Représentée pour la
première fois le vendredi 1er juin 1663 par la Troupe de Monsieur,
Frère Unique du Roi.
À LA REINE MÈRE
Madame,
Je sais bien que Votre Majesté n’a que faire de
toutes nos dédicaces, et que ces prétendus devoirs, dont on lui
dit élégamment qu’on s’acquitte envers Elle, sont des hommages,
à dire vrai, dont Elle nous dispenserait très volontiers. Mais je
ne laisse pas d’avoir l’audace de lui dédier La Critique de
l’École des femmes ; et je n’ai pu refuser cette petite
occasion de pouvoir témoigner ma joie à Votre Majesté sur
cette heureuse convalescence, qui redonne à nos vœux la plus grande
et la meilleure princesse du monde, et nous promet en Elle de longues
années d’une santé vigoureuse. Comme chacun regarde les choses du
côté de ce qui le touche, je me réjouis, dans cette
allégresse générale, de pouvoir encore obtenir l’honneur
de divertir Votre Majesté ; Elle, Madame, qui , prouve si bien que
la véritable dévotion n’est point contraire aux honnêtes
divertissements ; qui, de ses hautes pensées et de ses importantes
occupations, descend si humainement dans le plaisir de nos spectacles et ne
dédaigne pas de rire de cette même bouche dont Elle prie si
bien Dieu. Je flatte, dis je, mon esprit de
l’espérance de cette gloire ; j’en attends le moment avec toutes
les impatiences du monde ; et quand je jouirai de ce bonheur, ce sera la
plus grande joie que puisse recevoir,
Madame,
De votre Majesté,
Le très humble, très obéissant
et très fidèle serviteur et sujet,
J. B. P. MOLIÈRE.
SCÈNE PREMIÈRE
URANIE, ÉLISE.
URANIE. Quoi, Cousine, personne ne t’est venu
rendre visite ?
ÉLISE. Personne du monde.
URANIE. Vraiment voilà qui
m’étonne, que nous ayons été seules, l’une et l’autre,
tout aujourd’hui.
ÉLISE. Cela m’étonne aussi ; car
ce n’est guère notre coutume, et votre maison, Dieu merci, est le refuge
ordinaire de tous les fainéants de la cour.
URANIE. L’après-dînée [1] , à dire vrai, m’a
semblé fort longue.
ÉLISE. Et moi je l’ai trouvée fort courte.
URANIE. C’est que les beaux esprits, cousine,
aiment la solitude.
ÉLISE. Ah ! très humble servante
au bel esprit, vous savez que ce n’est pas là que je vise.
URANIE. Pour moi j’aime la compagnie, je
l’avoue.
ÉLISE. Je l’aime aussi ; mais je l’aime
choisie, et la quantité des sottes visites qu’il vous faut
essuyer parmi les autres, est cause bien souvent que je prends plaisir
d’être seule.
URANIE. La délicatesse est trop
grande, de ne pouvoir souffrir que des gens triés.
ÉLISE. Et la complaisance est trop
générale, de souffrir indifféremment toutes sortes de
personnes.
URANIE. Je goûte ceux qui sont
raisonnables, et me divertis des extravagants.
ÉLISE. Ma foi, les extravagants ne vont
guère loin sans vous ennuyer, et la plupart de ces gens
là ne sont plus plaisants dès la seconde visite. Mais
à propos d’extravagants, ne voulez-vous pas me défaire de votre marquis incommode ? Pensez-vous me le
laisser toujours sur les bras, et que je puisse durer à ses
turlupinades [2] perpétuelles ?
URANIE. Ce langage est à la mode, et
l’on le tourne en plaisanterie à la cour.
ÉLISE. Tant pis pour ceux qui le font, et
qui se tuent tout le jour à parler ce jargon obscur. La belle chose de
faire entrer aux conversations du Louvre de vieilles équivoques
ramassées parmi les boues des Halles et de la place Maubert ! La
jolie façon de plaisanter pour des courtisans ! et qu’un homme montre d’esprit lorsqu’il vient vous
dire ; « Madame, vous êtes dans la place Royale, et tout le
monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit de bon
œil [3] »,
à cause que Bonneuil [4] est
un village à trois lieues d’ici. Cela n’est-il pas bien galant et bien
spirituel ; et ceux qui trouvent ces belles rencontres, n’ont ils pas lieu de s’en glorifier ?
URANIE. On ne dit pas cela aussi, comme une
chose spirituelle, et la plupart de ceux qui affectent ce langage, savent bien
eux-mêmes qu’il est ridicule.
ÉLISE. Tant pis encore, de prendre peine
à dire des sottises, et d’être mauvais plaisants de dessein
formé. Je les en tiens moins excusables ; et, si j’en étais
juge, je sais bien à quoi je condamnerais tous ces messieurs les
turlupins.
URANIE. Laissons cette matière, qui
t’échauffe un peu trop, et disons que Dorante vient bien tard, à
mon avis, pour le souper que nous devons faire ensemble.
ÉLISE. Peut-être l’a-t-il
oublié, et que...
SCÈNE
II
GALOPIN,
URANIE, ÉLISE.
GALOPIN. Voilà Climène, Madame,
qui vient ici pour vous voir.
URANIE. Eh mon Dieu ! quelle visite.
ÉLISE. Vous vous plaigniez d’être
seule, aussi [5] :
le Ciel vous en punit.
URANIE. Vite, qu’on aille dire que je n’y
suis pas.
GALOPIN. On a déjà dit que vous
y étiez.
URANIE. Et qui est le sot,
qui l’a dit ?
GALOPIN. Moi, Madame.
URANIE. Diantre soit le petit vilain. Je vous
apprendrai bien à faire vos réponses de vous-même.
GALOPIN. Je vais lui dire, Madame, que vous
voulez être sortie.
URANIE. Arrêtez, animal, et la laissez
monter, puisque la sottise est faite.
GALOPIN. Elle parle encore à un homme
dans la rue.
URANIE. Ah ! cousine, que cette visite
m’embarrasse à l’heure qu’il est.
ÉLISE. Il est vrai que la dame est un peu
embarrassante de son naturel : j’ai toujours eu pour elle une furieuse aversion ; et, n’en
déplaise à sa qualité, c’est la plus sotte bête qui
se soit jamais mêlée de raisonner.
URANIE. L’épithète est un peu
forte.
ÉLISE. Allez, allez, elle mérite bien
cela, et quelque chose de plus, si on lui faisait justice. Est-ce qu’il y a une
personne qui soit plus véritablement qu’elle, ce qu’on appelle
précieuse, à prendre le mot dans sa plus mauvaise signification.
URANIE. Elle se défend bien de ce nom,
pourtant.
ÉLISE. Il est vrai, elle se défend du
nom, mais non pas de la chose : car enfin elle l’est depuis les pieds
jusqu’à la tête [6] ,
et la plus grande façonnière du monde. Il semble que tout son
corps soit démonté, et que les mouvements de ses hanches, de ses
épaules, et de sa tête, n’aillent que par ressorts. Elle affecte
toujours un ton de voix languissant, et niais, fait la moue, pour montrer une
petite bouche, et roule les yeux, pour les faire paraître grands.
URANIE. Doucement donc, si elle venait
à entendre...
ÉLISE. Point, point, elle ne monte pas
encore. Je me souviens toujours du soir qu’elle eut envie de voir Damon, sur la
réputation qu’on lui donne, et les choses que le public a vues de lui. Vous connaissez
l’homme, et sa naturelle paresse à soutenir la conversation. Elle l’avait invité
à souper, comme bel esprit, et jamais il ne parut si sot, parmi une
demi-douzaine de gens, à qui elle avait fait fête de lui, et qui
le regardaient avec de grands yeux, comme une personne qui ne devait pas
être faite comme les autres. Ils pensaient tous qu’il était
là pour défrayer [7] la
compagnie de bons mots ; que chaque parole qui sortait de sa bouche devait
être extraordinaire ; qu’il devait faire des impromptus sur tout ce
qu’on disait, et ne demander à boire qu’avec une pointe. Mais il les
trompa fort par son silence ; et la dame fut aussi mal satisfaite de lui,
que je le fus d’elle.
