UN BEAU SALAUD
de Pierre CHESNOT
Editions ART ET COMEDIE
3 rue de Marivaux
75002 PARIS
PERSONNAGES
- FRANÇOIS DUMOULIN
- CATHERINE DUMOULIN : Sa femme
- BETTY : Son ex-femme
- BARBARA : Maîtresse de François
- MARIE-PIERRE : Petite amie de
François
- PAUL ROUGEMONT : Ami de François
- EVELYNE ROUGEMONT : Sa femme
DECOR
Nous sommes dans
l’appartement très confortable des Dumoulin.
C’est un appartement au
rez-de-chaussée d’un très bel immeuble à Neuilly.
Dans le fond du décor
deux grandes portes vitrées donnent sur une terrasse jardin (ou sur une
salle à manger).
Côté cour une
amorce de couloir par lequel on accède au bureau de François et
à d’autres pièces.
Côté cour
à l’avant scène une porte qui se trouve
être la chambre de Catherine et François.
Côté jardin on
retrouve le même départ de couloir et à côté
une porte qui mène à la cuisine.
A l’avant-scène côté jardin une porte qui donne sur un
vestibule.
Le tout est meublé
avec beaucoup de goût et d’argent.
Comme François est
architecte de Bateau de plaisance, on peut retrouver des maquettes ou des
gravures aux murs de voiliers.
ACTE I
Dès le troisième coup frappé, le rideau s’ouvre sur le
décor. Entrant par un des côtés de la scène,
François Dumoulin s’avance jusqu’à la rampe et s’adresse
directement au public.
FRANÇOIS - Bonsoir ; je me présente, François Dumoulin… oui c’est
moi.
Je sais qu’il est inhabituel qu’un des
personnages de la pièce vienne ainsi à l’avant-scène
parler directement au public… mais j’y suis obligé, car tout à
l’heure, pris par les événements, je n’aurai plus le temps de
m’expliquer… et avant que vous ne portiez sur moi un jugement, je veux que vous
connaissiez toutes les pièces du dossier.
Remarquez bien, je ne viens pas demander une
quelconque indulgence, car c’est vrai, je le reconnais, il n’y a pas de quoi
être fier de ce que je m’apprête à faire.
Voilà !…
Il baisse le ton.
…je suis sur le point de quitter ma femme.
Oui, ma valise est prête, j’ai mon billet d’avion, et demain à la
même heure je serai à Tagalooma, une
île paradisiaque en Australie, où une nouvelle vie m’attend.
Non ! bien sûr que non ! je ne pars pas seul ! On ne quitte pas tout, à
mon âge, pour se retrouver célibataire.
Non ; je pars avec une adorable jeune
personne, avec laquelle je vis depuis un an une passion folle. Elle s’appelle
Marie-Pierre Desnouettes et elle a vingt-sept ans…
Oui, je sais, ce n’est pas raisonnable.
Non, ma femme ne sait rien. Pourtant, je vous
jure que j’ai essayé plus de vingt fois.
- Catherine ! Catherine,
écoute-moi, j’ai pris une grande décision. J’ai quelque chose de
très grave à te dire… il y a des mites dans le placard, et il
faudra mettre de la naphtaline.
Voilà ! En vérité
je ne peux pas… car regarder dans les yeux une femme à laquelle au fond
on n’a rien de grave à reprocher, et lui dire :
- Catherine ! J’ai décidé
de partir définitivement refaire ma vie ailleurs avec une jeune femme de
vingt-sept ans. Non, vraiment là, le courage me manque.
Et surtout, je ne veux pas avoir à
donner d’explications .
Alors ! me
direz-vous, pourquoi ?
Pourquoi ? En réalité, ce
n’est pas très facile à expliquer. Je suis marié avec
Catherine depuis vingt ans. Nous avons eu notre fille Véronique tout de
suite et pendant quelques années nous avons été
très heureux. Et puis, petit à petit, la brûlante passion a
fait place comme on dit à de la tendresse, et puis la tendresse à
de la compréhension, la compréhension à une grande
mansuétude, la mansuétude…
Il a un geste.
Pourtant me diriez-vous, il y a bien un moment-clé, un instant précis où tout
à coup cet amour qui volait si haut a commencé à piquer du
nez pour finir où il est maintenant, c’est à dire en rase-mottes.
Et bien, je sais quand c’est
arrivé : c’était en hiver, il y a une dizaine
d’années, quand un soir Catherine a tiré de son sac un tricot.
Vous connaissez cette occupation apparemment
anodine qui consiste à entremêler des brins de laine pour en faire
toutes sortes de pulls, d’écharpes, qui font pousser autour de soi des
cris d’admiration.
- Oh ! c’est
toi qui as fait ça !
- Oui ! oui !
oui !
- Mais c’est merveilleux !
Et l’autre d’expliquer que ce n’est rien du
tout, qu’il suffit d’entortiller la laine trois fois autour de l’aiguille de
gauche et de reprendre la troisième maille avec l’aiguille de droite,
pour obtenir ce point ravissant qui fait pousser des hurlements de surprise
à tout le monde.
Voilà, j’en suis sûr, c’est ce
soir-là où tout a changé.
Il est vrai aussi qu’il existe des femmes qui
aiment l’amour et le tricot, mais Catherine, elle, avait choisi. D’ailleurs,
elle ne s’en cachait même pas. Elle disait souvent : moi ce que
j’aime, c’est être chez moi, à regarder la
télévision, en tricotant bien tranquille.
Voilà. Elles veulent vivre bien
tranquilles à côté d’hommes qui ne le sont pas. En tout
cas, moi, ma décision est prise. Remarquez, pour un départ, j’ai
mal choisi mon jour : ce soir c’est mon anniversaire. Oui, ça tombe
mal. J’ai
complètement oublié qu’aujourd’hui j’allais avoir…
Il tousse.
…ans. Vous me direz que ce n’est pas vieux.
Oui, c’est vrai, mais je n’ai tout de même plus une seconde à
perdre. Voilà pour-quoi je pars avec cette
adorable jeune femme qui, elle, croyez-moi, ne tricote pas ! …Enfin pas
encore.
Il sort.
La scène reste vide un instant. La sonnerie du
téléphone résonne.
Catherine Dumoulin apparaît. Elle est en robe du soir et porte un
vase de fleurs qu’elle pose sur une petite table. Elle regarde sa montre et
décroche le téléphone.
CATHERINE - Allô ! Ah ! Parfait ! Le gâteau est
prêt… oui, bien sûr des bougies, combien ? Ah ! Non, pas
quatre-vingts ! Soixante ! Oui.
Une inscription ? Oui : Joyeux
anniversaire, mon François… en sucre rose… dans un cœur…
Très bien.
On entend sonner à la porte d’entrée.
Oh ! Excuse-moi, on sonne à ma
porte.
Catherine sort un court instant. Elle revient presque aussitôt accompagnée
d’une dame un peu plus âgée, mais qui a beau-coup
d’allure. Elle aussi est en robe du soir. Elle tient à la main un paquet
cadeau.
Catherine lui fait signe de s’asseoir.
CATHERINE - Excusez-moi, Betty, je suis avec le pâtissier. Allô!
Oui ! Comment ? De la chantilly ? Oui, bien sûr, une montagne
de chantilly, j’adore ça… Vous pourriez le livrer dans une heure ?
Ce sera parfait… merci, au revoir.
Elle raccroche.
BETTY - François
n’est pas encore rentré ?
CATHERINE - Non, il est encore trop tôt.
BETTY - Il ne
sait toujours pas que vous lui avez organisé cette petite fête.
CATHERINE - Et quelle fête ! Non, il m’a
téléphoné dans l’après-midi mais je ne lui ai
parlé de rien. Je veux que ce soit une surprise. J’ai eu Evelyne et Paul
au téléphone, ils viennent.
BETTY - Parfait.
Vous ne craignez pas qu’il n’apprécie qu’à moitié. Il
déteste tellement qu’on lui souhaite ses anniversaires.
CATHERINE - Pour une fois ! On n’a pas tous les jours soixante ans. Il ne
sera pas là de bonne heure, nous sommes samedi.
BETTY - Ah !
C’est vrai, c’est un jour sacré !
CATHERINE – Oui, sacre.
BETTY - Oui,
le jour où on ne peut pas le joindre, même au
téléphone, je connais.
BETTY – Cette petite soiree entre amis - C’est une excellente idée,
surtout qu’à son âge, il faut qu’il commence à lever le
pied. La semaine dernière, je ne lui ai pas trouvé bonne mine. Il
prend bien ses vitamines ?
CATHERINE - Quand il est ici, oui.
BETTY - Oui,
et quand il est dehors il oublie. Et son foie, ça va mieux ?
CATHERINE - Je crois, oui.
BETTY - Il
faut qu’il fasse très attention, c’est pourquoi tout à l’heure en
vous entendant commander de la chantilly, je n’ai pas trouvé ça
très raisonnable. Souvenez-vous il y a un an, il a été
malade pendant deux jours.
CATHERINE - Il n’est pas obligé d’en manger.
BETTY - Gourmand
comme il est ! … Est-ce que son alimentation est assez
variée ?
CATHERINE - Ecoutez Betty, ce n’est pas à moi
qui ai fait ma médecine que vous allez apprendre ce que sont les
vitamines et un régime bien équilibré. Et puis, je vous
l’ai déjà demandée, cessez de surveiller François
comme un enfant, vous n’êtes pas sa mère !
BETTY - Dieu
merci, non ! Mais je le connais tellement ! On ne vit pas pendant
treize ans avec un homme sans en connaître toutes les faiblesses.
CATHERINE - Betty ! Vous oubliez toujours que moi cela fait vingt ans que je
suis mariée avec lui… sept ans de plus que vous.
BETTY - Vingt
ans ! Déjà !
CATHERINE - Mais oui, Véronique a eu vingt ans il y a trois jours.
BETTY - Elle
est du mois de mai ?
CATHERINE - Mais oui, souvenez-vous, c’était en août que je me suis
retrouvée enceinte.
BETTY - Oui,
vous avez raison ; quand François me l’a annoncée
c’était l’automne. Je me rappelle très bien même ;
nous marchions dans les feuilles mortes.
Soudain il s’arrête, il me regarde
fixement : - Betty ! Il faut que je te dise quelque chose ; je
vais avoir un enfant.
Sur l’instant, j’ai été
tellement surprise que j’ai cru que c’était moi qui étais
enceinte.
CATHERINE - Non, c’était moi, j’étais malade !
BETTY - J’ai
pleuré pendant un mois et demi.
CATHERINE - François devait réparer, j’étais une fille et…
BETTY - Vous
étiez vierge ?
CATHERINE - Je n’ai pas dit ça, j’avais vingt-cinq ans, mais
j’étais seule, et avec un enfant. François a fait ce qu’il devait
faire.
BETTY - Moi,
hélas, la nature m’a refusé cette joie.
CATHERINE - Allons, Betty, inutile de revenir sur le
passé. Vous savez bien que nous en avons souvent parlé et
qu’à chaque fois nous finissons toujours par dire la même
chose. (Ensemble.) C’est la
vie !
CATHERINE - Et que vous soyez restée amie avec François n’est
déjà pas si mal.
BETTY - Grâce
à vous.
CATHERINE - Il avait l’air tellement contrarié d’avoir à rompre
complètement avec vous. Et puis maintenant c’est très
agréable d’avoir une amie comme vous, habitant tout à
côté.
Seulement surveillez-vous un peu et ne dites
pas comme l’autre jour devant un de ses clients : - François ne
reste pas debout aussi longtemps, tu sais bien que tu as les pieds qui
gonflent.
BETTY - Mais
c’est vrai qu’il a les pieds qui gonflent.
CATHERINE - Ils gonflent, c’est vrai, mais ce n’est pas à vous de le dire.
BETTY (vexée) - Parfait, je ne dirai plus rien.
CATHERINE - Betty ! Ne vous vexez pas, vous savez bien qu’on vous adore.
Allez plutôt regarder ce que j’ai préparé.
Betty ouvre la porte de la salle à manger.
BETTY - Oh !
La jolie table !
CATHERINE - N’est-ce pas !
BETTY - C’est
ravissant ! Vous êtes une maîtresse de maison
remarquable ! Quel travail !
CATHERINE - N’exagérons rien. La femme de
ménage a fait les courses, l’écailler a livré les fruits
de mer et le saumon. Moi j’ai juste décoré. Vous voyez, je suis
prête. Asseyez-vous.
Elle sort un tricot d’un sac.
BETTY - Oh !
Ce point est très joli, je ne le connaissais pas.
CATHERINE - C’est pourtant très simple, vous démarrez comme pour un
point mousse et…
On entend sonner.
C’est Evelyne et Paul ; voulez-vous leur
ouvrir.
BETTY - Pour
une fois, ils sont à l’heure.
Betty sort un instant pendant que Catherine range son tricot. On entend un
bruit de voix de femmes dans le vestibule, et enfin Betty revient dans le
salon, suivie d’une jolie jeune femme.
Catherine ! C’est une jeune femme qui
demande que vous la receviez…
CATHERINE - Vraiment ! Moi ? Madame ?
BARBARA - Mademoiselle !
CATHERINE (se lève) - Entrez, Mademoiselle.
La jeune femme entre assez timidement, elle est nerveuse et semble
être sous le coup d’une grande émotion.
BARBARA - Excusez-moi.
Vraiment, vous me voyez très embarrassée. Oui, je sais, j’aurais
dû téléphoner, seulement j’ai pensé que cela
pourrait faire mauvaise plaisanterie.
Quant à envoyer une lettre, même
signée, cela fait toujours un peu dénonciation. C’est pourquoi
j’ai préféré venir. D’abord, je trouve ça plus
courageux, vous ne trouvez pas ?
Catherine et Betty se regardent, interdites.
CATHERINE - Vous ne vous êtes pas trompée d’étage ?
BARBARA - Vous
êtes bien Madame Dumoulin ?
CATHERINE - Oui, je suis Madame Dumoulin, mais je ne vois pas ce qui vous
amène… expliquez-vous.
BARBARA - C’est
ce que j’essaie de faire, madame, seulement ce n’est pas facile. C’est vraiment
très délicat, d’abord je pensais vous trouver seule.
BETTY (se levant) - Oh ! Mais je comprends très bien.
CATHERINE - Non Betty, restez ! Sachez mademoiselle, que je n’ai rien
à cacher à Madame. Madame est la première femme de mon
mari et…
BARBARA - Comment !
