le témoignage de cette dame est capital. Elle ignore elle-même pourquoi je l’ai fait conduire ici. Sa réaction sera donc véridique — et sans appel. Personne ne bouge, personne ne parle!

Entrée de Mlle. Berton.

Mademoiselle Berton. Ça alors! Etre née à Chamonix et voir ça! On me convoque au commissariat et on m’embarque! Ah! vous voilà, Madame la Commissaire! Vous allez pouvoir m’expliquer ce que cet enlèvement signifie. Vos agents sont muets comme des carpes.

Daniel. Je suis sauvé! L’infirmière! J’aurais dû y penser!

La Commissaire. Silence!... Asseyez-vous, mademoiselle Berton. Excusez-nous. Je cherche un témoin qui ait connu M. et Mme Corban qui habitent cette maison depuis une dizaine de jours. Un de mes hommes — qui est votre voisin — a su, par vous, que vous aviez donné des soins à la femme. Est-ce exact?

Mademoiselle Berton. Mais oui! Je fais des piqûres à domicile et je suis venue ici faire une intraveineuse à cette dame. Elle m’a reçue dans sa chambre. Ce devait être le samedi d’il y a une semaine...

La Commissaire. Seriez-vous capable d’identifier l’homme et la femme?

Mademoiselle Berton. Ben oui!

La Commissaire, à Daniel. Monsieur, veuillez faire quelques pas!

Mademoiselle Berton, découvrant Daniel. Bonjour, monsieur Corban!

Daniel, fou de joie. Bonjour, Mademoiselle! Vous me sauvez la vie! Dire que je ne pensais pas à vous! A présent, je suis sauvé.

La Commissaire. A la femme maintenant. (Il appelle.) Descendez, Madame.

Florence apparaît lentement, puis. Bonjour, Mademoiselle.

Mademoiselle Berton, soudain mondaine. Bonjour, madame Corban, comment ça va?

Florence. Mal, Mademoiselle, mon mari est très malade. Il a tué une femme dans une crise nerveuse.

Mademoiselle Berton. Il a tué une femme?

Florence. Oui, une pauvre clocharde.

Mademoiselle Berton. Mais c’est affreux.

Daniel. Tous contre moi! Je suis perdu! (Il se laisse aller à la renverse sur le lit.)

Florence. Pauvre Daniel.

Mademoiselle Berton. J'avoue ne pas saisir exactement ce qui se passe.

La Commissaire. Il ne reconnaît plus sa femme!

Mademoiselle Berton. Quel malheur! Un couple si sympathique, si uni...

Daniel. Elle aussi est pourrie! Vendue! Faux témoin!

Mademoiselle Berton. Je n’ai pas l’habitude d’entendre des propos pareils! Vous m’excuserez, Madame la Commissaire, mais si vous n’avez plus besoin de moi, je vous demanderai la permission de repartir. Ramenez-moi à Chamonix!

La Commissaire. Je vous accompagne et m’excuse de vous avoir dérangée, mais cette confrontation était très importante. (A Daniel.) Je reviens, j’ai deux mots à vous dire. (Ils disparaissent.) Mademoiselle, que me conseillez-vous?

Mademoiselle Berton. Il faut faire entrer ce pauvre type en clinique au plus tôt...

(Etc., etc., ils sont déjà loin, leurs voix se perdent, etc.)

Daniel, à Florence qui sourit. Vous triomphez, hein?

Florence. Oui.

(On voit Mlle Berton revenir sur ses pas, parlant au commissaire qu’on ne voit pas.)

Mademoiselle Berton. Excusez-moi, Madame la Commissaire, j'ai oublié mon sac... Une minute! (Elle le récupère, l’ouvre et l’abbé y laisse tomber une enveloppe blanche.) Ah! je l’ai trouvé... Je l'avais laissé sur le canapé... Heureusement que ce brave homme a une femme qui l’adore, car... (La voix se perd.)