URANIE. Tais
toi ; je vais la recevoir à la porte de la chambre.
ÉLISE. Encore un mot. Je voudrais bien la
voir mariée avec le marquis, dont nous avons parlé. Le bel assemblage que ce serait d’une
précieuse, et d’un turlupin !
URANIE. Veux tu te
taire ; la voici.
SCÈNE
III
CLIMÈNE, URANIE,
ÉLISE, GALOPIN.
URANIE. Vraiment, c’est bien tard que...
CLIMÈNE. Eh de grâce, ma chère, faites moi vite donner un
siège.
URANIE. Un fauteuil, promptement.
CLIMÈNE. Ah mon Dieu !
URANIE. Qu’est-ce donc ?
CLIMÈNE. Je n’en puis plus.
URANIE. Qu’avez vous ?
CLIMÈNE. Le cœur me manque.
URANIE. Sont ce vapeurs, qui vous ont
prise ?
CLIMÈNE. Non.
URANIE. Voulez-vous, que l’on vous
délace ?
CLIMÈNE. Mon Dieu non. Ah !
URANIE. Quel est donc votre mal ? et
depuis quand vous a-t-il
pris ?
CLIMÈNE. Il y a plus de trois heures, et je
l’ai rapporté du Palais Royal [8] .
URANIE. Comment ?
CLIMÈNE. Je viens de voir, pour mes
péchés, cette méchante rapsodie de L’École des
femmes. Je suis encore en défaillance du mal de cœur, que cela m’a
donné, et je pense que je n’en reviendrai de plus de quinze jours.
ÉLISE. Voyez un peu, comme les maladies arrivent sans qu’on y songe.
URANIE. Je ne sais pas de quel
tempérament nous sommes, ma cousine et moi ; mais nous fûmes
avant-hier à la même pièce, et nous en revînmes
toutes deux saines et gaillardes.
CLIMÈNE. Quoi, vous l’avez vue ?
URANIE. Oui ; et écoutée
d’un bout à l’autre.
CLIMÈNE. Et vous n’en avez pas
été jusques aux convulsions, ma chère ?
URANIE. Je ne suis pas si délicate,
Dieu merci ; et je trouve pour moi, que cette comédie serait plutôt capable de
guérir les gens, que de les rendre malades.
CLIMÈNE. Ah mon Dieu, que dites
vous là ! Cette proposition peut-elle être
avancée par une personne, qui ait du revenu en sens commun ?
Peuton, impunément comme vous faites, rompre en visière [9] à
la raison ? Et dans le vrai de la chose, est-il un esprit si affamé
de plaisanterie, qu’il puisse tâter des fadaises dont cette comédie est assaisonnée ? Pour
moi, je vous avoue, que je n’ai pas trouvé le moindre grain de sel dans
tout cela. Les enfants par l’oreille m’ont paru d’un goût détestable ; la
tarte à la crème m’a affadi le cœur ; et j’ai
pensé vomir au potage [10] .
ÉLISE. Mon Dieu ! que tout cela est dit
élégamment. J’aurais cru que cette pièce était
bonne ; mais Madame a une éloquence si persuasive, elle tourne les
choses d’une manière si agréable, qu’il faut être de son
sentiment, malgré qu’on en ait.
URANIE. Pour moi je n’ai pas tant de
complaisance, et pour dire ma pensée, je tiens cette comédie une des plus plaisantes que l’auteur ait produites.
CLIMÈNE. Ah ! vous me faites
pitié, de parler ainsi ; et je ne saurais vous souffrir cette
obscurité de discernement. Peuton, ayant de la vertu, trouver de
l’agrément dans une pièce, qui tient sans cesse la pudeur en
alarme, et salit à tous moments l’imagination ?
ÉLISE. Les jolies façons de parler,
que voilà ! Que vous êtes, Madame, une rude joueuse en
critique ; et que je plains le pauvre Molière de vous avoir pour
ennemie.
CLIMÈNE. Croyez
moi ma chère, corrigez de bonne foi votre jugement, et
pour votre honneur, n’allez point dire par le monde que cette comédie vous ait plu.
URANIE. Moi, je ne sais pas ce que vous y
avez trouvé qui blesse la pudeur.
CLIMÈNE. Hélas tout ; et je mets
en fait, qu’une honnête femme ne la saurait voir, sans confusion ;
tant j’y ai découvert d’ordures, et de saletés.
URANIE. Il faut donc que pour les ordures,
vous ayez des lumières, que les autres n’ont pas : car pour moi je
n’y en ai point vu.
CLIMÈNE. C’est que vous ne voulez pas y en
avoir vu, assurément : car enfin toutes ces ordures, Dieu merci, y
sont à visage découvert. Elles n’ont pas la moindre enveloppe qui
les couvre ; et les yeux les plus hardis sont effrayés de leur
nudité.
ÉLISE. Ah !
CLIMÈNE. Hay, hay, hay.
URANIE. Mais encore, s’il vous plaît, marquez moi une de ces ordures que vous dites.
CLIMÈNE. Hélas ! est-il
nécessaire de vous les marquer ?
URANIE. Oui : je vous demande seulement
un endroit, qui vous ait fort choquée.
CLIMÈNE. En faut-il d’autre que la scène de cette Agnès, lorsqu’elle
dit ce que l’on lui a pris ?
URANIE. Eh bien, que trouvez
vous là de sale [11] ?
CLIMÈNE. Ah !
URANIE. De grâce ?
CLIMÈNE. Fi.
URANIE. Mais encore ?
CLIMÈNE. Je n’ai rien à vous dire.
URANIE. Pour moi, je n’y entends point de
mal.
CLIMÈNE. Tant pis pour vous.
URANIE. Tant mieux plutôt, ce me semble.
Je regarde les choses du côté qu’on me les montre ; et ne les
tourne point, pour y chercher ce qu’il ne faut pas voir.
CLIMÈNE. L’honnêteté d’une femme...
URANIE. L’honnêteté d’une femme n’est pas dans les
grimaces. Il sied mal de vouloir être plus sage, que celles qui sont
sages. L’affectation en cette matière est pire qu’en toute autre ;
et je ne vois rien de si ridicule, que cette délicatesse d’honneur, qui prend tout en mauvaise
part ; donne un sens criminel aux plus innocentes paroles ; et
s’offense de l’ombre des choses. Croyez
moi, celles qui font tant de façons, n’en sont pas
estimées plus femmes de bien. Au contraire, leur
sévérité mystérieuse, et leurs grimaces
affectées irritent la censure de tout le monde, contre les actions de leur vie. On est ravi de
découvrir ce qu’il y peut avoir à redire ; et pour tomber
dans l’exemple, il y avait l’autre jour des femmes à cette comédie, vis-à-vis de la loge où
nous étions, qui par les mines qu’elles affectèrent durant toute
la pièce ; leurs détournements de tête ; et leurs
cachements de visage, firent dire de tous côtés cent sottises de
leur conduite, que l’on n’aurait pas dites sans cela ; et quelqu’un
même des laquais cria tout haut, qu’elles étaient plus chastes des
oreilles que de tout le reste du corps.
CLIMÈNE. Enfin il faut être aveugle dans
cette pièce, et ne pas faire semblant d’y voir les choses.
URANIE. Il ne faut pas y vouloir voir ce qui
n’y est pas.
CLIMÈNE. Ah ! je soutiens, encore un
coup, que les saletés y crèvent les yeux.
URANIE. Et moi, je ne demeure pas d’accord de
cela.
CLIMÈNE. Quoi la pudeur n’est pas visiblement
blessée par ce que dit Agnès dans l’endroit dont nous
parlons ?