CATHERINE - Madame est la première femme de mon mari.
BETTY - Oui.
BARBARA - Non !
Ce n’est pas possible !
CATHERINE - Mais enfin, Mademoiselle, que signifie tout ceci ?
BARBARA - Excusez-moi,
mais vous comprenez, en ce moment, moi j’en apprends tous les jours.
CATHERINE - Écoutez, mademoiselle, j’ignore tout
des raisons qui vous amènent, mais si vous avez quelque chose à
dire, même de confidentiel, vous pouvez le faire devant madame, c’est
comme si elle faisait partie de la famille.
BETTY - Merci
Catherine.
CATHERINE - Et maintenant, nous vous écoutons.
BARBARA - Comme
vous voulez.
CATHERINE - Alors ! De quoi s’agit-il ?
BARBARA - De
votre mari.
CATHERINE - François ! Il lui est arrivé quelque chose ?
BARBARA (fondant en larmes) - Il… il… Il me trompe.
Et Barbara s’effondre sur le canapé en sanglotant. Catherine et
Betty se regardent, stupéfaites.
Oui, je sais, je n’aurais pas dû venir,
mais je ne savais plus quoi faire, vous comprenez, j’étais comme perdue.
CATHERINE - Pardon, pardon, qu’est-ce que vous avez dit ?
BARBARA - Oui,
madame, il me trompe.
CATHERINE - Je ne comprends vraiment pas.
BARBARA - Et
voyez-vous ça madame, je ne pourrai pas le supporter. Oh ! ça non, je ne pourrai jamais le supporter. Oh !
Le salaud !
CATHERINE - Mais enfin, Mademoiselle, qui êtes-vous donc ?
BARBARA - Je
m’appelle Barbara Perez.
CATHERINE - Ah ! C’est
vous ?
BETTY - Comment ? Vous la connaissez ?
CATHERINE - Oui, Barbara Perez est la maîtresse de François depuis
dix ans, c’est bien ça ?
BARBARA - Oui
dix ans… dix ans cette année, nous allions justement fêter
l’anniversaire de notre rencontre la semaine prochaine.
BETTY - Mais
je ne savais pas !
CATHERINE - Veuillez m’excuser Betty, mais je ne vous raconte pas tout… En
vérité, je connaissais l’existence de mademoiselle, mais je ne
l’avais jamais vue.
BETTY - Et
vous le savez depuis longtemps ?
CATHERINE - Depuis le début. François est tellement maladroit qu’il
lui est impossible de cacher quelque chose pendant très longtemps.
Alors, tout à coup, ses bafouillages, ses airs de conspirateur, je n’ai
pas été très longue à comprendre. J’avoue que la
première année j’en ai terriblement souffert. Vous savez ce que
c’est, quand on n’a pas l’habitude. Et puis le temps passant, j’ai compris
qu’au fond François n’avait aucune envie de partir.
BARBARA (pleure) - Hi ! Hi !
CATHERINE - Alors cette histoire m’est devenue complètement égale.
BARBARA (pleure) - Oh…
CATHERINE - Et comme ma nature est de vivre sans complications, j’ai
laissé faire.
BETTY - Et
vous n’avez jamais cherché à savoir qui était cette
personne ?
CATHERINE - Ah ! Si, au début, je me suis souvent demandée
comment pouvait être cette Barbara qui écrivait de si jolies
lettres.
BARBARA - Vous
lisiez mes lettres ?
CATHERINE - Il aurait été difficile de faire autrement, elles
tombaient de ses poches.
BARBARA - Ce
qu’il peut être négligent !
CATHERINE - A qui le dites-vous ! Ah oui ! Il y en avait de très
jolies.
BARBARA (modeste) - Oh ! Vraiment !
CATHERINE - Ah ! Oui, je vais vous dire, je vous trouve même un certain
style. Et je vais vous faire un aveu ; j’avais fini par me sentir presque
flattée que l’on puisse écrire des lettres pareilles à mon
mari. C’est vrai, à force de vivre avec les gens, on a tellement
l’habitude de les voir, qu’on ne les regarde plus. Avec vos lettres, vous me
faisiez redécouvrir mon mari tel que les autres le voyaient.
BARBARA - Vous
me gênez beaucoup.
CATHERINE - Pourquoi ? Parce que je n’ai pas l’air fâché ?
BARBARA - Oui,
vous êtes surprenante, car je vous avoue que moi, à votre place,
cela ne se passerait pas comme ça.
CATHERINE - Il faut être logique. Je me vois mal vous faire une
scène aujourd’hui, alors que cela fait dix ans que je connais votre
existence.
BARBARA - François
me l’avait dit.
CATHERINE - Quoi donc ?
BARBARA - Que vous
étiez une femme de qualité.
CATHERINE - C’est vraiment trop aimable.
BARBARA - D’ailleurs,
moi, je vous ai toujours trouvée très sympathique.
CATHERINE - Parce que vous me connaissiez ?
BARBARA - Forcément,
depuis le temps que je vous croise chez les commerçants.
CATHERINE - Vous habitez le quartier ?
BARBARA - A
deux pas, juste au-dessus de la poste. C’est François qui, il y a dix
ans, m’a trouvée ces deux pièces.
CATHERINE - Ah ! Oui, je vois.
BARBARA - C’était
plus pratique.
CATHERINE - Oui, j’aurais dû m’en douter, c’est ce qu’il avait
également fait avec moi, à l’époque où il
était encore marié avec Madame.
BARBARA - Ah !
BETTY - Sauf
que moi, j’avais mis deux ans à m’en apercevoir.
CATHERINE - Nous faisions tellement attention ! Bon, alors, mademoiselle,
racontez-moi, je trouve ça passionnant…
BARBARA - Oh !
Madame, ce que c’est dur, je n’aurais pas dû venir.
CATHERINE - Oui, mais maintenant, c’est trop tard, vous êtes ici.
Alors ?
BARBARA - Je
suis dans un tel état, au bord du suicide madame, oui, au bord ;
cela fait huit jours que je ne mange plus, que je ne dors plus, oh ! Je ne
pourrai pas le supporter !
Elle sanglote.
CATHERINE - Allons, calmez-vous.
BARBARA - Je ne
pourrai pas ! Je me tuerai, j’ai un revolver, vous savez !
CATHERINE - Ne faites jamais ça, malheureuse, il y a des risques, on n’est
pas toujours sûre de se rater.
BARBARA - Alors
je prendrai des somnifères.
CATHERINE - Etes-vous seulement certaine qu’il vous
trompe ?
BARBARA (agressive) - J’en suis sûre. J’ai des preuves. Depuis un mois
j’avais de plus en plus de mal à le voir. Il se défilait sans
arrêt, il arrivait en retard, ne restait pas, enfin, vous savez ce que
c’est, une femme sent ces choses-là.
CATHERINE et BETTY (ensemble) - Oh !
Oui !
BARBARA - Comme
vous le savez peut-être, depuis dix ans nous avions pris l’habitude
chaque samedi de déjeuner ensemble. Et bien,
cela fait un mois qu’il n’est pas venu.
CATHERINE - Effectivement, c’est inquiétant.
BARBARA - C’était
plus qu’inquiétant, (Bafouillant
honteuse.) alors, j’ai engagé un détective.
CATHERINE - Pardon ?
BARBARA - J’ai
engagé un détective.
CATHERINE et BETTY - Un détective !
BARBARA - Oui,
vous comprenez, il fallait que je sache. Je ne pouvais plus vivre dans cette
incertitude.
CATHERINE - Et il vous a apporté des preuves ?
Barbara sort de la poche de son imperméable, une photo.
BARBARA - Tenez !
Voilà sa photo ! Elle s’appelle Marie-Pierre Desnouettes,
elle a vingt-sept ans, un mètre soixante-deux, son adresse, son
numéro de téléphone, les jours, les heures et les endroits
où ils se rencontrent.
BETTY (prenant la photo) - Vingt-sept ans, comment voulez-vous lutter.
CATHERINE - A votre avis, c’est une vraie blonde ?
BETTY - Pas
sûr… Pas mal !
BARBARA - Moi
je la trouve moche.
CATHERINE - Ah ! non, elle a un type, mais elle
n’est pas moche.
BARBARA - Qu’est-ce
qu’il vous faut, vous avez vu ce nez !
CATHERINE - Peut-être, mais les yeux sont beaux, la bouche sensuelle.
D’ailleurs François n’a toujours aimé que les jolies femmes.
Betty et Catherine rient.
BETTY - Ça
c’est vrai.
BARBARA - Oui,
mais sur la photo, vous ne voyez pas les jambes.
CATHERINE - Parce que vous, vous les avez vues?
BARBARA - Oui,
je n’ai pas pu m’empêcher d’aller la voir sortir de chez elle. Vous
verriez les jambes ! Et puis le reste ! Ah ! Non, je comprends
à la rigueur que l’on soit trompée avec une femme ravissante,
mais avec ça !
CATHERINE - Votre détective vous a dit qu’elle était amoureuse de
François ?
BARBARA - Mais
madame, elle en est folle, complètement folle, en tout cas il le croit. D’ailleurs,
d’après Monsieur Sylvain, le détective, trente ans de
métier… il se trame quelque chose.
CATHERINE - Il se trame quelque chose.
BARBARA - Et il
me l’a répétée à
plusieurs reprises et en insistant ; il m’a dit : - A votre place, j’ouvrirais l’œil, car il se trame
quelque chose.
CATHERINE - Il se trame quelque chose. Il se trame quoi ?
BARBARA - On ne
sait pas encore, mais ne vous faites aucun souci nous le saurons bientôt,
car Monsieur Sylvain, votre mari, il ne le lâche pas d’une semelle.
CATHERINE - Cette histoire me paraît tellement incroyable.
BARBARA - Et
pourquoi ?
CATHERINE - Je vois mal une gamine amoureuse de François.
BARBARA - Sauf
si elle n’en veut qu’à son argent.
CATHERINE - Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
BARBARA - Le
bon sens, madame, je vous accorde que François est encore assez bel
homme, mais de là à plaire à des minettes, même
moches !
BETTY - Je le
crois capable de séduire de très jeunes femmes. D’ailleurs, si
j’avais vingt-sept ans, François serait tout à fait mon genre.
CATHERINE - Finalement, moi aussi, il ne me déplairait pas… il est grand,
bien fait, pas un pouce de graisse !
BARBARA - Sauf
sur le ventre.
CATHERINE - Quel ventre ! Il n’en a pas.
BARBARA - Ah !
Si, je vous assure; Depuis combien de temps ne l’avez vous
pas vu tout nu ?
CATHERINE (réfléchissant) - Attendez… attendez… oh ! ça doit remonter aux dernières vacances.
BARBARA - Et
bien, depuis je vous assure qu’il a pris des bourrelets.
BETTY - Quand
je vous le disais de surveiller son alimentation.
BARBARA - C’est
indispensable, sinon dans deux ans, il sera énorme.
BETTY - Oui.
CATHERINE - Vraiment ! Eh bien, effectivement, vous faites bien de me le
dire, je vais y faire attention.
BARBARA - Ah !
Oui, il faut.
CATHERINE - Revenons à cette fille. Vous dites qu’elle
en veut à son argent.
BARBARA - Elle
l’a littéralement ensorcelé ! Oui, madame,
littéralement ensorcelé. (Elle
se remet à sangloter.) Oh ! Excusez-moi, c’est plus fort
que moi, je n’arrive pas à me retenir.
Elle pleure.
Catherine et Betty s’assoient à côté d’elle comme pour
la consoler.
Doucement la lumière baisse laissant les trois femmes dans la
pénombre.
François entre à l’avant-scène et s’adresse au public.
FRANÇOIS - Oui, je sais, tout à l’heure, je n’ai pas parlé de
Betty ni de Barbara ; c’est parce que je ne pensais pas que ça vous
intéresserait. Mais maintenant que vous savez leur existence, je suis
bien obligé de reconnaître que tout ce qu’elles racontent n’est
pas entièrement faux. Commençons par Betty ; c’était
dans les années soixante, j’avais vingt-cinq ans et j’étais un
peu paumé. Elle, bien sûr, était un peu plus
âgée, mais quand on est jeune, ces choses-là ne comptent
pas. Elle avait un peu d’argent, hérité de son premier mari, un
gros importateur de bottes en caoutchouc, une affaire énorme. Enfin
bref, nous avons vécu une dizaine d’années très heureux. Je dois préciser que Betty avait
commencé à tricoter bien avant que je la rencontre.
C’était une virtuose ! Elle faisait des jacquards en plusieurs
couleurs sans regarder les aiguilles ! Elle y passait des heures. Alors
moi, que voulez-vous, pendant ce temps
là, je faisais du lèche-vitrines et c’est comme
ça qu’un jour je suis tombé sur Catherine. Remarquez, j’aurais
dû me méfier : elle sortait juste de chez un marchand de pelotes
de laine. Mais sur l’instant, je n’ai pas fait attention, fasciné que
j’étais par sa beauté. Je l’ai suivie, elle m’a souri.
Quand elle s’est trouvée enceinte,
j’ai divorcé d’avec Betty et je l’ai épousée. Quoi de plus
normal ; il y a des millions d’hommes dans mon cas, et qui, entre nous
soit dit, ne se conduisent pas toujours aussi bien.
Avec Catherine, nous avons été
heureux une dizaine d’années, et puis un jour, à un carrefour,
j’ai percuté le derrière d’une voiture ; c’était
Barbara. Comme c’était juste en bas de chez elle et qu’il pleuvait, elle
m’a proposé de monter pour faire un constat à l’amiable.
C’était vraiment à l’amiable ! J’en suis ressorti à
deux heures du matin… Ensuite, je l’ai installée à deux rues
d’ici pour que cela soit plus pratique. C’est vrai, les allées et venues
entre le 12e et Neuilly ! Au prix où est l’essence ! Nous
avons coulé des jours heureux jusqu’à il y a environ un an,
où, horreur ! Je la vois tirer de dessous son fauteuil, devinez
quoi ! Non pas un tricot ! Barbara est une femme moderne ! Elle
brode, elle !
Le point de croix… Blanche-neige et les sept
nains.
Elle met des lunettes sur son nez, et bonjour
ma grand-mère. J’ai eu envie de crier, non ! Mais c’était
déjà trop tard. A ce stade là le virus a
déjà frappé !
C’est pourquoi vous comprenez bien que si
c’est pour retrouver la même ambiance que chez soi ! Il faut
réagir. Je n’ai pas attendu le septième nain ! Dans ces cas là je ne lutte pas ; je remplace. Et que
celui qui ne préfère pas l’amour au tricot me jette la
première pelote… heu ! La première pierre.