Daniel, hurlant. Madame la Commissaire, Madame la Commissaire, attendez, ne partez pas...

(Il veut courir à la terrasse, mais l’abbé le retient.)

Daniel, défiguré. Ne la laissez pas partir!

La Commissaire. Alors? Qu’est-ce que c'est encore que ces cris?

Daniel. Ils lui ont donné de l’argent, payée!

La Commissaire. Qui?

Daniel. La femme et l’abbé...

La Commissaire. Quand?

Daniel. A l’instant. Devant mes yeux.

La Commissaire. Oh! ça alors! Ça dépasse tout! Vous tenez absolument à être interné, vous? (A Florence.) Bon, laissez-moi seul avec lui.

Florence. Merci, Madame la Commissaire. Excusez- moi, monsieur l’Abbé.

(Florence et l'abbé sortent dans la cuisine.)

La Commissaire. Alors?

Daniel, désespéré. Tout a été prévu par eux. Ils ont découvert qu’Elisabeth s’était fait faire une piqûre à domicile par cette femme. Ils sont allés la voir, ils l'ont achetée. Ils l’ont achetée. Ils l’ont payée, je vous le dis. Ils ont eu le culot de la payer devant moi, à mon nez et à ma barbe.

La Commissaire. Mais où? Comme ça? Tout simplement?

Daniel. Oui, et maintenant elle leur obéit et elle reconnaît tout ce qu'ils veulent. Rattrapez-la! Fouillez son sac; elle a reçu une enveloppe blanche, pleine de billets... allez!

La Commissaire a une hésitation, puis va à la terrasse et regarde. Je ne la vois plus! Elle est partie par les petits chemins.

Daniel. Elle s’est sauvée à toutes jambes avec son argent! Pas folle!

La Commissaire, dans une crise de colère. Pour moi, elle a reconnu votre femme comme étant Mme Corban! Voilà! La respectabilité de Mlle Berton peut difficilement être mise en doute. Mais non! Cette femme est votre femme! D'ailleurs, s’il existait vraiment une autre Mme Corban, comment expliquez-vous l’attitude de celle-ci qui, à aucun moment, n’a semblé redouter ou craindre le retour de l’autre?

Daniel. Justement. S'ils ne craignent pas le retour de ma femme, c’est qu'ils sont certains qu’elle ne se montrera pas pour les démasquer!

La Commissaire. Que voulez-vous dire?

Daniel, qui suit son idée avec terreur. Je me demande si... Ils savent tout! Qui a pu si bien les renseigner, sinon?

La commissaire. (Le téléphone sonne.) Allô! C’est moi. (Il écoute et marque une forte surprise.) Bon. J’arrive à toute vitesse. (Il raccroche.)

Daniel. Qu’est-ce qu’il y a?

La Commissaire. C’est l’hôpital... qui m'annonce que... (Très bas.) La Merluche vient d’arriver à la salle d’opération...

Daniel. Quoi?

La Commissaire. Chut! Oui. La Merluche n'est que blessée. On va l’opérer... Gardez ça pour vous, il ne manquerait plus qu’on l’achève!... Restez tranquille.

Daniel, complètement retourné par l’émotion. Téléphonez-moi vite si La Merluche parle...

La Commissaire. Promis. Voulez-vous mon avis de commissaire? Le crime parfait n’existe pas. Allons, ayez confiance en nous. (Entre Florence avec un plateau à café garni.)

Florence. Je peux entrer, Madame la Commissaire? Vous nous quittez déjà, Madame la Commissaire?

La Commissaire. Oui, Madame. (Soudain.)est l’abbé?

Florence. Il est parti à sa paroisse.

Le commissaire, un regard sur Daniel. Il n’y a pas une seconde à perdre !

(Il disparaît très vite. On entend la voiture qui part.)

Florence. Ton petit déjeuner, chéri.

Daniel, qui a repris courage. Je n'en veux pas.

Florence. Oh! Tu n’as rien mangé depuis hier! Ce n’est pas raisonnable!