URANIE. Non, vraiment. Elle ne dit pas un
mot, qui de soi ne soit fort honnête ; et si vous voulez entendre
dessous quelque autre chose, c’est vous qui faites l’ordure, et non pas
elle ; puisqu’elle parle seulement d’un ruban qu’on lui a pris.
CLIMÈNE. Ah ! ruban, tant qu’il vous
plaira ; mais ce, le, où elle s’arrête [12] ,
n’est pas mis pour des prunes. Il vient sur ce, le, d’étranges
pensées. Ce, le, scandalise furieusement ; et quoi que vous puissiez
dire, vous ne sauriez défendre l’insolence de ce, le.
ÉLISE. Il est vrai, ma cousine ; je
suis pour Madame contre ce, le. Ce, le, est insolent au dernier point. Et vous
avez tort de défendre ce, le.
CLIMÈNE. Il a une obscénité qui
n’est pas supportable.
ÉLISE. Comment dites-vous ce mot-là,
Madame ?
CLIMÈNE. Obscénité, Madame.
ÉLISE. Ah ! mon Dieu !
obscénité. Je ne sais ce que ce mot veut dire ; mais je le
trouve le plus joli du monde [13] .
CLIMÈNE. Enfin vous voyez, comme votre sang
prend mon parti.
URANIE. Eh ! mon Dieu ; c’est une
causeuse, qui ne dit pas ce qu’elle pense. Ne vous y fiez pas beaucoup, si vous
m’en voulez croire.
ÉLISE. Ah ! que vous êtes
méchante, de me vouloir rendre suspecte à Madame. Voyez un peu
où j’en serais, si elle allait croire ce que vous dites. Serais-je si
malheureuse, Madame, que vous eussiez de moi cette pensée ?
CLIMÈNE. Non, non, je ne m’arrête pas
à ses paroles, et je vous crois plus sincère, qu’elle ne dit.
ÉLISE. Ah ! que vous avez bien raison,
Madame ; et que vous me rendrez justice, quand vous croirez que je vous
trouve la plus engageante personne du monde ; que j’entre dans tous vos
sentiments, et suis charmée de toutes les expressions, qui sortent de
votre bouche !
CLIMÈNE. Hélas ! je parle sans
affectation.
ÉLISE. On le voit bien, Madame, et que tout
est naturel en vous. Vos paroles, le ton de votre voix, vos regards, vos pas, votre
action et votre ajustement, ont je ne sais quel air de qualité, qui
enchante les gens. Je vous étudie des yeux et des oreilles ; et je
suis si remplie de vous, que je tâche d’être votre singe, et de
vous contrefaire en tout.
CLIMÈNE. Vous vous moquez de moi, Madame.
ÉLISE. Pardonnez-moi, Madame. Qui voudrait
se moquer de vous ?
CLIMÈNE. Je ne suis pas un bon modèle,
Madame.
ÉLISE. Oh que si, Madame.
CLIMÈNE. Vous me flattez, Madame.
ÉLISE. Point du tout, Madame.
CLIMÈNE. Épargnez moi,
s’il vous plaît, Madame.
ÉLISE. Je vous épargne aussi,
Madame ; et je ne dis pas la moitié de ce que je pense, Madame.
CLIMÈNE. Ah mon Dieu ! brisons là,
de grâce : vous me jetteriez dans une confusion
épouvantable. (À Uranie.) Enfin nous
voilà deux contre vous, et l’opiniâtreté sied si mal aux
personnes spirituelles...
SCÈNE
IV
LE MARQUIS, CLIMÈNE, GALOPIN, URANIE,
ÉLISE.
GALOPIN. Arrêtez, s’il vous plaît,
Monsieur.
LE MARQUIS. Tu ne me connais pas, sans doute.
GALOPIN. Si fait, je vous connais ; mais
vous n’entrerez pas.
LE MARQUIS. Ah que de bruit, petit laquais !
GALOPIN. Cela n’est pas bien de vouloir entrer
malgré les gens.
LE MARQUIS. Je veux voir ta maîtresse.
GALOPIN. Elle n’y est pas, vous dis je.
LE MARQUIS. La voilà dans la chambre [14] .
GALOPIN. Il est vrai, la voilà ;
mais elle n’y est pas.
URANIE. Qu’est-ce donc qu’il y a
là ?
LE MARQUIS. C’est votre laquais, Madame, qui fait
le sot.
GALOPIN. Je lui dis que vous n’y êtes
pas, Madame, et il ne veut pas laisser d’entrer.
URANIE. Et pourquoi dire à Monsieur que
je n’y suis pas ?
GALOPIN. Vous me grondâtes l’autre jour,
de lui avoir dit que vous y étiez.
URANIE. Voyez cet insolent ! Je vous
prie, Monsieur, de ne pas croire ce qu’il dit : c’est un petit
écervelé, qui vous a pris pour un autre.
LE MARQUIS. Je l’ai bien vu, Madame, et sans
votre respect, je lui aurais appris à connaître les gens de
qualité.
ÉLISE. Ma cousine vous est fort
obligée de cette déférence.
URANIE. Un siège donc, impertinent.
GALOPIN. N’en voilà-t-il
pas un ?
URANIE. Approchez le [15] . Le
petit laquais pousse le siège rudement.
LE MARQUIS. Votre petit laquais, Madame, a du
mépris pour ma personne.
ÉLISE. Il aurait tort, sans doute.
LE MARQUIS. C’est peut-être que je paye
l’intérêt de ma mauvaise mine : hay, hay, hay, hay.
ÉLISE. L’âge le rendra plus
éclairé en honnêtes gens.
LE MARQUIS. Sur quoi en étiez-vous,
Mesdames, lorsque je vous ai interrompues ?
URANIE. Sur la comédie de L’École des femmes.
LE MARQUIS. Je ne fais que d’en sortir.
CLIMÈNE. Eh bien, Monsieur, comment la
trouvez-vous, s’il vous plaît ?
LE MARQUIS. Tout à fait impertinente.
CLIMÈNE. Ah que j’en suis ravie !
LE MARQUIS. C’est la plus méchante chose
du monde. Comment, diable ! à peine ai-je
pu trouver place. J’ai pensé être étouffé à
la porte ; et jamais on ne m’a tant marché sur les pieds. Voyez
comme mes canons, et mes rubans en sont ajustés, de grâce.
ÉLISE. Il est vrai que cela crie vengeance
contre L’École des femmes, et que vous la condamnez avec justice.
LE MARQUIS. Il ne s’est jamais fait, je pense,
une si méchante comédie.
URANIE. Ah ! voici Dorante que nous
attendions.
DORANTE, LE MARQUIS, CLIMÈNE, ÉLISE, URANIE.
DORANTE. Ne bougez, de grâce, et
n’interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière, qui depuis quatre
jours fait presque l’entretien de toutes les maisons de Paris ; et jamais
on n’a rien vu de si plaisant, que la diversité des jugements, qui se
font là-dessus. Car enfin, j’ai ouï condamner cette comédie à certaines gens, par les
mêmes choses, que j’ai vu d’autres estimer le plus.
URANIE. Voilà Monsieur le Marquis, qui en dit force mal.
LE MARQUIS. Il est vrai, je la trouve
détestable ; morbleu détestable du dernier
détestable ; ce qu’on appelle détestable.
DORANTE. Et moi, mon cher Marquis, je trouve le jugement détestable.
LE MARQUIS. Quoi Chevalier, est-ce que tu
prétends soutenir cette pièce ?
DORANTE. Oui je prétends la soutenir.
LE MARQUIS. Parbleu, je la garantis
détestable.
DORANTE. La caution n’est pas bourgeoise.
Mais, Marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est-elle ce que tu dis ?
LE MARQUIS. Pourquoi elle est
détestable ?
DORANTE. Oui.