Il sort.
BARBARA - Oh!
Excusez-moi, c’est plus fort que moi, je n’arrive pas à me retenir. Vous
comprenez, je ne voudrais pas vous offenser, mais François, c’est
tout ! pour moi.
Pour lui j’ai refusé plusieurs
demandes en mariage, j’ai repoussé les avances d’autres hommes, car moi,
lorsque j’ai un monsieur dans ma vie, je ne suis pas du genre à aller
cavaler ailleurs. Voilà pourquoi je suis tellement malheureuse. Car,
entre nous, il m’avait fait des promesses bien précises.
CATHERINE - Il vous avait promis de divorcer ?
BARBARA - Oui,
dès le début, il remettait toujours, mais il m’avait juré
qu’il le ferait.
CATHERINE - Oui, c’est classique, d’ailleurs c’est bien connu, le plus difficile
dans ces situations, c’est d’obtenir le consentement et la
bénédiction de la femme légitime. On imagine très
bien comment ces messieurs voudraient que les choses se passent.
- Chérie ! Voilà, je
trouve que depuis quelque temps, nos relations ne sont plus ce qu’elles
étaient et je pense qu’il serait absurde de prolonger plus longtemps une
union qui ne nous satisfait plus ni l’un ni l’autre. Aussi, et si tu n’y vois
pas d’inconvénient, j’ai l’intention de déposer la semaine
prochaine une demande en divorce.
Et nous, pauvres de nous ! de répondre : - Je suis d’accord, je signe
où ? S’il te plaît !
Voilà ce qu’ils voudraient entendre.
Eh bien, j’aime autant vous dire que, s’il m’avait sortie une tirade pareille
il aurait eu une drôle de surprise.
BARBARA - Vous
auriez refusé ?
CATHERINE - Et comment !
BETTY - Et
bien, moi, la tirade, il me l’a servie.
CATHERINE - Oui, mais moi j’étais enceinte.
BARBARA - Mais
moi aussi, je l’ai été.
CATHERINE - Ne me dites pas que vous avez un enfant !
BARBARA - Je ne
peux plus en avoir. Hélas !
BETTY - Oh !
Comme c’est dommage !
CATHERINE - Qu’est-ce qui est dommage ?
BETTY - Qu’elle
n’ait pas pu avoir d’enfant, j’aurais bien aimé pouponner moi !
Après tout, cela aurait été un enfant de François.
Et souvenez-vous, quand Véronique était bébé, nous étions
fâchés. J’ai pas pu en profiter, tandis
que là, ah ! Oui, j’aurais bien aimé ça moi, un
bébé.
CATHERINE - Oui et bien, remisez vos rêves de grand-mère, la
situation étant déjà pas mal embrouillée, avec un
enfant en plus, elle serait devenue inextricable. Alors, il vous avait promis
de divorcer dès le début ?
BARBARA - Oui,
il me disait toujours : « Je te le promets dès que le
bébé sera élevé ».
CATHERINE - De quel bébé parlait-il ?
BARBARA - De
Véronique.
CATHERINE - Véronique, le bébé ? Mais quel âge
croyez-vous qu’il ait le bébé ?
BARBARA - Neuf
ou dix ans.
CATHERINE (amusée) - Asseyez-vous. (Prenant son temps.) Et bien,
apprenez que votre bébé, a eu vingt ans il y a trois jours, et
qu’à l’heure qu’il est, il est en train de traverser l’Atlantique sur un
des voiliers de son père.
BARBARA - Véronique !
Vingt ans ! Oh ! Le salaud !
CATHERINE - Je constate avec plaisir que c’est à mon tour de vous
surprendre.
BARBARA - Oh !
Le monstre ! Mais on n’a pas le droit de mentir à ce point.
CATHERINE - Y’a pas de règles.
BARBARA - Oui,
parce qu’il faut voir la vie qu’il m’a fait mener… Attendre des journées
entières un coup de téléphone que ne viendra pas. Se
retrouver seule devant un petit souper pour deux décommandé
à la dernière minute. Quant aux vacances, alors là, les
vacances ! On ne sait jamais si on part, où on part, et quand on
part. Combien de fois il m’est arrivée
d’être prête à côté de ma valise ; soudain
le téléphone sonnait, c’était François qui me
prévenait que vous n’alliez pas chez votre mère.
CATHERINE - Oui, c’est exact, cela dépendait de la météo,
car lorsqu’on annonçait du mauvais temps, moi j’allais
pas chez Maman. Parce que la Bretagne sous la pluie, merci bien.
BARBARA - Oui,
mais c’était toujours au dernier moment.
CATHERINE - Forcément, avec la météo.
BARBARA - Bref,
j’ai vécu l’enfer. Car, croyez-moi, c’est dur de ne pas pouvoir
être autant de temps qu’on le voudrait auprès de l’homme qu’on
aime.
CATHERINE - Je sais ce que c’est, moi aussi à une époque, j’ai fait
l’amour avec l’œil sur la pendule.
BETTY - C’est
très possible, j’avais horreur qu’il soit en retard.
CATHERINE - Parce qu’il faut bien que vous le sachiez, Mademoiselle, avant
d’être une légitime, moi aussi j’ai été une maîtresse.
BETTY - Et
bien moi, du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été une
légitime.
CATHERINE - Eh bien, vous avez raté quelque chose.
Ah ! Je dois dire que la
clandestinité donne un certain piquant à la chose. (A Barbara.) Vous
ne trouvez pas ?
BARBARA - Au
début, peut-être, mais ensuite, voyez comment cela se termine. (Elle pleure.) Oh ! Mon
Dieu ! François ! François ! C’est
épouvantable ! Je ne pourrai pas ! Je ne pourrai pas !
BETTY - Allons,
mon petit, dites-vous bien que le pire n’est jamais sûr.
CATHERINE - Mais oui, un de perdu dix de retrouvés ! Et qui vous dit
qu’il ne vous reviendra pas ! (Réalisant.) C’est
idiot ce que je dis là !
BARBARA - Vous
avez beau dire ce que vous voulez, mais, moi, je sais bien que ma vie est
complètement gâchée. En vérité, je n’ai plus
aucune raison de vivre, alors, voilà c’est simple, je vais me tuer,
voilà, je vais me tuer !
CATHERINE - Allons, ne recommencez pas !
BARBARA - Quand
je pense à tout ce que j’ai fait pour lui. Des allers-retours Paris
Biarritz en avion simplement pour le voir deux heures sur la plage de Biarritz !
CATHERINE - Vous veniez à Biarritz ?
BARBARA - Oui,
tous les étés.
CATHERINE - Ah ! Mais je ne savais pas.
BARBARA - Je me
mettais au bout de la plage, côté Saint-Jean-de-Luz.
CATHERINE - Ah ! Tandis que moi, je m’étendais toujours à
l’autre bout.
BARBARA - Oui,
juste à côté du marchand de limonade.
CATHERINE - Exactement. Comment le savez-vous ?
BARBARA - Parce
que de temps en temps je passais devant vous.
CATHERINE - Voilà qui, effectivement devait être très
amusant.
BARBARA - Ah !
Oui, parce que si vous aviez pu voir la tête que faisait François,
c’était d’un drôle. Il me roulait des yeux ! Il avait l’air
furieux !
CATHERINE (riant) - Je m’en doute.
BETTY - Saviez-vous
que c’est à Biarritz qu’il m’avait emmenée pour notre voyage de
noces ?
Barbara et Catherine se regardent.
CATHERINE - Mais non !
BETTY - A cette époque, Biarritz était un
ravissement ! En tout cas, je constate qu’il est resté
fidèle à certains souvenirs. Ce n’est pas grand
chose, mais cela fait plaisir. Je me souviens que, dans une des petites
rues qui mènent à la plage, il y avait un petit restaurant
délicieux.
CATHERINE - Les Rochers.
BETTY - Oui,
le restaurant des Rochers, je le revois très bien, il fallait descendre
quelques marches, et il y avait une salle au premier. On y mange toujours aussi
bien ?
BARBARA - Oh !
Oui. La langouste grillée à l’estragon est une pure merveille, et
puis les patrons sont tellement charmants !
CATHERINE - Surtout elle.
BARBARA - Oui,
c’est vrai, lui, parfois, est un peu renfermé.
BETTY - Moi,
j’avais connu la mère. La pâtisserie est toujours sur la
place ?
CATHERINE ET BARBARA - Oui.
BETTY - Et
ils font toujours ces merveilleuses glaces.
CATHERINE - Un cocktail de tous les parfums !
BETTY - Énorme.
BETTY, BARBARA et CATHERINE (ensemble) - Oui, || et on va les manger || sur la plage.
Elles acquiescent toutes les trois et semblent chacune perdues dans leurs
souvenirs.
BETTY - Moi,
je n’y suis pas allée depuis ! (Elle a un geste.)
CATHERINE - Moi, cela fait cinq ans.
BARBARA - Moi,
j’y étais le mois dernier.
CATHERINE - Avec François ?
BARBARA - Mais
oui.
CATHERINE - Pourtant, quand il est rentré, il n’avait pas l’air
très heureux. Il faisait une de ces têtes.
BARBARA - Forcément,
nous nous étions disputés pendant deux jours. Vous comprenez, je commençais
à soupçonner quelque chose. Tous ces rendez-vous annulés,
ces traces de rouge à lèvres sur son col.
CATHERINE - Cela pouvait être le mien ?
BARBARA - Ah !
Non, le vôtre, je le connais, non, là c’était un rose
vulgaire, comme la fille sans doute.
BETTY - Qu’elle
soit un peu vulgaire, c’est très possible. François a toujours eu
une petite tendance à aimer le genre poule.
CATHERINE ET BARBARA - Merci bien.
BETTY - Oh !
Mais je ne parlais pas seulement pour vous ; je me souviens qu’au
début de notre mariage, il ne me trouvait jamais assez maquillée,
il me forçait à porter des robes serrées et des bas résilles.
CATHERINE - Moi aussi, il aime bien que je m’habille un peu excentrique.
BETTY - Et
bien, voyez-vous, je suis bien contente que pour moi, tout ça soit
terminé.
BARBARA - Je
vous comprends, madame, moi aussi certains jours, je voudrais avoir cent ans.
BETTY - Je
n’ai pas dit ça.
BARBARA - Excusez-moi.
CATHERINE - Bon alors maintenant qu’est ce qu’on
fait ?… Parce que à part vous offrir notre
secours moral, nous ne pouvons, hélas pas grand chose
pour vous.
BARBARA - C’est
déjà beaucoup, et je vous en remercie.
CATHERINE - Mais c’est tout naturel, nous n’allons pas vous laisser, alors que
mon mari vous abandonne.
BARBARA - Vous
êtes formidable.
CATHERINE - Et je suis certaine qu’à notre place vous en feriez autant.
BARBARA - Je ne
sais pas. En tout cas, je n’oublierai jamais la façon dont vous m’avez
accueillie… Maintenant, si vous le permettez, je vais rentrer car on ne sait
jamais, s’il téléphonait…
CATHERINE - Il serait capable de dire que c’est moi qui le retiens.
BARBARA - C’est
bien possible ; d’ailleurs je vous promets de vous rappeler pour vous
raconter le bobard qu’il m’aura servie.
BETTY (battant des mains) - Oh ! Oui, cela va
être très amusant.
CATHERINE - Betty ! Arrêtez de battre des mains comme une gamine. La
situation n’est pas drôle.
BETTY - Oui,
je sais, seulement vous comprenez, je commençais à trouver la vie
un peu monotone, alors je ne suis pas mécontente que cela bouge un peu.
BARBARA (tendue) - Pour bouger, je vous jure que ça va bouger. Je le
tuerai et ensuite je me jetterai par la fenêtre.
CATHERINE - D’accord. En attendant vous savez ce que vous devriez faire : un
bon repas. Balzac disait qu’il n’y a pas de chagrin d’amour qui résiste
à un bon chapon bien gras.
BARBARA - Oui,
mais Balzac, il n’était pas plaqué par François,
lui. (Elle se remet il pleurer.) Je
ne pourrai pas, je ne pourrai pas…
CATHERINE - Vous avez un téléphone ?
Barbara fouille dans son sac et en tire une carte de visite qu’elle donne
à Catherine.
CATHERINE - Vous allez rentrer, prendre un somnifère ; j’ai dit
un ! et vous coucher ; demain il fera jour.
Je vous appellerai dans la matinée.
BARBARA - Merci,
c’est chic ce que vous faites là. Je regrette vraiment qu’il s’agisse de
votre mari.
CATHERINE - Oui, mais s’il n’était pas question de lui, vous ne seriez pas
là.
BARBARA - C’est
vrai !
CATHERINE - Vous allez voir, demain cela ira beaucoup mieux, vous y verrez plus
clair…
Catherine raccompagne Barbara jusqu’à la porte d’entrée.
On entend un dernier sanglot et la porte claquer.
Catherine revient.
BETTY - Quelle histoire !
CATHERINE - Ah ! Ce François ! Je lui en
veux ! Pourquoi faut-il qu’il complique toujours tout. C’est vrai, on
était bien, on vivait tranquille, en bonne santé ; Barbara
n’était pas gênante ; on se demande ce qui a bien pu lui
passer par la tête.
Catherine sort par le fond. Betty a un léger temps d’arrêt.
BETTY - Moi
je crois que ce n’est pas tellement par la tête.
François entre à l’avant-scène. Il regarde sa montre.
FRANÇOIS - Déjà ! Quand je pense que dans quelques heures, je
serai en plein ciel avec Marie-Pierre… volant vers une nouvelle vie… c’est
exaltant. Mais ça fait peur aussi. J’ai un de ces tracs ! Car
refaire sa vie avec une nouvelle femme, c’est un peu comme si on partait pour
une planète inconnue, mais c’est également tout un monde qui
disparaît - des
voisins, des amis… Tenez quand j’ai rompu avec Betty, eh bien toute sa famille
s’est fâchée avec moi. Et pourtant moi la famille de Betty, je
l’adorais. Vous pensez, ils étaient tous du Périgord - j’ai
passé des vacances là-bas, dans la ferme des parents ! Vous
n’imaginez pas. Marion, sa sœur, se mettait en quatre pour nous. Et alors,
la cuisine ! La cuisine ! Vous pensez, ils faisaient leurs foies gras
eux-mêmes.