Daniel. Vous y tenez à cet héritage, hein?!

Florence. Oui, ça t’ennuie?

Daniel. Vous aurez peut-être l’argent, mais vous ne m’aurez pas, moi.

Florence. Sait-on jamais! Je vais au village, viens-tu avec moi?

Daniel. Non.

Florence. Une petite promenade... Ce n’est vraiment pas la peine d’être à la montagne...

Daniel. Merci! Je ne tiens pas à ce qu’on me trouve la tête fracassée sur un rocher... ou noyé dans le torrent.

Florence. Quelle imagination! Je me demande où tu vas chercher tout ça. (En riant, elle disparaît.) (Daniel épuisé se dirige vers son café, mais il n’ose pas le boire, soudain inquiet. Il va alors au téléphone et parle bas.)

Daniel. Allô! Le commissariat? Ici, M. Corban. Oui, la Commissaire est parti. Avez-vous des nouvelles de l’hôpital? Non. Je vous en prie, appelez-moi dès que vous en aurez... Merci. (Il raccroche fébrile.)

(A la terrasse apparaît Mlle Berton. Elle appelle doucement.)

Mademoiselle Berton. Psst! Monsieur Corban, psst!

Daniel. Que venez-vous encore faire ici? Foutez le camp.

Mademoiselle Berton. Chut, ne criez pas... Il faut absolument que je vous parle. C’est très important.

Daniel. Je n’ai rien à cacher, moi. Vous pouvez parler tout haut.

Mademoiselle Berton. Etes-vous seul? C’est indispensable.

Daniel. Oui, seul! Alors? Vous êtes sans doute revenue pour que je vous félicite de votre conduite?

Mademoiselle Berton. Si vous saviez!

Daniel. Je sais. J’ai vu l’enveloppe. Leur plan est tellement inattaquable que votre «paye» a eu lieu ici, à mon nez et à ma barbe. Je l’ai dit à la commissaire, elle ne m’a pas cru.

Mademoiselle Berton. Elle vous croira! Je vous le promets. Je vais revenir sur mon témoignage...

Daniel. Vraiment?

Mademoiselle Berton. Je suis dans un piège aussi affreux que le vôtre, monsieur Corban. Si je vous sauve, je me perds.

Daniel. Ah! vous, êtes aussi dans leurs griffes?

Mademoiselle Berton. Complètement. Mais tout ça est de ma faute... L’autre jour, je ne sais pas ce qui m’a pris : j’ai joué. Enfin j’ai été entraînée à jouer ; et j’ai perdu. J’ai été obliger de signer un chèque... sans provision, vous vous en doutez... Mais j’ai tout de suite compris que c’était un coup monté, car un monsieur qui était là m’a tout de suite proposé de couvrir mon chèque à la banque contre un petit service. Il s’agissait d’identifier... quelqu'un...

Daniel. ... que vous n’aviez jamais vu!

Mademoiselle Berton. Voilà.

Daniel, qui respire un peu. Nous allons nous unir. A deux, on est plus forts. On se soutient. Comment était ce monsieur? Le reconnaîtriez-vous?

Mademoiselle Berton. Oui! C’est celui qui était ici tout à l’heure. Vous pensez quand je l’ai vu en soutane!

Daniel bondit. Le curé! Le salaud!...

Mademoiselle Berton. Les salauds, oui! Et en plus, ils m’ont trahie.

Daniel. Comment ça?

Mademoiselle Berton. Je dois approvisionner mon compte en banque avant midi. Il est 10 h. 30 et... regardez... {Elle tend l’enveloppe.)

Daniel, pouffant. Du papier journal! Payée en papier journal! La tragédie tourne à la farce! C’est admirable!... Eh bien! vous irez en prison.

Mademoiselle Berton, aigre. Oh non! Je n’irai pas en prison. Parce que c’est vous qui allez me sauver! Vous payez mon chèque et je témoigne alors qu’ils m’ont forcée sous la menace à reconnaître la fausse madame Corban.