LE MARQUIS. Elle est détestable, parce
qu’elle est détestable.
DORANTE. Après cela, il n’y a plus rien
à dire : voilà son procès fait. Mais encore instruis
nous, et nous dis les défauts qui y sont.
LE MARQUIS. Que sais-je moi ? je ne me suis
pas seulement donné la peine de l’écouter. Mais enfin je sais
bien que je n’ai jamais rien vu de si méchant, Dieu me damne [16] ;
et Dorilas, contre qui [17] j’étais
a été de mon avis.
DORANTE. L’autorité est belle, et te
voilà bien appuyé.
LE MARQUIS. Il ne faut que voir les continuels
éclats de rire que le parterre y fait : je ne veux point d’autre chose, pour témoigner
qu’elle ne vaut rien.
DORANTE. Tu es donc, Marquis, de ces messieurs du bel air, qui ne
veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui seraient fâchés d’avoir ri
avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde ? Je vis l’autre jour
sur le théâtre [18] un
de nos amis qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la pièce avec un
sérieux le plus sombre du monde : et tout ce qui égayait les
autres ridait son front. À tous les éclats de rire, il haussait les épaules, et
regardait le parterre en pitié ; et quelquefois
aussi le regardant avec dépit, il lui disait tout haut, « Ris
donc, parterre, ris donc [19] . »
Ce fut une seconde comédie, que le chagrin de notre ami ; il la
donna en galant homme à toute l’assemblée ; et chacun
demeura d’accord qu’on ne pouvait pas mieux jouer, qu’il fit. Apprends, Marquis, je te prie, et les autres aussi, que le
bon sens n’a point de place déterminée à la comédie ; que la différence du demi louis
d’or, et de la pièce de quinze sols, ne fait rien du tout au bon
goût ; que debout et assis [20] on
peut donner un mauvais jugement ; et qu’enfin, à le prendre en
général, je me fierais assez à l’approbation du parterre, par la raison qu’entre ceux qui le
composent, il y en a plusieurs qui sont capables de juger d’une pièce
selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon
d’en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n’avoir ni
prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni
délicatesse ridicule.
LE MARQUIS. Te voilà donc, Chevalier, le
défenseur du parterre ? Parbleu, je m’en réjouis, et je ne manquerai pas de
l’avertir, que tu es de ses amis. Hay, hay, hay, hay, hay, hay.
DORANTE. Ris tant que tu voudras ; je
suis pour le bon sens, et ne saurais souffrir les ébullitions de cerveau
de nos marquis de Mascarille. J’enrage de voir de ces gens qui se traduisent
en ridicules, malgré leur qualité ; de ces gens qui décident
toujours, et parlent hardiment de toutes choses, sans s’y
connaître ; qui dans une comédie se récrieront aux
méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui sont
bons ; qui voyant un tableau, ou écoutant un concert de musique,
blâment de même, et louent tout à contresens, prennent par
où ils peuvent les termes de l’art qu’ils attrapent, et ne manquent
jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. Eh ! morbleu,
Messieurs, taisez-vous, quand Dieu ne vous a pas donné la connaissance
d’une chose ; n’apprêtez point à rire à ceux qui vous entendent parler, et songez qu’en ne disant mot, on
croira peut-être que vous êtes d’habiles gens.
LE MARQUIS. Parbleu, Chevalier, tu le prends
là...
DORANTE. Mon Dieu Marquis ce n’est pas à toi que je
parle. C’est à une douzaine de messieurs qui déshonorent les gens
de cour par leurs manières extravagantes, et font croire parmi le
peuple que nous nous ressemblons tous. Pour moi je m’en veux justifier, le plus
qu’il me sera possible ; et je les dauberai tant, en toutes rencontres,
qu’à la fin ils se rendront sages.
LE MARQUIS. Dis-moi, un peu, Chevalier, crois-tu
que Lysandre ait de l’esprit ?
DORANTE. Oui, sans doute, et beaucoup.
URANIE. C’est une chose qu’on ne peut pas
nier.
LE MARQUIS. Demandez-lui ce qui lui semble de
L’École des femmes : vous verrez qu’il vous dira, qu’elle ne lui
plaît pas.
DORANTE. Eh mon Dieu ! il y en a beaucoup
que le trop d’esprit gâte ; qui voient mal les choses à force
de lumière ; et même qui seraient bien fâchés
d’être de l’avis des autres, pour avoir la gloire de décider.
URANIE. Il est vrai ; notre ami est de
ces gens-là, sans doute. Il veut être le premier de son opinion,
et qu’on attende par respect son jugement. Toute approbation qui marche avant
la sienne est un attentat sur ses lumières, dont il se venge hautement
en prenant le contraire parti. Il veut qu’on le consulte sur toutes les
affaires d’esprit ; et je suis sûre que si l’auteur lui eût montré sa comédie, avant que de la faire voir au public, il l’eût trouvée la plus
belle du monde.
LE MARQUIS. Et que direz-vous de la marquise Araminte, qui la publie partout pour
épouvantable, et dit qu’elle n’a pu jamais souffrir les ordures dont
elle est pleine ?
DORANTE. Je dirai que cela est digne du caractère qu’elle a pris ; et qu’il y a
des personnes, qui se rendent ridicules, pour vouloir avoir trop d’honneur. Bien qu’elle ait de l’esprit, elle a
suivi le mauvais exemple de celles, qui étant sur le retour de
l’âge, veulent remplacer de quelque chose ce qu’elles voient qu’elles
perdent ; et prétendent que les grimaces d’une pruderie scrupuleuse,
leur tiendront lieu de jeunesse et de beauté. Celle-ci pousse l’affaire
plus avant qu’aucune, et l’habileté de son scrupule découvre des
saletés, où jamais personne n’en avait vu. On tient qu’il va, ce
scrupule, jusques à défigurer notre langue, et qu’il n’y a point
presque de mots, dont la sévérité de cette dame ne veuille
retrancher ou la tête, ou la queue, pour les syllabes
déshonnêtes qu’elle y trouve.
URANIE. Vous êtes bien fou, Chevalier.
LE MARQUIS. Enfin, Chevalier, tu crois
défendre ta comédie, en faisant la satire de ceux qui la
condamnent.
DORANTE. Non pas ; mais je tiens que
cette dame se scandalise à tort...
ÉLISE. Tout beau, Monsieur le
Chevalier : il pourrait y en avoir d’autres qu’elle [21] ,
qui seraient dans les mêmes sentiments.
DORANTE. Je sais bien que ce n’est pas vous,
au moins ; et que lorsque vous avez vu cette représentation...
ÉLISE. Il est vrai, mais j’ai changé
d’avis, et Madame sait appuyer le sien, par des raisons si convaincantes,
qu’elle m’a entraînée de son côté.
DORANTE. Ah ! Madame, je vous demande
pardon ; et si vous le voulez, je me dédirai, pour l’amour de vous,
de tout ce que j’ai dit.
CLIMÈNE. Je ne veux pas que ce soit pour
l’amour de moi ; mais pour l’amour de la raison : car enfin cette
pièce, à le bien prendre, est tout à fait
indéfendable ; et je ne conçois pas...
URANIE. Ah ! voici l’auteur, Monsieur Lysidas : il vient tout
à propos, pour cette matière. Monsieur Lysidas ; prenez un
siège vous-même, et vous mettez là.
LYSIDAS, DORANTE,
LE MARQUIS, ÉLISE, URANIE, CLIMÈNE.
LYSIDAS. Madame ; je viens un peu
tard ; mais il m’a fallu lire ma pièce chez Madame la Marquise, dont je vous avais parlé ;
et les louanges, qui lui ont été données, m’ont retenu une
heure, plus que je ne croyais.
ÉLISE. C’est un grand charme que les
louanges pour arrêter un auteur.
URANIE. Asseyez-vous donc, Monsieur
Lysidas ; nous lirons votre pièce après souper.