Vous vous rendez compte de tout ce que j’ai
perdu en divorçant d’avec Betty, il en faut parfois du courage… Car
ainsi qu’on le dit; on sait ce que l’on quitte, mais on ne sait pas ce qu’on
trouve.
Et c’est exactement ce qui m’est
arrivé avec la famille de Catherine ; des profs… tous… de
pères en fils depuis Jules Ferry; que des barbus, les femmes aussi. Et
pour couronner le tout, végétariens. Alors là ! Pour
la cuisine, c’est à pleur
Et alors l’ambiance !
A la moindre faute de syntaxe ils se poussent
du coude. C’est simple, autant la famille de Betty m’aimait bien, autant
ceux-là me détestent.
L’idéal aurait été de
garder de bons rapports dans le Périgord, et de pouvoir y descendre avec
Catherine. Seulement il paraît que ce n’est pas possible.
Si encore j’avais pu trouver une compensation
dans la famille de Barbara ; mais là, c’est encore pire.
Le père est veuf et c’est un ancien
adjudant parachutiste. Il a fait l’Indo… l’Algérie, et chaque fois que
je vais le voir, il me raconte sa captivité chez les viêt-congs.
Il raconte les supplices qu’il a subis; les bambous sous les ongles, le serpent
bouilli pour survivre, les lézards grillés en brochettes ! A moi ! Moi, à qui dans le Périgord on
faisait une omelette aux cèpes pour son quatre heures.
Et Marie-Pierre me direz-vous ? Eh bien
Marie-Pierre, comme nous débutons, je ne connais pas encore très
bien la famille mais ça ne m’a pas l’air marrant, marrant.
Le père, jeune conseiller
général d’une petite ville du nord et la mère est
secouriste à la Croix Rouge. Lui, veut devenir député et
le premier jour où Marie-Pierre m’a présenté, il voulait
m’emmener avec lui pour coller des affiches… à l’heure de
déjeuner. Et pourtant, tout à l’heure je vais passer la prendre
en taxi et ensuite je passerai chez moi chercher ma valise.
Je traverserai l’appartement sur la pointe
des pieds. J’entrerai dans la chambre.
Je prendrai ma valise et ensuite, je
refermerai la porte sur mon passé, direction Roissy.
Oui, je sais, c’est un peu lâche, mais je
n’ai jamais été très courageux.
Maintenant, il est temps que je
prévienne Catherine que je ne rentrerai pas pour dîner.
Il compose un numéro sur son portable.
FRANÇOIS (pour lui-même) - Mon Dieu, que la vie est
compliquée. Si chacun voulait y mettre un peu du sien, ce serait tellement
plus simple.
La sonnerie résonne dans le salon. Catherine entre et
décroche.
CATHERINE - Allô ?
FRANÇOIS - Allô ! C’est moi.
CATHERINE - Où es-tu encore, à cette heure-ci ?
FRANÇOIS - Où je suis… au bureau ! J’avais un travail urgent
à terminer, et je t’appelle pour te dire que tu ne m’attendes pas pour
dîner.
CATHERINE - Comment !
FRANÇOIS - Oui, je me suis fait monter un sandwich. Je ne serai pas là
avant onze heures.
CATHERINE - Mais François, ce n’est pas possible, c’est ton
anniversaire !
FRANÇOIS - Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié.
CATHERINE - Je t’ai préparé une surprise.
FRANÇOIS - Une surprise !
CATHERINE - Oui, une petite fête ; il y aura des fruits de mer, du
saumon, du champagne. Betty est déjà là et j’ai invité
Paul et Evelyne.
FRANÇOIS - Mais tu ne m’as rien dit !
François est atterré.
CATHERINE - Qu’est-ce qu’il y a ? Tu es contrarié ?
FRANÇOIS - Non non… seulement comme c’est une
surprise, je suis surpris. Enfin je…
oui… je vais me débrouiller.
CATHERINE - Tu seras tout de même là pour neuf heures ?
FRANÇOIS - Oui, oui, certainement, à tout à l’heure.
François raccroche, il est très ennuyé.
Il compose un numéro.
FRANÇOIS (pour lui) - Qu’est-ce que je peux dépenser comme argent en
communications téléphoniques !
Allô ! Mon amour ! Oui… tu es
presque prête… parfait… oui moi aussi ma valise est faite et j’ai les
billets. Non finalement… il décolle à minuit cinq, on arrive
à Singapour en fin d’après-midi… cinq heures plus tard on
atterrit à Brisbane… on prend l’hydravion et un quart d’heure plus tard
on est à Tagalooma… oui… le rêve… mon
bébé… seulement nos plans vont juste être un peu
modifiés. Non… rien de grave… seulement tu vas être obligée
de te rendre seule à Roissy et de dîner sans moi. Ecoute-moi ! J’ai complètement oublié
que j’avais cinquante ans aujourd’hui et Catherine a organisé une petite
fête. Je sens déjà que je ne me conduis pas très
bien, mais si en plus je pars en la laissant avec son anniversaire sur les
bras, là, j’aurai vraiment l’air d’un salaud. Non, je
préfère agir correctement. Mais oui, oui, moi aussi.
A tout à l’heure à Roissy… oui…
moi aussi… moi aussi… moi aussi… moi aussi…
Il raccroche et s’adresse à la salle.
FRANÇOIS - Maintenant, vous savez tout. Mais, croyez-moi, malgré les apparences,
c’est dur de repartir à zéro. D’ailleurs, en
réalité, on ne remet à zéro que le compteur.
Oui, c’est dur, très dur, car la
plupart du temps personne ne se préoccupe du drame que vit celui qui
part, occupé qu’on est, à consoler celui qui reste.
C’est pour ces raisons que, parfois, je
rêve d’un bel hôpital tout blanc, tenu par des religieuses,
vieilles, très vieilles, et qui me pousseraient dans une chaise roulante
au milieu des Fleurs.
Vous avez vu Monsieur Dumoulin, les iris ont
encore poussé depuis hier, et regardez les tournesols, ne sont-ils pas
magnifiques!
Ah ! Oui, parfois on se demande si
être gâteux, juste un peu, ça ne serait pas ça le
secret du bonheur.
Il sort.
Catherine et Betty reviennent de la cuisine avec des soucoupes d’amuse-gueules.
BETTY - Ceci
explique les sourcils froncés et l’œil fixe. Cette Barbara doit lui
mener une vie d’enfer.
CATHERINE - Oui, il n’y a que nous qui lui fichions la paix. Les hommes ont
vraiment le chic pour se compliquer la vie.
BETTY - Les
femmes aussi parfois.
CATHERINE - Oui, mais nous, nous retombons plus vite sur nos pieds, tandis
qu’eux, ils pataugent.
Le téléphone résonne. Catherine décroche.
CATHERINE - Allô! Ah! C’est vous?
Qu’est-ce qu’il y a encore? Écoutez,
Barbara, arrêtez de pleurer comme ça, je ne comprends rien de ce
que vous dites. Oui, il part, vous nous l’avez déjà dit qu’il
vous quittait. Comment ça, il plaque tout le monde ! Qu’est-ce que
vous racontez !… oui, je vous écoute… des billets d’avion ? Ah !
Oui, et alors, quand il part à la Rochelle il y va toujours en avion. Tagalooma… Tagalooma… Qu’est-ce
que c’est ça Tagalooma ! Une île en
Australie !
Qu’est-ce qu’il irait faire en Australie on
ne connaît personne là-bas.
Je me demande si votre détective ne
vous raconte pas n’importe quoi pour vous soutirer de l’argent. Et quand
d’après lui François devrait-il partir ?… ce soir ?
BETTY - Qu’est-ce
qui se passe ?
Catherine lui fait signe de prendre l’écouteur.
CATHERINE – Écoutez*-moi, Barbara, François, je l’ai eu il y a cinq minutes et il vient
dîner, alors ! Vous pensez bien que, s’il devait faire un coup
pareil, je m’en serais aperçue ! On les sent arriver, ces
choses-là. Il aurait préparé une valise, et, tenez, je
connais François, jamais il ne partirait sans emporter le portrait de sa
mère.
Catherine désigne sur le mur un emplacement vide. Elle regarde le
mur avec stupéfaction.
Ça, alors ! Comment !
Attendez… oui, effectivement, le portrait de sa mère n’est plus
là. Oh ! Ne criez pas comme ça ! C’est peut-être
un hasard. Voulez- vous ne pas quitter, s’il vous plaît.
Elle pose le téléphone.
Elle entre précipitamment dans la chambre et en ressort avec une
valise qu’elle ouvre.
Elle va au téléphone.
Allô ! Barbara !
Effectivement je viens de trouver une valise toute préparée sous
le lit. J’éclaircis cette affaire et je vous rappelle. (Elle raccroche.)
Regardez, Betty… tous ses pyjamas, le
portrait de sa mère, son pistolet de compétition. Jamais quand il
part en voyage d’affaires il n’emmène tout ça. Qu’est-ce que cela
veut dire ! François n’est pas du genre à faire une chose
pareille.
BETTY - Mais
si.
CATHERINE - Comment ?
BETTY - Je
disais : mais si, c’est au contraire tout à fait le genre.
Souvenez-vous quand il m’a quittée, il y a vingt ans, c’était un
soir, comme celui-là, ah non, c’était le soir de Noël, il
est parti sans prévenir. Vous ne vous rappelez pas.
CATHERINE - Mais enfin, à l’époque, il avait quarante ans.
BETTY - Il y
a des assassins qui, vingt ans après, recommencent exactement le
même crime.
CATHERINE - Alors, vous, vous croyez qu’il part ?
BETTY - Pourquoi
emporterait-il tous ses pyjamas ?
CATHERINE - Ce n’est pas possible ! Nous sommes mariés et…
BETTY - Moi
aussi, je l’étais.
CATHERINE - Je n’arrive pas à y croire.
BETTY - Pourtant,
moi qui ai déjà vu le film, je peux vous raconter la fin.
CATHERINE - Mais pourquoi ! Pourquoi ?
BETTY - Quand
on commence à se demander pourquoi, ce n’est pas bon signe :
souvent cela veut dire que c’est trop tard.
CATHERINE - Mais qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la fête!
BETTY - Je
persiste à dire que ce n’est pas par la tête. Elle a vingt-sept
ans.
CATHERINE - Justement, il va être très malheureux.
BETTY - Oui,
moi aussi, c’est ce que j’ai dit, et puis vous connaissez la suite.
CATHERINE - Oui, mais aujourd’hui, il a soixante ans ! Dans deux ans, elle
le trompe et dans trois elle le plaque. Et ce pauvre François, comment
finira-t-il? Il risque de sombrer dans l’alcoolisme, déjà qu’il a
des tendances. Vous l’imaginez au fin fond de l’Australie.
BETTY - Peut-être,
mais qu’y pouvons-nous ! Il est majeur ! Et rien n’est plus difficile
que d’empêcher quelqu’un de commettre les sottises qu’il a
décidées de faire.
CATHERINE - Et Paul et Evelyne qui vont arriver ! Betty ! Soyez
gentille, téléphonez-leur… inventez n’importe quoi ! La
mère de François vient de mourir… n’importe quoi.
Betty compose un numéro, pendant que Catherine va remettre la valise
dans la chambre.
BETTY - C’est
le répondeur. Ils sont déjà partis.
Catherine ressort de la chambre.
CATHERINE - C’est vrai que tous les dix ans ça recommence.
Sa vie sentimentale est bien nette. Elle se
superpose en couches successives et à intervalles réguliers, un
peu comme dans certaines failles géologiques où, d’un seul coup
d’œil, on aperçoit le primaire, le secondaire, le tertiaire, le
Jurassique.
BETTY - Merci
bien !
On sonne.
BETTY - Cette
fois-ci ce sont Paul et Evelyne.
CATHERINE - Allez leur ouvrir, pendant que je reprends mon calme.
Betty sort un instant et revient avec Barbara, qu’elle soutient à
moitié.
Barbara est en imperméable et a les pieds dans des mules
d’appartement. Elle tient son sac d’une main et de l’autre essaie de refermer
son imperméable qui, s’entrebâillant, nous laisse voir qu’en
dessous elle est en chemise de nuit. Elle a la langue pâteuse, comme si elle
avait bu.
BARBARA - Le
salaud !
CATHERINE - Oh ! La revoilà !
BARBARA - Croyez-moi,
cela ne va pas se passer comme ça. Où est-il ?
CATHERINE - Il n’est pas encore rentré.
BARBARA - Très
bien, alors j’attendrais ici. Je veux qu’il me voie mourir.
CATHERINE - Barbara! Qu’est-ce que vous avez? Vous avez bu?
BARBARA - Non,
c’est les comprimés.
BETTY - Elle
s’est suicidée !
CATHERINE - Ecoutez-moi ! Qu’est-ce que vous avez
pris comme somnifère ?
BARBARA - Du Végadon.
CATHERINE - Combien en avez-vous pris ?
BARBARA - Tout
ce qui restait dans le tube.
CATHERINE - Combien en restait-il ?
BARBARA - Cinq.
CATHERINE - Dieu soit loué ! Avec cinq elle ne risque rien.
BARBARA - Vous
comprenez, je m’étais couchée et j’attendais la mort, et puis je
me suis : ah non ! Il ne faut pas qu’il s’en tire comme
ça ! Je veux qu’il me voie mourir. Au moins ça lui
gâchera son voyage !
CATHERINE - Ah plutôt oui !…
BARBARA - Car,
entre nous, c’est tout ce qui me reste à faire : mourir.
CATHERINE - Nous sommes bien d’accord, seulement vous ne pouvez pas mourir au
milieu de mon salon, j’attends du monde.
BARBARA - Pour
l’enterrement, je veux beaucoup de fleurs. Mais je ne veux pas qu’il vienne.
Ah ! ça non ! On a sa fierté
tout de même !
CATHERINE - Je vous le promets, mais, maintenant, vous allez rentrer chez vous.
BARBARA - Non,
je veux qu’il me voie mourir. Est-ce que je pourrais avoir un
prêtre ?
CATHERINE - Un prêtre ?
BARBARA - Oui,
j’ai toujours été croyante. Je suis bretonne, et la religion
ça compte. Je veux un prêtre.
CATHERINE - Un prêtre ! Mais Barbara, nous sommes samedi soir,
à cette heure-ci, les prêtres, ils sont tous partis… en week-end.
BARBARA - Mais
j’en veux un, absolument, je ne peux pas mourir en état de
péché.