Daniel. J’en suis désolé pour vous... Cette solution est impossible. Sortez!

Mademoiselle-Berton. Alors tant pis pour moi — qui vais en prison — et pour vous, qui allez tout droit à l’asile de fous.

Daniel. Je vous remercie de la précision..., mais je me passerai de votre témoignage.

Mademoiselle Berton. Comment?

Daniel. J’en ai un autre. Un meilleur.

Mademoiselle. Ah oui! Lequel?

Daniel, triomphant. Ma clocharde!

Mademoiselle Berton. Elle n’est pas morte?

Daniel. Non. On l’opère. La Commissaire vient de m’avertir discrètement. On l’opère... Elle parlera... Elle n'a pas été acheté, elle.

Mademoiselle Berton, déchaînée. Votre clocharde peut mourir... peut perdre la mémoire... peut mettre huit jours à parler!... Elle peut être assassinée, enlevée! Elle peut, après ce qui elle est arrivé, avoir peur et se taire! Alors vous regretterez. Croyez-moi, deux témoins valent mieux qu’une.

Daniel. Je vous garde en réserve... Je réfléchirai...

Mademoiselle Berton. Ah non! C'est maintenant... ou jamais.

Daniel, traqué. De combien est votre dette?

Mademoiselle Berton. 400.000 francs.

Daniel, furieux. Mais enfin, réalisez-vous bien les choses? Vous me demandez 400.000 francs, et je suis innocent. Combien me demanderiez-vous si j’étais coupable?

Mademoiselle Berton. Vous, vous avez besoin d’un témoignage pour avoir la paix. Moi j’ai besoin de 400.000 francs. Echangeons!

Daniel. Mais 400.000 francs! C’est énorme!

Mademoiselle Berton, cinglante. Et avare avec ça! Voulez-vous que je vous dise? Vous n’êtes qu’un crétin!... Et puis, zut! Gardez votre argent, je n’en veux plus. Il me dégoûte. Vous méritez bien qu’elle vous ait quitté, votre femme. (Elle fait un pas vers la porte.)

Daniel, la retient. Attendez... ne partez pas. Je n'ai pas dit non. Est-ce 400.000 francs en une seule fois?

Mademoiselle Berton. Bien sûr... en liquide ou en valeurs.

Daniel, désignant sa chevalière à son doigt. Cette bague, ça irait?

Mademoiselle Berton. Parfait! Vous me la prêtez...

Daniel. Oh! oh!

Mademoiselle Berton. Je dis « prêtez»... Si. Si. Je tiens à vous la rendre.

Daniel. Non. Je vous la donne, cette bague, et je ne veux plus jamais en entendre parler... Comment allez-nous faire?

Mademoiselle Berton. Je vais vous signaler un témoignage écrit.

Daniel. Asseyez-vous. Ecrivez! (Il lui tend une feuille et Mlle Berton écrit. Daniel dicte sur son épaule.) Je soussignée... votre nom?...

Mademoiselle Berton, qui écrit. Yvonne Berton...

Daniel. « ... Déclare avoir fait un haux témoignage et certifie que la femme avec laquelle j’ai été confrontée n’est pas la véritable Mme Corban. A Chamonix...» Datez et signez.

Входит Флоранс

Daniel. Donnez le papier.

Mademoiselle Berton. Donnez la bague! Et vous êtes sûr qu’elle vaut quelque chose, hein? Parce que si c’est du toc...?

Florence, intervenant. Vous me vexez, Mademoiselle. C’est moi qui en ai fait cadeau à Daniel!

Daniel. Vite, vite, échangeons. Tenez.

Florence, sort un revolver et les menace. Qu’est-ce que vous allez en faire, de cette bague? Si je donne un coup de fil à la police, vous, vous êtes arrêtée pour avoir vendu un faux témoignage, et lui, il aggrave son cas en vous l’ayant acheté.