LYSIDAS. Tous ceux qui étaient
là, doivent venir à sa première représentation, et
m’ont promis de faire leur devoir comme il faut.
URANIE. Je le crois : mais, encore une
fois asseyez-vous, s’il vous plaît : nous sommes ici sur une
matière que je serai bien aise que nous poussions.
LYSIDAS. Je pense Madame, que vous retiendrez
aussi une loge pour ce jour-là.
URANIE. Nous verrons. Poursuivons de
grâce notre discours.
LYSIDAS. Je vous donne avis, Madame, qu’elles
sont presque toutes retenues.
URANIE. Voilà qui est bien. Enfin
j’avais besoin de vous, lorsque vous êtes venu, et tout le monde
était ici contre moi.
ÉLISE. Il s’est mis d’abord de votre
côté, mais maintenant qu’il sait que Madame est à la
tête du parti contraire, je pense que vous n’avez qu’à chercher un
autre secours.
CLIMÈNE. Non, non, je ne voudrais pas qu’il
fît mal sa cour auprès de Madame votre cousine, et je permets à son
esprit d’être du parti de son cœur.
DORANTE. Avec cette permission, Madame, je
prendrai la hardiesse de me défendre.
URANIE. Mais auparavant sachons un peu les
sentiments [22] de
Monsieur Lysidas.
LYSIDAS. Sur quoi, Madame ?
URANIE. Sur le sujet de L’École des femmes.
LYSIDAS. Ha, ha.
DORANTE. Que vous en semble.
LYSIDAS. Je n’ai rien à dire là-dessus ;
et vous savez qu’entre nous autres auteurs, nous devons parler des ouvrages les uns des autres, avec beaucoup de
circonspection.
DORANTE. Mais encore, entre nous, que pensez-vous
de cette comédie ?
LYSIDAS. Moi, Monsieur ?
URANIE. De bonne foi, dites-nous votre avis.
LYSIDAS. Je la trouve fort belle.
DORANTE. Assurément ?
LYSIDAS. Assurément ; pourquoi
non ? N’est-elle pas en effet la plus belle du monde ?
DORANTE. Hom, hom, vous êtes un
méchant diable, Monsieur Lysidas ; vous ne dites pas ce que vous
pensez.
LYSIDAS. Pardonnez-moi.
DORANTE. Mon Dieu, je vous connais ; ne
dissimulons point.
LYSIDAS. Moi Monsieur ?
DORANTE. Je vois bien que le bien que vous
dites de cette pièce n’est que par honnêteté ; et que dans le fond du cœur,
vous êtes de l’avis de beaucoup de gens, qui la trouvent mauvaise.
LYSIDAS. Hay, hay, hay.
DORANTE. Avouez, ma foi, que c’est une
méchante chose que cette comédie.
LYSIDAS. Il est vrai qu’elle n’est pas
approuvée par les connaisseurs.
LE MARQUIS. Ma foi, Chevalier, tu en tiens, et te
voilà payé de ta raillerie, ah, ah, ah, ah, ah.
DORANTE. Pousse, mon cher Marquis, pousse.
LE MARQUIS. Tu vois que nous avons les savants de
notre côté.
DORANTE. Il est vrai, le jugement de Monsieur
Lysidas est quelque chose de considérable ; mais Monsieur Lysidas
veut bien que je ne me rende pas pour cela. Et puisque j’ai bien l’audace de me
défendre contre les sentiments de Madame, il ne trouvera pas mauvais que
je combatte les siens.
ÉLISE. Quoi vous voyez contre vous Madame,
Monsieur le Marquis, et Monsieur Lysidas, et vous osez résister encore ? Fi que
cela est de mauvaise grâce !
CLIMÈNE. Voilà qui me confond, pour
moi, que des personnes raisonnables se puissent mettre en tête de donner
protection aux sottises de cette pièce !
LE MARQUIS. Dieu me damne, Madame, elle est
misérable depuis le commencement jusqu’à la fin.
DORANTE. Cela est bientôt dit, Marquis ; il n’est rien plus aisé que
de trancher ainsi, et je ne vois aucune chose, qui puisse être à
couvert de la souveraineté de tes décisions.
LE MARQUIS. Parbleu, tous les autres comédiens qui étaient là pour la
voir, en ont dit tous les maux du monde.
DORANTE. Ah ! je ne dis plus mot, tu as
raison, Marquis ; puisque les autres comédiens en disent du mal, il faut les en croire
assurément. Ce sont tous gens éclairés, et qui parlent
sans intérêt, il n’y a plus rien à dire, je me rends.
CLIMÈNE. Rendez-vous, ou ne vous rendez pas,
je sais fort bien que vous ne me persuaderez point de
souffrir les immodesties de cette pièce ; non plus que les satires
désobligeantes qu’on y voit contre les femmes.
URANIE. Pour moi, je me garderai bien de m’en
offenser, et de prendre rien sur mon compte de tout ce qui s’y dit. Ces sortes
de satires tombent directement sur les mœurs, et ne frappent les personnes
que par réflexion. N’allons point nous appliquer nous-mêmes [23] les
traits d’une censure générale ; et profitons [24] de
la leçon, si nous pouvons, sans faire semblant qu’on parle à
nous. Toutes les peintures ridicules qu’on expose sur les théâtres doivent être
regardées sans chagrin de tout le monde. Ce sont miroirs publics où il ne faut jamais
témoigner qu’on se voie ; et c’est se taxer hautement d’un
défaut, que se scandaliser qu’on le reprenne.
CLIMÈNE. Pour moi je ne parle pas de ces
choses, par la part que j’y puisse avoir ; et je pense que je vis d’un air
dans le monde, à ne pas craindre d’être cherchée dans les
peintures qu’on fait là des femmes qui se gouvernent mal.
ÉLISE. Assurément, Madame, on ne vous
y cherchera point ; votre conduite est assez connue ; et ce sont de
ces sortes de choses qui ne sont contestées de personne.
URANIE. Aussi, Madame, n’ai-je rien dit qui
aille à vous ; et mes paroles, comme les satires de la comédie, demeurent dans la thèse
générale.
CLIMÈNE. Je n’en doute pas, Madame. Mais enfin
passons sur ce chapitre. Je ne sais pas de quelle façon vous recevez les
injures qu’on dit à notre sexe dans un certain endroit de la
pièce ; et pour moi je vous avoue que je suis dans une
colère épouvantable, de voir que cet auteur impertinent nous appelle des
animaux [25] .
URANIE. Ne voyez-vous pas que c’est un ridicule qu’il fait parler ?
DORANTE. Et puis, Madame, ne savez-vous pas
que les injures des amants n’offensent jamais ? qu’il est des amours emportés
aussi bien que des doucereux ? et qu’en de pareilles occasions les paroles
les plus étranges, et quelque chose de pis encore, se prennent bien
souvent pour des marques d’affection par celles mêmes qui les
reçoivent ?
ÉLISE. Dites tout ce que vous voudrez, je ne
saurais digérer cela, non plus que le potage [26] et
la tarte à la crème, dont Madame a parlé tantôt.
LE MARQUIS. Ah ! ma foi oui, tarte à
la crème. Voilà ce que j’avais remarqué
tantôt ; tarte à la crème. Que je vous suis obligé, Madame, de m’avoir fait souvenir de
tarte à la crème. Y a-t-il assez de pommes en Normandie pour
tarte à la crème ? Tarte à la crème, morbleu,
Tarte à la crème !
DORANTE. Eh bien que veux-tu dire, tarte
à la crème ?
LE MARQUIS. Parbleu, tarte à la
crème, Chevalier.
DORANTE. Mais encore ?
LE MARQUIS. Tarte à la crème.
DORANTE. Dis-nous un peu tes raisons.
LE MARQUIS. Tarte à la crème.
URANIE. Mais il faut expliquer sa
pensée, ce me semble.