CATHERINE (faisant un signe à Betty) - Betty ! Voulez-vous aller
voir si vous trouvez un prêtre pour Barbara.
BETTY - Bien
sûr, qu’est-ce qu’elle veut comme genre de prêtre?
CATHERINE - N’importe quoi, ce que vous trouverez.
BARBARA (hurle) - Un prêtre !…
BETTY - J’y
vais…
Betty fait semblant de sortir.
Barbara fouille dans sa poche et en sort une enveloppe.
BARBARA - Tenez.
CATHERINE - Qu’est-ce que c’est ?
BARBARA - Mon
testament, je vous ai léguée mon appartement.
CATHERINE - C’est très gentil, il ne fallait pas.
BARBARA - C’est
normal. C’est François qui l’a payé.
CATHERINE - Quoi ?
BARBARA - Vous
voyez, comme je suis honnête.
CATHERINE - Très. (Entre ses
dents.) Ça aussi, il me le paiera ! (Haut.) Et c’est tout ?
BARBARA - Comment
c’est tout ?
CATHERINE - Je vous demande : il n’y a que l’appartement ?
BARBARA - Ah non,
il y a aussi quelques bijoux. Vous savez ce que c’est, les Noëls, les
anniversaires…
CATHERINE - Oui, un petit brillant par-ci, un petit brillant par-là.
BARBARA - En
dix ans, on entasse…
CATHERINE - Oui, ça je veux bien le croire.
BARBARA - Et
bien, tout est pour vous.
CATHERINE - Vous êtes vraiment trop bonne.
BARBARA - C’est
de bon cœur, car, croyez-moi, si toutes les femmes d’hommes mariés
étaient comme vous, ce serait le rêve. Avant François,
j’avais déjà eu une aventure avec un homme marié.
CATHERINE - Tiens ! Donc…
BARBARA - Mais
alors la bonne femme, une fielleuse, une mauvaise. Ah ! On comprenait
pourquoi il la trompait. Tandis que vous…
CATHERINE - Vous ne comprenez pas.
BARBARA - Non,
et je vais vous dire, ça me révolte. Parce que, lorsqu’on a la
chance… la chance… d’avoir… d’avoir…
Soudain, Barbara s’endort brutalement.
CATHERINE - Barbara ! Barbara ! Oh ! Betty ! Elle s’est
endormie.
BETTY - Vous
ne pensez pas qu’il faudrait appeler un médecin ?
CATHERINE - Non, elle dort, c’est tout. Avec cinq Végadon
elle ne risque rien. Elle m’a tout de même permis d’apprendre que
François lui avait offert son appartement. Vous vous rendez compte.
BETTY - Mais
souvenez-vous, vous aussi, il vous avait achetée
le vôtre.
CATHERINE - Oh ! Ecoutez, Betty ! Vous
commencez à m’agacer avec vos : « Souvenez-vous de ceci,
souvenez-vous de cela ». Vous n’allez tout de même comparer le prix
des appartements des années soixante-dix avec ceux des années
quatre-vingt. Le mien, je me souviens très bien, il l’avait à
peine payé deux cents mille francs. Et puis ce n’est pas tout. Il y a
les diamants, vous avez vu ?
Catherine prend la main de Barbara. Betty se penche sur une des bagues.
BETTY - Il ne
s’est pas moqué d’elle. Celui-ci doit faire au moins deux carats.
CATHERINE - Et on ne sait pas ce qu’elle a chez elle.
BETTY - Oui,
effectivement, on ne sait pas.
CATHERINE - Mais quoi
faire ?
CATHERINE - Je ne sais pas, mais pour le moment il faut coucher notre amie.
BETTY - Et si
on la cachait.
CATHERINE - Sous le divan, comme dans les films policiers ? Ce serait
ridicule. Aidez-moi.
Elles l’attrapent et lui retirent son imperméable.
Barbara apparaît en nuisette ultra courte et transparente.
BETTY - Et si
François la trouve ?
CATHERINE - Betty ! Barbara n’est pas ma maîtresse à moi.
BETTY - Oui,
vous avez raison. Et si c’est Evelyne et Paul qui la découvrent.
CATHERINE - Betty, ce soir j’essaie de sauver mon mari ; alors je me fous
complètement de Paul et Evelyne. Allez, prenons-la sous les bras.
BETTY - Elle
est lourde.
CATHERINE - Forcément, elle est bien nourrie.
Elles traînent Barbara et entrent dans la chambre.
François entre à l’avant-scène avec son
attaché-case. Il est très abattu.
FRANÇOIS - Quelle idée elle a de vouloir absolument me fêter mes
anniversaires ! On dirait qu’elle le fait exprès pour bien me
rappeler que j’ai un an de plus…
On le sait… on le sait… on le sent.
Alors ! A quoi bon cette cérémonie
faussement gaie. D’autant plus qu’elle, quand arrive le sien d’anniversaire,
elle est de mauvaise humeur huit jours avant et huit jours après, et
deux fois sur trois, on décommande la petite fête parce que, comme
par hasard, Madame tombe ma1ade et se paie une crise de foie qui la cloue au
lit pendant deux jours. Tandis que pour moi ! Alors là !
Allons-y ! Les trompettes : on va claironner mon âge toute la
soirée… Quelle horreur ! Je vois très bien ce qui m’attend.
Elles ont dû faire des effets de toilette. Catherine a dû commander
un énorme gâteau bien écœurant… avec de la chantilly…
Forcément, elle adore ça. Et alors pour les bougies… tac tac tac… (Il mime une grande quantité de
bougies.) Elle ne m’en épargnera pas une! Betty sera là,
me regardant avec des yeux! Un remords vivant… et puis il y aura Evelyne et
Paul qui eux seront tout guillerets, parce qu’ils viennent se taper la cloche
et que ce n’est pas leur anniversaire à eux.
Ah ! Quelle idée elle a eu…
j’avais pourtant tout bien préparé… Elle ne se doutait de rien…
enfin… j’improviserai… Joyeux anniversaire François.
Il sort.
Catherine et Betty sortent de la chambre.
BETTY - Elle
dort profondément.
CATHERINE - Oui, le souffle est régulier et le pouls est bon. Betty, je
crois que je sais ce que je vais faire.
BETTY - Vraiment ?
CATHERINE - Je vais téléphoner à cette jeune personne.
BETTY - A
Marie-Pierre ?
CATHERINE - Oui, enfin, voilà une jeune femme qui s’apprête à
partir avec un monsieur, dont finalement elle ne sait pratiquement rien. Je
trouve qu’il serait juste qu’elle connaisse tout de François. Passez-moi
la photo.
Betty fouille dans le sac de Barbara et lui passe la photo. Catherine
compose un numéro.
Allons-y, accrochez vos ceintures.
Allô ! Vous êtes Marie-Pierre Desnouettes…
Oui… Bonsoir… voilà, je vous appelle à propos de François
Dumoulin… Non… vous ne me connaissez pas… Et bien disons que je suis une arme.
Voilà… je sais que vous êtes sur
le point d’engager votre vie avec lui… je vous dis que je suis une amie… et je
peux vous assurer que si vous vous rendez au vingt-cinq avenue des Marronniers
rez-de-chaussée gauche à Neuilly, vous serez édifiée
instantanément sur la moralité de ce monsieur. Vingt-cinq avenue
des Marronniers rez-de-chaussée gauche… sonnez trois coups brefs, on
vous ouvrira… Comme vous voudrez mademoiselle, mais moi à votre place…
Elle a raccroché.
BETTY - Vous
croyez qu’elle va venir ?
CATHERINE - Oui, elle va réfléchir, mais la curiosité sera
la plus forte.
BETTY – Vous ne craignez pas de vous facher definitivement avec Francois en lui preparant ce
genre de surprise?
CATHERINE – Je le prefere
fache ici, plutot
qu’aimable avec une autre a Tagalooma.
BETTY - Vous
ne trouvez pas que le procédé est… Comment dire…
CATHERINE - Indigne de moi ! Vous avez tout à fait raison. Seulement,
quand on essaie de sauver sa vie, en se raccrochant aux branches, on ne regarde
pas s’il y a de la merde après.
BETTY - Catherine !
Qu’est-ce qui vous arrive ?
CATHERINE - Betty, vous allez assister à
un feu d’artifice. Simplement que je suis à la bonne température.
Je tourne à plein régime.
BETTY - Vous
me faites peur.
CATHERINE - Ah ! Monsieur s’imagine qu’il peut tout plaquer en une
soirée, sa femme, sa fille, ses amis, sa maîtresse, eh bien, il va
voir.
BETTY - Catherine,
calmez-vous ! Paul et Evelyne vont arriver.
CATHERINE (criant) - Je vous l’ai déjà dit, je me fous
éperdument de Paul et d’Evelyne.
On sonne.
BETTY - Les
voilà.
Betty va ouvrir. Paul et Evelyne entrent.
C’est un couple charmant, tout content d’être là.
Ils ont des fleurs et un paquet cadeau.
EVELYNE - Bonjour !
Bonjour ! Tenez, Catherine, je me suis souvenue que vous aviez une passion
pour les roses.
CATHERINE (absente et sèchement) - Merci.
Catherine, toujours dans son drame, attrape les fleurs et les jette encore
toutes enveloppées, dans un vase vide.
Evelyne est légèrement surprise.
PAUL - Alors !
Betty ! Comment allez-vous ? Cela fait une éternité que
nous nous sommes vus.
BETTY - Paul,
soyez gentil, ne prononcez pas le mot éternité devant moi.
Elle sort un instant dans le vestibule.
EVELYNE - François
n’est pas là ?
BETTY - On
l’attend.
EVELYNE - J’ai
un cadeau pour lui.
BETTY - Ah !
Oui, qu’est-ce que c’est ?
PAUL - C’est
une sacoche…
EVELYNE - On
appelle ça un baise-en-ville.
Catherine revient.
BETTY - Que
c’est amusant !
CATHERINE - Qu’est-ce qui est amusant ?
BETTY (toussant) - Rien.
Catherine maintenant marche de long en large dans le salon. Les autres la
regardent un peu étonnés.
BETTY - Paul,
je vous sers quelque chose ?
PAUL - J’ai
toujours beaucoup aimé cette pièce ; on s’y sent bien.
EVELYNE - Oui,
ce soir on est mieux dedans que dehors.
PAUL - C’est
vrai ; il fait un vent !
Catherine en casse un verre.
Catherine, dans un état second, sert Evelyne et Paul. Elle renverse
beaucoup.
EVELYNE - Qu’est-ce
qu’elle a ?
BETTY - Rien.
Pourquoi ?
EVELYNE - je la
trouve bizarre.
BETTY - Ah
non, pas du tout.
Sous l’œil interloqué de Paul et d’Evelyne, Catherine s’est
remise à marcher de long en large.
Catherine casse un deuxième verre.
Veuillez m’excuser, mais j’ai un mot à
dire à Catherine.
Betty s’approche de Catherine qui tourne le dos.
Catherine, je vous en supplie, prenez sur
vous.
CATHERINE - je sais, mais c’est plus fort que moi. En vérité, j’ai
envie de mettre tout le monde à la porte et de pleurer.
BETTY - Alors
ça ! Non ! Je ne vous le permets pas. Mettez-nous plutôt
un peu de musique gaie.
Catherine va jusqu’à la chaîne stéréo et met un
disque de jazz assez gai.
EVELYNE - J’adore
ces vieilles mélodies américaines. Ah ! En ce temps-là,
on savait composer
A une
époque, avec Paul, nous adorions aller danser. Tu te souviens, mon
chéri ?
PAUL - Oui,
seulement maintenant avec la Techno…
EVELYNE - Catherine,
vous avez déjà dansé sur la Techno ?
CATHERINE - Je vous propose de passer à table, ça le fera venir.
EVELYNE - Excellente
idée.
PAUL - Moi,
j’ai une faim ! Forcément à midi, je n’ai eu que le temps
d’avaler un sandwich… après vous…
Ils sortent en direction de la terrasse.
La scène reste vide un court instant et puis la porte de chambre
s’ouvre et Barbara entre en titubant.
Elle fait le tour de la pièce, complètement groogie, elle se cogne contre un mur, glisse par terre et
finit par disparaître sous le divan.
On entend la porte d’entrée s’ouvrir et François entre dans
le salon.
Il s’avance et écoute la rumeur qui vient de la salle à
manger.
Il retire son imperméable et le pose sur une chaise.
Puis, rapidement, il entre dans la chambre et en ressort avec la valise
qu’il va cacher derrière un rideau tout près de la sortie. (çà øèðìó).
Après avoir pris une profonde aspiration qui lui permet de reprendre
son calme, il finit par entrer dans la salle à manger, où il est
accueilli par des cris de stupéfaction.
BARBARA (dans son sommeil) - Tout de même, quel
salaud !
Et le rideau tombe sur la fin de la première partie.
ENTRACTE
ACTE II
Quand le rideau se lève, Barbara dort toujours sous le divan. Par la
porte du fond, Catherine entre en portant un magnifique gâteau
orné de soixante bougies.
Elle traverse le salon.
Evelyne entre venant de la terrasse.
EVELYNE - Et
toutes ces bougies… Qu’est-ce qu’il éclaire…
CATHERINE - Oui il y en a soixante, je n’en ai pas raté une.
EVELYNE - Il
est magnifique, mais comme je suis au régime, je préfère
mettre le plus de distance entre lui et moi.
CATHERINE - J’en connais qui vont manger votre part.
Betty entre à son tour.
BETTY - Moi
certainement.
CATHERINE - Betty, allez voir si tout va bien…
Elle se penche à l’oreille de Betty et lui murmure quelques mots en
lui désignant la chambre.
Catherine emporte le gâteau sur la terrasse.
Paul chante en voyant le gâteau.
Betty traverse le salon et pousse la porte de la chambre. Elle entre, mais
elle en ressort presque aussitôt. Elle se dirige vers la terrasse et fait
signe à Catherine.
Catherine apparaît.
BETTY - Catherine! Elle a disparu.
Elle n’est plus dans la chambre!
Catherine a l’air très contrarié. Evelyne observe la
scène très intriguée.
CATHERINE - Mais où est-elle ?
BETTY - Je ne
sais pas.
CATHERINE - Allez découper le gâteau, je vais la chercher.
Betty entre dans la salle à manger. Catherine sort en direction de
la cuisine.
François entre à son tour.
Il regarde sa montre et visiblement louche sur l’endroit où il a
caché sa valise.
EVELYNE - Pour
un beau gâteau d’anniversaire, c’est un beau gâteau.