Mademoiselle Berton. Oh! vous êtes décidément très forte. C’est comme pour l’enveloppe! Mais j’ai besoin de cet argent! J’en ai besoin!

Florence. Evidemment... Je suis disposée, moi aussi, à acheter quelque chose. Que me proposez-vous?

Mademoiselle Berton, montrant le témoignage. Ceci.

Florence. Daccord!

Флоранс отдает деньги медсестре, рвет письмо

Mademoiselle Berton. Il n’y a pas le compte! Combien y a-t-il?

Florence. 200.000 francs, ça ne vaut pas plus!

Mademoiselle Berton. Mais il m’en faut le double! Vous le savez bien!

Florence. Avez-vous autre chose à me vendre?

Mademoiselle Berton. Ce que vous voulez.

Daniel. Ordure! Ordure!

Florence. J’aurais besoin d’une attestation médicale pour mon mari. Vous êtes infirmière diplômée, vous avez le droit de l’établir?

Mademoiselle Berton. C'est entendu.

Daniel. Ne signez pas! Ne signez pas! Je vous donnerai tout ce que j’ai... (Il recule devant le revolver de Florence et finit par s’effondrer sur une chaise, vaincu de nouveau.)

Florence. Très bien. L’attestation est déjà rédigée. Je suis très prévoyante!

Флоранс отдает бумагу. Медсестра подписывает. Флоранс отдает деньги.

Florence. Donnant. Donnant. Et maintenant filez! Ne remettez plus jamais les pieds ici!

Mademoiselle Berton. Avec joie!

Daniel. Merci, Mademoiselle!

Mademoiselle Berton, logique. Chacun pour soi, Dieu pour tous!

Медсестра уходит

Daniel. Ah! vous riez! Vous riez! Mais moi aussi, de toute façon, je peux rire!

Florence. Ah oui?

Daniel. Oui, quelque chose peut encore me sauver!... Quelque chose que je ne vous dirai pas! Que vous ne pouvez pas soupçonner.

Florence. Si.

Daniel. Ah! non, non. Vous êtes peut-être très forte, mais vous ne pouvez pas savoir.

Florence. Savoir quoi?... que la clocharde est encore vivante?

Daniel. Vous le savez?

Florence. Mais oui.

Daniel. Ah! Eh bien, elle parlera!

Florence. Non.

Daniel. Si. Elle est honnête. Elle est pure. Elle dira la vérité, elle parlera!

Florence. Non.

Daniel. Qui l'en empêchera?

Florence. La mort.

 

Acte 4

Maximin appelle. Madame Corban... Madame Corban!...

Florence sort de la cuisine avec des paquets. Ah! te voilà enfin!

Maximin. J’avais plus d’essence. J’ai fait le plein. Les bagages sont faits?

Florence. Oui. J’ai entassé tout ce qui m'est tombé sous la main.

Maximin, qui l’aide à finir les valises. Que fait Corban?

Florence. Rien. Il a l’air d’un somnambule.

Входит Даниель

Maximin. Et il sait où on l’emmène?

Florence. Oui.

Maximin. Il ne dit rien?

Florence. Non. Depuis qu'il a appris la mort de La Merluche, à l'hôpital, il est comme foudroyé!

Maximin. Il n’a rien compris, alors?

Florence va à lui, moqueuse. Mais si, il a compris. Il comprend que, maintenant, il doit être calme. Ce sont des amis qui s’occupent de cette clinique. La Commissaire viendra le voir souvent.

Daniel. Pourquoi tous ces bagages?

Florence. Tu risques de rester plusieurs jours en observation avant que la Commissaire prenne une décision. Peut-être une semaine, on ne sait pas. (A Maximin.) Lundi matin tu iras chez le notaire de Saint-Denis avec la procuration.

Maximin. Entendu.

Florence. Tu n’as pas reçu d’autres ordres?

Maximin. Non. C'est moi qui dois leur téléphoner demain.

Daniel, dans un cri. Combien êtes-vous, bande de salauds?

Maximin. Je le fais taire?