LE MARQUIS. Tarte à la crème,
Madame.
URANIE. Que trouvez-vous là à
redire ?
LE MARQUIS. Moi, rien ; tarte à la
crème !
URANIE. Ah ! je le quitte [27] .
ÉLISE. Monsieur le Marquis s’y prend bien, et vous bourre [28] de
la belle manière. Mais je voudrais bien que Monsieur Lysidas
voulût les achever, et leur donner quelques petits coups de sa
façon.
LYSIDAS. Ce n’est pas ma coutume de rien
blâmer, et je suis assez indulgent pour les ouvrages des autres. Mais
enfin, sans choquer l’amitié que Monsieur le Chevalier témoigne
pour l’auteur, on m’avouera que ces sortes de comédies ne sont pas proprement des comédies [29] ,
et qu’il y a une grande différence de toutes ces bagatelles, à la
beauté des pièces sérieuses. Cependant tout le monde donne
là-dedans aujourd’hui ; on ne court plus qu’à cela, et l’on voit une solitude effroyable aux grands
ouvrages, lorsque des sottises ont tout Paris. Je vous avoue que le cœur
m’en saigne quelquefois, et cela est honteux pour la France.
CLIMÈNE. Il est vrai que le goût des
gens est étrangement gâté là-dessus, et que le
siècle s’encanaille furieusement.
ÉLISE. Celui-là est joli encore,
s’encanaille. Est-ce vous qui l’avez inventé, Madame ?
CLIMÈNE. Hé !
ÉLISE. Je m’en suis bien doutée.
DORANTE. Vous croyez donc, Monsieur Lysidas,
que tout l’esprit et toute la beauté sont dans les poèmes
sérieux, et que les pièces comiques sont des niaiseries qui ne méritent aucune louange ?
URANIE. Ce n’est pas mon sentiment, pour moi.
La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau
quand elle est bien touchée ; mais la comédie a ses charmes, et je tiens que l’une
n’est pas moins difficile à faire que l’autre [30] .
DORANTE. Assurément, Madame, et quand,
pour la difficulté, vous mettriez un plus du côté de
la comédie, peut-être que vous ne vous
abuseriez pas. Car enfin, je trouve qu’il est bien plus aisé de se
guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la Fortune, accuser les
Destins, et dire des injures aux dieux, que d’entrer comme il faut dans
le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le
théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez
des héros, vous faites ce que vous voulez ; ce sont des portraits à plaisir, où l’on ne
cherche point de ressemblance ; et vous n’avez qu’à suivre les
traits d’une imagination qui se donne l’essor, et qui souvent
laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les
hommes, il faut peindre d’après nature ; on veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait si vous n’y faites
reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les
pièces sérieuses, il suffit, pour n’être point
blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens, et bien
écrites : mais ce n’est pas assez dans les autres ; il y faut
plaisanter ; et c’est une étrange entreprise que celle de
faire rire les honnêtes gens.
CLIMÈNE. Je crois être du nombre des
honnêtes gens, et cependant je n’ai pas trouvé le mot pour rire dans tout ce que j’ai vu.
LE MARQUIS. Ma foi, ni moi non plus.
DORANTE. Pour toi, Marquis, je ne m’en étonne pas ; c’est
que tu n’y as point trouvé de turlupinades.
LYSIDAS. Ma foi, Monsieur, ce qu’on y
rencontre ne vaut guère mieux, et toutes les plaisanteries y sont assez
froides, à mon avis.
DORANTE. La cour n’a pas trouvé cela.
LYSIDAS. Ah ! Monsieur, la cour.
DORANTE. Achevez, Monsieur Lysidas. Je vois
bien que vous voulez dire que la cour ne se connaît pas à ces choses ; et c’est le refuge
ordinaire de vous autres messieurs les auteurs, dans le mauvais succès de vos ouvrages, que d’accuser l’injustice
du siècle, et le peu de lumière des courtisans. Sachez, s’il vous plaît,
Monsieur Lysidas, que les courtisans ont d’aussi bons yeux que d’autres ; qu’on peut être
habile avec un point de Venise, et des plumes, aussi bien qu’avec une
perruque courte, et un petit rabat uni : que la grande épreuve de toutes
vos comédies, c’est le jugement de la cour ; que c’est son goût qu’il faut
étudier pour trouver l’art de réussir ; qu’il n’y a point de
lieu où les décisions soient si justes ; et sans mettre en
ligne de compte tous les gens savants qui y sont, que du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on
s’y fait une manière d’esprit, qui, sans comparaison, juge plus finement
des choses, que tout le savoir enrouillé des pédants.
URANIE. Il est vrai que pour peu qu’on y
demeure, il vous passe là tous les jours assez de choses devant les
yeux, pour acquérir quelque habitude de les connaître, et surtout
pour ce qui est de la bonne et mauvaise plaisanterie.
DORANTE. La cour a quelques ridicules, j’en demeure d’accord, et je suis, comme
on voit, le premier à les fronder. Mais, ma foi, il y en a un grand
nombre parmi les beaux esprits de profession ; et si l’on joue
quelques marquis, je trouve qu’il y a bien plus de quoi jouer les auteurs, et que ce serait une chose plaisante
à mettre sur le théâtre, que leurs grimaces savantes, et
leurs raffinements ridicules ; leur vicieuse coutume d’assassiner les gens de leurs
ouvrages ; leur friandise de louanges ; leurs ménagements de
pensées [31] ;
leur trafic de réputation ; et leurs ligues offensives et
défensives ; aussi bien que leurs guerres d’esprit, et leurs
combats de prose, et de vers.
LYSIDAS. Molière est bien heureux,
Monsieur, d’avoir un protecteur aussi chaud que vous. Mais enfin, pour venir au
fait, il est question de savoir si sa pièce est bonne, et je m’offre d’y
montrer partout cent défauts visibles.
URANIE. C’est une étrange chose de
vous autres messieurs les poètes, que vous condamniez toujours les
pièces où tout le monde court, et ne disiez jamais du bien que de celles où personne ne va. Vous
montrez pour les unes une haine invincible, et pour les autres une tendresse
qui n’est pas concevable.
DORANTE. C’est qu’il est
généreux de se ranger du côté des affligés.
URANIE. Mais de grâce, Monsieur
Lysidas, faites-nous voir ces défauts, dont je ne me suis point
aperçue.
LYSIDAS. Ceux qui possèdent Aristote et
Horace voient d’abord, Madame, que cette comédie pèche contre toutes les
règles de l’art.
URANIE. Je vous avoue que je n’ai aucune
habitude avec ces messieurs-là, et que je ne sais point les
règles de l’art.
DORANTE. Vous êtes de plaisantes gens
avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez
tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces
règles de l’art soient les plus grands mystères du monde, et
cependant ce ne sont que quelques observations aisées que le bon sens a
faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l’on prend à ces sortes
de poèmes ; et le même bon sens qui a fait autrefois ces
observations, les fait aisément tous les jours, sans le secours d’Horace et d’Aristote. Je voudrais bien
savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de
plaire ; et si une pièce de théâtre qui a
attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public s’abuse sur ces sortes de choses, et
que chacun n’y soit pas juge du plaisir qu’il y prend [32] ?
URANIE. J’ai remarqué une chose de ces
messieurs-là ; c’est que ceux qui parlent le plus des
règles, et qui les savent mieux que les autres, font des comédies que personne ne trouve belles.
DORANTE. Et c’est ce qui marque, Madame, comme
on doit s’arrêter peu à leurs disputes embarrassées [33] .
Car enfin, si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent
pas, et que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il
faudrait de nécessité que les règles eussent
été mal faites. Moquons-nous donc de cette chicane où ils
veulent assujettir le goût du public, et ne consultons dans une comédie que l’effet qu’elle fait sur nous. Laissons-nous
aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne
cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d’avoir du plaisir.