FRANÇOIS - Un peu trop surchargé de bougies peut-être.
EVELYNE - Vous
avez l’air d’avoir vingt ans.
FRANÇOIS - Moi, j’en suis persuadé, mais ce sont les miroirs qu’il faut
convaincre.
EVELYNE - Moi
je ne vous ai jamais trouvé aussi jeune.
FRANÇOIS - Je vous remercie.
EVELYNE - Pourtant,
il m’a semblé que vous étiez tendu ce soir.
FRANÇOIS - Tendu ! Moi ! Quelle idée ! Pourquoi
voudriez-vous que je sois tendu.
Il sort deux cigarettes qu’il se colle dans la bouche et qu’il allume en
même temps avec des gestes fébriles.
EVELYNE - Je ne
voudrais pas être indiscrète, après tout nous avons tous
nos petits soucis.
FRANÇOIS - Bien évidemment.
BARBARA (rêvant) – ?
François se retourne, surpris.
FRANÇOIS - Pardon ?
EVELYNE - Comment ?
Catherine entre très préoccupée.
CATHERINE - Mais où est-elle passée ?
FRANÇOIS - Qu’est-ce que tu cherches ?
CATHERINE - Heu, rien…
Elle se dirige vers le bureau et sort.
FRANÇOIS - C’est tout Catherine, elle cherche je ne sais quoi, au lieu de
s’occuper de ses invités.
Catherine entre revenant du bureau.
CATHERINE - Ces invités sont aussi les tiens, et tu peux très bien
me remplacer un instant.
FRANÇOIS - C’est justement ce que je faisais, j’étais venu chercher les
cigares pour Paul.
François sort le coffret et sort en direction de la terrasse.
EVELYNE - Vous
avez regardé dans le réfrigérateur ?
CATHERINE - Pardon ?
EVELYNE - J’ignore
ce que vous cherchez, mais moi il m’arrive souvent…
Catherine ne répond pas, Betty entre venant de la terrasse.
BETTY - Alors !
CATHERINE - Rien.
BETTY - C’est incroyable !
EVELYNE - Je ne
peux pas vous aider ?
CATHERINE - Non. Merci Evelyne.
EVELYNE - Ah bon. C’est qu’on
vous sent tellement contrariée.
CATHERINE - Oui, je sais Evelyne que nous avons l’air de faire des
mystères mais en vérité… c’est très délicat.
EVELYNE - Oh !
Mais je ne voulais pas être indiscrète.
BETTY - Vous
avez regardé sous le lit ?
CATHERINE - Ah ! Non.
BETTY - Elle
a peut-être glissé.
CATHERINE - Allons voir.
Betty et Catherine sortent en direction de la chambre.
François entre venant de la terrasse. Il regarde sa montre et
s’essuie le front.
FRANÇOIS - Alors on le mange ce gâteau ?… Où sont-elles ?
EVELYNE - Dans
la chambre, elles sont allées regarder sous le lit.
FRANÇOIS - Sous le lit ! Remarquez, cela ne m’étonne pas, Catherine
est tellement désordre.
Evelyne sort en direction de la terrasse.
Aussitôt François fait un pas en direction de sa valise.
Catherine et Betty entrent venant de la chambre.
BETTY - Et la
terrasse du bureau.
CATHERINE - On ne sait jamais.
BETTY - Ah ah !…
Elles disparaissent en direction du bureau.
François se précipite sur son imperméable et fait un
pas vers sa valise. Evelyne entre.
EVELYNE - François !
François sursaute et repose vivement son imperméable. (äåëàåò âèä. ÷òî
èùåò ÷òî-òî â êàðìàíàõ).
FRANÇOIS - Oui.
EVELYNE - Paul
dit que c’est un crime d’allumer un cigare pareil avec autre chose qu’une
allumette.
FRANÇOIS - Des allumettes !
EVELYNE - Oui, et
il voudrait également un coupe-cigares.
FRANÇOIS - Un coupe-cigares. Je vais lui chercher ça.
Il regarde sa montre, il sort et disparaît dans sa chambre. Catherine
et Betty entrent revenant du bureau.
BETTY - Elle
est peut-être sortie tout simplement.
CATHERINE - Allons-y, moi je monte dans les étages, et vous, vous allez
voir dans la rue. Evelyne, excusez-nous, nous sortons un instant…
Allons-y !
EVELYNE - Mais
je vous en prie.
Elles sortent en direction du vestibule. Evelyne assiste à toutes
ces sorties, de plus en plus effarée.
Barbara se réveille à moitié et s’assoit sur le divan.
Elle s’étire et fronce les sourcils. Elle regarde où elle
est. Comme elle a soif, elle se décide à aller boire un verre
d’eau à la cuisine. Elle se lève et s’avance dans le salon. Elle
s’arrête en apercevant Evelyne.
BARBARA - La
cuisine ?
Evelyne tétanisée lui montre la direction de la cuisine.
Barbara sort. François entre.
EVELYNE - Vous
avez vu la femme en chemise de nuit ?Elle est
passée là, qui est-ce ?
FRANÇOIS - Qui ?
EVELYNE - La
femme en chemise de nuit que je viens de voir traverser le salon, toute blanche
et transparente.
FRANÇOIS - Toute blanche et transparente.
EVELYNE - Oui,
et elle m’a parlée.
FRANÇOIS - Voulez-vous que j’ouvre la fenêtre ?
EVELYNE - Mais
non, je me sens très bien.
FRANÇOIS - Mais oui, ça se voit…
Catherine et Betty reviennent du vestibule légèrement
essoufflées.
BETTY - Personne
dans la rue.
CATHERINE - En haut non plus.
FRANÇOIS - Evelyne vient de voir passer une femme blanche et transparente dans le
salon.
CATHERINE - Comment ?
FRANÇOIS - Oui, enfin c’est ce qu’elle dit.
François fait signe à Catherine qu’elle doit tenir une bonne
cuite.
Il sort en direction de la terrasse.
VOIX DE FRANÇOIS - Tiens Paul, mon ami.
CATHERINE - Où est-elle ?
EVELYNE - Elle
a demandé la cuisine.
BETTY - J’y vais.
Betty sort.
EVELYNE - Catherine,
j’ai bien vu passer une femme, je ne rêve pas ?
CATHERINE - Absolument, ne vous inquiétez pas.
EVELYNE - Je ne
m’inquiète pas, mais sur l’instant, elle semblait sortir de nulle part.
CATHERINE - D’où venait-elle ?
EVELYNE (désignant un coin du salon) - Elle est apparue
là !
CATHERINE - Elle était sous le divan.
Betty entre accompagnée de Barbara qui finit de boire un grand verre
d’eau. Evelyne se laisse choir sur le divan.
EVELYNE - La
voilà !…
BARBARA - J’avais
une de ces soifs !
Barbara vient s’asseoir à côté d’Evelyne.
EVELYNE - Qui
est-ce ?
CATHERINE - C’est Barbara, la maîtresse de François.
EVELYNE - Pardon ?
CATHERINE - Je disais que cette jeune femme est la maîtresse de
François. N’est-ce pas, Barbara ?
BARBARA - Oui,
c’est vrai.
EVELYNE - Et
vous la recevez chez vous ? Et dans cette tenue !
CATHERINE - Non, il faut que vous compreniez…
BETTY - Barbara
a tenté de se suicider.
CATHERINE - Parce que François voulait la quitter.
BARBARA - Oui,
après dix ans !
CATHERINE - Oui, avouez que c’est dur.
EVELYNE - Heu !…
oui, bien sûr.
BARBARA - Plutôt
oui, ah ! Le monstre ! Briser un amour pareil… On a
pas le droit.
Elle recommence à pleurer.
CATHERINE - Voyez dans quel état elle nous est arrivée.
BETTY - On ne
pouvait décemment pas la mettre à la porte.
EVELYNE - Oui,
je le comprends très bien.
CATHERINE - Je sais, j’aurais peut-être dû vous prévenir avant
le dîner, mais vous m’imaginez vous
disant : - Evelyne, ne vous étonnez pas si vous voyez une jeune
femme en chemise de nuit, ce n’est rien, c’est la maîtresse de
François. Cela aurait pu vous causer un choc.
EVELYNE - Oui,
cela aurait pu.
CATHERINE - Couchons maintenant
Barbara.
BARBARA - Non,
je ne veux pas dormir, je veux le tuer.
CATHERINE - C’est d’accord mais avant, un petit somme vous fera le plus grand
bien.
BARBARA - Je
veux le tuer.
CATHERINE - Evelyne, aidez-nous.
Les trois femmes entraînent Barbara qui pleure, dans la chambre.
François arrive de la terrasse et traverse le salon comme un voleur.
Il prend vivement son imperméable.
La porte de la chambre s’ouvre et Catherine suivie de
Evelyne et de Betty entre.
CATHERINE - François !
François sursaute, on le sent au bord de craquer.
FRANÇOIS - Oui.
CATHERINE - Où vas-tu ?
FRANÇOIS - Nulle part.
Soudain le portable dans la poche de l’imper résonne.
François le prend et panique aussitôt. On sent que c’est
Marie-Pierre qui appelle.
CATHERINE - Tu ne réponds pas.
FRANÇOIS - Mais si… mais si… Allô ! Ah ! Ah ! C’est
vous ! C’est vous ! Ecoutez Monsieur…
Manifestement il cherche un nom dans l’urgence. Soudain il s’arrête
devant le vase et le bouquet de fleurs apporté par Evelyne.
…Monsieur… Bouquet… je sais que … et…
oh ! Excusez-moi, mais je suis en voiture, et je vais passer sous un
tunnel… (Il coupe la communication.)
CATHERINE - Sous un tunnel.
FRANÇOIS - Oui, je suis obligé, c’est un emmerdeur.
CATHERINE - Betty ! Venez avec moi, je vais faire le café.
BETTY - Je
vous suis.
Catherine et Betty sortent en direction de la cuisine.
François se dirige vers une petite cave à liqueurs qui se
trouve à l’avant-scène côté jardin.
VOIX DE PAUL - Alors François ! Il vient le cognac !
FRANÇOIS (à l’attention de Paul) - Voilà…
voilà ! Paul… ça arrive !
François est en train de préparer un petit plateau avec les
liqueurs.
La porte de la chambre s’ouvre dans son dos et Barbara, toujours en
nuisette sort. Elle ne voit pas François et se dirige vers la cuisine.
Barbara sort.
Evelyne, qui se trouve également à l’avant-scène et qui
assiste à ce chassé-croisé est de plus en plus
dépassé par les événements.
Comme François a servi un petit verre à liqueur, elle
l’attrape et l’avale d’un trait.
Elle se met devant la porte de la
cuisine et improvise une danse pour détourner l’attention de
François et l’empêcher d’entrer.
-Evelyne ! Evelyne ! Je vous trouve
étrange, ce soir.
EVELYNE - Moi,
pas du tout, juste un peu fatiguée. D’ailleurs je crois que l’on ne va
pas tarder à rentrer. Il est déjà dix heures trente et…
FRANÇOIS - Vous êtes sûre ?
EVELYNE - Oui,
pourquoi, vous êtes pressé ?
FRANÇOIS - Mais pas du tout, j’ai la nuit devant moi, on va danser
jusqu’à l’aube…
VOIX DE PAUL - Alors ! François, le cognac ! François sort en direction de la
terrasse.
FRANÇOIS - Voilà Paul, ça vient. Tu as quelle heure, toi ?
VOIX DE PAUL - Dix heures trente. Pourquoi ?
Catherine entre venant de la cuisine.
CATHERINE - Elle commence à reprendre ses esprits.
EVELYNE - Qu’est-ce
que vous allez en faire ?
CATHERINE - J’ai ma petite idée là-dessus. Pour l’instant, Betty
lui fait du café.
Eveline - Vous dites que François va
partir?
CATHERINE - Oui, enfin c’est ce qu’il croit. Mais ne vous inquiétez pas
à part ça je ne me suis jamais sentie aussi bien.
EVELYNE - Eh
bien, moi, je ne me suis jamais sentie aussi mal. (Suppliante.) Je voudrais partir.
CATHERINE - Non !
Betty revient avec Barbara.
BARBARA - Ça
va mieux.
BETTY - Je
crois que le café lui a fait beaucoup de bien.
CATHERINE - Mettez-vous là !
BARBARA - Et
maintenant, la surprise du chef.
François sort en riant de la salle à manger.
Soudain, il aperçoit Barbara au milieu du salon.
Il est frappé de stupeur.
Il entre à nouveau dans la salle à manger et en ressort deux
secondes après pour vérifier qu’il n’est pas victime d’une hallucination.
FRANCOIS - Mais qu’est-ce que… mais qu’est-ce que…
CATHERINE - Mais qu’est-ce qui t’arrive, François, remets-toi, on dirait
que tu viens d’apercevoir une soucoupe volante.
Paul sort en riant.
PAUL - (Il aperçoit la tête que fait
François.) Qu’est-ce qu’il y a ? (Il aperçoit Barbara.) Oh ! Qui est-ce ?
CATHERINE - La maîtresse de François.
PAUL - Ah !
C’est la maîtresse de Fran… oh... j’ai dû boire un peu trop ce
soir.
FRANÇOIS - Mais coco… mais coco…
CATHERINE - Mais coco ? Quoi ?
FRANÇOIS - Mais qué… qué
qué quel…
CATHERINE - Quel jour sommes-nous ? Samedi soir, c’est tout ce que tu
trouves à dire ?
FRANÇOIS - Qu’est… qu’est… qu’est…
BARBARA - Vous
allez voir que tout à l’heure il va dire qu’il ne sait pas qui je
suis. Alors, François Dumoulin, on croyait qu’on allait pouvoir se
débarrasser de moi, sans secousses, sans bruit ? Eh bien, je peux
t’assurer que cela ne va pas se passer comme ça !
CATHERINE - Barbara, excusez-moi de vous couper, mais je pense que vous seriez
mieux dans la salle à manger. C’est vrai, les querelles d’amoureux
devant les tierces personnes, c’est toujours un peu gênant.
BARBARA - Vous
avez raison. Merci Catherine.
CATHERINE - Je vous en prie.
BARBARA - François,
viens donc un peu par ici, j’ai une ou deux petites choses dont je voudrais
qu’on parle.
FRANÇOIS - Mais… qu’est-ce que… mais qu’est-ce…
Barbara pousse François dans la salle à manger.
VOIX DE BARBARA - Tu pensais sans doute que tu allais pouvoir me jeter comme un objet
usagé, hein ? Espèce de salaud !