Florence. Non. Laisse-le crier. Plus il crie, mieux ça vaut. J’espère même qu’on entend ses hurlements jusqu'au village.

Maximin. Il n’a pas essayé de se sauver?

Florence. Où veux-tu qu’il aille avec un cadavre accroché à sa veste?... Mets un manteau, mon chéri, il fait froid dehors. (Даниель бросается душить Флоранс) Max! Max!

Maximin. Salaud, je vais te calmer, tu vas voir.

Florence, qui se frotte le cou. Lâche-le. Nous n'avons pas de temps à perdre... Filons!

Maximin. Bon, allez! (Bruit de voiture, Maximin regarde.) C’est la Commissaire... Ne bouge pas. (Il pousse brutalement Daniel dans un fauteuil.)

Входит коммиссар

Florence. Bonsoir, Madame la Commissaire. Qu’est-ce qui se passe? Je croyais que nous devions nous retrouver là-bas?

La Commissaire. Nous ne partirons peut-être que dans quelques minutes.

Florence. Ah bon! pourquoi?

La commissaire. La mort de La Merluche paraît nettement suspecte. On pratique en ce moment une autopsie et on doit me communiquer le résultat ici. Je déciderai alors si nous partons ou si nous restons.

Daniel. Ce sont eux... Ils ont achevé mon témoin.

La Commissaire. Taisez-vous donc, vous!

Daniel. Vous ne croyez rien? Vous êtes donc stupide?

La Commissaire. Merci. Je suis sans doute stupide de vous envoyer dans une maison de repos plutôt que dans une maison d’arrêt?

Daniel. Je ne veux pas aller dans une maison de fous.

La Commissaire. Quoi? Vous préférez que je vous arrête pour meurtre?

Daniel. Oui, sans doute. Oui, arrêtez-moi.

La Commissaire. Allons, allons...

Daniel. Arrêtez-moi pour le meurtre de La Merluche.

La Commissaire. Vous arrêter?

Daniel, qui suit son idée. Oui, mettez-moi en prison... J’y serai en sécurité. J’y retrouverai le calme, je vous prouverai tout, le temps travaillera pour moi. Ici, tout m’échappe.

Florence, inquiète. Je ne veux pas te quitter.

Daniel. Il le faudra bien. La justice va me séparer de ma femme. Voilà la solution, Madame la Commissaire. Voilà le salut. Mettez-moi hors de son atteinte...

Florence. Mais je veux te garder, je veux te guérir, moi...

Daniel. M’achever... oui. Arrêtez-moi.

Florence. Madame la Commissaire, ne l'écoutez pas.

La Commissaire. Madame... Si monsieur Corban s’accuse formellement du meurtre de cette clocharde, s’il se constitue prisonnier, je ne peux que l’incarcérer.

Daniel. Oui, c’est moi qui ai tué La Merluche. Volontairement... Arrêtez-moi.

La Commissaire. Soit... au nom de la loi...

Florence, dans un cri. Non, c’est faux, ce n’est pas lui qui a tué La Merluche!

La Commissaire. Si ce n’est pas lui, qui est-ce, Madame?

Florence. C’est... c’est... Eh bien, oui!... c’est lui... je cherchais comment empêcher son arrestation.

La commissaire. Ah bon!... On repart à zéro! Voyons. Renversons le problème. Au lieu d’essayer de prouver qu’ils mentent, ce qui a échoué... prouvons que vous, vous dites la vérité. J’ai eu cet après-midi une longue conversation téléphonique avec un vieil ami à moi, le professeur Lucot, du Centre hospitalier de Grenoble. Il prétend que dans 90% des cas semblables aux vôtres, l’emploi d’une piqûre de partirobenzol à base de penthotal, autrement dit «sérum de vérité» permet de déterminer l’exactitude des déclarations de ceux qui y sont soumis.

Daniel. Vous voulez que...?