URANIE. Pour moi, quand je vois une comédie, je regarde seulement si les choses me
touchent, et lorsque je m’y suis bien divertie, je ne vais point demander si
j’ai eu tort, et si les règles d’Aristote me défendaient de rire.
DORANTE. C’est justement comme un homme qui
aurait trouvé une sauce, excellente, et qui voudrait examiner si elle
est bonne, sur les préceptes du Cuisinier français [34] .
URANIE. Il est vrai ; et j’admire les
raffinements de certaines gens, sur des choses que nous devons sentir par nous-mêmes [35] .
DORANTE. Vous avez raison Madame, de les
trouver étranges tous ces raffinements mystérieux. Car enfin,
s’ils ont lieu, nous voilà réduits à ne nous plus
croire ; nos propres sens seront esclaves en toutes choses ; et
jusques au manger et au boire, nous n’oserons plus trouver rien de bon, sans le
congé de messieurs les experts.
LYSIDAS. Enfin, Monsieur, toute votre raison,
c’est que L’École des femmes a plu ; et vous ne vous souciez point
qu’elle soit dans les règles pourvu...
DORANTE. Tout beau, Monsieur Lysidas, je ne
vous accorde pas cela. Je dis bien que le grand art est de plaire, et que cette comédie ayant plu à ceux pour qui elle
est faite, je trouve que c’est assez pour elle, et qu’elle doit peu se soucier
du reste. Mais avec cela, je soutiens qu’elle ne pèche contre aucune des
règles dont vous parlez. Je les ai lues, Dieu merci, autant qu’un autre,
et je ferais voir aisément que peut-être, n’avons-nous point de
pièce au théâtre plus régulière que celle-là.
ÉLISE. Courage, Monsieur Lysidas, nous sommes perdus si vous reculez.
LYSIDAS. Quoi, Monsieur, la protase,
l’épitase, et la péripétie ?...
DORANTE. Ah ! Monsieur Lysidas, vous nous
assommez avec vos grands mots. Ne paraissez point si savant, de
grâce ; humanisez votre discours, et parlez pour être entendu. Pensez-vous qu’un nom grec donne plus
de poids à vos raisons ? Et ne trouveriez-vous pas qu’il fût
aussi beau de dire, l’exposition du sujet, que la protase ; le nœud,
que l’épitase ; et le dénouement, que la
péripétie ?
LYSIDAS. Ce sont termes de l’art dont il est
permis de se servir. Mais puisque ces mots blessent vos oreilles, je
m’expliquerai d’une autre façon, et je vous prie de répondre
positivement [36] à
trois ou quatre choses que je vais dire. Peuton souffrir une pièce qui
pèche contre le nom propre des pièces de
théâtre ? Car enfin le nom de poème dramatique vient
d’un mot grec, qui signifie agir, pour montrer que la nature de ce poème consiste dans
l’action ; et dans cette comédie ci il ne se passe point
d’actions, et tout consiste en des récits que vient faire ou
Agnès ou Horace.
LE MARQUIS. Ah, ah, Chevalier.
CLIMÈNE. Voilà qui est spirituellement
remarqué, et c’est prendre le fin des choses.
LYSIDAS. Est-il rien
de si peu spirituel, ou, pour mieux dire, rien de si bas, que quelques mots
où tout le monde rit, et surtout celui des enfants par l’oreille ?
CLIMÈNE. Fort bien.
ÉLISE. Ah !
LYSIDAS. La scène du valet et de la servante au dedans
de la maison, n’est-elle pas d’une longueur ennuyeuse, et tout à fait
impertinente ?
LE MARQUIS. Cela est vrai.
CLIMÈNE. Assurément.
ÉLISE. Il a raison.
LYSIDAS. Arnolphe ne donne-t-il pas trop
librement son argent à Horace ; et puisque c’est le personnage ridicule de la pièce, fallait-il lui faire faire l’action d’un
honnête homme ?
LE MARQUIS. Bon, la remarque est encore bonne.
CLIMÈNE. Admirable.
ÉLISE. Merveilleuse.
LYSIDAS. Le sermon, et les Maximes ne sont-elles
pas des choses ridicules, et qui choquent, même, le respect que l’on doit à nos
mystères [37] ?
LE MARQUIS. C’est bien dit.
CLIMÈNE. Voilà parlé comme il
faut.
ÉLISE. Il ne se peut rien de mieux.
LYSIDAS. Et ce Monsieur de la Souche, enfin,
qu’on nous fait un homme d’esprit, et qui paraît si sérieux en
tant d’endroits, ne descend-il point dans quelque chose de trop comique, et de trop outré au
cinquième acte, lorsqu’il explique à Agnès la violence de
son amour avec ces roulements d’yeux extravagants, ces soupirs ridicules, et ces larmes niaises qui font rire tout le monde ?
LE MARQUIS. Morbleu, merveille !
CLIMÈNE. Miracle !
ÉLISE. Vivat, Monsieur Lysidas.
LYSIDAS. Je laisse cent mille autres choses de
peur d’être ennuyeux.
LE MARQUIS. Parbleu, Chevalier, te voilà
mal ajusté.
DORANTE. Il faut voir.
LE MARQUIS. Tu as trouvé ton homme, ma
foi.
DORANTE. Peut-être.
LE MARQUIS. Réponds, réponds,
réponds, réponds.
DORANTE. Volontiers. Il...
LE MARQUIS. Réponds donc, je te prie.
DORANTE. Laisse-moi donc faire. Si...
LE MARQUIS. Parbleu, je te défie de
répondre.
DORANTE. Oui, si tu parles toujours.
CLIMÈNE. De grâce écoutons ses
raisons.
DORANTE. Premièrement, il n’est pas
vrai de dire que toute la pièce n’est qu’en récits. On y voit
beaucoup d’actions qui se passent sur la scène ; et les récits eux-mêmes
y sont des actions suivant la constitution du sujet, d’autant qu’ils sont tous
faits innocemment, ces récits, à la personne
intéressée, qui par là entre
à tous coups dans une confusion à réjouir les spectateurs,
et prend à chaque nouvelle toutes les mesures qu’il peut pour se parer
du malheur qu’il craint.
URANIE. Pour moi, je trouve que la
beauté du sujet de L’École des femmes consiste dans cette
confidence perpétuelle ; et ce qui me paraît assez plaisant,
c’est qu’un homme qui a de l’esprit et qui est averti de tout par une innocente
qui est sa maîtresse et par un étourdi qui est son rival, ne
puisse avec cela éviter ce qui lui arrive.
LE MARQUIS. Bagatelle, bagatelle.
CLIMÈNE. Faible réponse.
ÉLISE. Mauvaises raisons.
DORANTE. Pour ce qui est des enfants par l’oreille, ils ne sont plaisants
que par réflexion à Arnolphe [38] ;
et l’auteur n’a pas mis cela pour être de
soi un bon mot : mais seulement pour une chose qui caractérise l’homme,
et peint d’autant mieux son extravagance, puisqu’il rapporte une sottise
triviale qu’a dite Agnès, comme la chose la plus belle du monde et qui
lui donne une joie inconcevable.
LE MARQUIS. C’est mal répondre.
CLIMÈNE. Cela ne satisfait point.
ÉLISE. C’est ne rien dire.
DORANTE. Quant à l’argent qu’il donne
librement, outre que la lettre de son meilleur ami lui est une caution
suffisante, il n’est pas incompatible qu’une personne soit ridicule en de certaines choses, et
honnête homme en d’autres. Et pour la scène d’Alain et de Georgette dans le
logis, que quelques-uns ont trouvée longue et froide, il est certain
qu’elle n’est pas sans raison ; et de même qu’Arnolphe se trouve
attrapé pendant son voyage, par la pure innocence de sa maîtresse,
il demeure au retour longtemps à sa porte par l’innocence de ses valets,
afin qu’il soit partout puni par les choses qu’il a cru faire [39] la
sûreté de ses précautions.