CATHERINE - Qu’est-ce qu’elle lui brise.
Paul et Evelyne sont terriblement embarrassés.
Les éclats de voix continuent.
VOIX DE FRANÇOIS - Venir ici ! Ici ! Mais tu es
complètement folle !
VOIX DE BARBARA - Mais dis-toi bien que partout où tu iras, je te suivrai.
Partout, tu m’entends, y compris à Tagalooma !
VOIX DE FRANÇOIS - Tagalooma !
Tagalooma ! Mais qu’est-ce que c’est ?
Catherine, Betty, Paul et Evelyne sont tout près de la porte et
écoutent attentivement.
VOIX DE BARBARA - Une île en Australie. Ne fais pas l’ignorant! Ah ! Tu
t’apprêtais à nous plaquer, mais je saurai bien t’en
empêcher !
CATHERINE - Quand je pense qu’en vingt ans, moi, je ne lui ai jamais fait une
scène de jalousie.
VOIX DE BARBARA - Tu ne vas tout de même pas nier qu’il y a une autre
pétasse dans ta vie ?
On entend un bruit de vaisselle brisée.
Catherine se précipite.
CATHERINE - Ah non Barbara ! Barbara ! Pas les assiettes, vous
n’êtes pas chez vous.
Vois de BARBARA - Oui, vous avez raison, excusez-moi
Catherine.
Oui, parfaitement, une Pétasse !
Fumier va !
CATHERINE - C’est dommage, elle devient vulgaire.
VOIX DE BARBARA - Quand je pense à toutes ces années perdues,
gâchées, quand je pense que je croyais tout ce que tu me
racontais…
François apparaît sur le côté de la scène
et à nouveau s’adresse directement au public.
FRANÇOIS - Pourtant, je vous assure qu’elles
n’ont manqué de rien. Mais trop occupées à sauver leur
univers, elles ne se sont même pas encore posées
la question de savoir pourquoi tout à coup, à certaines
périodes de ma vie, je me suis transformé en monstre.
Eh bien, croyez-moi, ce serait prendre le
risque de s’entendre répondre que si je suis parti chaque fois sans tout
à fait les quitter, c’est que sans doute je n’étais plus tout
à fait heureux, et si je veux être heureux ! Ce n’est pas
pour moi, c’est pour elles, car ce n’est que lorsque je suis heureux que je
peux les rendre heureuses.
Seulement, c’est tellement plus facile de
tout me mettre sur le dos et de me condamner sans chercher à comprendre.
Encore heureux que nous ne soyons pas dans l’Ouest
américain au siècle dernier, elles me lyncheraient.
VOIX DE BARBARA - Hein ! Tu ne trouves plus rien à répondre !
FRANÇOIS - Vous l’entendez, je vous le dis, il y a des maîtresses qui vous
font des vies tellement dures qu’on en arrive à regretter sa femme.
Il sort.
VOIX DE BARBARA - Et moi qui lui tricotais des pulls que Monsieur, d’ailleurs, ne
portait jamais ! (Elle
crie.) Sale type ! Ordure !
CATHERINE - Oh là, elle va fort, les voisins vont croire que c’est
moi !
BETTY - Moi,
je l’aurais traité comme ça, il m’aurait battue.
La porte de la salle à manger s’ouvre et François
poussé par Barbara, entre dans la pièce.
BARBARA - Crois-moi !
Tu n’es pas encore parti, car pour ça il faudra me passer sur le corps.
FRANÇOIS - Mais Catherine, je t’en prie, explique-lui.
CATHERINE - Voilà maintenant qu’il m’appelle à son secours !
BETTY - Oui,
là, il exagère.
BARBARA - Quand
je pense que tu as eu le culot de tromper une femme pareille ! Alors, moi,
ça me révolte.
CATHERINE - Evelyne, vous ne trouvez pas que là, c’est gentil ce qu’elle
dit.
EVELYNE - On
voudrait partir.
CATHERINE – Non!
Catherine oblige Evelyne et Paul à se rasseoir.
EVELYNE (pâle) - Alors ! Je vous en prie, faites-les arrêter, je
sens que je vais craquer.
PAUL - Mais
oui, on va s’en aller.
CATHERINE (catégorique) - Non !
Barbara et François sortent de la cuisine.
BETTY - Elle
va finir par lui déchirer la chemise que je lui ai offerte pour
Noël.
CATHERINE - Mais c’est vrai ! (Se
précipitant.) Barbara ! Barbara ! Calmez-vous, et
écoutez-moi… écoutez-moi.
BARBARA - Je le
tuerai.
CATHERINE - Mais oui, c’est promis, mais en attendant asseyez-vous.
Elle force Barbara à s’asseoir dans un fauteuil et pousse
François vers le divan.
Il est dans un piteux état François. Le cheveu est
ébouriffé et la chemise sortie du pantalon.
FRANÇOIS - Quelle furie !
CATHERINE - Reconnais pourtant qu’il y a de quoi être fâché.
FRANÇOIS - Mais pourquoi ? Je vous le demande, pourquoi ?
CATHERINE - François, tu ne vas pas nier que tu connais cette jeune
femme ?
PAUL - Ah
oui, François, tu ne vas pas nier.
FRANÇOIS - Nier! Moi! Pourquoi nierais-je, je vous le demande!
CATHERINE - Non, François, les questions, c’est nous qui les posons.
FRANÇOIS - Ah ! Bon, alors maintenant me voilà au tribunal Bravo!
Cela devient de plus en plus agréable de vivre dans ce pays;
voilà l’inquisition qui recommence.
CATHERINE - François, je sais tout.
PAUL - Elle
sait tout.
FRANÇOIS - Mais tu sais tout quoi ?
CATHERINE - Tout ! Ton départ, tes projets, tout.
FRANÇOIS - Tout ! Tout ! C’est tout ce qu’elles savent dire. Et bien, je regrette, mais vous vous trompez, mais alors,
complètement.
CATHERINE - Ah bon ! (Elle va
chercher la valise) Et ça, qu’est-ce que c’est ?
FRANÇOIS - C’est ma valise.
CATHERINE - Ah ! Tout de même, et tu sais ce qu’il y a dans ta
valise ?
FRANÇOIS - Bien sûr puisque c’est moi qui l’ai faite.
CATHERINE - Il y a tous tes souvenirs personnels, tous tes pyjamas, le portrait
de ta mère…
FRANÇOIS - Je t’en prie, je sais ce qu’il y a dans ma valise ; mais
ça prouve quoi ?
CATHERINE - Ça prouve quoi ? Mais ça prouve que tu
t’apprêtais à partir, pour aller je ne sais où avec je ne
sais qui.
FRANÇOIS - Et c’est tout ? Alors, si je comprends bien, vous trouvez une
valise avec des pyjamas dedans, et tout de suite vous en concluez que je pars.
Comme si la place des pyjamas n’était pas dans une valise.
CATHERINE - Mais enfin, François, il me semble !
FRANÇOIS - Ah ! Il te semble ! Il te semble ! Ça veut dire
quoi ? Il te semble !
CATHERINE (un peu désarçonnée) - Et la valise !
PAUL - Ben
oui, la valise.
FRANÇOIS - Et alors ! Qu’est-ce que ça veut dire : la
valise ? Pour l’instant je suis toujours là oui ou non ?
CATHERINE - Oui ! Tu es toujours là !
FRANÇOIS - Et bien alors, qu’est-ce que vous me chantez ?
BARBARA - Non,
mais vous l’entendez ?
BETTY - Moi
je l’ai toujours beaucoup admiré.
CATHERINE - François, jusqu’à maintenant, je suis restée
très calme, mais ne t’imagines pas que tu vas t’en tirer simplement en
disant : qu’est-ce que tout ça prouve ?
PAUL - Oui,
qu’est-ce que tout ça prouve ?
FRANÇOIS - Mais si, justement, et je le répète : qu’est-ce
que tout ça prouve ! Tenez, j’irai même plus loin : non
seulement je reconnais qu’effectivement j’avais préparé une
valise, mais tenez, voilà en plus mon billet d’avion !
BARBARA - Quel
culot !
BETTY - Oui,
là, il m’épate.
CATHERINE (prenant le billet) - Brisbane, oui, c’est bien
ça. Eh bien, la voilà la preuve.
FRANÇOIS - Un instant, voulez-vous. Car si vous m’aviez laissé tout
à l’heure le temps de m’expliquer, les choses seraient maintenant sans
doute beaucoup plus claires.
CATHERINE - Très bien ! Eh bien François, nous
t’écoutons.
BARBARA - Je
sens que ça va être grandiose.
BETTY - Oui,
moi aussi, ça m’intéresse.
PAUL - Finalement,
moi aussi.
CATHERINE - Résumons-nous. Tu reconnais que tu as sur toi un billet
d’avion et que tu avais préparé une valise. C’est bien
ça ?
FRANÇOIS - C’est tout à fait ça, sauf qu’il y a un détail
que vous ignorez.
CATHERINE - Ah ! Et peut-on savoir lequel ?
FRANÇOIS - C’est que tout simplement, j’avais renoncé à partir.
Ils se regardent tous, déconcertés.
CATHERINE (appréciant, siffle) - Pas mal.
FRANÇOIS - Oui, c’est vrai, j’avoue, j’ai eu l’intention de partir, seulement,
entre l’intention et le passage à l’acte, il y a toute la
différence qu’il y a entre un innocent et un coupable.
BARBARA - Qu’est-ce
qu’il dit ?
CATHERINE - Il dit que c’est nous qui avons tort.
BARBARA - Quoi ?
FRANÇOIS - Pour l’instant, je vous ferai remarquer que je suis chez moi,
à ma place habituelle comme tous les soirs.
CATHERINE - J’admire.
BETTY - Oui,
il a encore fait des progrès.
FRANÇOIS - D’ailleurs, je pense que vous serez d’accord avec moi, mais je trouve
que dans la vie il n’y a rien de plus détestable qu’un procès
d’intention.
CATHERINE - Procès d’intention…
FRANÇOIS - C’est le terme exact. D’ailleurs, je trouve ça
décevant. Oui, jamais je n’aurais pensé que vous seriez capables
d’une chose pareille.
Ce qui prouve qu’on a beau vivre
auprès des gens, pendant des années, on s’aperçoit qu’on
ne les connaît jamais vraiment complètement. Ah ! Oui, je
suis déçu ! Très déçu !
CATHERINE - Mais enfin François ! Tu avais tout de même bien
l’intention de…
FRANÇOIS (la coupant) - Tu vois, l’intention ! Qu’est-ce que ça veut
dire l’intention ! Rien.
BETTY - Moi,
j’applaudis.
FRANÇOIS - Et pour continuer mon raisonnement, je dirai que ce n’est pas parce
que l’on a sur soi un billet d’avion qu’on part, parce qu’on peut très
bien encore, le pied sur la passerelle d’embarquement, avoir une prise de
conscience de dernière minute qui fait qu’au lieu de commettre une
mauvaise action, on y renonce.
CATHERINE - Alors là, je dois dire que c’est du grand art. Vous allez voir
qu’il va falloir s’excuser.
BETTY – Moi, j’applaudis.
BARBARA - Moi,
je n’y comprends plus rien.
CATHERINE - Et cette prise de conscience, ça t’a pris vers quelle
heure ?
FRANÇOIS - À table ! On était là, tous bien ensemble,
Paul chantait et tout à coup, j’ai compris tout le mal que j’allais
faire à des personnes qui ne le méritaient pas. Alors, soudain,
le remords est monté des profondeurs de mon âme, et il est venu
éclater comme une bulle à la surface de ma conscience. Et
quand je me suis levé de table, je n’étais plus même homme
qui, une heure plus tôt s’y était assis.
PAUL - Bravo !
Moi, jamais j’aurais pu me sortir d’un truc pareil.
CATHERINE - C’est vrai ! On se sent presque fière d’être cocue.
N’est-ce pas Mesdames ?
BARBARA - C’est
très joli tout cet emberlificotage auquel
d’ailleurs je n’ai rien compris, mais maintenant, qu’est-ce qu’il va se
passer ?
PAUL - Oui,
qu’est-ce qu’il va se passer ?
FRANÇOIS - Qu’est-ce qu’il va se passer pour qui ?
BARBARA (hurlant) - Pour moi !
FRANÇOIS - Doucement, il faut réfléchir, et…
BARBARA - Tu
n’espères tout de même pas que cela va
continuer comme avant, maintenant que je connais ta femme.
FRANÇOIS - Ecoute, Barbara, veux-tu que nous en parlions
demain ? A l’heure qu’il est, tout le monde est fatigué et…
BARBARA - Non,
tout de suite, parce que je te préviens qu’il est hors de question que
je mette une petite annonce sur Internet, ni que je parte seule tous les ans au
Club Méditerranée. (A Catherine.) Vous comprenez, Catherine, il faut
que je sache. Alors François, as-tu oui ou non l’intention de
m’épouser ?
FRANÇOIS - T’épouser ! Mais qu’est-ce qu’elle raconte ?
BARBARA - Une
seule fois dans ta vie, réponds par oui ou par non.
FRANÇOIS (au public) - Connaissez-vous quelqu’un qui se soit trouvé un jour
dans une situation aussi pénible ?
BARBARA - Je te
préviens, François, si depuis dix ans tu m’as menée en
bateau, je vais faire un malheur, car maintenant, je n’ai plus rien à
perdre. Alors ! Oui ? Ou non ?
FRANÇOIS - Enfin, Barbara, pas devant ma femme.
Elle entre dans la chambre où se trouve son sac à main et son
imperméable.
FRANÇOIS - Tu t’en vas ?
Elle ouvre son sac à main et en sort un petit revolver.
Il y a dans le salon un mouvement de frayeur.
BETTY – Quelle
horreur!
FRANÇOIS - Barbara, pas de bêtise !
BARBARA - Qu’est-ce
que tu imagines François ? Qu’on peut jouer avec la vie des gens
impunément ? Eh bien tu te trompes lourdement. Je te donne dix
secondes. Alors ! C’est oui ou c’est non ?
PAUL (s’approchant) - Mademoiselle !
BARBARA - N’approchez
pas ou je vous plombe.
EVELYNE - On
aurait dû partir, je le sentais.
FRANÇOIS - Enfin Barbara ! Ce n’est pas sérieux ?
CATHERINE - C’est elle qui a raison.
Catherine se précipite sur la valise de François et l’ouvre.
Elle en sort le pistolet de tir de François et elle revient le braquer
sur la tempe de François.