La Commissaire. Alors, écoutez-moi. Je vous estime actuellement à environ 2% de la vérité. C’est peu. Si vous vous soumettez à cette épreuve et que vous continuiez à tenir le même langage, vos actions monteront de 90%. 90% plus 2% égale 92%. Qu’est-ce que vous en dites?

Daniel. J’accepte cette épreuve sans hésiter.

La Commissaire, à Florence. Bon. Et vous, Madame?

Florence, surprise. Moi?

La Commissaire. Oui, vous... Vous avez actuellement un crédit de 98%. Autant dire qu’à mon avis, la cause est entendue. Alors, que risquez-vous, en acceptant la piqûre, sinon une pleine justification?

Florence. Evidemment... Je dis... que ça vaut la peine d’essayer.

Maximin. Ah! Madame, prenez garde, la religion s’oppose à ce genre de procédé!

La Commissaire, le fixe. Tiens, tiens...

Maximin. Enfin, je veux dire... déconseille.

La Commissaire. Alors, Madame?

Florence. Mais, Madame la Commissaire, n’est-ce pas dangereux pour mon mari... comme pour moi Il paraît que tous ces produits nouveaux provoquent des accidents, des troubles très graves...

La Commissaire. C’est oui ou c’est non Madame?

Florence cède. C’est... oui.

La Commissaire. J’ai les ampoules! Avez-vous un nécessaire pour piqûres?

Florence. Oui.

La Commissaire. Allez le chercher, s’il vous plaît... (Tandis que Florence sort, à Daniel.) Prêt?

Daniel. Oui, prêt.

La Commissaire. Votre acceptation est un atout énorme pour vous. D’autre part c’était le seul moyen pour moi, de vous mettre en prison sous la protection de la police... Soyez tranquille, à 7 heures juste, vous serez sous les verrous, je vous le promets.

Daniel, tout content. Merci, Madame la Commissaire, merci.

Fiorence revient avec la seringue et l’alcool. Voulez-vous que je fasse la piqûre?

La Commissaire. Merci, je suis moi-même assez expérimenté. (A Daniel, tandis qu’il remplit la seringue.) Retirez votre veston. Asseyez-vous. Relevez votre manche.

(Un agent frappe et entre.)

Florence. Madame la Commissaire, on vous demande...

La Commissaire. Pardon. Tenez-moi ça une minute. (Il donne la seringue à Florence et se retourne vers l’agent qui lui parle.)

(Florence, d’un bon, a rejoint l’abbé, de dos.)

Daniel, dans un cri. Madame la Commissaire, ils trafiquent la piqûre!

La Commissaire. Voulez-vous vous taire un peu, non?

Daniel, à Florence et à Maximin. Montrez la seringue! Et vous, vos mains...

Maximin. Voilà.

 (L’agent s’est éloigné. La Commissaire redescend, soucieux, un papier à la main.)

Qu’est-ce qu’il y a?

La Commissaire, ayant parcouru la lettre. La mort de La Merluche est nettement suspecte. L’autopsie a révélé des traces de strychnine dans le sang.

Daniel. C´est le curé, qui est allé à l’hôpital, qui a piqué la vieille clocharde.

La Commissaire. C’est de l’obsession. Allez, votre bras... Qu’on en finisse! (Daniel se débat.) Tenez-le, monsieur l’Abbé.

Daniel, cloué soudain sur une chaise par l’abbé. Non... non... non...

Florence. Mon chéri... Il faut essayer, cela te rendra la mémoire... peut-être!

La Commissaire, piqûre à la main. C’est la carte à jouer!

Daniel, défiguré. Madame la Commissaire... regardez-moi... Je sais que je vais mourir. Je suis certain que je vais mourir. Devant la mort, je vous affirme que cette femme n’est pas ma femme.

La Commissaire. Mais oui, on le sait...