LE MARQUIS. Voilà des raisons qui ne
valent rien.
CLIMÈNE. Tout cela ne fait que blanchir [40] .
ÉLISE. Cela fait pitié.
DORANTE. Pour le discours moral que vous appelez un sermon, il est
certain que de vrais dévots qui l’ont ouï n’ont pas trouvé
qu’il choquât ce que vous dites ; et sans doute que ces paroles
d’enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées par
l’extravagance d’Arnolphe et par l’innocence de celle à qui il parle. Et
quant au transport amoureux du cinquième acte qu’on accuse d’être
trop outré et trop comique, je voudrais bien savoir si ce n’est pas faire la satire des amants, et si
les honnêtes gens même, et les plus sérieux, en de pareilles
occasions, ne font pas des choses ?...
LE MARQUIS. Ma foi, Chevalier, tu ferais mieux de
te taire.
DORANTE. Fort bien. Mais enfin si nous nous
regardions nous-mêmes, quand nous sommes bien amoureux ?...
LE MARQUIS. Je ne veux pas seulement
t’écouter.
DORANTE. Écoute-moi si tu veux. Est-ce
que dans la violence de la passion ?...
LE MARQUIS. La, la, la, la, lare, la, la, la, la,
la, la. Il chante.
DORANTE. Quoi ?...
LE MARQUIS. La, la, la, la, lare, la, la, la, la,
la, la.
DORANTE. Je ne sais pas si ?...
LE MARQUIS. La, la, la, la, lare, la, la, la, la,
la, la, la.
URANIE. Il me semble que...
LE MARQUIS. La, la, la, lare, la, la, la, la, la,
la, la, la, la, la.
URANIE. Il se passe des choses assez
plaisantes dans notre dispute. Je trouve qu’on en pourrait bien faire une
petite comédie, et que cela ne serait pas trop mal
à la queue de L’École des femmes.
DORANTE. Vous avez raison.
LE MARQUIS. Parbleu, Chevalier, tu jouerais là-dedans
un rôle qui ne te serait pas avantageux.
DORANTE. Il est vrai, Marquis.
CLIMÈNE. Pour moi, je souhaiterais que cela se
fît, pourvu qu’on traitât l’affaire comme elle s’est passée.
ÉLISE. Et moi je fournirais de bon cœur
mon personnage.
LYSIDAS. Je ne refuserais pas le mien, que je
pense.
URANIE. Puisque chacun en serait content,
Chevalier, faites un mémoire de tout, et le donnez à
Molière que vous connaissez, pour le mettre en comédie.
CLIMÈNE. Il n’aurait garde, sans doute, et ce
ne serait pas des vers à sa louange.
URANIE. Point, point ; je connais son
humeur ; il ne se soucie pas qu’on fronde ses pièces, pourvu qu’il
y vienne du monde.
DORANTE. Oui ; mais quel
dénouement pourrait-il trouver à ceci ? Car il ne saurait y
avoir ni mariage, ni reconnaissance ; et je ne sais point par où l’on pourrait
faire finir la dispute.
URANIE. Il faudrait rêver quelque
incident pour cela.
GALOPIN, LYSIDAS,
DORANTE, LE MARQUIS, CLIMÈNE, ÉLISE, URANIE.
GALOPIN. Madame, on a servi sur table.
DORANTE. Ah ! voilà justement ce
qu’il faut pour le dénouement que nous cherchions, et l’on ne peut rien
trouver de plus naturel. On disputera fort et ferme de part et d’autre, comme nous avons fait,
sans que personne se rende ; un petit laquais viendra dire qu’on a
servi ; on se lèvera, et chacun ira souper.
URANIE. La comédie ne peut pas mieux finir, et nous
ferons bien d’en demeurer là.
[1] L’après-dînée : l’après-midi. Le dîner correspond, au XVIIe siècle, à notre déjeuner.
[2] Turlupinades : à peu près ou calembours. Turlupin était l’un des trois farceurs de l’Hôtel de Bourgogne durant le premiers tiers du XVIIe siècle, avec Gaultier-Garguille et Gros-Guillaume, et il pouvait passer pour le spécialiste de ce genre de plaisanteries. Les Turlupins, ses imitateurs, étaient les amateurs de turlupinades.
[3] Les guillemets sont ajoutés par nous.
[4] Bonneuil-sur-Marne, près de
Charenton.
[5] VAR. Vous vous plaignez d’être seule, aussi (1682).
[6] VAR. depuis les pieds jusques à la tête (1682)
[7] Défrayer quelqu’un, c’est payer sa dépense ; "Se dit figurément des gens ridicules qui se trouvent aux tables ou dans les compagnies et qui apprêtent à rire aux autres. Ce mauvais poète a défrayé la compagnie pendant tout le repas, toute la soirée" (Dictionnaire de Furetière, 1690).
[8] VAR.
Et je l’ai rapporté du Palais-Royal. (1663).
[9] Rompre
en visière :
« rompre sa lance dans la visière de son adversaire, et,
figurément attaquer, contredire quelqu’un en face, brusquement. »
(Littré).
[10] Cf.
resp., v. 161-164, 99 et 430-439 de L’École des femmes.
[11] VAR. Eh ! que trouvez-vous là de sale ? (1682).
[12] Voir L’École des femmes, acte II sc. 5, à partir du vers 571.
[13] Vers 1660, l’adjectif obscène existait depuis un siècle déjà, mais le substantif obscénité était encore un néologisme.
[14] VAR. La voilà dans sa chambre (1682).
[15] VAR. Approche-le (1682).
[16] VAR. Dieu me sauve (1682).
[17] Contre qui : à côté de qui.
[18] Sur le théâtre : sur la scène même.
[19] Les guillemets sont ajoutés par nous.
[20] VAR. que debout ou assis l’on peut (1682).
[21] Le texte porte « qu’elles » ; il s’agit manifestement d’une erreur.
[22] VAR. Sachons un peu les sentiments (1663).
[23] VAR. N’allons point nous appliquer à nous-mêmes (1682).
[24] VAR. les traits d’une censure générale ; profitons (1682).
[25] Voir L’École des femmes, V, 4, v. 1579.
[26] Il n’y a pas d’italiques dans ce passage du texte ; nous les y introduisons.
[27] Je le quitte : je quitte la partie, j’y renonce.
[28] Bourrer : frapper (terme d’escrime).
[29] Le mot comédie est ici à prendre dans le sens très général de pièce de théâtre, encore bien vivant au XVIIe siècle.
[30] VAR. la comédie a ses charmes, et je tiens que l’une n’est pas moins difficile que l’autre (1682).
[31] Leurs ménagements de pensées : les atténuations prudentes apportées dans les jugements qu’ils formulent sur les ouvrages des autres.
[32] VAR. et que
chacun ne soit pas juge du plaisir qu’il y prend (1682).
[33] VAR. leurs disputes embarrassantes (1682).
[34] Le Cuisinier français, par le sieur de la Varenne, avait paru pour la première fois en 1651 et fut souvent réimprimé.
[35] VAR. sur des choses que nous devons sentir nous-mêmes (1682).
[36] Positivement : d’une manière précise.
[37] L’accusation sera formulée noir sur blanc en 1663 par Donne au de Visé dans Zélinde (sc. 3) : « Je ne dirai point que le sermon qu’Arnolphe fait à Agnès et que les dix maximes du mariage choquent nos mystères, puisque tout le monde en murmure hautement... »
[38] Que par réflexion à Arnolphe : que par ricochet, relativement à Arnolphe.
[39] VAR. par les choses dont il a cru faire (1682).
[40] Tout cela ne fait que blanchir : « Blanchir se dit des coups de canon qui ne font qu’effleurer une muraille et y laissent une marque blanche » (Dictionnaire de Furetière, 1690). Au figuré, se dit d’un argument ou d’une idée sans valeur démonstrative.