BETTY - Mais
enfin, Catherine, qu’est-ce que vous faites ?
CATHERINE - Je vous l’avais dit, il est hors de question qu’il sorte d’ici.
BARBARA - Alors,
tu m’épouses oui ou non ?
CATHERINE - Si c’est oui, c’est moi qui tire.
BARBARA - Si
c’est non, c’est moi.
PAUL - Mesdames !
Enfin !…
CATHERINE - Vous, ne vous occupez pas de ça.
FRANÇOIS - Catherine ! Je t’en supplie, remets le cran de sûreté,
la gâchette part toute seule.
BARBARA - Huit…
Sept… et ne crois pas que je bluffe… six…
FRANÇOIS - Un instant ! Du calme ! Tout d’abord du calme : c’est
vrai, je le reconnais, j’ai eu des tords, je me suis mal conduit, mais…
Il s’agenouille.
BARBARA - Quatre.
FRANÇOIS - Mais j’avais des circonstances atténuantes, je vous assure.
BARBARA - Deux.
CATHERINE - Adieu François !
On entend sonner trois coups à la porte d’entrée.
Tout le monde sursaute.
Catherine cache son pistolet derrière un coussin du divan et elle
prend celui de Barbara.
On sonne à nouveau trois coups.
FRANÇOIS - Voilà ! c’est la voisine du
dessus, qui descend se plaindre. Une vieille folle.
Une très jeune et jolie femme entre.
Elle est habillée comme on peut l’être quand on part en voyage.
Elle porte un grand sac.
Elle s’avance dans le salon assez méfiante et intriguée.
Soudain, en apercevant Barbara en nuisette et François tout
débraillé, elle ne peut retenir une exclamation de surprise.
FRANÇOIS - La voilà, vous êtes contentes ! Ça vous apprendra
à hurler après dix heures du soir !
CATHERINE - Joyeux anniversaire François.
FRANÇOIS (apercevant Marie-Pierre) - Oh ! Non !
MARIE-PIERRE - François ! Qu’est-ce que tout ça veut dire ?
FRANÇOIS - Mais qui t’a… ! Qui t’a ! T’a…
MARIE-PIERRE - Qu’est-ce que tu fais ici ? François ! Peux-tu
répondre ? D’abord, qui sont ces gens ? François, je te
parle.
FRANÇOIS - Mais c’est… tout… tout… toutou… c’est simple.
MARIE-PIERRE - Alors ! Je t’écoute !
FRANÇOIS - C’est mon nana… c’est mon nana…
CATHERINE - C’est son anniversaire.
MARIE-PIERRE (désignant Barbara) - Ah oui ! Et tu fêtes
tes anniversaires avec des filles dans cette tenue ! Eh bien François,
présente-moi !
FRANÇOIS - Co… comment !
MARIE-PIERRE - Oui… François, présente-moi : commençons
par celle-ci.
Elle s’avance et s’arrête devant Betty.
FRANÇOIS - C’est Bébé… c’est bébé…
MARIE-PIERRE - Ah ! C’est Bébé ! On l’appelle
Bébé.
CATHERINE - Non, Mademoiselle. Madame se prénomme Betty.
MARIE-PIERRE (vers Paul et Evelyne) - Et les deux pingouins, comment
ils s’appellent ?
EVELYNE (ulcérée) - Pingouin… Ah non Paul, moi j’en
ai marre de ce bordel !
PAUL - On
s’appelle… (íà
óõîäå)
Evelyne et Paul sortent.
MARIE-PIERRE (désignant Barbara) - Et celle-ci, elle se
prénomme comment ?
FRANÇOIS - Ba… ba… Bar…
CATHERINE - Barbara Perez…
MARIE-PIERRE - Elle est toujours habillée comme ça… Barbara
Perez ? Parce que ça semble tout de même être un
endroit très spécial ? Non ? Qu’est
ce que c’est ici ?
CATHERINE - Ce n’est pas ce que vous croyez.
MARIE-PIERRE - Mais Madame, je ne crois rien. Je pose des questions, je trouve mon
fiancé dans un appartement avec des filles dans cette tenue. Alors je
demande ce qu’il fait ici !
CATHERINE - Mais il est ici chez lui.
MARIE-PIERRE - De mieux en mieux… Ah ! Mais moi je vais téléphoner
à ta femme.
Marie-Pierre se précipite sur le téléphone.
CATHERINE - Mademoiselle… je crois qu’il est temps de dissiper le malentendu.
C’est moi qui suis la responsable de cette confrontation. Mais je peux vous
assurer que toutes les personnes qui sont ici, sont des personnes de
qualité, mais comme souvent, ce sont les apparences qui sont trompeuses.
MARIE-PIERRE (désignant Barbara) - Trompeuses. Maintenant en
voilà assez !… assez ! François !
François !
Marie-Pierre s’écroule en pleurs sur le divan. Catherine se
précipite vers elle.
CATHERINE (à François) - Bravo ! Regarde dans quel
état tu les mets.
FRANÇOIS - Mais… je… ne…
CATHERINE - Mademoiselle… écoutez-moi… je vais vous tout vous expliquer.
MARIE-PIERRE - Mais c’est très clair.
CATHERINE - Non… Je suis Catherine Dumoulin.
MARIE-PIERRE - Catherine Dumoulin ? La femme de François ?
CATHERINE - Vous êtes dans notre appartement
à François et à moi.
MARIE-PIERRE (désignant Barbara) - Et elle !
CATHERINE - Elle ! Elle nous est arrivée dans cette tenue à
l’improviste après avoir avalé des cachets pour se suicider.
MARIE-PIERRE - Se suicider ! Mais pourquoi ?
CATHERINE (bas) - Parce que c’est la jeune femme que François allait
quitter pour vous.
MARIE-PIERRE - Mais moi je croyais que la femme qu’il allait quitter c’était
vous ?
CATHERINE - Non. Moi je ne suis que Madame Dumoulin, mais Barbara est la
maîtresse de François depuis dix ans.
MARIE-PIERRE - Tu ne me l’avais pas dit.
CATHERINE (désignant Betty) - Et voici également sa
première femme.
MARIE-PIERRE - Sa première femme !
BETTY - Bienvenue
au club !
MARIE-PIERRE - François ! François ! Eh bien, dis quelque
chose.
CATHERINE - Que voulez-vous qu’il réponde. Je dois dire que, pour un
anniversaire, c’est réussi : il se souviendra de ses soixante ans.
BARBARA - Cinquante-cinq.
MARIE-PIERRE - Cinquante.
TOUS - Oh !
Le salaud !
François se lève et va pour ouvrir la bouche, mais aucun son
n’en sort.
Soudain, il porte la main à sa poitrine et s’écroule en
suffoquant.
Il y a un instant de stupéfaction et tout le monde se
précipite.
BETTY - François !
BARBARA - François !
BETTY - C’est
un infarctus.
BARBARA - Mon
Dieu ! Il va mourir !
CATHERINE - Allongez-le.
On allonge François sur le divan.
MARIE-PIERRE - Il faudrait un coussin.
BARBARA - Je
vais en chercher un.
BETTY - Il
faudrait appeler un médecin.
CATHERINE - Je m’en occupe.
Elle se dirige vers le téléphone.
BARBARA - Il
faut lui déboutonner sa chemise. Tenez Desnouettes,
mettez-lui un coussin sous les pieds.
MARIE-PIERRE - Oui, mais alors, couvrez-le qu’il n’attrape pas froid.
BARBARA - Je
vais chercher une couverture.
CATHERINE (au téléphone) - Allô ! le SAMU c’est peut-être un infarctus, vingt-cinq rue
des marronniers. (Elle raccroche le
téléphone et pose le récepteur par terre à
côté du divan.) Le SAMU arrive tout de suite.
BETTY - Qu’est-ce
qu’ils ont dit ?
CATHERINE - Ils ont recommandé le plus grand calme.
MARIE-PIERRE (doucement) - Regardez-le, il ne parle plus.
BARBARA (doucement) - François ! Je t’en prie, dis quelque chose.
BETTY (doucement) - François ! C’est Betty, tu te souviens, est-ce
que tu m’entends ?
BARBARA - François,
si tu nous entends, fais-nous signe de la main.
François remue la main.
MARIE-PIERRE - Il nous entend. (âñå
âìåñòå).
BARBARA - Qu’est-ce
qu’il a bien pu avoir ?
MARIE-PIERRE - Moi, je suis d’accord avec Madame, c’est sûrement un infarctus.
BETTY - Forcément,
avec tout ce que vous lui avez fait subir toute la soirée, aucun homme
de son âge n’y aurait résisté.
BARBARA - Vous
n’allez tout de même pas dire que c’est de notre faute !
BETTY - Mais
si ! On aurait dit un cerf poursuivi par la meute.
CATHERINE - Là Betty, je trouve que vous exagérez.
BETTY - Ah !
je vous assure, vous y êtes allées un peu
fort.
BARBARA - Et
lui ! Alors ! Il n’y est pas allé un peu fort ?
BETTY - Mais
nous, nous sommes des femmes. Nous sommes fortes. Tandis qu’eux, regardez-le,
ça casse comme du verre. François n’a plus vingt ans pour
être malmené et je vous assure que, pendant un moment, j’ai
presque trouvé juste qu’il vous ait traitées de cette
façon.
CATHERINE - Merci bien.
BARBARA - Oui,
vraiment, il vaut mieux entendre ça que d’être sourde.
MARIE-PIERRE - Moi aussi, je trouve que Madame a raison.
BARBARA - Ah !
Oui, vraiment !
MARIE-PIERRE - Parfaitement, car me faire venir ici était une plaisanterie
qui aurait pu nous tuer tous les deux.
CATHERINE - Ecoutez celle-là, elle vient
à peine d’arriver que déjà elle se permet de critiquer.
BETTY - Et
j’ajoute que si François en meurt, nous aurons toutes notre part de responsabilité.
BARBARA (pleurant) - Vous avez raison, c’est de ma faute.
MARIE-PIERRE - Moi aussi, jamais je n’aurais dû venir.
FRANÇOIS - Chérie !
LES QUATRE FEMMES (ensemble) - Oui !
FRANÇOIS - Soif.
LES QUATRE FEMMES - Il a soif.
BARBARA - Qu’est-ce
qu’on peut lui donner ?
BETTY - Du
scotch, il paraît que c’est bon pour le cœur.
CATHERINE - Moi, je préférerais de l’eau.
MARIE-PIERRE - Du coca, c’est un stimulant.
BARBARA - Du
café.
Barbara et Marie-Pierre disparaissent en direction de la cuisine en se
bousculant. Betty, elle, remplit un verre de scotch.
CATHERINE - Betty ! Merci beaucoup ! Je trouve que, devant les deux
autres, vous auriez pu vous dispenser de dire que j’étais responsable.
Si on ne serre pas les coudes entre nous…
BETTY - Il ne
faut pas m’en vouloir, mais quand je le vois dans cet état, ça me
rend folle.
CATHERINE - Betty, calmez-vous.
BETTY (écrasant une larme) - C’est plus fort que moi.
Marie-Pierre et Barbara reviennent de la cuisine avec chacune un verre.
BARBARA (sèchement) - Je sais ce que j’ai à
faire.
MARIE-PIERRE - Moi aussi figurez-vous, je vous dis du coca.
BETTY - Du
scotch ! C’est le mieux, je le connais depuis plus longtemps que vous tout
de même.
MARIE-PIERRE - Et alors, ça prouve quoi ?
BARBARA - Dix
ans, ce n’est pas mal non plus !
Elles se disputent toutes les trois. Catherine les observe et intervient.
CATHERINE - Ah ! Non ! Ça ce n’est pas possible. Le
médecin a recommandé le plus grand calme. Je suppose que vous voulez toutes que François se remette au plus
vite !
LES TROIS FEMMES - Oui, Catherine.
CATHERINE - Alors, s’il vous plaît, je voudrais que maintenant chacune
regagne son appartement.
BARBARA - Le
laisser !
MARIE-PIERRE - Mais…
BETTY - Oui,
Catherine a raison, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. D’ailleurs, le
médecin va arriver.
BARBARA - C’est
que je suis très inquiète.
MARIE-PIERRE - Moi aussi.
CATHERINE - Dès que le médecin sera passé, je vous
téléphonerai pour vous donner des nouvelles.
BARBARA - Promis ?
MARIE-PIERRE - Vous ne nous oublierez pas ?
CATHERINE - Juré ! Maintenant, filez ! (Ou jamais!).
Les trois femmes, avant de partir, vont venir embrasser François.
Poussées par Catherine, elles sortent sur la pointe des pieds.
Dès qu’elles sont parties, Catherine revient et pousse un soupir de
soulagement.
Elle s’approche du divan. François a les yeux fermés.
Et maintenant, à nous deux !
François.
Inutile de te dire, François, que je
n’ai pas appelé le SAMU parce que moi, tu ne peux pas m’abuser.
Tu vois, tout le monde est parti. Tout est
rentré dans l’ordre.
Seulement, maintenant, il va falloir que tu
me dises la vérité. François !… Il dort. Eh bien,
dors, François, mais tu ne perds rien pour entendre.
A propos, la prochaine fois que tu simuleras
une crise cardiaque, ne porte pas la main au côté droit le
cœur est à gauche.
Elle sort.
Dès qu’elle n’est plus dans le salon, François lève la
tête, il s’assoit, et après avoir remis un peu d’ordre dans sa
tenue, et avoir regardé à droite et à gauche pour
vérifier qu’il est bien seul, il attrape le téléphone et
compose un numéro.
FRANÇOIS - Allô ! Jocelyne ! C’est François Dumoulin…
comment… oui, je sais, je devais vous appeler la semaine dernière, mais
j’avais un voyage à préparer… non, il est annulé… mais
quand vous voudrez… samedi ? Si nous disions dix-huit heures… chez vous !…
Comment ?… Oui, moi aussi… moi aussi !… moi aussi !…
François raccroche doucement.
Il se lève, sourit, sort.
Ñâåò ãàñíåò.  ëó÷àõ ñâåòà Áåòòè, Êàòðèí, Áàðáàðà, Ìàðè-Ïüåð
âÿæóò. Ïðè÷åì Áàðáàðà è Ìàðè-Ïüåð ó÷àòñÿ ó ñòàðøèõ. Çâîíîê â äâåðü. Âõîäèò Æîñëèí.
Âñå âìåñòå: Bienvenue au club!!!
Ôðàíñóà ïîåò ïåñíþ.
FIN