Daniel. Voilà le plus extraordinaire crime parfait qu’on ait jamais vu! C’est la Commissaire de police lui-même qui va me tuer! (La Commissaire va enfoncer l’aiguille. Daniel se dégage et bondit à l’autre bout de la pièce.) Ça y est, j’ai compris... Je viens de tout comprendre... Oh! que j’ai été bête... Cette bande de gangsters a un chef! Et ce chef, c'est vous, Madame la Commissaire! Et moi qui essayais de vous persuader qu’Elisabeth n’était pas cette femme! Vous le saviez bien, crapule! Comment n’ai-je pas compris que j’étais dans la vie, mais dans une comédie que vous jouiez tous contre moi? Vous vous croyez forts? Oui... vous êtes forts, mais je me battrai jusqu’à mon dernier souffle... Vous ne m’aurez pas. (Ils regardent Daniel en souriant.) D’ailleurs, puisque vous n’avez jamais redouté le retour de la vraie Elisabeth, je ne vois qu’une explication. Vous l’avez tuée... Voilà. Elisabeth est morte. J’en suis certain à présent, et c’est vous qui l’avez tuée... (Il a un sanglot.)

La Commissaire, ironique. Prouvez-le!

Daniel. Assassins! J’irai voir le procureur de la République...

La Commissaire. Allez-у. Le corps d’Elisabeth Corban n’étant pas près d’être retrouvé, vous n’êtes pas prêt, vous, à démontrer que cette femme-là, n’est pas la vôtre.

Daniel. On retrouvera le corps d’Elisabeth et vous serez guillotinés, tous. (Il délire presque.) Monsieur le Procureur, ma femme est morte. Elle a été assassinée par un commissaire de police et deux complices. Une toile de mensonges a été tissée autour de moi. A me faire perdre la tête, mais je reste lucide, logique. Monsieur le Procureur, ces trois complices doivent être arrêtés tout de suite! Ils ont tué ma femme! Ma femme est morte!

La Commissaire vient doucement vers lui. Oui, votre femme est morte.

Daniel. ... assassinée!

La Commissaire. Elle a été assassinée! Mais où est son corps?

Daniel. Son corps... son corps...

La Commissaire. Monsieur Corban, où est le corps de votre femme?

Daniel, soudain. Dans le torrent de la forêt des Chamois.

La Commissaire. Merci du renseignement... C’est cette phrase-là que nous attendions tous depuis hier! (Daniel s’effondre sur le canapé.) Monsieur Corban, vous avez mis la main, cet été, sur une femme riche, vous l’avez vite épousée... Voyage de noces à Venise, puis avec préméditation vous l’avez amenée dans ce chalet. Deux jours après votre arrivée, vous l’avez tuée, en la poussant dans un ravin du torrent.

Votre crime accompli, vous venez alors me raconter votre histoire de mari délaissé...

Or, dix ans d’enquêtes m’ont appris à me méfier des coïncidences entre héritages et disparitions subites.

Aussi, je ne vous avertis pas, lorsque trois jours après votre déclaration, on repêche dans un remous du torrent des Chamois, le corps d’une femme que Mlle Berton identifie, à l’hôpital, comme étant celui de Mme Corban.

L’autopsie révèle que c’etait un crime...

Mes soupçons n’étaient pas encore des preuves formelles. Il me fallait vos aveux... Je décide de tendre autour de vous un piège basé sur la «résurrection de la victime». (Il se retourne vers l’abbé et Florence.) L’inspecteur principal Marcel Tarquey et Mlle Florence Stéphany des services spéciaux de la police judiciaire m’apportent leurs concours! Pour la vérité, je fais intervenir les deux témoins réels de l’affaire : «La Merluche» que la Commissaire de Juan-les-Pins retrouve et m’expédie, et qui, entre parenthèses, s’est beaucoup amusée de recevoir une balle à blanc et de faire le mort. Et Mlle Berton qui a interprété son personnage de crapule à la perfection, pour nous aider.

Voilà! Tous les cinq nous vous avons joué, en effet, une comédie... qui a fini par vous perdre!... Je vous avais promis qu’à sept heures vous seriez sous les verrous... Vous y serez, Corban!